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Full text of "Histoire du diocèse de Bayeux"

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HISTOIRE 


DIOCESE  DE  BAYEUX. 


HISTOIRE 

DU 

DIOCÈSE  DE  BAYEUX 

XVIIIe  ET  XIXe  SIÈCLE 

PAR 

L'ABBÉ  J.  LAFFETAY 

chanoine  de  Bayeux,  docteur  ès-Jettres. 


«  Refellere  sine  pertinaciâ , 
Et  refelli  sine  iracundifi.  » 
(M.-T.  Cicer.) 


BAYEUX 


IMPRIMERIE  H.  GROBON  ET  0.  PAYAN 

27,  rue  Saint- Jean. 


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HISTOIRE 


DU 


DIOCÈSE  DE  BAYEUX 


DEUXIÈME  VOLUME. 


Il  est  donc  enfin  terminé  le  deuxième  volume  de  notre 
Histoire  diocésaine  ,  et  nous  ne  voulons  pas  le  laisser  pa- 
raître sans  exprimer  notre  juste  reconnaissance  à  tous  ceux 
qui  l'ont  aidé  à  voir  le  jour.  Plus  nous  approchions  de  la 
fin  du  xviue  siècle ,  plus  aussi  les  difficultés  étaient  sé- 
rieuses. Il  fallait  d'abord  découvrir  les  sources,  frapper  à 
la  porte  des  bibliothèques,  interroger  les  archives,  collec- 
tionner les  brochures  innombrables  que  se  renvoyaient 
l'un  à  l'autre  les  différents  partis,  sous  la  République  et  le 
Directoire  ;  enfin ,  recueillir  les  témoignages  isolés  de  la 
tradition  orale ,  qui  jettent  quelquefois  une  vive  lumière 
sur  des  souvenirs  déjà  lointains.  Qu'on  nous  permette  d'en 
faire  la  remarque,  ce  ne  sont  pas  seulement  les  historiens 
du  premier  ordre  qui  sentent  le  poids  de  cette  lourde 
tâche,  les  écrivains  les  plus  obscurs  ont  aussi  leurs  épreu- 
ves. Leur  cadre  est  plus  restreint ,  n'importe  ;  il  n'en  sera 
que  plus  difficile  à  remplir.  La  susceptibilité  des  familles 
veille  autour  d'eux.  On  craint  la  vérité  ;  on  leur  dérobera, 
si  l'on  peut ,  les  renseignements  les  plus  indispensables  ; 
on  contestera  les  faits  les  plus  certains. 


Laissons  de  côté  les  périls  auxquels ,  grâces  à  Dieu , 
nous  avons  échappé  ;  nous  aimons  mieux  parler  des  secours 
que  nous  a  ménagés  sa  Providence.  Comment  oublier  le 
zèle  vraiment  fraternel  avec  lequel  le  clergé  du  Diocèse 
nous  a  donné  son  concours ,  l'empressement  de  toutes  les 
administrations  à  nous  ouvrir  leurs  trésors,  la  sollicitude 
de  nos  amis  qui  ont  toujours  répondu  avec  une  extrême 
bienveillance  à  nos  importunités  !  Les  uns  nous  ont 
soutenu ,  éclairé  de  leurs  conseils  ;  d'autres  ont  dirigé  nos 
recherches  ;  la  plupart  nous  ont  enrichi  de  précieuses 
communications. 

Quand  parut  notre  premier  volume ,  quelques-uns  nous 
exprimèrent  le  regret  de  n'y  avoir  pas  trouvé  les  faits , 
rangés  dans  l'ordre  chronologique.  Nous  leur  répondrons 
ici,  comme  nous  le  fîmes  alors  :  ce  ne  sont  pas  des  Annales 
que  nous  écrivons  ;  il  faut  donc  qu'on  nous  permette  ce 
qu'on  permet  à  tous  les  historiens ,  tantôt  de  revenir  en 
arrière ,  quelquefois  d'anticiper  certains  événements  ;  en 
un  mot  de  grouper  ensemble  tout  ce  qui  se  rapporte  à 
un  certain  ordre  d'idées  ;  il  est  une  foule  de  détails 
qu'on  ne  pourrait  désagréger,  sans  nuire  à  la  clarté  autant 
qu'à  l'intérêt. 

Plusieurs  questions  nous  ont  été  adressées  sur  les  ma- 
tières traitées  dans  le  premier  volume  ;  plusieurs  difficultés 
nous  ont  été  soumises  ;  nous  avons  essayé  d'y  répondre. 
La  recherche  de  la  vérité  coûte  quelquefois  de  grands 
efforts  ;  nous  avons  fait  sur  ce  point  tout  ce  qu'il  était 
possible  de  faire. 

Un  de  nos  amis  a  bien  voulu  nous  permettre  de  dé- 
pouiller un  curieux  manuscrit ,  rédigé  à  la  prison  de 
Bayeux,  en  1793  et  1794,  par  M.  de  Montai,  frère  aîné  de 
M.  d'Albignac.  L'analyse  que  nous  en  avons  faite  se  trouve 
à  la  fin  de  notre  volume  sous  le  titre  d'Appendice. 

On  l'a  dit  avant  nous  :  aucune  histoire  n'est  rigoureu- 


—  3  — 

sèment  complète.  Voici  ce  que  Huet,  il  y  a  longtemps 
déjà,  répondait  à  ce  reproche,  qu'on  n'épargne  pas  aux 
historiens.  Consolez-vous ,  leur  disait-il  :  «  Vous  ne  pou- 
vez tout  savoir  ;  ce  n'est  pas  une  raison  pour  tout  omettre; 
vous  ne  connaissez  qu'une  partie  ;  cela  vaut  mieux  que  de 
tout  ignorer.  »  Scientia  partis  melior  est  totius  ignorantiâ. 
— Nous  réclamons  humblement  pour  nous  le  bénéfice  de 
cette  sentence. 

L'ouvrage  que  nous  préparons,  depuis  si  longtemps,  est 
un  de  ceux  qui  seraient  menacés  de  rester  en  portefeuille, 
si  Ton  attendait  pour  les  produire  que  l'on  ne  pût  y  souhai- 
ter aucun  amendement.  Il  faut  des  bornes  à  tout ,  même 
à  la  prudence.  La  vieillesse  nous  menace ,  et  nous  sentons 
le  besoin  de  nous  hâter.  Nous  avons  maintenant  sous  la 
main  tous  les  matériaux  dont  se  composera  notre  troisième 
volume  ;  il  ne  tardera  pas  à  paraître ,  si  l'on  daigne  ac- 
cueillir celui-ci  avec  l'indulgence  qu'il  réclame.  —  Voici 
l'ordre  que  nous  y  suivrons  : 

On  y  trouvera  la  mission  si  difficile  et  si  glorieuse  que 
remplirent  les  prêtres  cachés  pendant  la  terreur.  —  La 
situation  et  les  travaux  de  leurs  confrères  exilés  en  Angle- 
terre pour  refus  de  serment. — La  mort  de  M&r  de  Cheylus. 
—  L'administration  de  MM.  les  vicaires  capitulaires. — 
Quelques  notes  pleines  d'intérêt  sur  les  communautés  re- 
ligieuses qui  ont  traversé  la  révolution ,  et  sur  quelques 
autres  qu'elle  a  fait  disparaître.  —  L'établissement  du 
Presbytère  à  Bayeux  ;  les  vains  efforts  qu'il  tenta  pour 
raviver  le  schisme  constitutionnel. —  La  restauration  du 
culte  catholique.  —  L'avènement  de  Msr  Brault.  -  Les 
grands  faits  qui  signalèrent  son  épiscopat. —  Enfin,  l'his- 
toire de  deux  sectes  religieuses ,  confondues  sous  le  nom 
de  Petite  Eglise,  et  qui  durent  leur  origine,  l'une  à  l'abbé 
Blanchard,  du  diocèse  de  Lisieux  [Blanchardisme],  l'autre 
à  l'abbé  Bondel,  de  Tallevende-le-Grand  [Rondelisme]. 


Il  y  a  vingt  ans  ,  M.  l'abbé  Michel ,  vicaire  général ,  a 
bien  voulu  consigner  par  écrit  ses  nombreux  souvenirs  sur 
cette  époque  mémorable,  et  il  nous  en  a  fait  dépositaire. 

Viendront  ensuite  les  biographies  de  NN.  SS.  les 
évêques  qui  ont  succédé  à  Msr  Brault  sur  le  siège  de 
saint  Exupère.  Tel  est  le  croquis  des  événements  que 
nous  étudions  avec  amour  depuis  tant  d'années ,  et  que  , 
avec  la  grâce  de  Dieu ,  nous  allons  bientôt  publier.  Nous 
supplions  tous  ceux  qui  posséderaient  quelques  docu- 
ments relatifs  à  cette  période,  de  nous  les  adresser  au  plus 
tôt. 

Nous  n'avons  pas  oublié  que  nous  avons  promis  d'offrir 
gratuitement  à  nos  souscripteurs  la  Carte  de  l'ancien 
Diocèse  de  Bayeux ,  dédiée  à  Msr  Didiot,  en  1859,  par 
MM.  A.-G.  Lavalley-Duperroux  et  G.  Mancel.  Ils  peuvent 
la  réclamer  chez  MM.  Grobon  &  Payan,  nos  imprimeurs. 


15  août  1877. 


J.  LAFFETAY. 


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Inipr.  II.  Grobou  et  0.  Payan. 


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CHAPITRE  F 


Décret  de  l'université  de  Caen  pour  la  rétractation  de  l'appel. 

—  Mandement  de  Msr  de  Lorraine  contre  la  bulle  Unigenitus. 

—  Remontrance  de  la  faculté  de  théologie.  —  Protestation 
contre  le  concile  d'Embrun.  — Mort  de  Msr  de  Lorraine. — 
Jugements  portés  sur  son  caractère.  —  Tombeau  du  prélat. 

—  Mesures  adoptées  par  les  vicaires-généraux.  —  Bourses 
de  Condom. 


C'est  un  spectacle  douloureux  que  celui  de  la  so- 
ciété religieuse  dans  notre  diocèse,  pendant  la  lutte 
dont  le  commencement  vient  de  frapper  nos  regards. 
Ici,  la  faculté  de  théologie  opprimée  par  la  violence, 
réduite  a  protester  contre  la  fraude,  et  s'élevant  au- 
dessus  de  l'oppression  par  la  pureté  de  sa  foi  et  la 
noblesse  de  son  langage  ;  à  côté  d'elle ,  la  société 
de  Jésus  condamnée  à  expier,  par  l'interdit  de  ses 
fonctions,  le  courage  qu'elle  avait  eu  de  rester  fidèle 
a  l'enseignement  de  l'Église  ;  la  congrégation  du  P. 


0  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Eudes  luttant  avec  une  héroïque  fermeté  contre  le 
courant  de  l'opinion,  qui  dérobait  à  son  influence 
une  partie  de  la  jeunesse  cléricale;  les  bons  esprits 
du  clergé  catholique  gémissant  sur  les  excès  aux- 
quels l'entêtement  et  l'esprit  de  parti  entraînaient  le 
reste  de  leurs  confrères;  la  paix  des  communautés 
troublée  par  les  idées  téméraires  qu'y  faisaient  péné- 
trer l'enseignement,  la  prédication  et  la  lecture  ;  un 
évêque  que  l'on  serait  tenté  de  croire  sans  con- 
victions, qui  accepte  et  renie  presque  aussitôt  les 
croyances  catholiques,  qui  permet  de  les  enseigner 
dans  certaines  communautés,  et  les  poursuit  dans 
d'autres  avec  une  inflexible  rigueur:  tel  est  le  tableau 
que  nous  a  présenté  jusqu'ici  l'épiscopat  de  Mgr  de 
Lorraine.  Hâtons-nous  d'achever  cette  lamentable 
histoire ,  et ,  tout  en  rappelant  les  erreurs  et  les 
fautes  que  l'on  ne  peut  dissimuler,  épargnons,  autant 
qu'il  est  en  nous,  la  mémoire  d'un  prince  de  l'Église, 
faire  Depuis  long-temps  déjà ,  plusieurs  professeurs  et 

docteurs  de  l'université  de  Caen  avaient  demandé  la 
convocation  d'une  assemblée  générale,  pour  y  faire 
révoquer  l'appel  au  futur  concile,  interjeté,  en  1718, 
contre  l'émission  de  la  bulle.  D'autres  pensaient 
avec  raison  qu'il  valait  mieux  attendre,  pour  propo- 
ser une  mesure  aussi  importante,  le  moment  où  elle 
pourrait  être  accueillie  d'un  consentement  unanime. 
Enfin,  le  jeudi  4  juillet  1726,  l'abbé  Louet,  curé  de 
Hubert-Folie  et  recteur  de  l'université,  qui  avait 
révoqué  son  appel,  dès  l'année  1722,  mit  l'affaire 
en  délibération.  Toutes  les  facultés,  d'un  commun 
accord ,  reconnurent ,  en  s'accusant  de  l'avoir  fait 


<Jf  l'université 
de  Caen. 


DE  BAYEUX.  7 

trop  tard  (1),  que  la  constitution  Unigenitus  éma- 
nait de  l'autorité  de  l'Église,  et  déclarèrent  qu'elles 
s'étaient  dépouillées  de  tous  les  préjugés  conçus 
témérairement  contre  elle.  Rien  de  plus  logique, 
de  plus  complet,  de  plus  satisfaisant  que  l'exposé 
des  motifs  qui  précède  la  déclaration. 

«  La  constitution  du  pape  Clément  XI  a  été  acceptée 
avec  joie  par  l'Église  tout  entière.  Une  partie,  celle 
où  l'erreur  avait  pris  naissance,  a  consenti  formelle- 
ment à  la  condamnation  de  l'hérésiarque  exprimée 
dans  les  mandements  de  cent  dix  évêques  français. 
Les  autres  contrées  ont  consenti  par  leur  silence,  et 
ce  silence ,  de  l'aveu  du  P.  Quesnel ,  «  doit  tenir 
lieu  d'un  consentement  général ,  lequel ,  joint  au 
jugement  du  saint-siége,  forme  une  décision  qu'il 
n'est  pas  permis  de  ne  pas  suivre.  »  Le  petit  nombre 
de  ceux  qui  se  sont  recriés  contre  la  bulle,  séparé 
du  pape ,  ne  peut  être  mis  en  parallèle  avec  le 
concert  des  autres,  qui  sont  unis  au  souverain  pas- 
teur. A  quoi  bon  attendre  la  décision  d'un  concile 
œcuménique?  Pourquoi,  sous  le  vain  prétexte  d'une 
respectueuse  soumission  à  l'Église  assemblée,  accuser 
d'erreur  cette  même  Église  dispersée,  en  résistant 
au  jugement  dogmatique  qu'elle  a  porté?  Comme 
si  les  points  qu'elle  a  décidés  en  matière  de  dogme 
hors  le  concile,  pouvaient  être  examinés  de  nouveau 
et  réformés  dans  un  concile  l  Comme  si  la  vérité 
inébranlable  de  la  foi  n'avait  pas  été  promise  et 
confiée  à  l'Eglise,  soit  qu'elle  s'assemble  dans  ses 

(1)  Agnovit  Universités  Cadomensis  seriùs  quùm  debuenit. 


8  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

conciles  ,  soit  qu'elle  explique  ses  sentiments  par 
des  lettres ,  soit  qu'elle  dissipe  les  nouveautés  par 
son  silence!  En  conséquence,  la  faculté  de  théologie 
et  la  faculté  de  médecine  protestent  contre  l'appel 
des  autres  facultés.  Les  motifs  qui  viennent  d'être 
indiqués ,  sont  ceux  qui  déterminent  l'université  à 
détruire  ce  qu'elle  a  pu  faire  contre  une  constitu- 
tion qu'elle  regarde  aujourd'hui  comme  une  loi  de 
l'Église;  elle  ordonne  que  l'appel  soit  biffé  sur  le 
registre  de  ses  délibérations;  elle  condamne  le  livre 
des  Réflexions  morales  et  les  cent  une  propositions 
qui  en  ont  été  extraites,  de  la  même  manière  que 
le  saint-siége  les  a  condamnées.  » 

Cette  déclaration,  dont  nous  croyons  avoir  repro- 
duit les  parties  les  plus  saillantes ,  fut  signée  par 
les  docteurs  de  toutes  les  facultés  ,  et  envoyée  à 
tous  les  agrégés,  qui  furent  invités  à  la  souscrire. 
Mandement  Quelques  mois  s'étaient  à  peine  écoulés,  lorsque 
MgMc  Lorrome.  Parut  un  mandement  de  Mgr  de  Lorraine,  ouverte- 
ment dirigé  contre  la  bulle  Unigenitus,  tendant  à 
persuader  qu'elle  attaquait  les  vérités  les  plus  saintes 
de  la  religion,  et  qu'un  concile  général  était  l'unique 
remède  à  tous  les  maux  que  cette  constitution  devait 
attirer  sur  l'Église  (1).  Dans  le  synode  du  24  avril 
4727,  le  doyen  de  la  faculté  de  théologie,  M.  Poi- 
gnavant,  la  plupart  des  docteurs  ayant  charge  d'âmes, 
plusieurs  curés  du  diocèse  présentèrent  à  Mgr  de 
Lorraine  une  déclaration  respectueuse  par  laquelle 

(1)  Cette  lettre  pastorale  est  celle  du  15  janvier  1727,  dont 
nous  avons  parlé  à  la  fin  du  volume  précédent,  p.  316. 


DE  BAYEUX.  9 

ils  suppliaient  Son  Altesse  de  vouloir  bien  leur  per- 
mettre de  lui  exposer  leurs  sentiments  sur  cette 
grave  question;  ils  s'excusaient  en  outre  de  ne  pou- 
voir suivre  sa  doctrine  dans  les  instructions  qu'ils 
donnaient  à  leurs  peuples,  attendu  qu'elle  était  con- 
tradictoirement  opposée  à  un  jugement  de  l'Église 
universelle.  Deux  mois  après  celte  démarche ,  qui 
resta  sans  succès,  «  les  docteurs  de  la  faculté,  con- 
vaincus que  le  degré  qu'ils  avaient  reçu  par  l'auto- 
rité du  saint-siége  n'était  pas  seulement  un  titre 
d'honneur,  mais  qu'il  leur  imposait  l'obligation  de 
combattre  généreusement  pour  la  foi,  »  se  crurent 
obligés  à  exposer  les  motifs  qui  les  empêchaient  de 
conformer  leur  doctrine  à  celle  de  l'évêque,  ou  du 
moins  à  l'instruction  pastorale  publiée  sous  son  nom. 

Ce  fut  alors  que  parut  la  célèbre  Remontrance  Remontrance 
de  notre  faculté  de  théologie.  Elle  résume  admira- 
blement toute  la  portée  des  questions  que  souleva 
cette  mémorable  controverse  ;  elle  les  expose  avec 
dignité  ;  elle  les  discute  avec  tant  de  force  et  de 
méthode,  qu'il  est  impossible  d'en  rejeter  les  con- 
clusions. 

«  La  bulle  Unigenitus,  dit-elle,  a  été  adressée 
par  le  souverain  pontife  à  tous  les  fidèles ,  pour 
régler  leur  croyance  par  rapport  a  cent  une  propo- 
sitions qui  intéressent  la  foi  et  les  mœurs.  Elle  est 
donc  un  jugement  dogmatique.  Emanée  du  vicaire 
de  Jésus-Christ,  soutenue  constamment  par  Clément 
XI,  Innocent  XIII  et  Benoît  XIII,  acceptée  par  l'Église 
de  Rome ,  mère  et  maîtresse  de  toutes  les  Églises, 
et  à  laquelle  nos  controversistes  les  moins  favora- 


de  la  faculté 
de  théologie. 


40  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

bles  à  l'infaillibilité  du  pape  accordent  le  privilège 
d'être  indéfectible  dans  la  foi ,  reçue  avec  respect 
par  les  autres  Églises,  on  peut  dire  qu'elle  a  été 
souscrite,  cette  bulle,  par  la  main  de  l'univers.  — 
Il  n'y  a  qu'un  très- petit  nombre  d'évêques  renfer- 
més dans  ce  royaume  qui  s'y  soient  opposés  ;  ce 
fait  est  notoire,  et  n'est  plus  aujourd'hui  révoqué 
en  doute.  Aussi  votre  théologien,  Monseigneur,  ne 
le  conteste  pas:  il  faut  donc  qu'il  convienne  pareil- 
lement que  la  constitution  Unigenitus  est  le  juge- 
ment de  l'Église  universelle  ,  puisque  l'Église  uni- 
verselle ,  considérée  quant  au  droit  de  porter  des 
jugements  dogmatiques ,  n'est  autre  chose  que  le 
corps  des  premiers  pasteurs  unis  à  leur  chef.  » 

Avant  d'entrer  en  matière  ,  la  faculté  avait  dé- 
claré qu'elle  n'entendait  pas  faire  remonter  jusqu'à 
l'évêque  les  propositions  qu'attaquait  sa  censure  ; 
ce  n'était  pas  à  lui,  mais  à  son  théologien,  qu'elle 
avait  résolu  d'en  demander  compte.  On  se  rappelle, 
en  effet,  que  le  docteur  Petit-Pied  était  l'auteur  du 
mandement  incriminé  par  elle.  Après  avoir  analysé 
les  erreurs  subtiles  qu'il  y  avait  entassées,  voici  de 
quelle  manière  nos  docteurs  traitent  la  question  des 
XII  articles  (1). 

«  Ces  XII  articles  sont  inutiles,  puisque  ce  qu'ils 
contiennent  de  vrai,  n'est  contesté  de  personne.  Ils 
sont  insuffisants,  puisqu'ils  laissent  lieu  à  diverses 
chicanes  des  Jansénistes.  Mais  ce  n'est  pas  là , 
Monseigneur,  ce  qui  nous  frappe  davantage  ;  ce  sont 

(1)  Voir  p.  316  du  volume  précédent. 


DE  BÀYEUX.  M 

les  motifs  et  les  raisons  qui  en  ont  fait  demander 
l'approbation.  Consultons  là -dessus  votre  théolo- 
gien; il  nous  dévoile  tout  le  mystère.  Le  dessein 
qu'on  se  proposait,  était,  nous  dit-il,  de  mettre  à 
couvert  la  doctrine  de  l'Église;  c'était  de  poser  une 
digue  contre  le  torrent  des  erreurs  qui  menaçait 
d'inonder  l'Église.  —  Et  quelles  sont  ces  erreurs?  — 
Ce  sont  les  fausses  opinions  qui  se  sont  accréditées 
à  l'occasion  de  la  bulle  Unigenitus; —  c'est-à-dire, 
que  les  partisans  de  Quesnel  voulaient  avoir  lieu 
de  dire  que  la  bulle  Unigenitus  attaque  et  rend 
suspectes  plusieurs  vérités  importantes  de  la 
religion  ;  que  ,  pour  les  mettre  à  couvert ,  il 
a  fallu  dresser  les  XII  articles  ;  qu'un  torrent 
d'erreurs,  qui  se  répand  à  l'ombre  de  la  bulle, 
menaçait  d'inonder  l'Église,  si  on  ne  lui  eût  oppo- 
sé pour  digue  les  XII  articles;  c'est-à-dire,  en  un 
mot,  que,  ne  pouvant  réussir  en  attaquant  direc- 
tement la  constitution ,  à  cause  des  marques  visi- 
bles d'autorité  suprême  dont  elle  est  revêtue,  ils 
voulaient  l'attaquer  indirectement ,  en  demandant 
l'approbation  des  XII  articles,  dans  le  dessein  de 
persuader  que  la  bulle  est  tout  au  moins  ambiguë, 
suspecte  et  préjudiciable.  » 

A  ces  motifs  si  bien  déduits  succède  une  conclu- 
sion pressante  :  il  fallait  nécessairement  choisir  entre 
la  société  des  acceptants  et  celle  des  opposants.  De 
ces  deux  sociétés  divisées  entre  elles  d'esprit  et  de 
cœur,  une  seule  pouvait  être  la  véritable  Église.  A 
laquelle  reconnaîtra-t-on  cette  prérogative  ? 

«  L'une ,  répondent  les  docteurs ,  n'a  pour  elle 


12  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

qu'un  très-petit  nombre  d'évêques  renfermés  seule- 
ment dans  quelques  endroits  de  l'Église  de  France; 
elle  ne  peut  se  dire  universelle,  catholique  ;  elle  est 
sans  chef  et  sans  cette  éminence  d'autorité  qui  fait 
la  règle  de  la  foi.  Enfin,  dans  les  noms  récents  de 
Jansénistes  et  de  Quesnellistes ,  elle  porte  le  carac- 
tère de  sa  rupture  et  la  date  de  son  origine.  L'autre, 
au  contraire,  a  pour  elle  une  multitude  d'évêques 
qui,  unis  à  leur  chef,  embrassent  et  enseignent  la 
même  doctrine  avec  cette  autorité  supérieure  et  émi- 
nente  qui  peut  et  doit  soumettre  tous  les  esprits. 
Elle  est  répandue  de  l'Orient  à  l'Occident,  du  midi 
au  septentrion;  elle  conserve  dans  la  personne  des 
souverains  pontifes ,  et  dans  la  foi  de  l'Église  de 
Rome ,  la  succession  de  la  chaire  et  de  la  doctrine 
apostolique,  et  le  centre  essentiel  de  l'unité.  A  ces 
marques  et  propriétés  qui  caractérisent  ces  deux 
sociétés,  tout  fidèle  peut  sans  peine  distinguer  la- 
quelle des  deux  est  l'épouse  de  Jésus-Christ.  » 

Le  28  juin  1727,  la  faculté  de  théologie  fit  re- 
mettre sa  Remontrance  aux  mains  de  Mgr  de  Lorraine, 
par  deux  de  ses  docteurs,  MM.  Etienne  Surblé  et 
P.  Vicaire,  curé  de  Saint-Étienne  de  Caen.  Mais, 
hélas  !  il  était  facile  de  prévoir  que  cet  acte  éner- 
gique n'ouvrirait  point  les  yeux  du  prélat.  Entraîné 
par  la  secte  qui  flattait  son  orgueil,  il  allait,  à  l'occa- 
sion du  concile  d'Embrun,  rompre  ouvertement  avec 
le  chef  de  l'Église. 

Le  concile  d'Embrun  fut  convoqué  en  1727,  par 
M.  de  Tencin,  archevêque  de  la  province,  à  l'occa- 
sion   d'une   Instruction   pastorale   de    M.    Soanen , 


DE   BAYEUX.  13 

évoque  de  Senez ,  publiée  au  mois  d'août  1726. 
M.  Soanen  était  un  des  quatre  appelants,  et  il  avait 
renouvelé  plusieurs  fois  son  appel.  Son  Instruction 
parut  une  des  plus  violentes  que  le  parti  eût  encore 
mises  au  jour.  On  y  déclamait  conlre  les  évoques; 
Clément  XI  et  le  roi  de  France  n'y  étaient  pas  épar- 
gnés ;  on  y  représentait  le  formulaire  comme  une 
tyrannie  par  laquelle  le  prélat  exhortait  ses  diocé- 
sains à  ne  point  se  laisser  abattre.  Le  concile  , 
composé  de  dix-huit  évoques ,  condamna  l'Instruc- 
tion pastorale  comme  téméraire,  scandaleuse,  sédi- 
tieuse, injurieuse  à  l'Église,  aux  évêques,  à  l'autorité 
royale,  schismatique,  pleine  d'erreurs  et  fomentant 
des  hérésies.  De  plus  ,  il  ordonna  que  M.  de  Senez 
demeurerait  suspens  de  tout  pouvoir  et  juridiction , 
de  tout  exercice  de  l'ordre  tant  épiscopal  que  sacer- 
dotal. 

Quelque  sévère  que  paraisse  une  telle  condamna- 
tion ,  il  est  certain  que  le  concile  d'Embrun  s'était 
renfermé  dans  les  termes  prescrits  par  le  concile  de 
Trente.  11  avait  respecté  le  droit,  attribué  au  saint- 
siége ,  de  juger  les  évêques  pour  cause  majeure  ; 
sans  se  prononcer  sur  les  points  les  plus  impor- 
tants, par  exemple  sur  la  profession  de  l'hérésie, 
il  avait  simplement  reproché  à  M.  Soanen  de  l'avoir 
fomentée.  En  un  mot,  il  s'était  borné  à  punir  sa 
révolte  contre  les  constitutions  apostoliques  et  ses 
attentats  contre  la  discipline  ,  laissés  par  le  concile 
de  Trente  au  jugement  des  conciles  provinciaux. 
Qui  le  croirait?  Il  se  trouva  douze  évêques  qui  osè- 
rent protester  conlre  une  telle  condamnation  ;  de 


H  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

protestation     ce  nombre ,  fut  Mgr  de  Lorraine.  Ils  écrivirent  au 

contre  le  concile  .  . 

d'Embmn.  roi,  le  28  octobre  1727,  une  lettre  qui  ne  lui  fut 
remise  que  le  16  mars  de  l'année  suivante,  pour  le 
supplier  de  ne  pas  permettre  l'exécution  d'un  juge- 
ment «  notoirement  invalide.  »  Ils  firent  plus  :  le 
pape  ayant  approuvé  ce  jugement  par  un  bref  du 
17  décembre  1727,  ils  signifièrent  au  procureur- 
général  du  parlement  de  Paris  une  requête  par 
laquelle  ils  déclaraient  protester  contre  l'enregistre- 
ment de  toute  lettre-patente,  bulle  ou  bref. confir- 
mai des  actes  du  concile. 

Il  était  cependant  plein  de  modération,  le  lan- 
gage que  le  pape  Benoît  XIII  crut  devoir  adresser 
à  l'Église  dans  cette  circonstance.  Il  commence  par 
féliciter  les  évêques  signataires  du  concile  d'avoir 
demandé  au  saint-siége  la  confirmation  du  décret 
publié  par  eux  ;  il  se  réjouit  de  voir  se  rétablir  en 
France  l'ancienne  coutume  des  conciles  provinciaux, 
recommandés  par  le  concile  de  Trente.  Il  pense 
que ,  dans  les  conjonctures  fâcheuses  où  se  trouve 
l'Église  de  France,  les  conciles  provinciaux  sont  la 
voie  la  plus  propre  à  faire  cesser  le  scandale ,  et  à 
contraindre  les  évêques  opposants  de  se  soumettre 
aux  constitutions  apostoliques.  Le  pape  reconnaît 
formellement  aux  évêques  assemblés  en  concile 
le  droit  de  priver  de  l'exercice  de  leur  ordre  et 
de  leur  juridiction  ceux  de  leurs  collègues  qui  se 
montreraient  opiniâtres  et  réfractaires.  Dans  l'espè- 
ce, il  approuve  que  le  concile  d'Embrun  ait  interdit 
à  l'évêque  de  Senez  l'exercice  des  fonctions  épisco- 
pales  ,  sans  préjudice  des  peines  plus  sévères  que 


DE  B A YEUX.  15 

le  saint-siége  pourra  porter  contre  lui.  Le  pape  ter- 
mine en  faisant  des  vœux  pour  la  paix  de  l'Église. 

Le  moment  n'était  pas  encore  venu  où  la  Provi- 
dence devait  les  exaucer.  Le  roi  avait  refusé  de 
recevoir  la  protestation  des  douze  prélats  opposants; 
il  leur  fit  reprocher,  par  Mi  de  Maurepas,  d'avoir 
préféré,  sans  connaissance  de  cause,  la  plainte  de 
l'accusé  au  jugement  de  quatorze  ou  quinze  évoques 
porté  dans  un  concile  avec  l'approbation  des  deux 
puissances.  Nous  avons  dit,  en  effet,  que  la  lettre  a 
laquelle  le  ministre  était  chargé  de  répondre,  avait 
été  rédigée  le  28  octobre  1727,  avant  la  publication 
des  actes  d'Embrun  ,  dont  les  plaignants  n'avaient 
point  examiné  la  procédure.  Mgr  de  Lorraine,  malade 
à  Paris  depuis  trois  semaines,  quand  il  reçut  cette 
dépêche,  essaya  de  prouver  à  M.  de  Maurepas  qu'il 
n'était  point  nécessaire  d'avoir  consulté  les  actes 
de  l'assemblée  d'Embrun,  ni  d'en  avoir  examiné  le 
procès,  pour  se  prononcer  contre  les  juges.  De 
plus,  il  s'inscrivait  en  faux  contre  le  prétendu  bref, 
imprimé  et  distribué ,  disait-il ,  malgré  les  lois  du 
royaume,  et  si  ouvertement  contraire  aux  libertés 
de  l'Église  gallicane,  qu'il  aurait  dû  être  supprimé 
par  l'autorité  des  magistrats. 

Cette  protestation,  à  laquelle  Mgr  de  Lorraine  eut  Mort 
le  malheur  d'apposer  sa  signature ,  fut  le  dernier  M 
acte  de  sa  vie  publique  :  il  mourut  à  Paris ,  le  9 
juin  4728,  à  l'âge  de  soixante-trois  ans.  Il  reçut, 
dit- on ,  les  derniers  sacrements  du  vicaire  de  la 
Madeleine.  Un  historien,  qui  a  remué  avant  nous 
les  antiquités  de  la  ville  épiscopale,  et  qui  rédui- 


de 
de  Lorraine. 


'16  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

sait  la  querelle  du  jansénisme  aux  proportions  d'une 
querelle  de  parti ,  M.  Pluquet ,  a  cependant  porté 
sur  Mgr  de  Lorraine  un  jugement  sévère,  dont  nous 
croyons  devoir  citer  quelques  extraits: 

«  M.  de  Lorraine,  dit-il,  était  un  franc  janséniste, 
détestant  les  Jésuites  de  tout  son  cœur.  Son  esprit 
remuant  et  sa  tête  exaltée  mirent  bientôt  le  diocèse 
en  feu.  On  ne  voulait  que  des  curés  appelants;  on 
courait  sus  aux  partisans  de  la  bulle  ;  toutes  les 
contestations  prenaient  la  couleur  du  pays;  tout  se 
faisait  par  exploits,  citations  et  ajournements.  On  a 
vu  à  Bayeux,  dans  ces  'temps  de  trouble ,  un  huis- 
sier assigner  un  prêtre  orthodoxe,  aux  fins  d'ad- 
ministrer un  janséniste  mourant;  un  sergent,  avec 
deux  recors,  introduire  de  force  un  P.  Cordelier 
dans  le  couvent  des  Bénédictines ,  pour  y  célébrer 
l'office.  » 
jugements  Ce  fut  au  milieu  de  ces  luttes  déplorables,  que 
;rc.  l'on  apprit  dans  le  diocèse  la  mort  du  prélat.  Le 
chapitre,  en  l'annonçant,  s'abstint,  dit-on,  d'ordon- 
ner ou  de  défendre  pour  lui  les  prières  accoutumées  ; 
cependant  un  service  fut  célébré  avec  pompe  à  la 
Cathédrale.  A  Vire ,  le  curé ,  après  avoir  annoncé 
une  cérémonie  funèbre,  voulut  la  supprimer;  mais 
M.  de  Pierre ,  trésorier  de  la  paroisse ,  fit  sonner 
toutes  les  cloches  à  l'heure  indiquée,  et  une  partie 
du  clergé  vint  à  l'église  chanter  l'office  des  morts. 
A  Caen,  l'image  de  Mgr  de  Lorraine  fut  lacérée  en 
public  par  des  hommes  du  peuple;  le  P.  Montaigu, 
dominicain,  lit  en  chaire,  a  la  Cathédrale,  le  procès 
à  sa  mémoire  ;  elle  fut  attaquée  dans  un  écrit,  où 


portés 
sur  son  caractère 


DE  BAYEUX.  17 

on  lui  reprochait  les  flatteries  de  ses  adulateurs  (1); 
la  dissipation  et  «  l'effronterie  »  de  ses  regards ,  en 
présence  des  saints  mystères;  le  tumulte  scandaleux 
de  ses  visites  pastorales,  dans  lesquelles  le  peuple 
était  repoussé  avec  le  sabre  et  le  bâton;  sa  chienne, 
qui  l'accompagnait  à  l'autel,  et  les  mémoires  remplis 
de  mensonges  que  l'abbé  Peschard  rédigeait  sous 
son  nom.  Arrêtons -nous  :  la  plume  tombe  des 
mains,  quand  on  se  voit  contraint  à  retracer  de  pa- 
reils souvenirs  ! 

Plusieurs  auteurs  jansénistes  dédièrent  leurs  li- 
vres à  Mgr  de  Lorraine,  qu'ils  regardaient  avec  raison 
comme  un  drapeau  de  leur  parti.  Vingt  ans  après 
sa  mort,  on  citait  encore  ses  mandements,  pour 
prouver  que  la  bulle  Unigenitus  n'est  point  une  loi 
de  l'Église. 

Il  fut  inhumé  à  l'abbaye  de  Royaumont  (Seine-el- 
Oise).  De  nos  jours,  on  y  a  trouvé  trois  cercueils  en 
plomb,  dans  un  abandon  déplorable.  Le  premier 
était  celui  de  Henri  de  Lorraine,  comte  de  Harcourt, 
décédé  en  1666  ;  le  deuxième  est  celui  de  son 
fils,  Louis  de  Lorraine,  comte  d'Armagnac,  décédé 
en  1718;  le  troisième,  celui  de  François-Armand 
de  Lorraine  ,  abbé  de  Royaumont  et  évêque  de 
Bayeux  (2). 

Arrivée  en  province  le  12  du  mois  de  juin,  la 

(1)  Le  P.  Javoye,  jacobin  ,  lui  avait  dit  un  jour  en  public 
que  «  Son  Altesse  faisait  honneur  a  Jésus-Christ.  » 

(2)  Ces  trois  cercueils  ont  été  ramenés  à  Nancy  et  placés 
dans  l'église  des  Cordeliers,  avec  celui  de  la  princesse  Elisabeth 
deLorraine-Elbeuf.  morte  en  1714,  au  château  de  Commercy. 

2 


Tombeau 

du  prélat. 


'18  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

nouvelle  de  sa  mort  fut  annoncée  le  lendemain  au 
chapitre.  On  nomma  pour  vicaires-généraux  MM.  de 
Pibrac,  grand-doyen;  de  Grainville,  grand-chantre; 
Néel,  archidiacre;  Moussard,  scolastique;  Campagne 
et  Lefort,  chanoines  de  la  Cathédrale.  Un  premier 
mandement  notifiait  au  diocèse  cette  nomination  ; 
un  autre  révoquait  tous  les  pouvoirs  de  prêcher  ou 
de  confesser  obtenus ,  à  différents  titres ,  pendant 
l'épiscopat  qui  venait  de  finir. 

En  vain,  les  Nouvelles  ecclésiastiques,  voulant 
grossir  leur  parti  de  tous  ceux  qui  s'étaient  effacés 
pendant  les  mauvais  jours,  osent-elles  affirmer  que 
M.  de  Pibrac  fut  toujours  attaché  à  Mgr  de  Lorraine. 
«  Les  malheureuses  querelles  sur  la  constitution,  dit 
l'abbé  Beziers  dans  ses  Mémoires ,  le  brouillèrent 
avec  ce  prélat ,  partisan  des  nouvelles  opinions.  Il 
reçut,  sous  son  épiscopat,  plusieurs  mortifications 
qu'il  soutint  avec  beaucoup  de  fermeté.  Après  la 
mort  de  Mgr  de  Lorraine  ,  il  rentra  dans  la  confiance 
du  diocèse ,  qu'il  avait  si  bien  méritée  par  sa  sa- 
gesse, sa  prudence  et  ses  autres  talents.  »  Pendant 
les  troubles  ,  M.  de  Pibrac  ,  dont  il  nous  semble 
que  le  caractère  n'était  pas  fait  pour  la  lutte,  se 
consola  de  sa  disgrâce ,  en  exerçant  les  fonctions 
sacerdotales.  C'est  ainsi  que,  le  9  juillet  '1725, 
nous  le  voyons  donner  le  salut,  après  une  pro- 
cession que  la  confrérie  des  prêtres  de  Bayeux 
fit  à  la  chapelle  Sainte-Anne,  située  sur  la  pa- 
roisse de  Tour,  pour  demander  à  Dieu  un  temps 
propice  aux  fruits  de  la  terre.  Ceci  prouve  au 
moins  qu'il  était  en  bons  termes  avec  la  partie 


DE  BAYEUX.  19 

la  plus  édifiante  du  clergé.  Prédicateur  distingué  — 
prœco  verbi  divini  diserlissimus  —  il  résigna  son 
doyenné  et  sa  prébende  à  l'abbé  Durand  de  Missy, 
et  se  retira  dans  son  abbaye  de  Fleury,  où  il  mourut 
le  7  avril  4733. 

Jean- Baptiste  Durand  de  Grainville  ,  né  à  Caen, 
d'une  famille  noble,  figure  ,  après  M.  de  Pibrac  , 
sur  la  liste  des  grands -vicaires.  C'était,  au  témoi- 
gnage de  ses  contemporains,  un  ecclésiastique  d'un 
rare  mérite  et  d'un  extérieur  très -distingué,  qui 
joignait  à  un  abord  sévère  une  exquise  politesse. 
Exact  à  remplir  tous  ses  devoirs  ,  il  inspirait  aux 
autres  la  même  exactitude.  Zélé  pour  le  service 
divin,  il  exigeait  de  tous  les  officiers  la  gravité  et 
la  décence.  Il  passait  pour  avoir  fait  à  pied  le  voya- 
ge de  Rome.  Il  mourut  en  1729,  et  fut  enterré  dans 
le  chœur  du  séminaire  de  Caen.  Son  corps  ne  fut 
point  présenté  à  l'église  de  Saint-Jean ,  parce  qu'il 
n'avait  pas  voulu  que  les  sacrements  lui  fussent 
administrés  par  le  curé  de  cette  paroisse.  Toutes 
celles  de  la  ville,  ainsi  que  les  couvents,  assistèrent 
à  son  convoi;  les  pauvres  des  hôpitaux  y  portaient 
chacun  sous  leur  bras  «  une  tourte  de  douze  livres.  » 

Bernard  Campagne,  du  diocèse  de  Bayonne,  que 
les  Nouvelles  ecclésiastiques  représentent  comme 
un  intrigant  et  un  audacieux,  avait  été  nommé  par 
Mgr  de  Lorraine,  le  15  avril  1723,  député  du  clergé 
de  Bayeux  à  l'assemblée  provinciale  ;  il  fut  accusé 
d'y  avoir  lu  des  mémoires  contre  l'évêque,  au  nom 
des  communautés  de  Caen  ;  mais  il  fit  démentir  ces 
bruits,  et  attester,  par  le  doyen  du  chapitre  de  la 


20  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

métropole,  qu'il  avait  toujours  parlé  de  M.  de  Bayeux 
avec  le  plus  grand  respect  [20  mai  1723].  Le  fait 
est  qu'il  avait  su  se  faire  un  nom  dans  le  chapitre, 
et  que  la  plupart  de  ses  collègues  comptaient  avec 
lui.  Il  prit  possession  de  l'évèché  ,  pour  Mgr  de 
Luynes,  le  30  octobre  1729. 

Guillaume  Moussard  était  originaire  de  Bayeux. 
Ses  contemporains  nous  le  représentent  comme  joi- 
gnant à  un  caractère  doux  et  à  une  figure  aimable 
des  talents  et  de  l'érudition  ;  il  avait  pour  la  chaire 
les  dispositions  les  plus  heureuses  ,  et  on  lui  doit 
la  notice  qui  parut  en  1745,  sur  la  mort  de  M*r  de 
Nesmond.  Nous  le  verrons  plus  tard  travailler  à,  la 
réforme  du  bréviaire.  Il  mourut  en  1756. 

Je  cherche  en  vain  le  nom  de  M.  Néel  et  celui  de 
M.  Le  Fort  dans  les  biographes  du  dernier  siècle, 
qui  m'ont  fourni  ces  renseignements. 

Je  ne  saurais  dire  si  Mgr  de  Luynes  conserva  leurs 
pouvoirs  à  tous  les  vicaires-généraux  nommés  par  le 
chapitre.  On  trouve  au  nombre  des  nouveaux  digni- 
taires qui  l'accompagnaient  dans  ses  visites  pastora- 
les, M.  Jean  Robinet,  auquel  il  donna  la  chancellerie 
après  la  mort  de  l'abbé  Peschard.  L'abbé  Robinet 
était  frère  d'Urbain  Robinet ,  abbé  de  Bellozane  et 
vicaire-général  de  l'archevêque  de  Paris. 
Mesures  adoptées  Le  premier  acte  des  administrateurs  fut  de  rendre 
vicai^nLaux.  aux  Jésuites,  avec  distinction,  les  pouvoirs  dont  ils 
étaient  privés  depuis  le  commencement  du  dernier 
épiscopat.  Les  Oratoriens,  au  contraire,  qui  avaient 
pris  parti  ouvertement  contre  la  bulle,  furent  inter- 
dits, ainsi  que  les  Lazaristes,  et  les  bourses  fondées 


DE  BAYEUX.  91 

par  M.  de  Matignon,  au  séminaire  de  Caen,  furent 
restituées  aux  Eudistes ,  que  Mgr  de  Lorraine  en 
avait  injustement  dépouillés.  C'est  ici  le  lieu  d'entrer 
dans  quelques  détails  pour  faire  connaître  cette  fon- 
dation, dont  nous  avons  déjà  parlé. 
Messire  Jacques  de  Matignon,  frère  puîné  de  Léo-      B,,urses 

^  .  de  Condom. 

nor  de  Matignon,  évêque  de  Lisieux,  et  qui  échan- 
gea, en  1671,  la  prébende  de  Saint-Jean-le-Blanc 
contre  l'évêché  de  Condom,  fut  un  des  principaux 
bienfaiteurs  du  séminaire  de  Caen.  Il  y  fonda,  en 
1702,  dix-huit  bourses  en  faveur  des  jeunes  clercs 
qui  se  préparaient  aux  saints  ordres,  en  suivant  les 
cours  de  l'université.  Ces  bourses  étaient  le  prix 
d'un  concours  ;  on  peut  voir  dans  Hermant  les  con- 
ditions que  les  aspirants  étaient  tenus  de  remplir. 
Plus  tard,  le  nombre  des  boursiers  fut  porté  à  trente- 
trois ,  pour  rappeler  les  trente -trois  années  que 
Jésus-Christ  a  passées  sur  la  terre.  Tous  les  ans, 
onze  acolytes  remplaçaient  les  onze  diacres  élevés 
à  la  prêtrise.  L'examen  avait  lieu  à  Bayeux,  dans 
la  chapelle  de  l'évêché,  le  lundi  de  septembre  qui 
suivait  l'ordination  de  la  Saint -Matthieu.  C'était,  à 
cette  époque,  la  principale  ordination  du  diocèse. 
L'évêque  ou  le  doyen  du  chapitre,  accompagné  de 
douze  chanoines,  présidait  le  concours;  les  élus 
étaient  désignés  dans  l'établissement  sous  le  nom 
de  Condomntes;  le  séminaire  leur  devait  pendant 
trois  ans  le  logement ,  la  nourriture  et  l'instruction  ; 
ils  suivaient  les  cours  de  l'université.  Ils  étaient  obli- 
gés de  réciter  tous  les  jours  certaines  parties  du 
psautier,   avec  l'oraison   Pro    defiincto    episcopo. 


22  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Une  fois  promus  au  sacerdoce  ,  ils  acquittaient  six 
messes  par  an  pour  le  fondateur.  Leur  pension  était 
prise  sur  le  revenu  d'une  propriété  située  à  Hérou- 
ville-Sai nt-Clair .  Nous  puisons  ces  détails  dans  les 
souvenirs  d'un  Condomiste  élu  en  1785.  Ils  diffèrent 
sur  plusieurs  points  de  ceux  qui  sont  donnés  par 
Hermant,  et  prouvent  que  l'institution  avait  été  mo- 
difiée depuis  la  fondation  primitive. 


DE  BAYEUX.  i3 

*T7TTTfT7rYTrYTVTrT"S""jrTr"irTr"8""îf"irYTrTrYTr"îr'îr"5""îr"îr"5"T^ 


CHAPITRE  II. 


M.  de  Luynes,  abbé  de  Cerisy.  —  Il  est  nommé  à  Tévêché  de 
Bayeux.  —  Son  entrée  dans  la  ville  épiscopale.  —  MM.  Pes- 
chard  et  d'Azy.  —  Vin  de  la  ville  de  Caen.  —  Mandement  de 
Mst  de  Luynes.  —  Sa  conduite  envers  les  dissidents.  — 
Béatification  de  saint  Vincent  de  Paul.  —  Canonisation  de 
saint  Louis  de  Gonzague  et  de  saint  Stanislas  Kostka.  — 
Missions  à  Caen,  —  à  Vire,  — à  Bayeux. — Ordonnance  re- 
lative aux  doyens. — Publication  des  Statuts. — Filles  de  la 
Charité. 


Peu  de  temps  avant  la  mort  de  Mgr  de  Lorraine,  m.  de  Luynes. 

•  .  •  '      t»  •  il'  •        il     •»    abbé  de  Cerisv 

on  vit  arriver  a  Bayeux  un  jeune  abbe  qui  allait 
prendre  possession  du  monastère  de  Cerisy,  où  il 
s'était  déjà  fait  représenter  par  l'abbé  Campagne,  le 
9  septembre  4727.  Il  dit  la  messe  à  la  Cathédrale, 
dans  la  chapelle  Notre-Dame,  et,  en  passant  sous  la 
lampe,  il  fit  tomber  quelques  gouttes  d'huile  sur  sa 
chasuble.  Aussitôt  l'abbé  Campagne,  qui  l'accompa- 


24  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

gnait,  s'écria  qu'il  était  oint  évêque  de  Bayeux:  deux 
ans  plus  tard,  l'événement  justifia  cette  prédiction. 

Paul  d'Albert  de  Luynes,  c'était  le  nom  du  jeune 
abbé,  naquit  à  Versailles  le  5  janvier  1703;  il  était 
fils  d'Honoré,  duc  de  Chevreuse-Montfort,  maréchal 
de  camp,  tué  à  la  guerre  en  1704,  et  petit-fils  de 
Charles,  duc  de  Luynes  et  de  Chevreuse,  l'un  des 
amis  les  plus  intimes  de  Fénélon.  Il  put,  au  sortir 
de  l'enfance,  puiser  des  leçons  de  vertu  dans  l'inti- 
mité du  prélat,  dont  il  parla  toute  sa  vie  avec  un 
pieux  enthousiasme.  Le  comte  de  Montfort  —  c'était 
le  nom  que  porta  d'abord  M.  de  Luynes  —  suivit 
quelque  temps  la  carrière  des  armes  avec  le  grade 
de  colonel  d'infanterie  ;  mais  un  duel ,  qu'il  eut  le 
courage  de  refuser,  lui  fit  abandonner  sa  profession. 
Touché  de  la  grâce,  il  entra  au  séminaire  de  Saint- 
Sulpice,  prit  successivement  les  ordres,  fut  nommé 
vicaire-général  de  Meaux  et  abbé  commendataire  de 
Cerisy,  au  commencement  de  l'année  1727.  On  lit 
dans  le  cartulaire  de  cette  abbaye  que ,  pendant 
les  deux  mois  qu'il  y  passa,  «  il  donna  à  la  commu- 
nauté toute  sorte  de  marques  de  bienveillance.  »  A 
peine  élevé  à  l'épiscopat,  il  voulut  renoncer  à  son 
bénéfice;  mais  le  roi  refusa  d'y  consentir,  et  soixante 
ans  plus  tard,  lorsque  l'académie  de  Caen  fit  célébrer 
dans  l'abbaye  de  Saint-Étienne  un  service  pour  son 
protecteur  ,  M.  l'abbé  Bellenger  le  félicitait  avec 
justice  d'avoir  toujours  employé  les  fruits  de  cette 
riche  commende  a  soulager  les  besoins  de  la  pro- 
vince. 

Ce  fut  donc  le  25  septembre  1729,  à  l'âge  de 


Son  entrée 
dans  la  ville 
épiscopale. 


DE  BAVEUX.  25 

vingt-cinq  ans,  qu'il  reçut  à  Paris  la  consécration  n  est  nommé 
épiscopale  des  mains  de  l'archevêque  de  Rouen.  Il  i/ifoyeux. 
chargea  l'abbé  Campagne  de  prendre  possession  de 
l'évêché,  et  il  ne  vint  à  Bayeux  que  le  11  décembre 
de  la  même  année.  Il  recula,  dit-on,  devant  un 
fardeau  si  redoutable,  et.  mit  tout  en  œuvre  pour 
obtenir  qu'on  le  lui  épargnât. 

Un  manuscrit  du  temps  va  nous  raconter  son 
arrivée  dans  le  diocèse  et  le  pèlerinage  de  la 
Délivrande.  MM.  de  Graville  et  Huet,  députés  du 
chapitre ,  le  reçurent  à  l'entrée  de  la  chapelle. 
M.  de  Graville  porta  la  parole,  et  «  le  sieur  évê- 
que  répondit  avec  cette  éloquence  vive  et  polie  qui 
lui  est  naturelle,  et  qui,  pour  plaire  et  pour  tou- 
cher, n'a  pas  besoin  d'être  préparée.  »  Auprès 
de  Villiers-le-Sec,  une  troupe  de  gentilshommes 
vinrent  lui  offrir  leurs  hommages  ;  l'abbé  îSéel , 
conseiller  au  parlement  et  trésorier  de  la  Cathé- 
drale ,  le  harangua  au  nom  du  chapitre ,  «  et  le 
sieur  évêque  répondit  avec  des  termes  dont  l'or- 
dre, le  choix  et  la  politesse  auraient  fait  l'ornement 
d'une  pièce  méditée.  »  Tous  les  villages  des  envi- 
rons étaient  venus  à  sa  rencontre;  cette  multitude 
le  suivit  jusqu'au  prieuré  de  Saint -Yigor,  où  l'on 
observa  le  cérémonial  accoutumé.  Quatorze  reli- 
gieux en  chape  vinrent  le  recevoir.  Là  encore,  dit 
le  manuscrit  que  nous  abrégeons,  il  répondit  au 
discours  du  prieur  «  avec  une  facilité  merveilleuse, 
mais  sage  et  réglée,  que  toute  la  fécondité  de  l'esprit 
ne  peut  produire  sans  le  secours  d'une  modestie 
parfaite.  »  La  procession  du  lendemain  fut  célébrée 


26  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

avec  la  pompe  ordinaire  (1).  La  tête  du  cortège 
entrait  dans  la  ville,  lorsque  l'évêque  quitta  le  prieu- 
ré ;  «  une  tranquillité  parfaite  était  répandue  sur 
son  visage  ;  une  gravité  douce  éclatait  dans  toute 
sa  personne.  »  A  la  porte  de  l'église  de  Saint-Sauveur, 
il  trouva  deux  enfants  qui  le  saluèrent  par  ces  pa- 
roles:— Benedictus  qui  venit  in  nomine  Domini; 
—  le  curé  lui  versa  de  l'eau  sur  les  mains,  confor- 
mément au  cérémonial.  Après  avoir  changé  d'orne- 
ments, il  fut  reconduit  par  le  clergé  de  la  paroisse 
jusqu'à  la  porte  extérieure,  et  laissé  entre  les  mains 
du  peuple;  la  procession  continuant  sa  route  était 
déjà  rentrée  à  la  Cathédrale.  «  Le  peuple  seul, 
remarque  notre  auteur,  a  droit  en  cette  occasion 
de  conduire  les  évêques  de  Bayeux,  ce  spectacle 
retraçant  d'une  manière  édifiante  et  sensible  les 
élections  de  la  primitive  Église.  La  multitude  dont 
le  sieur  évêque  était  suivi,  faisait  éclater  pour  lui 
tout  l'amour,  toute  la  vénération  dont  les  premiers 
fidèles  honoraient  les  saints  personnages  qu'ils  éle- 
vaient à  l'épiscopat.  »  Après  avoir  lu  la  formule  du 
serment  que  nos  prélats  étaient  obligés  de  prêter 
au  chapitre,  il  entra  dans  l'église  et  déposa  vingt 
louis  sur  l'autel  ;  quatre  cents  livres  furent  distri- 
buées par  ses  ordres  aux  pauvres  qui  l'attendaient 
à  la  porte  de  l'évêché. 

L'écrivain  auquel  nous  empruntons  ces  détails,  a 
passé  sous  silence  un  incident  pénible,  qui  attrista 
profondément  le  cœur  du  jeune  prélat,   et  fut  le 

(1)  Voyez  le  vol.  précéd.,  page  5. 


DE  BAYEUX.  27 

signal  de  la  lutte  qu'il  eut  à  soutenir  contre  les 
partisans  de  l'hérésie.  Le  jour  même  de  son  arrivée 
à  Saint-Vigor,  il  reçut  la  visite  de  deux  chanoines 
«  anti-constitutionnaires,  »  l'abbé  Peschard  et  l'abbé  mm.  peschard 

pt  H' ivy 

d'Azy.  Nous  connaissons  déjà  l'abbé  Peschard;  nous 
l'avons  vu  sous  l'épiscopat  de  Mgr  de  Lorraine,  «  in- 
flexible et  entreprenant  (1),  »  frapper  sans  ména- 
gement les  prêtres  orthodoxes ,  jeter  le  désordre 
dans  les  communautés,  où  son  nom  seul  était  un 
sujet  d'effroi,  et  employer  tour  à  tour,  au  service  de 
l'hérésie,  le  mensonge  et  la  violence.  Le  moment 
est  venu  où  la  Providence  va  briser  son  pouvoir, 
mais  son  orgueil  ne  se  laissera  point  abattre.  Après 
une  conférence  de  trois  quarts-d'heure ,  durant  la- 
quelle Mgr  de  Luynes  essaya  inutilement  de  le  faire 
rentrer  dans  la  soumission,  il  fut  invité  par  le  prélat 
à  s'abstenir  le  lendemain  de  remplir  les  fonctions 
de  sa  charge.  On  sait  qu'en  qualité  de  chancelier, 
il  avait  le  droit  de  porter  la  crosse.  Quelques,  mois 
plus  tard,  Mgr  de  Luynes  alla  le  visiter  sur  son  lit 
de  mort;  il  mit  tout  en  œuvre  pour  fléchir  son 
obstination.  «  Si  j'avais  trente  vies,  lui  répondit  le 
moribond,  je  les  sacrifierais  volontiers  pour  la  vérité 
que  je  défends.  »  Il  fut  enterré  à  l'entrée  de  la 
Cathédrale,  aux  pieds  de  YEcce  homo  (2),  par  les 

(1)  L'abbé  Beziers,  Mém.  mss. 

(2)  Il  y  avait  alors,  au  bas  de  la  nef,  deux  statues  en  terre 
cuite,  représentant,  l'une,  Jésus-Christ  après  la  flagellation; 
l'autre,  Notre-Dame-de-Pitié ,  appelée  aussi  Notre-Dame-de-la- 
Fabrique ,  parce  qu'elle  était  placée  au-dessus  du  tronc  de  la 
fabrique. 


28  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

officiers  du  bas  chœur.  Le  chapitre ,  à  l'exception 
de  sept  ou  huit  appelants ,  refusa  d'assister  à  ses 
obsèques. 

Les  feuilles  du  temps  ne  parlent  point  de  ce  qui 
se  passa  entre  M«r  de  Luynes  et  l'abbé  d'Azy.  Sor- 
ti des  bancs  de  la  Sorbonne,  en  1720,  appelé  à 
Bayeux  par  Mgr  de  Lorraine  ;  qui  lui  donna  des 
lettres  de  vicaire-général,  il  professait  des  sentiments 
notoirement  opposés  à  la  bulle.  Toutefois ,  plus 
timide  que  son  collègue  ,  plus  modéré  dans  son 
langage,  il  évita  de  provoquer  d'abord  le  scandale 
d'une  rupture  que  l'évêque  ne  désirait  pas,  et  il 
garda  quelque  temps,  sous  le  nouveau  régime,  une 
ligne  de  conduite  qui  le  fit  oublier.  Mais  on  l'accusa 
bientôt  de  présider  secrètement  les  assemblées  du 
parti ,  de  répandre  à  Bayeux  ,  dans  la  société,  des 
livres  infectés  d'hérésie.  Un  de  ses  confrères,  l'abbé 
de  Montfleury ,  refusa  de  lui  donner  à  l'autel  le 
baiser  de  paix.  Alors  l'évêque,  obligé  d'intervenir, 
pria  M.  d'Azy  de  renoncer  à  ses  fonctions  (1).  L'abbé 
consentit  à  tout;  cependant  les  troubles  continuè- 
rent, et,  en  1742,  on  obtint  contre  lui  une  lettre 
de  cachet  qui  l'exilait  à  Belle-Étoile. 

M«rde  Luynes,  comme  ses  prédécesseurs,  fut  accueil- 
li, à  son  arrivée  dans  la  ville  épiscopale,  par  de  poé- 
tiques félicitations.  Nous  nous  bornerons  à  citer  une 
ode  latine  qui  lui  fut  présentée  par  un  jeune  écolier, 
M.  Noël  de  Canville.  Elle  fit  tant  de  plaisir  au  prélat, 

(1)  Comme  il  n'avait  subi  à  son  arrivée  aucune  épreuve  sur 
le  plain-chant,  il  n'avait  le  droit  ni  de  célébrer  l'office  au 
chœur,  ni  mémo  de  porter  la  chape.  \_Mém.  mss  ] 


DE  BÀYEUX.  29 

qu'il  envoya  l'auteur  étudier  à  Paris,  où  il  devint,  à  la  . 
suite  d'un  concours,  professeur  de  philosophie.  On 
put  remarquer  le  même  empressement  dans  les  autres 
parties  du  diocèse.  Le  2  janvier  1730,  Monseigneur 
reçut,  à  l'abbaye  de  Sainte-Trinité,  M.  Gohier  de 
Jumilly,  maire  de  Caen,  ainsi  que  MM.  les  échevins. 
L'huissier  et  les  quatre  hoquetons,  en  habit  d'ordon- 
nance ,  précédaient  la  compagnie.  Le  maire  com- 
plimenta l'évêque  au  nom  de  la  cité.  Monseigneur 
lui  répondit  «  fort  poliment  et  gracieusement  ;  » 
après  quoi,  l'huissier  lui  présenta  le  vin  de  ville,  vindeiaviiie 
que  l'on  avait  coutume  d'offrir,  en  pareille  circon- 
stance, aux  personnes  de  distinction.  Le  présidial, 
la  vicomte ,  le  bureau  des  finances ,  l'université  vin- 
rent tour  à  tour  lui  exprimer  leurs  sentiments. 

Quoique  les  opinions  de  Mgr  de  Luynes  fussent  Mandement 
déjà  connues,  on  attendait  avec  impatience  sa  pro-  m8»  de  Luyne». 
fession  de  foi  :  elle  parut  au  commencement  du  mois 
de  janvier,  dans  un  mandement  adressé  au  clergé 
séculier  et  régulier  du  diocèse.  Il  rappela  «  que  la 
constitution  Unigenitus  était  une  loi  dogmatique 
de  l'Église  universelle;  qu'elle  avait  été  acceptée  par 
le  corps  entier  des  pasteurs  réunis  à  leur  chef  ; 
qu'un  de  ses  prédécesseurs  l'avait  reçue  et  fait 
publier  dans  le  diocèse  de  Bayeux ,  et  il  finit  en 
déclarant  qu'il  n'accorderait  de  pouvoirs  qu'à  ceux 
qui  seraient  soumis  purement  et  simplement  à  cette 
décision  dogmatique.  »  Le  dispositif  expliquait  com- 
ment le  prélat  entendait  procéder  au  renouvellement 
des  pouvoirs.  Tous  les  ecclésiastiques  du  doyenné 
de  Caen  étaient  invités  à  se  présenter  au  séminaire, 


30  HISTOIKE  DU  DIOCÈSE 

le  11  et  le  12  janvier,  pour  y  assister  à  la  célé- 
bration de  la  calende  ;  les  pouvoirs  étaient  proro- 
gés dans  les  autres   doyennés  jusqu'à    révocation. 

sa  conduite        Alors  commença  pour  l'évêque  une  tâche  difficile. 

in  abîmais,   Dès  le  jour  de  son  arrivée,  la  malveillance  s'était 
mise  à  l'œuvre  :  on  avait  arraché  et  dispersé  dans 
la  ville  des  piliers  qui  devaient  servir  à  tirer  un  feu 
d'artifice  devant  la  Cathédrale.  Pendant  que  les  ma- 
gistrats requéraient  de   l'autorité   ecclésiastique  un 
monitoire  contre  les  auteurs  du  délit,  celle-ci  ré- 
primait déjà  les  actes  d'insoumission  dirigés  contre 
elle.  C'est  ainsi  qu'il  lui  fallut  éclairer  les  commu- 
nautés qui  s'étaient  laissé  séduire  ,  provoquer  des 
rétractations    toujours    humiliantes    pour  l'orgueil , 
encourager  les  faibles  et  imposer  silence  aux  plus 
obstinés.  Le  nombre  des  derniers  ne  dépassa  pas 
quatre  ou  cinq.  Au  synode  du  19  avril  1730,  soixan- 
te-dix environ  essayèrent  de  résister.  Encore,  les 
Nouvelles  ecclésiastiques  établissent-elles  une  dis- 
tinction entre  ceux  qui  consentirent  à  recevoir  la 
bulle  «  d'une  certaine  façon,  »  et  ceux  qui  résistè- 
rent simplement  aux  injonctions  du  pouvoir.  Quel- 
ques rétractations  importantes  vinrent ,  il  est  vrai , 
lui  adoucir  l'amertume  de  sa  tâche:  l'abbé  Boudin, 
curé  de  Saint-Martin  de  Caen,  docteur  de  Sorbonne, 
écrivit  à  cette  compagnie  pour  désavouer  ses  erreurs; 
le  P.  Graindorge,  membre  de  l'Oratoire,  voulut  expier 
l'emportement  avec  lequel  il  s'était  élevé  contre  la 
bulle ,  par  une   lettre  adressée  à   l'assemblée  du 
clergé  de  France;  M.  Malouin,  docteur  en  théologie 
de  la  faculté   de  Caen  et  chanoine  du  Saint-Sépul- 


DE  BAYEUX.  31 

cre,  remit,  le  15  août  1730,  entre  les  mains  de 
Mgr  de  Luynes ,  une  pièce  dans  laquelle  il  fait  hon- 
neur de  sa  conversion  à  l'abbé  de  Grainville,  mort 
l'année  précédente.  Il  se  félicite  d'avoir  trouvé  en 
lui  «  le  jour  consolant  de  la  vérité  et  le  repos  de  sa 
conscience.  »  De  tels  exemples  auraient  dû  ébran- 
ler la  foule  ;  tous  cependant  ne  les  suivirent  pas.  Il 
y  en  eut  qui  refusèrent  de  se  rendre  aux  invitations 
du  prélat ,  et  furent  envoyés ,  les  uns  au  séminaire 
deCaen,  les  autres  dans  les  abbayes  d'Aulnay,  de 
Saint-Gabriel  et  de  Belle-Étoile.  Plusieurs  reconnu- 
rent qu'ils  avaient  agi  par  entêtement  ;  un  certain 
nombre  s'obstina  dans  le  schisme  et  y  persévéra 
jusqu'à  la  mort. 

Il  y  avait  alors  à  Paris  un  prêtre  appelé  Fontaine 
de  La  Roche ,  qui  reproduisait  chaque  semaine  ,  et 
propageait  dans  toutes  les  provinces  les  faits  les 
plus  intéressants  pour  la  secte.  Sa  feuille  était  inti- 
tulée :  Nouvelles  ecclésiastiques,  ou  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  de  la  constitution  Unigenitus. 
Confiné  dans  une  imprimerie  secrète,  entouré  d'un 
bureau  de  surveillance  qui  se  recrutait  parmi  les 
dissidents  les  plus  opiniâtres,  l'abbé  Fontaine  passait 
pour  l'unique  rédacteur  de  cette  feuille.  Le  lieute- 
nant de  police  Hérault  essaya  plusieurs  fois,  mais 
toujours  en  vain,  d'en  arrêter  la  publication.  Elle 
fut  condamnée  [le  27  avril  1732]  par  un  mande- 
ment de  Mgr  de  Vintimille ,  archevêque  de  Paris. 
L'abbé  Petit-Pied ,  lui-même ,  parlait  du  folliculaire 
comme  d'un  calomniateur;  l'abbé  Duguet  était  cho- 
qué de  son  audace;  plusieurs  de  ces  gazettes  furent 


Béatification 

de  saint  Vincent 

de  Paul. 


Canonisation 

de  saint  Louis 

de  Gonzague 

et  de 

saint  Stanislas 

Kostka. 


32  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

lacérées  et  brûlées  par  la  justice.  Cependant  il  arriva 
qu'au  mois  de  juillet  1730,  eut  lieu,  au  séminaire  de 
Bayeux,  la  fête  de  la  béatification  de  saint  Vincent 
de  Paul.  Mgr  de  Luynes  ,  qui  avait  fait  rentrer  les 
Lazaristes  dans  la  soumission  ,  présidait  à  la  céré- 
monie ;  le  chapitre  y  assistait.  Le  premier  panégy- 
rique fut  prononcé  par  M.  Josset ,  docteur  de  Sor- 
bonne,  pénitencier  et  chanoine  de  la  Cathédrale.  Il 
montra,  comme  on  devait  s'y  attendre,  le  zèle  du 
bienheureux  contre  l'hérésie  de  Jansénius.  Un  mois 
après,  le  pamphlétaire  le  citait  à  sa  barre.  Il  lui  re- 
proche de  ne  pas  ménager  la  réputation  de  son 
héros  ;  il  s'indigne  qu'on  ose  exalter  chez  «  Monsieur 
Vincent  un  zèle' qui  a  dû  faire  le  sujet  de  ses  larmes,» 
et  qu'on  n'écoute,  en  cette  matière,  «  ni  la  prudence, 
ni  la  justice ,  ni  la  charité.  »  C'était  ainsi  que  les 
Jansénistes  outrageaient  sans  scrupule  cet  homme 
incomparable,  qui  eût  forcé  le  siècle  le  plus  impie 
de  croire  à  la  vertu  ;  ils  lui  contestaient  les  titres 
d'honneur  que  lui  a  décernés  l'Église,  et,  tandis  que 
les  fidèles  étaient  invités  à  lui  rendre  publiquement 
leurs  hommages,  ils  offraient  des  prières  pour  le 
repos  de  son  âme. 

La  même  année,  «  les  Jésuites  célébrèrent  la  fête 
de  la  canonisation  des  BB.  SS.  Louis  de  Gonzague 
et  Stanislas  Koslka,  de  leur  compagnie.  L'ouverture 
s'en  fit  le  dimanche  12  novembre.  La  veille  de  cette 
solennité,  Mgr  l'évêque  de  Bayeux  fulmina  les  bulles 
de  la  canonisation,  et  le  Te  Deam  fut  ensuite  chanté 
au  bruit  de  l'artillerie,  laquelle  fut  placée  sur  les 
remparts  qui  donnent  sur  la  cour  de  l'église.  On  fit 


DE  BAYEUX.  33 

le  salut  le  soir,  et  cette  église  fut  illuminée  de  plus 
de  six  mille  lampions  et  de  quantité  de  cire  et  de 
bougies,  illumination  qui  a  été  continuée  pendant 
l'octave  entière.  Le  lendemain  dimanche,  la  messe 
fut  célébrée  par  M.  l'évêque,  après  une  procession 
générale.  Les  vêpres  furent  dites  de  la  même  ma- 
nière, et  la  même  solennité  a  été  continuée  pendant 
toute  l'octave,  avec  un  éclat  et  un  concours  extraor- 
dinaire. Le  dimanche  19,  jour  de  l'octave,  on  en- 
tendit dès  le  matin  une  salve  des  mêmes  canons. 
M.  Vicaire,  curé  de  Saint-Michel  de  Vaucelles,  pro- 
nonça le  panégyrique  des  deux  saints  avec  beaucoup 
d'éloquence  et  d'applaudissements.  Sur  le  soir,  on 
entendit  encore  le  bruit  du  canon.  C'était  le  signal 
d'une  illumination  magnifique  et  d'un  feu  d'artifice 
qui  fut  tiré  avec  un  grand  succès  devant  l'église  des 
Jésuites  (1).  » 

Le  séminaire  de  Bayeux ,  avons-nous  dit ,  était 
enfin  rentré  dans  la  soumission,  et  un  mandement, 
affiché  le  42  juin  de  cette  même  année  [1730],  per- 
mettait aux  ordinands  de  s'y  présenter  à  l'avenir;  le 
livre  indiqué  pour  les  études  était  la  Théologie  de 
Poitiers.  C'était  donc  afin  de  sceller  sa  réconciliation 
avec  les  Lazaristes,  que  Mgr  de  Luynes  consentit,  le 
mois  suivant,  a  célébrer  dans  leur  chapelle  la  béa- 
tification de  leur  saint  fondateur.  A  peu  près  vers 
le  même  temps ,  il  reçut  une  lettre  anonyme  qui 
lui  dénonçait  comme  impie  l'enseignement  que  les 
Jésuites  donnaient  à  Caen  dans  leurs  missions.   Le 

(1)  Beziers,  Manuscrits. 


Missions 

à  Cacn,  à  Vire 

et  ù  F.aycux. 


34  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

P.  Tournemine  y  était  surtout  indignement  traité, 
et  les  Nouvelles  ecclésiastiques  revinrent  plusieurs 
fois  a  la  charge  contre  la  doctrine  du  missionnaire. 
Monseigneur  répondit  à  l'accusation  en  donnant  pu- 
bliquement au  religieux  incriminé  les  éloges  les 
plus  flatteurs,  et,  le  dimanche  8  octobre,  il  fit,  à 
Vire,  l'ouverture  d'une  autre  mission.  Il  paraît  que, 
dans  leurs  instructions  familières  ,  les  Jésuites  ne 
craignaient  pas  d'aborder  les  questions  controver- 
sées; c'est  ce  qui  explique  la  colère  des  Jansénistes, 
et  les  qualifications  odieuses  qu'ils  ne  cessaient  de 
leur  prodiguer  (1).  En  avril  1732,  Mgr  de  Luynes 
appela  les  Eudistes  à  la  Cathédrale.  Il  y  prêcha  lui- 
même,  et  essaya  de  fixer  l'état  des  esprits  sur  le 
sens  de  la  bulle  Unigenilus.  Aussitôt  les  Jansénis- 
tes lui  adressèrent,  sous  le  nom  de  Remontrance, 
un  écrit  plein  d'amertume,  dans  lequel  on  voyait 
percer,  à  travers  une  forme  à  peine  respectueuse, 
une  haine  profonde  de  la  vérité.  On  y  calomniait 
les  intentions  des  missionnaires  ,  et  leur  conduite 
envers  les  pénitents.  On  allait  même  jusqu'à  impu- 
ter à  l'évêque  la  résolution  de  quelques  grandes 
familles  qui  aimaient  mieux,  disait-on,  se  priver 
des  sacrements  que  de  s'adresser  aux  prêtres  ortho- 


(1)  «  Quel  malheur  que  des  monstres  d'irréligion  puissent 
se  produire  ainsi  au  grand  jour  sans  trouver  dans  tout  un 
diocèse  qu'un  anonyme  pour  dénonciateur  !  Quel  comble  de 
misère  qu'un  évoque,  régulier  d'ailleurs  [l'éloge  ne  saurait 
être  suspect  de  flatterie],  auprès  de  qui  la  notoriété  de 
semblables  faits  ne  tient  pas  lieu  de  dénonciation!  » 

(Nouv.  écoles.,  16  août  1730.) 


DE  BAVEUX.  35 

doxes.  Malgré  ces  intrigues,  les  prédicateurs  furent 
suivis  avec  empressement,  écoutés  avec  attention, 
et  un  grand  nombre  de  pénitents  se  soumirent  à 
l'Église.  C'est  ce  qu'établit,  quelques  jours  après, 
une  lettre  de  Bayeux,  imprimée  à  Caen,  dans  la- 
quelle les  murmures  des  dissidents  étaient  appréciés 
et  réduits  à  leur  juste  valeur. 
Dans  le  synode  du  24  avril  1732,  Mgr  de  Luynes    ordonnance 

.     .  .  „  .  .  relative 

publia  un  règlement  administratif,  qui  avait  pour  au» doyens, 
objet  les  fonctions  des  doyens  «  tant  des  villes  que 
ruraux,  »  et  le  fit  homologuer  à  la  cour  du  parle- 
ment par  l'abbé  Huet,  promoteur-général.  Il  paraît 
que  les  fonctions  des  doyens  étaient  contestées  «  par 
esprit  d'indépendance,  »  et  qu'on  leur  refusait  cer- 
taines rétributions  qu'ils  avaient  le  droit  d'exiger,  aux 
termes  du  règlement.  Après  avoir  rappelé  que  les 
doyens  sont  établis  pour  maintenir  la  discipline  dans 
la  portion  du  diocèse  confiée  à  leur  surveillance  ; 
qu'elle  doit  s'exercer  particulièrement  sur  les  per- 
sonnes ecclésiastiques  de  leur  doyenné,  s'étendre  à 
la  résidence  des  curés,  à  la  célébration  de  l'office 
divin ,  à  l'état  des  églises  ,  des  ornements  et  des 
cimetières,  Mgr  de  Luynes  les  charge  d'envoyer  dans 
les  paroisses  les  ordonnances  et  les  mandements  qui 
leur  sont  adressés  de  la  part  de  l'évêque  ;  d'examiner 
le  titre  clérical  de  ceux  qui  se  disposent  aux  ordres 
sacrés;  d'informer  sur  leur  vie,  de  bénir  les  orne- 
ments et  les  églises  ;  enfin,  il  leur  attribue  l'abso- 
lution des  cas  réservés,  la  distribution  des  saintes 
huiles ,  la  visite  des  curés  malades ,  auxquels  ils 
doivent  administrer  les   sacrements   et  rendre    les 


36  IIISTOIIŒ  DU  DIOCÈSE 

derniers  devoirs;  le  soin  des  meubles  appartenant 
à  l'église  ,  l'examen  des  registres  et  comptes  qui 
regardent  les  fabriques  ou  les  confréries,  la  tenue 
des  conférences  ecclésiastiques;  il  fixe,  pour  quel- 
ques-unes des  fonctions  qu'il  leur  attribue,  un  hono- 
raire convenable;  enfin,  il  leur  enjoint  de  surveiller 
les  petites  écoles ,  et  d'exiger  que  les  filles  et  les 
garçons  soient  instruits  séparément  par  des  per- 
sonnes de  leur  sexe. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que,  sous  l'ancien  régime, 
le  doyen  fût  toujours  curé  titulaire  de  la  paroisse 
d'où  le  doyenné  tirait  son  nom.  La  preuve  du  con- 
traire se  rencontre  souvent  dans  les  manuscrits  et 
les  livres  que  nous  avons  consultés.  Ainsi ,  par 
exemple,  en  1772,  le  doyen  de  Creully  était  curé 
de  Fontenailles  ;  en  4791,  le  curé  de  Cully  était 
doyen  de  Maltot;  à  la  même  époque,  le  doyen  de 
Yillers  était  curé  de  Tracy;  celui  de  Troarn  était 
curé  de  Manneville.  Le  doyenné  de  Caen  et  celui 
de  Bayeux  étaient  appelés  doyennés  de  la  chrétienté, 
par  opposition  aux  doyennés  ruraux  —  decani  chris- 
tianitatis  et  rurales  (4). — M.  Achard  de  Vacognes, 
curé  de  Saint-Jean  de  Caen  en  1753,  était  doyen 
de  la  chrétienté,  et,  en  1791,  le  curé  de  la  Poterie 
portait  le  même  titre  à  Bayeux.  C'était  sans  doute 
pour  éviter  la  confusion,  que  le  doyen  du  chapitre 
était  appelé  haut-doyen.  A  Caen ,  les  doyens  sont 
quelquefois  désignés  sous  le  nom  d'archiprêtres. 

Mgr   de   Luynes   était  organisateur  :   il  publia  de 

(1)  Rituel  de  MKr  de  Luynes 


DEBAYEUX.  37 

nouveau,  en  4735,  les  statuts  rédigés  par  Mgr  de 
Nesmond,  et  y  fit  des  additions  considérables.  Tout 
ce  qui  a  rapport  à  l'administration  spirituelle  et 
temporelle  des  paroisses ,  y  est  traité  selon  son 
importance.  On  y  remarque  l'obligation  enjointe  à 
tous  les  prêtres  qui  exercent  le  ministère,  de  pro- 
duire chaque  année  un  certificat  du  directeur  de  la 
conférence,  constatant  qu'ils  en  ont  suivi  les  exer- 
cices avec  assiduité.  On  y  rappelle  aux  réguliers 
les  articles  du  concile  de  Trente  qui  leur  défendent 
de  prêcher  et  de  confesser  sans  la  permission  de 
Tévêque.  A  la  fête  de  la  Toussaint,  on  avait  coutume, 
dans  certaines  paroisses,  de  sonner  les  cloches  une 
partie  de  la  nuit  en  commémoration  des  fidèles  tré- 
passés. Il  en  résultait  que  les  sonneurs  se  faisaient 
apporter  sur  place  «  à  boire  et  à  manger.  »  On  de- 
vine sans  peine  les  inconvénients  d'une  telle  coutume. 
M®  de  Luynes  la  proscrivit  et  ordonna  aux  curés  de 
l'interdire.  Les  gâteaux  de  Pâques,  que  l'on  distri- 
buait encore  dans  certaines  paroisses,  soit  avant,  soit 
après  la  communion,  sont  également  supprimés.  Le 
revenu  de  ces  fondations  est  attribué  à  la  fabrique 
et  aux  pauvres  de  la  paroisse.  A  la  suite  des  statuts 
proprement  dits,  on  trouve  la  déclaration  de  Louis 
XIV  ordonnant  la  publication,  à  la  messe  parois- 
siale ,  de  l'édit  du  roi  Henri  II  contre  les  femmes 
qui,  ayant  caché  leur  grossesse  et  leur  accouche- 
ment, laissaient  périr  leurs  enfants  sans  leur  donner 
le  baptême.  On  sait  que  cet  édit  décrétait  la  peine 
de  mort  contre  les  coupables. 
Beziers  attribue  à  Mgr  de  Luynes  l'honneur  d'avoir 


Publication 
dos  stntuts. 


38  rtlSÏOlRE  DU   DIOCÈSE 

FiHès  fondé ,  à  Bayeux  ,  les  Filles  de  la  Chanté  ,  tandis 
qu'une  lettre  pastorale  donnée  par  Mgr  de  Cheylus, 
en  1782,  parle  avec  éloge  de  la  fondation  par  la- 
quelle Mgr  de  Nesmond  aurait  préposé  les  Filles  de 
la  Charité  au  soulagement  des  pauvres  dans  la  ville 
épiscopale.  La  contradiction  n'est  qu'apparente.  Nous 
avons,  en  effet,  raconté  dans  les  notes  du  premier 
volume,  que,  le  4  mars  1704,  Mgr  de  Nesmond  éta- 
blit à  Bayeux  deux  Filles  de  la  Charité  pour  assister 
les  pauvres  de  la  ville  et  des  faubourgs.  Nous  avons 
dit  qu'elles  continuèrent  leur  service  sous  Mgr  de 
Lorraine;  que  leur  nombre  fut  porté  à  trois,  on  ne 
sait  trop  à  quelle  époque,  et  à  six,  sous  Mgr  de 
Luynes,  le  20  août  1732.  Le  contrat  de  fondation 
fut  fait  à  Paris,  entre  l'évêque,  les  administrateurs 
de  l'hôpital,  le  maire  et  les  échevins  de  la  ville. 
Ainsi  donc,  Mgr  de  Nesmond  avait  eu  le  premier  la 
pensée  charitable  de  confier  le  soin  des  pauvres  de 
Bayeux  aux  Filles  de  Saint-Vincent  de  Paul  ;  mais  ce 
fut  sous  Mgr  de  Luynes  que  leur  établissement  prit 
la  forme  d'une  communauté. 


DE  BAYEUX.  39 

^Tir"a"Tr"B"irirTTr'3"T"5"Tr"5"Tnrinnr'S'"ô"TB"a'T7S"ô"yB'  b"5"ï  u^> 


CHAPITRE  III. 


L'abbé  Outhier  :  Voyage  au  pôle  nord.  —  Le  P.  Porée  ,  de  la 
compagnie  de  Jésus.  —  Charles-Gabriel  Porée  :  Possession 
de  Landes, — Sépulture  dans  les  églises, —  Mandarinade. — 
L'abbé  Pluquet  :  Dictionnaire  des  hérésies. 


Tandis  que  Mgr  de  Luynes  déployait  contre  l'hérésie 
les  mesures  les  plus  vigoureuses,  et  travaillait  à  la 
restauration  de  la  discipline  fatalement  compromise 
par  les  luttes  du  sacerdoce,  quelques  hommes  distin- 
gués illustraient  son  épiscopat,  en  attachant  leur  nom 
a  d'intéressantes  publications. 

Le  premier  qui  vient  s'offrir  à  nous,  est  l'abbé  L'abbé 0uthier- 
Outhier,  originaire  de  la  Franche-Comté,  élu  en  4731 
membre  de  l'Académie  des  sciences.  Mgr  de  Luynes, 
désirant  le  fixer  à  Bayeux,  le  nomma  son  secrétaire 
particulier;  mais,  en  1736,  il  fut  envoyé  dans  le  nord,    au  Pôie"iord. 


40  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

avec  Mauperluis,  pour  mesurer  un  degré  du  cercle 
polaire.  L'abbé  Oulhier  publia  le  journal  de  ce  voyage 
avec  plusieurs  caries  dessinées  par  lui-même.  On  y 
trouve  des  détails  extrêmement  curieux  sur  les  mœurs 
et  les  usages  de  la  Laponie;  la  bibliothèque  de 
Bayeux  en  possède  un  exemplaire.  Au  retour  de  son 
expédition,  qui  dura  deux  ans,  il  vint  se  fixer  dans 
cette  ville,  où  Mgr  de  Luynes  le  nomma,  en  4748, 
chanoine  de  la  Cathédrale.  Il  résigna  ses  fonctions 
quelques  années  après  le  départ  de  son  protecteur, 
et  se  retira  dans  une  petite  maison  qu'il  avait  acquise 
près  du  couvent  de  la  Charité.  Il  y  mourut  le  12 
avril  1774,  après  avoir  donné,  jusqu'à  la  fin  de  sa 
vie,  l'exemple  du  travail  et  celui  de  la  piété.  Il  a 
laissé  une  carte  du  diocèse  de  Bayeux,  beaucoup 
plus  exacte  que  celle  de  l'abbé  Petite;  il  avait  fait  le 
môme  travail  pour  l'évèché  de  Meaux  et  l'archevêché 
de  Sens. 
Lep.iw.  En  prononçant  ici  le  nom  de  Charles  Torée,  ce 
n'est  point  une  biographie  que  nous  nous  proposons 
d'écrire,  c'est  un  simple  hommage  que  nous  voulons 
rendre  à  sa  mémoire.  Né  à  Vendes,  près  de  Caen,  en 
1675,  il  fut  un  des  membres  les  plus  laborieux  de  la 
compagnie  de  Jésus.  Sans  chercher  la  renommée,  il 
l'obtint  et  la  mérita,  dans  celte  société  qui  comptait 
alors  tant  d'illustrations.  Il  fut  à  la  fois  un  professeur 
distingué,  un  orateur  brillant  et  un  poète  latin  du 
premier  ordre  parmi  les  modernes.  Malgré  l'inclina- 
tion qui  l'eût  porté  de  préférence  vers  les  missions 
étrangères,  il  fut  chargé  par  ses  supérieurs  d'ensei- 
gner la  rhétorique  au  collège  Louis- le- Grand.   Ses 


DE  BAI EUX.  41 

fondions  devinrent  pour  lui  une  sorte  d'apostolat  ; 
jamais  il  ne  manquait  l'occasion  d'éveiller  le  senti- 
ment religieux  dans  son  jeune  auditoire.  Voltaire,  qui 
fut  un  de  ses  élèves,  semblait  attacher  un  grand  prix 
a  son  affection ,  et  lui  décerna  plus  d'une  fois  des  té- 
moignages de  reconnaissance  (1).  Les  ouvrages  du  P. 
Porée  sont  l'expression  assez  fidèle  du  mouvement 
littéraire  qui  caractérise  le  règne  de  Louis  XIV.  Les 
tragédies  qu'il  composait  pour  ses  écoliers,  révèlent 
une  étude  sérieuse  de  Corneille  et  de  Racine;  on 
trouve  dans  ses  comédies  plus  d'un  emprunt  fait 
à  Molière,  et  l'on  y  admire  une  morale  exacte  , 
revêtue  d'une  élégante  simplicité.  Les  harangues , 
les  poésies  latines  ont  pour  cachet  une  diction  ingé- 
nieuse, des  pensées  vives  et  brillantes,  qui  rappel- 
lent les  qualités  et  les  défauts  de  Sénèque  le  philo- 
sophe. Ce  qui  distingue  le  P.  Porée  comme  orateur, 
c'est  l'esprit,  la  finesse,  une  délicatesse  un  peu  étu- 
diée, une  piété  douce  et  bienveillante.  On  peut  dire 
qu'en  général  il  dédaigne  le  style  nombreux,  et  on 
lui  reproche  avec  raison  de  préférer  à  la  période  des 
antithèses  et  des  jeux  de  mots.  Le  recueil  incom- 
plet de  ses  harangues  —  Orationes  panegyricœ  — 
qu'il  avait  abandonné  à  ses  supérieurs ,  fut  publié 
par  eux  en  1735.  L'oraison  funèbre  de  Louis  XIV, 


(1)  Il  écrivait  au  P.  Porée,  en  1728:  «  Si  la  Henriade  vous 
plaît,  si  vous  y  trouvez  que  j'ai  profité  de  vos  leçons,  alors, 
sublimi  feriam  sidéra  verticc.  —  Surtout,  mon  révérend  Père. 
je  vous  supplie  de  vouloir  bien  m'instruire  si  j'ai  parlé  de  la 
religion  comme  je  le  dois.  —  J'ambitionne  votre  estime,  non- 
seulement  comme  auteur,  mais  comme  chrétien.  » 


l'orée. 


42  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

prononcée  en  1715,  contient  une  appréciation  sévère 
du  jansénisme;  il  en  fait  remonter  l'origine  à  la  secte 
de  Calvin.  Un  de  ses  discours  les  plus  brillants  est 
celui  dans  lequel  il  essaie  d'appliquer  au  théâtre  la 
réforme  qu'il  concevait  pour  tous  les  genres  de  litté- 
rature. Le  P.  Porée,  nous  dit  un  de  ses  contempo- 
rains, «  ne  connaissait  que  deux  objets:  les  devoirs 
de  la  piété  et  ceux  de  son  emploi.  »  Il  les  remplit 
courageusement  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  et  ne  fut 
absent  de  sa  classe  qu'un  seul  jour  avant  de  mourir 
[1741].  Il  avait  enseigné  pendant  trente-trois  ans. 
charies-Gabriel  On  l'a  dit  avec  raison,  les  parentés  illustres  sont 
ordinairement  funestes  en  littérature.  Charles-Gabriel 
Porée  n'est  guère  connu  que  des  amateurs  de  bio- 
graphie normande  :  la  réputation  de  son  frère  l'a 
presque  entièrement  effacé.  Il  naquit  à  Caen,  le  16 
mars  1685.  A  l'âge  de  vingt-cinq  ans,  il  entra  dans 
la  congrégation  de  l'Oratoire,  en  sortit  quelque  temps 
après,  et  fut  placé  auprès  de  Fénélon  en  qualité  de 
bibliothécaire.  Les  entretiens  du  prélat  l'éclairèrent 
sur  sa  vocation;  il  reçut  le  sacerdoce  en  1716,  fut 
successivement  chanoine  de  Saint-Patrice  et  curé  de 
Louvigny.  Il  se  retira  dans  sa  ville  natale  en  1741, 
et  y  mourut  en  1770.  Mgr  de  Luynes  l'avait  chargé 
de  porter  la  parole  devant  le  synode  de  1733. 

L'abbé  Porée  fut  un  des  membres  les  plus  actifs 
de  l'Académie  de  Caen,  où  il  faisait  de  fréquentes 
lectures.  Il  gardait  l'anonyme  pour  ses  autres  com- 
positions. Il  nous  est  donc  permis  de  laisser  dans 
l'oubli  un  roman  satirique  —  D.  Ranucio  d'Alétès — 
qui  lui  est  attribué.  Si  nous  rappelons  ici  le  titre 


DE  BAYEUX.  43 

de  cet  ouvrage ,  où  les  mœurs  du  clergé  ne  sont 
point  épargnées,  c'est  uniquement  pour  répéter,  avec 
les  biographes  ,  qu'il  n'est  pas  certain  que  l'abbé 
Porée  en  soit  l'auteur.  Disons  cependant  qu'on  voit 
quelquefois  percer  dans  ses  écrits  l'esprit  railleur 
et  les  préjugés  philosophiques  qui  commençaient 
alors  à  se  répandre.  C'est  ainsi  qu'abusant  d'un  mot 
consacré  par  l'usage  et  par  sa  véritable  étymologie, 
il  s'élève  avec  force  contre  la  dévotion,  et  déclare 
les  dévots  plus  dangereux  que  les  libertins.  L'au- 
teur, avant  d'écrire  ce  morceau,  aurait  bien  fait  de 
consulter  les  sages  distinctions  du  docte  Bourdaloue, 
sur  la  véritable  et  la  fausse  dévotion,  et  de  lire,  dans 
La  Bruyère,  le  chapitre  des  Esprits  forts. 

Les  trois  compositions  qui  rattachent  les  écrits  de 
l'abbé  Porée  à  l'histoire  contemporaine,  sont:  Y  Exa- 
men auquel  il  soumit  la  prétendue  possession  des 
filles  de  la  paroisse  de  Landes,  —  les  Lettres  sur 
la  sépulture  dans  les  églises,  —  la  Mandarinade. 

L'abbé  Heurtin ,  auquel  la  prétendue  possession 
des  demoiselles  de  Léaupartie  donna ,  sous  Mgr  de 
Luynes,  une  fâcheuse  célébrité,  était  déjà  connu  dans 
le  diocèse  de  Bayeux  pour  un  fait  du  même  genre. 
Sur  la  fin  de  l'année  1716,  tandis  qu'il  était  vicaire 
d'Évrecy ,  une  de  ses  pénitentes ,  nommée  Marie 
Letoc,  vint  un  jour  lui  raconter  que  deux  hommes 
vénérables  lui  étaient  apparus.  Le  premier,  disait- 
elle,  se  nommait  Baltfride,  évoque  de  Bayeux  dans 
le  ix°  siècle;  il  était  accompagné  de  Hugues,  son 
grand -vicaire.  Ils  annonçaient  l'un  et  l'autre  que 
leurs  corps,  après  avoir  été  martyrisés  par  les  Danois, 


Possession 
de  Landes 


44  HISTOIRE  DU  DiOCKSE 

étaient  inhumés  dans  les  ruines  d'une  chapelle  dont 
la  construction  se  rattache  à  celle  de  l'Église,  et  dont 
l'antiquité  ne  remonte  pas  au-delà  du  XVe  siècle. 
Cependant  Baltfride  affirmait  que  c'était  lui-même 
qui  l'avait  construite,  et  il  ordonnait  à  Marie  Letoc 
d'avertir  l'autorité,  afin  que  les  corps  saints,  inhumés 
en  cet  endroit,  fussent  exposés  à  la  vénération  des 
fidèles. 

Si  l'étude  des  monuments  historiques  eût  été,  il  y 
a  un  siècle,  aussi  avancée  qu'elle  l'est  aujourd'hui, 
on  n'eût  accordé  sans  doute  aucune  attention  aux 
discours  de  cette  fille.  L'énorme  différence  qui  existe 
entre  l'âge  de  la  chapelle  et  l'époque  où  le  saint 
évêque  fut  tué  par  les  Danois ,  aurait  à  l'instant 
môme  découvert  l'imposture.  On  doit  dire  qu'à  dé- 
faut de  ce  moyen ,  les  supérieurs  ecclésiastiques 
procédèrent  avec  toute  la  circonspection  désirable: 
M.  de  Fontaines,  vicaire-général  de  Mgr  de  la  Tre- 
moilte  ;  M.  Damème ,  supérieur  du  séminaire  de 
Caen;  le  P.  Kergariou  et  le  P.  de  Vitry,  de  la  compa- 
gnie de  Jésus;  le  P.  Bernard,  jacobin,  étudièrent 
la  question  pour  donner  des  conseils  ;  elle  fut  éga- 
lement soumise  à  M.  de  Launey-Hue  et  aux  autres 
grands- vicaires.  Après  plusieurs  enquêtes,  Marie 
Letoc  fut  mandée  à  Bayeux,  et  déposée  d'abord  au 
couvent  des  Bénédictines.  L'abbé  Peschard  la  fit  con- 
duire, en  1718,  à  l'hôpital  des  pauvres,  et  une  lettre 
de  cachet,  obtenue  par  Msr  de  Lorraine,  l'y  retint 
malgré  les  plaintes  de  sa  famille.  Elle  y  était  encore 
en  4739,  lorsque  l'on  imprima  le  compte-rendu  de 
s.es  dépositions. 


DE  BÀYEUX.  45 

Il  semble  qu'un  pareil  dénouement  eût  dû  guérir 
l'abbé  Heurtin  de  sa  crédulité.  Cependant  l'affaire 
d'Évrecy  fut  suivie,  quelque  temps  après,  d'une  autre 
beaucoup  plus  grave,  et  qui  obligea  Mgr  de  Luynes 
à  le  suspendre  de  ses  fonctions.  Nous  passons  sous 
silence  la  condamnation  dont  il  avait  été  frappé,  en 
1721,  à  l'occasion  de  Mme  de  Vacognes,  parce  que 
celte  circonstance  est  étrangère  aux  faits  qui  nous 
occupent.  Disons  seulement  que  le  parti  janséniste, 
fort  irrité  de  la  conversion  de  cette  dame,  et  de  la 
profession  de  foi  qu'elle  crut  devoir  faire  à  son  lit 
de  mort,  s'en  prit  à  l'abbé  Heurtin,  son  confesseur. 
Interdit  à  cette  époque  par  Mgr  de  Lorraine,  il  était 
rentré  en  grâce  auprès  des  supérieurs,  lorsque  M.  de 
Léaupartie  lui  donna  la  cure  de  Landes,  en  1723. 

A  peine  l'abbé  Heurtin  y  était-il  établi,  qu'une 
maladie  des  plus  étranges  vint  attaquer  la  famille 
de  son  protecteur.  M1,es  de  Léaupartie,  élevées  jusque- 
la  dans  une  très-grande  piété,  furent  saisies  tout-à- 
coup  de  convulsions  épileptiques,  durant  lesquelles 
elles  s'emportaient  jusqu'à  la  fureur  contre  tout  ce 
qui  leur  rappelait  les  devoirs  de  la  religion  ou  les 
sentiments  de  la  nature.  Disons-le  tout  d'abord,  posé 
la  certitude  des  faits  incroyables  rappelés  dans  le  mé- 
moire que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  conce- 
vons sans  peine  l'avis  des  médecins,  qui  regardèrent 
la  maladie  comme  surnaturelle  (1).  Avant  de  nier  le 


(1)  On  cite,  entre  autres,  M.  Angot  médecin  à  Caen,  qui 
avait  acquis  une  grande  célébrité  dans  toute  la  province,  et 
qui  inclinait  pour  cette  opinion. 


40  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

pouvoir  du  démon  sur  les  corps,  il  faudrait  déchirer 
toutes  les  pages  de  l'Évangile  où  sont  racontées  les 
guérisons  des  possédés  ;  il  faudrait  contredire  l'apô- 
tre saint  Paul,  quand  il  nous  avertit  que  nous  n'avons 
pas  seulement  à  lutter  contre  la  chair  et  le  sang, 
mais  contre  «  les  vertus  des  deux.  »  C'est  ainsi,  dit 
Bossuet,  qu'il  appelle  les  mauvais  anges,  à  cause  de 
leur  origine,  pour  nous  montrer  qu'ils  conservent 
encore,  dans  leur  supplice,  la  puissance  comme  le 
nom  qu'ils  avaient  par  leur  nature.  «  L'intelligence, 
continue  ce  grand  écrivain,  leur  est  demeurée  aussi 
perçante,  aussi  sublime  que  jamais,  et  la  force  de 
leur  volonté,  à  mouvoir  les  corps,  leur  est  restée 
comme  du  débris  de  leur  effroyable  naufrage.  » 
Que  l'on  réfléchisse  un  instant  sur  ces  vérités ,  et 
l'on  ne  s'étonnera  plus  de  la  conduite  de  l'évêque 
dans  cette  circonstance. 

Toutefois  ,  si  l'Évangile  ne  nous  permet  pas  de 
révoquer  en  doute  la  possibilité  d'une  intervention 
surnaturelle ,  la  prudence  chrétienne  nous  impose 
une  grande  réserve ,  quand  il  s'agit  de  prononcer 
sur  des  phénomènes  de  cette  nature.  C'est  aussi 
ce  que  pensait  Mgr  de  Luynes.  Non  content  de 
recueillir  le  témoignage  des  prêtres  les  plus  in- 
struits ,  et  de  procéder  lui-même  à  l'examen  des 
malades,  il  voulut  que  l'on  interrogeât  des  méde- 
cins dignes  de  confiance.  Or,  sans  parler  des  trois 
médecins  du  pays  (1),  dont  l'avis  fut  contradictoire- 


(1)  MM.  du  Douet  ;    de  la  Ducquerie .  doyen  de  la  faculté 
de  médecine  ;  Boulhrd;  professeur  à  la  faculté. 


Ï3E  BAYEUX.  47 

ment  invoqué  par  les  partisans  et  les  adversaires  de 
la  possession,  quatre  docteurs  de  la  faculté  de  méde- 
cine de  Paris  certifièrent,  au  mois  de  mars  1734  et 
1735,  que,  sur  les  quarante  faits  soumis  a  leur 
appréciation,  «  quatre  passent  les  forces  de  la  nature, 
et  ne  peuvent  être  attribués  à  aucune  cause  physi- 
que (1).  »  Douze  docteurs  de  Sorbonne  firent  à  peu 
près  la  même  réponse.  Cette  réponse,  il  est  vrai, 
supposait  avant  tout  la  vérité  des  faits  énoncés  dans 
le  mémoire.  Ces  faits  avaient-ils  été  observés  sans 
prévention?  Furent-ils  décrits  avec  exactitude?  C'est 
un  point  sur  lequel  févêque  reconnut  plus  tard  qu'il 
avait  été  trompé.  Du  moins,  il  ne  négligea  aucun 
moyen  de  découvrir  la  lumière ,  et  sans  partager, 
comme  on  l'a  prétendu ,  toutes  les  illusions  de  la 
famille,  il  fit  ce  que  chacun  aurait  dû  faire  à  sa  place 
en  pareille  circonstance. 

Ayant  convoqué  la  faculté  de  théologie  et  la  fa- 
culté de  médecine  ,  il  leur  adjoignit  les  supérieurs 
de  plusieurs  communautés.  Les  jeunes  malades  fu- 
rent amenées  à  Caen,  pour  que  leur  état  fût  soumis 
à  un  examen  juridique.  On  consulta  le  rituel  du 
diocèse,  où  sont  décrits  les  véritables  caractères  de 
la  possession,  et  il  fut  impossible  de  les  appliquer. 
Il  est  vrai  que,  pendant  leurs  syncopes,  Mlle9  de 
Léaupartie  étaient  livrées  à  une  insensibilité  com- 
plète ;  mais  ce  fait  n'étonnait  pas  les  médecins  :  ils 
n'y  voyaient  qu'un  accident  naturel.  Une  circonstance 
particulière  vint  fixer  leurs  incertitudes.  Parmi  les 

(1)  V.  Pièces  justificatives. 


48  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

personnes  sur  lesquelles  Us  expérimentaient ,  se 
trouvait  une  servante  d'une  organisation  plus  forte 
que  ses  jeunes  maîtresses,  et  qui  résistait  aux  piqû- 
res et  aux  brûlures  par  lesquelles  on  l'avait  spécia- 
lement éprouvée.  Un  jour,  le  docteur  Boullard  lui 
plongea  dans  les  narines  un  flacon  de  sel  ammoniac; 
aussitôt  ses  larmes  coulèrent;  elle  injuria  grossière- 
ment l'opérateur,  et  les  expériences  furent  suspen- 
dues (1).  Peut-être  eût-il  été  à  désirer  qu'on  s'en 
tînt  là.  Cependant  l'évêque,  pour  condescendre  aux 
désirs  de  la  famille,  fit  venir  de  Paris  MM.  Herbi- 
nières  et  Le  Carpentier  (2),  qui  avaient  l'un  et  l'autre 
une  grande  réputation  comme  exorcistes.  Mais,  vou- 
lant s'éclairer  par  une  épreuve  décisive ,  il  exigea 
que  l'on  présentât  aux  malades  deux  billets  manu- 
scrits ,  connus  de  lui  seul ,  mis  sous  enveloppe  et 
portant  son  cachet.  Pressées  de  révéler  ce  qu'ils 
contenaient,  les  malades  se  récusèrent;  ce  fut  alors 
qu'après  plusieurs  années  d'incertitude,  l'évêque  crut 
devoir  se  prononcer.  Il  congédia  les  deux  exorcistes; 
l'abbé  Heurtin  fut  exilé  à  l'abbaye  de  Belle-Étoile , 
y  resta  jusqu'en  1739,  et  fut  transféré  à  cette  épo- 
que chez  le  curé  de  Barbeville.  Mlles  de  Léaupartie 
entrèrent  dans  différentes  communautés,  où  la  pru- 
dence et  les  soins  des  religieuses  leur  rendirent 
bientôt  la  santé. 

(1)  M.  Larchevéque,  médecin  à  Rouen ,  est  cité  aussi  comme 
ayant  concouru  à  découvrir  la  fraude. 

(2)  Quelques-uns  écrivent  à'Herbinière  et  Carpentier;  nous 
avons  suivi  l'orthographe  que  l'on  trouve  dans  les  mémoires 
du  temps. 


DE  B A YEUX.  19 

C'est  aussi  ce  que  nous  rapporte  l'abbé  Porée. 
D'accord  avec  lui  sur  la  conclusion  de  ce  mémorable 
procès,  je  ne  l'ai  pas  toujours  suivi  dans  les  détails 
de  sa  narration.  Il  y  a  chez  lui  un  ton  léger  et  rail- 
leur, qui  ne  convient  pas  à  la  dignité  de  l'histoire , 
et  les  plaisanteries  dont  il  assaisonne  les  événements 
qu'il  raconte,  supposent  plus  de  malice  et  de  finesse 
que  de  véritable  impartialité. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  ses  Lettres  sur  la  sé^umv 
sépulture  dans  les  églises.  L'abus  qu'elles  censu-  iCs /Jiles. 
rent,  était  général,  et  aussi  contraire  aux  intérêts  de 
la  société  civile  que  de  la  société  religieuse.  Déjà, 
en  4721,  les  deux  puissances  avaient  fait  de  concert 
un  règlement,  dont  les  principes  étaient  puisés  dans 
l'ancienne  discipline  ;  on  n'accordait  le  droit  d'être 
inhumé  dans  l'église  qu'aux  ecclésiastiques,  et  à  ceux 
dont  la  piété,  le  rang  ou  la  naissance  aurait  mérité 
cet  honneur.  Les  portiques  et  les  cimetières  étaient 
abandonnés  indistinctement  à  tous  les  fidèles.  Cepen- 
dant nous  voyons  que,  en  4743,  on  n'avait  pas  re- 
noncé à  l'ancien  usage.  On  respirait  dans  certaines 
églises  une  odeur  insupportable  ;  on  trouvait  même 
quelquefois  sous  les  bancs  des  portions  de  cadavres 
oubliées  par  les  fossoyeurs.  L'abbé  Porée  proposa 
d'établir  les  cimetières  à  la  porte  des  villes ,  et  d'y 
transporter  les  morts  dans  des  chariots ,  qui  se- 
raient accompagnés  par  deux  ou  trois  ecclésiastiques, 
après  la  célébration  du  service  religieux. 

Le  parlement  de  Normandie  fut  saisi  de  la  ques- 
tion en  4749,  par  les  marguilliers  de  la  paroisse 
-Notre-Dame  de  Caen.  Il  s'agissait  du  droit  de  bancs 


50  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

et  de  sépulture  dans  la  jouissance  duquel  la  famille 
Le  Pelletier  se  plaignait  d'avoir  été  troublée.  Les 
marguilliers ,  au  contraire ,  soutenaient  qu'il  y  avait 
urgence  de  procéder  à  la  réforme.  Leur  mémoire, 
publié  dans  le  temps  môme  où  l'abbé  Porée  donnait 
la  troisième  édition  de  son  ouvrage  ,  en  confirme 
l'exactitude.  On  en  peut  juger  par  la  citation  sui- 
vante ;  elle  est  extraite  de  l'arrêt  du  parlement  : 

«  Ouï  Brehàin,  avocat  des  dits  sieurs  marguilliers 
et  trésoriers  de  la  dite  paroisse,  lequel  a  dit  que  leur 
église  gémissait  depuis  long- temps  sous  le  poids  de 
l'indigence  et  de  la  pauvreté,  par  l'abus  de  ceux  qui 
en  avaient  négligé  les  droits,  aliénant  à  la  discrétion 
du  premier  venu  les  places  à  perpétuité,  et  même 
jusqu'au  droit  de  sépulture,  sans  aucune  récompense 
ni  indemnité  :  tels  abus  avaient  rendu  l'église  Notre- 
Dame  de  Caen  une  seconde  Jérusalem  désolée.  Tout 
était  confondu  dans  le  désordre,  par  la  multiplicité 
et  l'inégalité  des  bancs ,  et  par  les  sépultures  gé- 
minées les  unes  sur  les  autres,  de  façon  qu'on  ne 
pouvait  pas  trouver  la  liberté  du  passage  dans  l'ordre 
des  processions,  et  qu'il  fallait  se  frayer  dans  l'église 
même  une  route  oblique ,  pour  y  pouvoir  marcher 
avec  décence  et  sûreté;  etc.  » 

Le  fait  est  que,  avant  cette  contestation ,  chacun  , 
pour  une  légère  offrande  de  vingt  ou  trente  sols,  se 
posait  comme  fondateur,  et  prétendait  jouir  à  perpé- 
tuité de  la  sépulture  dans  l'église.  La  cour  décida 
que  les  délibérations  prises  par  les  trésoriers  étaient 
exécutoires,  et  le  revenu  de  l'église  Notre-Dame, 
qui  était  descendu    à   trente- neuf  livres   dix  sols, 


DE  ÏUYEl \.  •'>! 

s'éleva  tout- à- coup  à  plus  de  mille  livres.  Ces 
chiffres,  qui  sont  extraits  de  la  procédure*  en  font 
mieux  apprécier  l'importance. 

Parmi  les  autres  ouvrages  de  l'abbé  Porée,  nous  La  Mandarine, 
citerons  encore  la  Mandarinade ,  qui  obtint  à  l'épo- 
que de  sa  publication  un  succès  prodigieux,  et  ache- 
va de  conquérir  à  l'abbé  de  Saint-Martin  l'immortalité 
du  ridicule.  Nous  connaissons  déjà  le  héros  de. cette 
singulière  aventure;  nous  savons  que,  plein  d'une 
étrange  vanité,  il  se  parait  avidement  des  titres  les 
plus  bizarres  et  les  plus  pompeux.  Ce  n'était  pas 
assez  pour  lui  d'avoir  obtenu  dans  son  voyage  à 
Rome  celui  de  protonotaire  du  saint-siége  aposto- 
lique, et  d'avoir  joint  aux  insignes  du  doctorat  en 
théologie  le  marquisat  de  Miskou,  dans  la  Nouvelle- 
France  :  il  se  laissa  persuader,  sur  la  fin  de  sa  vie, 
qu'il  était  élevé  au  rang  de  mandarin  du  premier 
ordre  dans  le  royaume  de  Siam  ,  grâce  aux  bons 
offices  du  chevalier  de  Chaumont,  notre  ambassadeur. 

On  était  alors  au  carnaval  de  1687.  Des  écoliers 
de  l'université,  déguisés  en  mandarins,  offrirent  un 
bonnet  pyramidal  à  l'ancien  recteur,  au  milieu  des 
scènes  les  plus  divertissantes.  On  lui  remit  une 
lettre  du  roi  de  Siam ,  qui  le  priait  instamment 
de  venir  dans  ses  états  pour  y  exercer  la  médecine; 
mais  une  lettre  de  cachet  lui  permit  de  répondre 
que  le  roi  de  France  n'y  consentirait  pas.  En  vain 
quelques  amis  essayèrent  de  le  désabuser;  l'abbé 
les  repoussa  comme  des  hommes  jaloux  de  sa  gloire, 
et  mourut  trois  ans  plus  tard,  sans  être  entièrement 
guéri  de  ses  illusions.  La  Mandarinade  est  précé- 


oi  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

dée  d'une  épîlre  dédicatoire  adressée  aux  habitants 
de  la  ville  de  Caen.  L'auteur  y  évoque  l'ombre  du 
héros  auquel  il  a  consacré  son  livre,  et  lui  fait  criti- 
quer, avec  une  verve  moqueuse,  les  mœurs  de  ses 
concitoyens,  qui  préféraient  à  cette  époque  les  dé- 
lices de  la  bonne  chère  au  culte  des  lettres  et  aux 
embellissements  de  la  cité. 
i/abbé  piuquet:      Comme  l'aîné  des  Porée,  l'abbé  Pluquet  n'appar- 

Dictionnaire       .•        .  t        -  î       t»  •    •  -vr  » 

des  hérésies,  tient  au  diocèse  de  Bayeux  que  par  son  origine.  Ne 
en  1716  dans  la  ville  épiscopale,  grand-vicaire  de 
M.  de  Choiseul,  qui  le  nomma  chanoine  de  Cambrai, 
il  obtint  à  Paris,  en  1778,  une  chaire  de  philoso- 
phie. De  son  temps,  les  attaques  contre  la  religion 
commençaient  à  se  répandre.  Les  encyclopédistes 
essayèrent  d'attirer  à  eux  l'abbé  Pluquet;  mais,  loin 
de  répondre  a  ces  avances,  il  combattit  les  nouvelles 
doctrines  dans  plusieurs  de  ses  ouvrages.  Le  plus 
célèbre  est  le  Dictionnaire  des  hérésies,  publié  en 
1762,  l'un  des  plus  exacts  et  des  plus  complets  qui 
aient  paru  sur  cette  matière.  La  plupart  des  articles 
dont  il  se  compose,  sont  des  mémoires  dans  les- 
quels, après  avoir  retracé  la  naissance,  les  progrès 
et  les  conséquences  de  chaque  hérésie ,  l'auteur 
oppose  à  leurs  principes  une  solide  réfutation.  On 
s'étonna  qu'il  eût  épargné  celle  de  Jansénius.  Cette 
omission  le  fit  soupçonner  d'attachement  au  parti  ; 
mais  au  moins  il  est  certain  qu'il  n'en  avait  adopté 
ni  les  travers  ni  les  passions. 


DE  BAYEUX.  :>3 


CHAPITRE  IV. 


Caractère  de  Msr  de  Luynes.  —  Ses  talents  oratoires.  —  Hom- 
mage rendu  à  sa  mémoire  par  M.  l'abbé  Bellenger.  — 11 
relève  l'Académie  de  Gaen.  — Discours  à  l'Académie  fran- 
çaise.—  Ses  travaux  pour  l'Académie  des  sciences. 


Caractère 
de 


Nous  ne  nous  proposons  pas  d'insister  davantage 
sur  les  troubles,  nés  de  l'hérésie,  que  Mgr  de  Luynes  M«* devine* 
eut  à  réprimer  dans  le  cours  de  son  épiscopat.  Les 
luttes  où  il  fut  engagé,  portent  toutes  le  même  carac- 
tère. Tantôt,  ce  sont  des  prêtres  turbulents  contre 
lesquels  il  est  obligé  de  recourir  a  l'intervention  du 
pouvoir  civil;  tantôt,  de  simples  fidèles,  obstinés 
•dans  l'erreur,  dont  les  familles  en  appelaient  au 
parlement  ou  au  lieutenant-général,  pour  leur  faire 
administrer  à  la  mort  les  secours  religieux.  Pour  peu 
qu'on  s'élève   au-dessus  des  considérations  qui  ont 


54  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

dicté  les  plaintes  ou  fomenté  la  révolte,  il  est  aisé 
de  reconnaître  que,  dans  ces  tristes  conjonctures, 
l'évêque  de  Baveux  obéit  toujours  aux  inspirations 
de  sa  conscience ,  et  sut  en  concilier  les  devoirs  avec 
les  ménagements  dont  il  tenait  à  ne  jamais  s'affran- 
chir. Apprenait-il,  soit  à  Bayeux,  soit  dans  le  cours 
de  ses  visites  pastorales,  qu'un  appelant  était  aux 
prises  avec  la  mort,  il  pénétrait  jusqu'à  lui  et  s'effor- 
çait de  le  convaincre.  On  cite  plusieurs  de  ses  diocé- 
sains dont  la  bonne  foi  avait  été  trompée ,  et  qui  se 
rendirent  à  la  force  de  ses  raisons.  D'autres,  au  con- 
traire, craignant  de  ne  pouvoir  lui  résister,  décla- 
raient par  testament  qu'ils  voulaient  mourir  dans  leur 
appel.  Les  Jansénistes  faisaient  grand  bruit  lorsqu'un 
acte  de  rigueur  lui  était  arraché  par  l'obstination  des 
sectaires  ;  il  serait  pourtant  difficile  d'excuser  ceux 
contre  lesquels  il  se  crut  obligé  de  sévir.  Il  restreignit 
à  sa  paroisse  le  fougueux  abbé  Morel,  curé  de  Saint- 
Germain-le-Vasson ,  qu'il  pressa  inutilement  de  signer 
le  formulaire  :  c'était  le  châtiment  que  lui  avait  déjà 
infligé  Mgr  de  Nesmond.  Malgré  les  instances  du  duc 
deValentinois,  Mgr  de  Luynes  retint  en  exil  le  curé  de 
Thorigny,  dont  la  défection  avait  entraîné  plusieurs 
de  ses  confrères.  L'abbé  Delaunay,  principal  du  col- 
lège de  Bayeux,  en  fut  chassé  en  4731.  Il  avait  lassé 
la  patience  du  prélat  par  sa  résistance  audacieuse  et 
l'insolent  orgueil  de  ses  réponses.  Enfin,  l'abbé  de 
Meherenc,  chanoine  de  la  Cathédrale,  fut  envoyé  en 
4732  au  séminaire  de  Caen.  Les  Nouvelles  ecclé- 
siastiques nous  apprennent  qu'il  était  un  de  leurs 
correspondants  ;   elles   le   plaignirent  «  d'avoir  été 


es  talents 

oratoires. 


DE  BÀYEUX.  •')•"> 

condamné  aux  bêtes  ;  »  mais  elles  eurent  soin  d'ajou- 
ter «  que  les  bêtes  ne  l'entameraient  pas.  »  En  effet, 
il  fut  exilé  à  Blois  et  ensuite  à  Auxerre,  où  il  mourut 
en  1749. 

On  a  pu  remarquer  que  Mgr  de  Luynes  regardait  la 
prédication  comme  un  devoir  de  sa  charge.  Il  est  cer- 
tain que,  dans  les  différentes  missions  de  son  diocèse, 
dont  il  était  toujours  le  principal  orateur,  on  ne  cessait 
d'admirer  l'élégance  de  sa  parole,  l'énergie  de  sa 
dialectique,  auxquelles  s'ajoutaient  l'éclat  et  la  véhé- 
mence des  inspirations.  De  la  chaire ,  il  passait  au 
confessionnal ,  et  y  consacrait  quelquefois  des  jour- 
nées entières  à  recevoir  les  aveux  des  pénitents.  Une 
circonstance  particulière  l'obligeait- elle  à  parler  en 
public  sans  y  être  préparé  ,  les  ressources  de  l'im- 
provisation ne  lui  faisaient  jamais  défaut.  On  raconte 
qu'un  jour,  l'orateur  qui  prêchait  en  sa  présence, 
étant  resté  court,  il  excusa  son  défaut  de  mémoire, 
prit  aussitôt  sa  place,  remplit  ses  divisions,  et  char- 
ma l'auditoire  par  son  éloquence. 

Il  y  avait  trente-cinq  ans  que  le  cardinal  de  Luynes 
avait  quitté  l'évêché  de  Bayeux  pour  l'archevêché  de  à  »a  mémoire 
Sens ,  lorsque  M.  l'abbé  Bellenger  fut  chargé  par 
l'Académie  de  Caen  de  prêcher  son  oraison  funèbre, 
dans  l'église  abbatiale  de  Saint-Etienne.  On  peut  donc 
en  quelque  sorte  accepter  comme  le  jugement  de 
l'histoire  le  témoignage  qu'il  rendit  alors  à  sa  piété 
et  à  son  caractère:  «  Sa  piété  fut  exemplaire,  nous 
dit-il,  au  milieu  des  scandales  qui  auraient  dû  l'affai- 
blir; on  le  vit  se  plier  avec  courage  à  la  discipline 
ecclésiastique,  si  opposée  à  la  licence  des  armes,  et 


iioiiun. 
rendu 


l'Académie 
de  ("aen. 


50  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

joindre  k  l'innocence  des  mœurs  la  ferveur  d'un  ana- 
chorète et  le  zèle  d'un  apôtre.  —  Il  n'avait  point 
celte  hauteur  dédaigneuse  qui  intimide,  cet  air  froid 
et  glacial  qui  fait  rougir  des  grâces  celui  qui  les 
sollicite.  Sa  protection  ne  se  montra  jamais  que  sous 
les  traits  de  la  bonté  la  plus  affectueuse,  et  ceux  qu'il 
refusait,  il  les  consolait  par  un  accueil  obligeant.  » 
Ce  n'était  pas  seulement  à  l'ancien  évêque  de 
Bayeux  que  s'adressait  ce  pieux  hommage:  l'Aca- 
démie n'avait  point  oublié  le  gracieux  empressement 
avec  lequel  le  prélat  lui  ouvrit  son  palais  ,  et  la 
restauration  qui  date  de  son  protectorat, 
relève  Fondée  en  1652,  par  M.  Moysant  de  Brieux,  l'Aca- 

démie des  sciences,  arts  et  belles-lettres  de  la  ville 
de  Caen  comptait  trente  titulaires  et  six  surnumé- 
raires, choisis  dans  les  congrégations  religieuses.  Le 
bureau  se  composait  d'un  protecteur,  qui  résumait 
en  lui  tous  les  pouvoirs;  d'un  directeur,  qui  prési- 
dait en  l'absence  du  premier  dignitaire,  puis  d'un 
secrétaire  et  d'un  lecteur.  La  compagnie  devait  se 
réunir  en  séance  particulière  une  fois  chaque  se- 
maine, et  donner  tous  les  mois  une  séance  publi- 
que. Ce  fut  à  ces  conditions  que  Louis  XIV  la  re- 
connut en  1705,  et  lui  accorda  des  lettres  patentes 
qui  l'instituent  à  perpétuité.  Le  '2.2  novembre  1708, 
Mgr  de  Nesmond  y  présenta  le  discours  que  Mgr  l'évê- 
que  de  Toul  avait  fait  à  l'ouverture  du  parlement  de . 
Paris,  et  en  demanda  la  lecture.  Dans  le  courant  de 
l'année  1714,  les  réunions  cessèrent  faute  de  Protec- 
teur. On  essaya  de  les  rétablir  à  l'arrivée  de  Mgr  de 
Lorraine  ;  on  lui  proposa  môme  de  relever  l'institu- 


DE  BAYEUX.  57 

tîon.  Il  le  promit,  mais  s'en  laissa  bientôt  détourner 
par  d'autres  préoccupations.  A  peine  Mgr  de  Luynes 
eut-il  pris  possession  de  son  siège,  qu'il  accepta  la 
même  tâche.  Le  11  janvier  1731,  il  installa  les  asso- 
ciés à  Caen  ,  dans  son  palais.  11  était  assidu  aux 
séances  ;  il  y  prononça  plusieurs  discours  ,  y  lut 
quelques  travaux,  notamment  l'éloge  de  Louis  XIV. 
Enfin,  sur  la  demande  de  l'Académie,  il  lui  fit  cadeau 
d'un  cachet  à  son  usage.  On  comptait  alors,  parmi 
les  membres  ecclésiastiques  ,  le  P.  André  ,  jésuite  ; 
le  P.  Macé,  cordelier,  et  D.  Le  Maître,  bénédictin  de 
Saint-Maur.  Le  P.  André,  ayant  fait,  en  1740,  l'ana- 
lyse de  tous  les  discours  qui  avaient  été  lus  dans 
le  cours  de  cette  année,  l'offrit  à  Mgr  de  Luynes, 
qui  lui  promit  d'envoyer  son  travail  à  l'auteur  du 
Mercure.  On  ne  voit  pas  que  le  prélat  ait  accom- 
pli sa  promesse.  En  1746,  il  présidait  la  réunion  à 
laquelle  fut  présenté  un  jeune  homme  de  dix-huit 
ans,  M.  d'Azy  de  Tavigny,  sourd  et  muet  de  nais- 
sance, auquel  un  portugais,  le  sieur  Pereyre,  avait 
appris  en  quatre  mois  à  lire,  à  écrire  et  à  prononcer 
plusieurs  mots  distinctement.  Tous  les  détails  de 
cette  transformation  merveilleuse  furent  confirmés  à 
l'Académie  par  le  P.  Casaux,  prieur  de  l'abbaye  de 
Beaumont-en-Auge,  sous  les  yeux  duquel  l'éducation 
s'était  faite.  Le  jeune  Tavigny,  interrogé  par  Monsei- 
gneur, répondit  avec  à-propos  à  différentes  questions 
qui  lui  furent  adressées.  A  l'époque  dont  nous  par- 
lons, ces  résultats  passaient  pour  un  prodige. 

W  de  Luynes  ayant  été  nommé  archevêque  de 
Sons,  en  1753,  l'Académie  le  pria  de  conserver  le 


58  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

litre  de  Protecteur;  mais,  à  partir  de  cette  époque, 
elle  tint  ses  séances  à  l'hôtel  de  ville. 
Discours  Après  la  mort  du  cardinal  de  Fleury,  l'Académie 
francise,  française ,  à  l'unanimité  ,  offrit  son  fauteuil  à  Mgr 
l'évoque  de  Bayeux.  Il  y  prononça,  le  46  mai  4743, 
un  discours  remarquable,  dans  lequel  on  admira  la 
finesse  et  l'élégance  de  son  esprit,  en  même  temps 
que  la  pureté  de  son  goût.  «  La  poésie,  l'éloquence, 
l'histoire,  dit-il,  à  ses  nouveaux  collègues,  tous  les 
genres  de  style,  môme  celui  de  la  conversation,  le 
plus  libre  de  tous  ,  sont  assujétis  à  vos  lois  ,  et 
quelque  ennemi  que  l'homme  soit  de  tout  empire , 
celui  que  vous  exercez ,  plaît  toujours,  parce  que 
vous  n'en  faites  usage  que  pour  notre  agrément  et 
notre  utilité.  Vous  avez  purgé  la  langue  française  de 
cette  barbarie  qui  la  défigurait,  de  cette  indécence 
qui  la  déshonorait,  de  cette  dureté  qui  la  rendait  si 
choquante,  et,  ce  qui  est  du  moins  aussi  précieux, 
de  cet  excès  contraire,  où  la  fausse  délicatesse  et 
les  recherches  trop  curieuses  avaient  engagé  quel- 
ques-uns de  nos  écrivains  modernes.  Parée  de  l'élé- 
gance, de  la  justesse,  des  grâces,  de  l'harmonie  que 
vous  lui  avez  données ,  elle  a  entraîné  toutes  les 
nations;  elle  est  devenue  la  langue  universelle;  on 
la  parle  dans  toutes  les  cours  ;  on  se  fait  honneur 
chez  les  étrangers  de  l'étudier  d'après  vous,  et  d'en 
connaître  toutes  les  délicatesses;  elle  a  vaincu  jus- 
qu'au préjugé  que  l'on  a  pour  la  langue  de  son  pays. 
Par  là,  vous  avez  facilité  ce  commerce  d'esprit  si 
profitable  aux  uns  et  aux  autres  ;  toutes  les  richesses 
de  l'étranger  sont  parvenues  jusqu'à  nous;  toutes  les 


pour  l'Académie 
des  sciences. 


DE  BAVEUX.  <V.) 

nôtres  ont  été  portées  jusqu'à  lui ,  et  l'empire  des 
lettres  est  devenu  florissant.  » 

Dans  sa  réponse  au  récipiendaire,  le  directeur, 
M.  de  Montcrif,  fit  valoir  comme  un  service  impor- 
tant rendu  à  la  littérature  la  restauration  de  l'Aca- 
démie de  Caen,  cette  fille  aînée  de  l'Académie  fran- 
çaise. «  Elle  avait,  dit-il,  attiré  nos  regards  dans  ses 
diverses  fortunes;  nous  regrettions  sa  gloire  passée 
sans  prévoir  que  le  renouvellement  de  cette  même 
gloire  ajouterait  un  jour  a  la  nôtre.  » 

A  une  élocution  facile  et  ornée,  à  la  maturité  du  ses  travaux 
jugement,  Mgr  de  Luynes  joignit  un  goût  prononcé 
pour  les  sciences  mathématiques  et  les  sciences  natu- 
relles. II  avait  fait  élever  un  observatoire  à  sa  maison 
de. campagne  de  Sommervieu;  il  fut  reçu  membre 
honoraire  de  l'Académie  des  sciences,  et  y  présenta, 
depuis  1761  jusqu'en  1772,  plusieurs  travaux  inté- 
ressants, parmi  lesquels  on  cite  un  mémoire  sur  le 
mouvement  du  mercure  dans  les  baromètres  dont 
les  tubes  sont  de  diamètres  inégaux,  et  chargés  par 
des  méthodes  différentes. 

Enfin ,  dans  les  deux  diocèses  qu'il  administra 
successivement,  on  le  vit  assister  aux  exercices  litté- 
raires des  écoliers,  y  déployer  autant  d'aisance  que 
d'à-propos  et  de  sagacité.  On  lui  doit,  à  Sens  comme 
à  Bayeux,  la  restauration  des  bonnes  études,  et  dans 
ces  deux  diocèses,  les  gens  de  lettres  le  trouvèrent 
toujours  disposé  à  les  protéger  ou  à  les  secourir. 


60  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


CHAPITRE  \ 


Changements  opérés  par  Mgr  de  Luynes —  dans  le  bréviaire,  — 
dans  le  missel. —  Voivenel,  auteur  du  plain -chant.  —  Sa  ma- 
nière de  procéder. — Rituel  de  Msr  de  Luynes.  — Modifications 
introduites  par  Msr  de  Rochechouart  et  M8r  de  Cheylus.  — 
Bréviaire  de  Londres.  —  Projet  de  Msr  Duperrier.  —  Lettre 
de  Msr  Robin  à  S.  S.  Pie  IX. 


Un  siècle  s'était  écoulé  depuis  que  M^r  cTAngennes 

et  Mgr  de  Nesmond  avaient  rédigé ,  conformément  à 

changements    ja  liturgie  romaine,  l'un  le  missel,  l'autre  le  bréviaire 

opérés  par 

■g'  do  Luynes.  de  Bayeux ,  lorsque  Mgr  de  Luynes  renouvela  l'édition 
de  tous  nos  livres  d'église.  Nous  n'avons  pas  à  discu- 
ter ici  les  motifs  qui  le  portèrent  à  s'écarter  des  tra- 
ditions suivies  par  ses  illustres  prédécesseurs.  Il  crut 
sans  doute,  comme  beaucoup  d'autres  évêques  de 
France,  devoir  faire  aux  exigences  de  la  critique  cer- 
taines concessions  qui,  de  nos  jours,  ont  été  diverse- 
ment appréciées.  Observons  toutefois  que  plusieurs 
de  ses  collègues  l'avaient  précédé  dans  la  voie  des 


DE  BAVEUX.  <>l 

réformes,  et  que,  s'il  s'y  engagea,  ce  fut  avec  une 
extrême  prudence.  Que  l'on  compare,  en  effet,  à  nos 
livres  d'église  ceux  qui  parurent  à  la  même  époque 
dans  d'autres  diocèses,  et  l'on  trouvera  chez  nous, 
plus  que  partout  ailleurs ,  des  restes  précieux  de  la 
liturgie  romaine.  Du  reste,  quelle  que  soit  l'opinion 
que  l'on  adopte  sur  ces  graves  questions,  on  est 
forcé  de  reconnaître  qu'en  publiant  un  bréviaire,  un 
missel  et  des  livres  de  chant,  Mgr  de  Luynes  n'avait 
point  démérité  du  saint-siége  :  ce  fut  en  1749  qu'il 
mit  la  dernière  main  à  ses  travaux  liturgiques,  et  en 
1756,  Benoît  XIV  le  nomma  cardinal. 

Les  changements  qu'il  opéra  dans  le  bréviaire  de 
Bayeux,  consistèrent  principalement  à  remplacer 
une  partie  des  hymnes  anciennes ,  dont  la  poésie 
était  sensiblement  défectueuse ,  par  des  hymnes 
nouvelles;  à  substituer  aux  antiennes,  aux  répons 
et  aux  versets  de  style  ecclésiastique,  des  versets, 
des  antiennes  et  des  répons  tirés  de  l'Écriture 
sainte;  à  supprimer  dans  les  légendes  plusieurs  faits 
qui  semblaient  dépourvus  de  preuves  ;  à  mettre  en 
regard  dans  le  même  morceau ,  par  exemple  dans  les 
répons  ,  des  extraits  des  deux  Testaments,  pour  en 
mieux  faire  sentir  la  conformité  ;  à  terminer  chaque 
jour  la  première  des  petites  heures  par  la  réci- 
tation des  décrets  d'un  concile.  De  plus,  le  bruit 
s'étant  répandu  que  Mgr  de  Luynes  préparait  une 
édition  du  bréviaire,  il  avait  reçu,  dès  l'année  1730,    changements 

,  „  ,  ,  dans  le  bréviaire. 

une  pièce  de  vers  français  composée  par  les  profes- 
seurs du  collège  du  Bois,  qui  lui  demandaient  avec 
instance  que  l'office  fût  abrégé.  En  effet,  les  dix- 


<>2  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

huit  psaumes  que  l'on  récitait  le  dimanche  à  matines, 
furent  réduits  à  neuf.  On  retrancha  trois  psaumes 
de  laudes,  un  de  prime,  un  des  complies  et  trois  de 
l'office  de  la  férié,  chaque  jour  de  la  ^semaine  :  telle 
est  l'origine  du  bréviaire  actuel.  Il  fut  imprimé  à 
Bayeux,  chez  Briard,  en  1738. 

On  a  reproché  avec  raison  à  quelques  évoques 
français  d'avoir  abusé  de  ces  innovations  pour  intro- 
duire dans  la  prière  publique  des  tendances  favora- 
bles à  l'hérésie.  Ce  reproche  ne  peut  atteindre  Mgr  de 
Luynes.  Le  parti  janséniste,  nous  en  avons  la  preuve 
en  main,  se  plaignit  «  des  préjugés  du  pasteur,  » 
qui  avaient  rendu  «  l'entreprise  imparfaite.  »  Il 
regretta  surtout  que  l'on  eût  rejeté  les  hymnes  de 
Coffin,  «  sous  prétexte  que  ce  poète  n'était  pas  assez 
favorable  à  la  constitution.  »  Ainsi  donc,  quand 
même  Mgr  de  Luynes  n'aurait  pas  toute  sa  vie  dé- 
ployé contre  le  jansénisme  une  sévérité  inexorable, 
ses  adversaires  se  chargeraient  d'établir  qu'il  éloigna 
systématiquement  de  nos  livres  d'église  tout  ce  qui 
aurait  pu  en  faire  suspecter  l'orlhodoxie. 
changements  Le  missel  fut  imprimé  à  Paris,  en  1743,  et,  comme 
le  bréviaire,  il  eut  à  subir  quelques  changements. 
Le  plus  important  consiste  dans  l'adjonction  d'une 
prose  aux  principales  fêtes  de  l'année.  Du  reste,  ils 
furent  empruntés  en  grande  partie  au  missel  de 
Paris,  qui  venait  d'être  publié.  Mgr  de  Luynes  s'en 
fait  un  mérite  dans  la  préface  ;  on  y  voit  également 
qu'il  s'était  entouré  des  conseils  de  son  chapitre. 
Parmi  les  ecclésiastiques  qui  furent  conviés  à  ce  tra- 
vail, l'histoire  a  conservé  le  nom  de  l'abbé  Moussard, 


dans 
le  missel. 


DE  BÀYEUX.  ïù\ 

frère  de  l'architecte.,  vicaire-général  pendant  la  va- 
cance du  siège  et  sons  l'administration  de  Msr  de 
Luynes.  On  sait  qu'il  eut  une  grande  part  à  la  révi- 
sion du  missel  et  à  la  transformation  du  bréviaire. 
Celle  des  livres  de  chant  fut  confiée  à  un  habitant     voitenei, 

•  auteur 

de  Vire,  nommé  Yoivenel.  (1).  Que  doit-on  penser  du piam-chnnt. 

de  son  travail?  Nous  avons  fait  cette  question  à  l'un 

de  nos  confrères,  auquel  la  pureté  de  son  goût  et 

des  études  spéciales,  consignées  dans  un  livre  trop 

peu  connu,  donnent  le  droit  de  la  résoudre  ;  voici 

en  abrégé  ce  que  M.  l'abbé  Dolé  a  bien  voulu  nous 

répondre  : 

Dans  nos  livres  d'église,  nous  dit-il,  tout  ce  qui 
est  fondamental,  tout  ce  qui  tient  à  la  constitution 
du  plain-chant,  a  été  respecté.  Le  chant  bayeusain, 
loin  d'être  affreux,  comme  l'a  prétendu  un  critique 
célèbre,  compte  un  grand  nombre  de  pièces  remar- 
quables. Il  est  coulant,  il  flatte  l'oreille,  il  est  surtout 
d'une  exécution  extrêmement  facile;  mais  il  n'observe 
pas  toujours  assez  fidèlement  les  règles  du  plain- 
chant  grégorien  dans  tous  leurs  cas  d'application.  De 
plus,  on  ne  rencontre  clans  nos  livres  que  de  rares 
exemples  des  anciens  modes   ou   tons ,  qui  appa- 


(1)  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  discuter  Je  chiffre  de  la 
somme  qui  lui  fut  allouée,  —  trois  mille  francs  d'après  les 
uns,  trente  mille  francs  selon  les  autres.  —  Disons  seulement 
que  ceux  qui  tiennent  pour  la  dernière,  ne  semblent  pas  s'être 
rendu  un  compte  bien  exact  de  la  différence  qui  existe  entre 
les  valeurs  anciennes  et  les  valeurs  actuelles.  Trente  mille 
francs  représentaient,  il  y  a  plus  d'un  siècle,  une  somme 
énorme,  que  le  chapitre  ou  l'évêché  de  Baveux  n'eût  pas  cru 
sans  doute  pouvoir  accorder. 


de  procéder. 


64  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

raissent  fréquemment  dans  le  romain.  Les  mêmes 
formules,  dans  chacun  des  tons,  se  reproduisent  con- 
stamment ;  les  chutes ,  les  repos  sont  préparés  et 
amenés  de  la  môme  manière,  comme  si  le  compo- 
siteur avait  coulé  les  pièces  de  chaque  ton  dans  un 
moule  uniforme.  Ce  reproche  ,  que  font  tous  les 
connaisseurs  à  nos  livres  d'église,  est  indubitable- 
ment fondé.  Maintenant  si  l'on  compare  les  livres 
romains  au  graduel  et  à  l'antiphonaire  de  Bayeux, 
on  trouvera  souvent  le  même  texte  de  part  et  d'autre, 
sa  manière  mais  avec  un  chant  tout  différent.  Ici  on  abrège  les 
neumes;  là  on  en  introduit  dans  le  morceau  que  l'on 
imite  ;  ailleurs  on  se  contente  d'allonger  la  phrase 
musicale  ;  quelquefois  l'auteur  commence  sa  pièce 
comme  l'ancien  livre,  la  poursuit  pendant  plusieurs 
portées,  sans  abandonner  complètement  son  modèle, 
pour  terminer  ensuite  à  sa  fantaisie.  Il  est  clair, 
ajoute  M.  Dolé ,  que  l'auteur  partageait  les  idées  de 
son  temps,  ou  du  moins  qu'il  en  subissait  l'influen- 
ce. Il  était  difficile  que  le  chant  romain  parût  accep- 
table à  une  époque  de  réaction  contre  les  anciennes 
liturgies. 

Les  proses  et  les  hymnes  sont  pour  la  plupart  des 
morceaux  d'emprunt.  Voivenel  chercha  fortune  de 
tout  côté,  et  profita  souvent  du  travail  d'autrui,  en 
le  retouchant  à  sa  manière.  En  général,  le  chant  des 
proses  est  écrit  d'un  style  vif  et  animé  ;  elles  respi- 
rent l'allégresse  qui  doit  remplir  noire  âme  aux 
grandes  solennités  :  c'est  la  partie  de  l'office  à  la- 
quelle le  peuple  est  le  plus  attaché,  et  qu'il  est  le 
plus  à  désirer  qu'on  lui  conserve. 


DE  IUYEUX.  65 

Ce  fut  à  Paris,  chez  J.-B.  Coignard,  que  Mgr  de 
Luynes  fit  imprimer  ses  livres  de  chant:  l'antipho- 
naire  en  1739,  le  graduel  en  1745.  Les  remarques 
que  nous  venons  de  faire  sur  l'un  et  sur  l'autre , 
sont  applicables  au  processionnaire.  Il  fut  publié  par 
le  même  éditeur,  en  1749. 

La  nouvelle  édition  du  rituel  avait  paru  en  1743;       Ritucl 
elle  était  conforme  au  rituel  de  Rouen,  que  venait  de  Mg*  de  Luynes. 
publier  Mgr  de  Saulx-Tavanes.   Mgr  de  Luynes  s'ap- 
plaudit, dans  la  préface,  d'avoir  fait  cet  emprunt  à  la 
métropole,  a  l'exception  de  quelques  usages  particu- 
liers à  son  Église ,  qu'il  a  cru  devoir  conserver. 

Mgr  de  Rochechouart  donna,  en  1771,  une  édition    Modifications 
du  bréviaire,  dans  laquelle  il  introduisit  l'office  de    pTJm!sl 
saint  Vincent  de  Paul,  canonisé  par  le  pape  Clément de  Iloc',fLhoiia,t 

r  l      l  et  de  Cheylus. 

XII,  en  1737,  et  celui  de  sainte  Jeanne- Françoise 
(Fremiot  de  Chantai),  canonisée  par  Clément  XIII, 
en  17G7,  quinze  ans  après  sa  béatification  (1).  Une 
assemblée  générale  du  clergé,  qui  eut  lieu  à  Paris 
en  1765,  avait  décidé  qu'un  culte  solennel  serait 
rendu  par  toute  la  France  au  Cœur  de  Jésus-Christ. 
Ce  fut  alors  que  cette  fête  prit  rang  dans  la  liturgie, 
sous  le  rite  double -majeur,  le  troisième  dimanche 


(1)  La  béatification  de  sainte  Jeanne-Françoise  avait  eu  lieu 
sous  MBr  de  Luynes ,  en  1752.  L'abbé  Porée  en  raconta  les 
détails ,  sur  la  demande  des  religieuses  de  la  Visitation.  Il 
réfute  avec  sagesse  l'impiété  raisonneuse  qui  aurait  voulu 
que  la  religion  supprimât  ces  pieuses  cérémonies;  mais  ce  n'est 
déjà  plus  le  naïf  enthousiasme  de  l'abbé  Marcel  ou  l'ardente 
piété  de  M.  de  Guerville,  que  nous  avons  vus,  dans  le  siècle 
précédent,  décrire  des  solennités  du  même  genre.  En  lisan E 
*a  narration,  on  sent  qu'il  se  préoccupait  des  contradicteurs. 

5 


06  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

après  la  Pentecôte.  On  la  célébrait  déjà  dans  la 
congrégation  du  P.  Eudes,  où  il  l'avait  établie,  en 
1672,  avec  la  permission  de  Mgr  de  Nesmond.  Mgr  de 
Rochechouart  ordonna  qu'elle  fût  célébrée  dans  toute 
Fétendue  de  son  diocèse. 

Mgr  de  Cheylus  publia,  en  1783,  une  nouvelle  édi- 
tion du  missel,  qu'il  fit  imprimer  à  Caen,  chez  Gilles 
Le  Roy.  Il  répéta,  en  se  l'appropriant,  la  lettre  pom- 
peuse que  Mgr  de  Luynes  avait  composée  pour  le 
sien.  Celui-ci  avait  introduit  deux  nouvelles  préfa- 
ces, l'une  pour  le  temps  de  l'Avent,  l'autre  en  l'hon- 
neur de  tous  les  Saints.  Mgr  de  Cheylus  fit  quelques 
corrections  dans  la  dernière  (1),  et  en  ajouta  deux 
autres,  qui  peuvent  être  citées  parmi  les  plus  re- 
marquables :  celle  de  la  Dédicace  et  celle  que  l'on 
chante  à  la  messe  pour  les  défunts.  D.  Guéranger, 
lui-même,  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  la 
beauté  de  la  dernière;  elles  sont  empruntées  l'une 
et  l'autre  au  diocèse  de  Paris.  On  doit  encore  àMgrde 
Cheylus  une  édition  portative  du  missel,  imprimée  à 
Lyon,  en  1790. 
Bréviaire  Pendant  que  nos  prêtres  étaient  dispersés  par  la 
Terreur,  quelques-uns  d'entre  eux  obtinrent  d'un 
libraire  de  Londres,  F.  Le  Boussonnier,  qu'il  réimpri- 
mât le  bréviaire  de  Bayeux.  Cette  édition ,  conforme 
à  la  précédente,  parut  sans  nouvelle  approbation,  en 
1799,  deux  ans  après  la  mort  de  Mgr  de  Cheylus. 

(1)  Et  eorum  coronando  mérita  coronas  doua  tua...  Cujus 
sanguine  ministratur  nobis  introitus  in  œternum  regnum. 
Ces  deux  phrases  ne  se  trouvent  pas  dans  l'édition  de  iMgr  de 
Luynes. 


DE   liAYEUX.  07 

Occupé  de  relever  les  ruines  du  sanctuaire,  Mgr 
Brault  n'apporla  aucun  changement  à  la  récitation 
de  l'office  divin  ;  seulement,  pour  se  conformer  aux 
prescriptions  du  cardinal  Caprara,  il  établit,  en  4802, 
la  mémoire  des  saints  apôtres,  le  jour  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Paul,  et  celle  des  saints  martyrs,  le  jour 
de  Saint-Etienne. 

Son  successeur,  Mgr  Duperrier,  voulut,  en  1826,        p™& 

de  Mgr  Duperrier. 

adopter  le  rite  parisien.  Il  se  proposait  d  abréger  les 
légendes  du  propre  des  saints ,  en  conservant  le  ca- 
lendrier, et  de  remplacer  certaines  hymnes,  qui  lui 
semblaient  contraires  a  la  pureté  du  goût.  L'abbé  de 
La  Rue  ,  professeur  à  la  faculté  des  lettres,  auquel 
il  demanda  de  réviser  les  légendes,  combattit  res- 
pectueusement son  projet,  qui  fut  abandonné  après 
avoir  reçu  un  commencement  d'exécution.  Monsei- 
gneur se  contenta  d'élever  au  degré  de  solennelle- 
majeure  la  fête  du  Sacré-Cœur  de  Jésus,  et  celle  des 
apôtres  saint  Pierre  et  saint  Paul  :  son  ordonnance 
est  du  3  juillet  4824. 

M«r  Dancel  a  donné,  en  4830,  une  édition  du 
bréviaire,  à  laquelle  il  ne  fit  aucun  changement. 

Depuis  1838,  on  récitait  à  Bayeux  le  Commun  des 
Prêtres,  emprunté  au  diocèse  de  Rouen.  Mgr  Robin 
permit  qu'on  l'imprimât  dans  le  bréviaire,  qui  fut 
publié  sous  un  petit  format,  en  1844.  Peu  de  temps 
avant  sa  mort ,  il  écrivit  au  souverain  pontife ,  et 
lui  exprima  l'intention  d'établir  parmi  nous  le  rite 
romain  ;  il  attendait  une  réponse  officielle  de  la 
cour  de  Rome  pour  concerter,  avec  le  chapitre  de  la 
Cathédrale,  l'exécution  de  cette  mesure. 

c  5 


68  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Liturgie  romaine.  Le  moment  était  arrivé  où  nos  anciens  bréviaires 
allaient  disparaître.  Pour  conserver  le  culte  des 
saints,  vénérés  dans  nos  contrées,  et  dont  l'office 
n'était  pas  compris  dans  le  bréviaire  romain,  il  fallait 
que  le  souverain  pontife  l'approuvât.  Le  diocèse  ac- 
tuel de  Bayeux  ayant  été  formé,  en  1802,  de  quatre 
diocèses  différents  —  Lisieux ,  Séez  ,  Coutances  et 
Bayeux  —  Mgr  Didiot  voulut  emprunter  à  chacun 
d'eux  le  nom  des  saints  dont  il  se  proposait  de  glo- 
rifier la  mémoire.  Il  les  divisa  en  trois  catégories:  — 
les  saints  qui  ont  illustré  la  Gaule,  —  les  saints  que 
l'on  révère  comme  les  patrons  de  la  Normandie,  et 
qui  en  furent  aussi  les  apôtres,  —  ceux  qui  sont  nés 
dans  le  diocèse  que  nous  habitons,  ou  dont  le  voca- 
ble fut  adopté,  primitivement,  par  quelques-unes  de 
nos  paroisses.  Sa  Sainteté  daigna  reconnaître  que 
tous  les  saints  dont  se  composait  notre  calendrier, 
avaient  droit  aux  honneurs  liturgiques.  Mgr  Didiot 
eut  donc  la  consolation,  comme  il  l'a  écrit  lui-même, 
de  conserver  «  tous  les  grands  souvenirs  de  cette 
contrée  si  féconde  en  vertus.  »  Le  mandement  d'où 
sont  tirées  ces  paroles  fut  publié  le  14  mai  1802  ;  il 
annonce  que  le  changement  de  liturgie  aura  lieu 
dans  le  cours  de  la  môme  année,  aux  premières 
vêpres  de  l'Assomption.  A  partir  de  ce  moment,  les 
offices  approuvés  par  Sa  Sainteté  Pie  IX,  pour  l'usage 
de  notre  diocèse  ,  furent  ajoutés ,  à  titre  de  supplé- 
ment, dans  nos  livres  d'Église. 


DE  BAYEUX.  09 

*7Tff"n  Tnr"a'Tnr's"8"TirTTnnnnriîTT*c"TY'irT'S'"«'  ï'Tnj'Tnnnr^ 


CHAPITRE  VI. 


Séminaire  de  la  Délivrande.  —  École  de  la  Providence ,  à 
Bayeux. — Manufacture  de  dentelles.  —  Bureau  de  charité. 
—  Place  des  magistrats  à  la  Cathédrale.  —  Calvaire  de 
Bayeux. — Chapelles  de  Caen.  —Représentations  adressées 
au  roi  par  Mgr  de  Luynes. 


Dans  la  préface  d'un  livre  qui  a  compté  jusqu'à  séminaire 
vingt-quatre  éditions,  et  dont  l'une  parut  en  4  743  de 
avec  l'approbation  de  Mgr  de  Luynes,  on  trouve  des 
détails  circonstanciés,  que  nous  croyons  devoir  repro- 
duire ,  sur  le  séminaire  de  la  Délivrande ,  confié  , 
comme  celui  de  Bayeux ,  à  la  direction  des  Laza- 
ristes. L'abbé  Daon,  auteur  de  ce  livre,  qui  a  pour 
titre  Conduite  des  confesseurs,  était  membre  de  la 
congrégation  du  P.Eudes;  il  a  publié,  dans  le  genre 
ascétique,  plusieurs  ouvrages  assez  estimés.  Il  nous 
apprend  que  le  séminaire  de  la  Délivrande  était  ouvert 


70  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

aux  jeunes  prêtres  qui  désiraient  se  faire  approuver 
pour  la  confession.  On  les  y  préparait  par  des  exer- 
cices convenables.  Chaque  jour,  on  leur  expliquait 
des  questions  de  théologie  morale  ;  on  leur  apprenait 
à  résoudre  des  cas  de  conscience  qu'ils  se  proposaient 
l'un  à  l'autre  sous  la  présidence  et  le  contrôle  de  leurs 
directeurs  ;  on  leur  traçait  des  règles  de  conduite 
n  vers  les  pénitents,  soit  pour  les  éloigner  des  occa- 
sions, soit  pour  les  guérir  de  leurs  scrupules.  Enfin, 
on  les  exerçait  à  faire  le  prône  et  le  catéchisme  ; 
on  les  initiait  à  l'administration  des  sacrements  et  à  la 
visite  des  malades.  Nous  ne  saurions  dire  combien 
de  temps  dura  cette  organisation ,  dont  l'auteur  fait 
ressortir  avec  raison  les  précieux  avantages  ;  mais  il 
est  au  moins  certain  qu'elle  avait  été  modifiée  sous 
l'ancien  régime.  Nous  lisons,  en  effet,  dans  le  pouillé 
de  M.  Delamare:  «  Il  y  a  aussi  à  la  Délivrande  un 
séminaire  qui  n'est  occupé  que  par  un  prêtre  qualifié 
de  supérieur.  »  L'auteur,  ordinairement  si  exact, 
quand  il  parle  des  hommes  ou  des  choses  de  son 
temps ,  n'eût  pas  employé  ces  expressions  restric- 
tives, si,  à  l'époque  où  il  écrivait,  la  maison  eût  en- 
core été  en  plein  exercice. 
r.coie  Sous  l'épiscopat  de  Mgr  de  Luynes  ,   la  ville  de 

de  la  Providence,  -r»  •.        ,  ,7  t  i        •  .• 

à  Baye».  Bayeux  vit  s  élever  dans  ses  murs  plusieurs  insti- 
tutions importantes.  M.  Suhard  de  Loucelles,  cha- 
noine de  la  Cathédrale,  originaire  de  la  cité,  y  fonda, 
en  1747,  une  école  et  une  manufacture  de  dentelles 
au  faubourg  Saint-Loup,  dans  le  voisinage  de  l'église 
Notre-Dame-de-la-Poterie.  La  direction  en  fut  confiée 
à  trois  Sœurs  de  la  Providence,  pour  la  subsistance 


de  dentelles. 


DE.  BAVEUX.  71 

et  l'entretien  desquelles  le  fondateur  déposa  quatre 
mille  francs  entre  les  mains  des  administrateurs  de 
l'hôpital  -général  ;  ceux-ci  les  convertirent  en  deux 
cents  livres  de  rentes.  Mlle  Scelles  de  Létanville,  tante 
de  l'abbé  Suhard,  avait  concouru  à  cette  fondation. 

L'abbé  Baucher,  membre  du  chapitre,  sous  l'épis-  Manufacture 
copat  de  Mgr  de  Nesmond,  avait  déjà  organisé  une 
salle  de  travail  sur  l'emplacement  de  l'église  Saint- 
Georges.  Après  sa  mort,  qui  arriva  en  1709,  on  y 
ajouta  une  manufacture  de  dentelles.  Mais,  en  4752, 
le  corps  de  l'église,  qui  avait  été  converti  en  salle 
d'exercice,  s'écroula  subitement,  tandis  qu'on  répa- 
rait les  fondations.  Quatorze  personnes  furent  écra- 
sées, et  soixante-dix ,  blessées  grièvement.  La  salle 
fut  restaurée  par  M.  l'abbé  Hugon,  vicaire-général  et 
supérieur  de  cet  établissement;  on  y  comptait  alors 
deux  cents  ouvrières. 

L'abbé  Hugon,  originaire  du  diocèse  de  Limoges, 
docteur  de  Sorbonne,  avait  été  amené  à  Bayeux  par 
Mgr  de  Luynes  en  1729;  il  fut  nommé  vicaire-général, 
chanoine  de  Cully  et  archidiacre  d'Hyesmes  en  1735. 
Enfin,  il  devint  officiai  du  diocèse  en  1750,  sur  l'abdi- 
cation de  l'abbé  Moussard.  Il  avait  aussi  succédé  à 
l'abbé  de  Graville,  comme  vice-chancelier  de  l'uni- 
versité de  Caen.  Le  titre  de  premier  aumônier  de 
Mme  la  dauphine ,  conféré  à  l'évêque  de  Bayeux ,  en 
1747,  l'obligeait  de  résider  souvent  à  la  cour;  ce  fut 
l'abbé  Hugon  qui  le  représenta  dans  l'administration 
du  diocèse.  «  Il  en  soutint  le  poids  avec  honneur, 
dit  l'abbé  Beziers;  il  aimait  le  bien  et  en  avait  fait 
beaucoup  dans  la  ville.  »  Il  restaura,  disons-nous, 


72  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

la  manufacture  de  la  Providence,  à  Saint-Exupère , 
et  y  lit  élever  gratuitement  plusieurs  jeunes  filles 
de  condition,  privées  des  ressources  de  la  fortune. 
Il  plaça,  en  1753,  la  première  pierre  d'un  bâtiment 
construit  sur  la  paroisse  Saint-Laurent,  pour  y  éta- 
blir une  manufacture  de  laine  et  de  coton,  et  con- 
tribua «  plus  que  personne,  »  nous  dit  encore  son 
Bureau  biographe,  au  succès  de  cette  entreprise.  Enfin,  ce 
déchante.     ^  ^  ges  jnSpirations  que  ja  ville  de  Bayeux  dut 

l'établissement  d'un  bureau  de  charité,  pour  soula- 
ger les  pauvres  et  supprimer  les  mendiants.  Cette 
administration ,  fondée  en  4751 ,  sous  la  présidence  de 
l'évêque,  se  composait  de  membres  pris  dans  tous  les 
corps  constitués.  Les  amendes,  les  dons  volontaires, 
une  quête  annuelle  :  telles  étaient  les  ressources  de 
l'association.  On  faisaitr  tous  les  mois,  aux  curés  de 
la  ville  la  distribution  des  aumônes.  Cet  établisse- 
ment mérita  les  éloges  des  premiers  magistrats  de  la 
province. 
piaco  Écoutons  maintenant  l'abbé  Beziers  nous  rendre 

à bcTiSdnto.  compte  d'un  conflit  assez  bizarre,  qui  s'éleva  de  son 
temps  entre  le  chapitre  de  la  Cathédrale  et  les  officiers 
de  l'ordre  administratif  et  judiciaire.  Il  s'agissait  de 
la  place  que  ceux-ci  devaient  occuper  à  l'église,  quand 
ils  y  étaient  convoqués  pour  quelque  cérémonie. 

«  Le  dimanche  4  septembre  1746,  nous  dit-il,  on 
chanta  le  Te  Beum ,  auquel  officia  Monsieur  l'évêque 
de  Bayeux,  pour  la  prise  des  villes  de  Mons  et  Char- 
leroy.  Le  clergé  séculier  et  régulier  y  assista,  selon 
l'usage,  mais  placé  dans  le  chœur  différemment  qu'il 
ne  l'avait  été  auparavant  ;  car,  au  lieu  que  les  ecclé- 


DE  BAVEUX.  73 

siastiques  et  les  religieux  occupaient  ci -devant  et 
sans  distinction  le  côté  droit,  depuis  le  sanctuaire  jus- 
qu'à la  porte  collatérale,  vis-a-vis  la  grande  sacristie, 
les  premiers  furent  assis  sur  des  bancs  placés  de- 
vant les  stalles  des  chanoines,  et  les  seconds  demeu- 
rèrent dans  le  sanctuaire.  »  Voici  maintenant  à  quelle 
occasion  le  changement  avait  eu  lieu  :  «  Les  premiers 
officiers  de  justice  et  de  la  ville  se  plaçaient  par  usage 
parmi  les  chanoines.  »  Les  autres  occupaient  proba- 
blement le  côté  gauche  du  chœur,  entre  le  sanctuaire 
et  le  pçtit  lutrin.  Cependant,  continue  l'abbé  Beziers, 
les  hauts  fonctionnaires,  non  contents  de  prendre  rang 
parmi  les  chanoines,  «  prétendirent,  en  vertu  d'un 
arrêt  sous  requête  qu'ils  avaient  obtenu  depuis  peu, 
forcer  les  dignitaires  à  leur  céder  la  place ,  comme 
représentant  la  personne  du  roi.  Mais  ils  en  furent 
évincés  par  un  arrêt  contradictoire  en  faveur  du  cha- 
pitre, et  obligés  d'aller  se  placer  dans  des  chaises, 
que  MM"  du  chapitre  sont  tenus  de  leur  faire  prépa- 
rer entre  le  candélabre  et  le  sanctuaire,  MMrs  de  ville 
du  côté  de  l'évangile,  et  MMrs  du  bailliage  du  côté 
de  l'épître.  L'arrêt  obtenu  par  le  chapitre  maintient 
chaque  dignitaire  et  chanoine  dans  la  possession  de 
sa  place  ordinaire,  et  défend  à  aucun  des  officiers  de 
robe  de  les  inquiéter,  mais  leur  enjoint  de  prendre 
séance  dans  le  lieu  honnête  qui  leur  sera  désigné  dans 
le  chœur  dorénavant.  » 

Nous  renvoyons  aux  Pièces  justificatives  un  autre 
mémoire  du  même  historien ,  touchant  l'érection  d'un    de  Bay,ux* 
calvaire  à  Bayeux,  en  1747.  Ce  fut  à  la  suite  d'une 
mission,  durant  laquelle  se  convertirent  trente  soldats 


Calvaiio 


74  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

protestants  du  régiment  de  Berwick ,  que  ce  calvaire 
fut  inauguré  «  contre  l'église  des  Cordeliers.  »  Mgr  de 
Luynes,  retenu  à  la  cour,  pendant  les  exercices  de  la 
mission,  par  les  devoirs  que  lui  imposait  sa  charge, 
voulut  à  son  retour  officier  pontificalement,  le  jour  de 
l'invention  de  la  Sainte-Croix ,  dans  l'église  du  mona- 
stère. Le  soir,  il  porta  le  saint-sacrement  sur  un 
petit  autel  qu'on  avait  dressé  au  pied  du  calvaire, 
et,  au  moment  du  salut,  il  y  improvisa  une  pieuse 
allocution;  son  émotion  gagna  l'assistance,  qui  ré- 
pondit par  ses  larmes  à  celles  de  l'orateur.  M.  l'abbé 
de  Graville,  vicaire-général  du  diocèse,  dont  le  zèle  et 
la  piété  avaient  contribué  au  succès  de  la  mission, 
fut  prié  par  les  habitants  de  soumettre  à  Monseigneur 
les  règlements  d'une  nouvelle  confrérie,  sous  le  titre 
de  Sainte-Croix-du-Calvaire. 
ci»aPoiie3  L'abbesse  de  Sainte-Trinité  de  Caen  était  patronne 
de  plusieurs  chapelles  que  les  Calvinistes  avaient  dé- 
vastées en  1562;  et,  dès  l'année  1066,  une  action 
avait  été  intentée  contre  elle  pour  l'obliger  à  les  faire 
rétablir.  En  1748,  M.  Dejean,  remplissant  les  fonc- 
tions de  procureur  du  roi  près  le  bailliage  de  Caen , 
essaya  de  mettre  en  cause  les  patrons  de  toutes  les 
chapelles  tombées  en  ruine,  dont  les  titulaires  conti- 
nuaient de  percevoir  les  fruits.  Il  cite  en  particulier, 
dans  son  mémoire,  la  chapelle  de  Saint-Thomas-le- 
Martyr,  située  au-dessus  de  l'enclos  de  l'Abbaye-aux- 
Dames,  dans  la  nef  de  laquelle  M.  Le  Chevalier,  curé 
d'Hérouville ,  en  avait  fondé  deux  autres,  l'une  en 
l'honneur  de  saint  Quentin,  l'autre  dédiée  à  saint 
Sébastien.  Un  édit  de  Louis  XIV,  rendu  en  1695,  au- 


de  Caen. 


DE  BAÏEUX.  75 

torisait  les  magistrats  a  saisir  le  tiers  du  revenu  pour 
l'appliquer  aux  réparations  ;  avant  d'y  avoir  recours, 
M.  Dejean  fit  appel  à  Mgr  de  Luynes,  pour  qu'il  pre- 
scrivît aux  doyens  ruraux  les  mesures  nécessaires;  son 
réquisitoire,  empreint  de  modération,  de  justice  et 
de  piété,  fut  mis  sous  les  yeux  du  chancelier  de 
France.  Cependant,  nous  ne  voyons  pas  qu'il  ait  cor- 
rigé l'abus  dont  il  se  plaint.  La  chapelle  Saint-Thomas, 
ainsi  que  plusieurs  autres,  ne  se  releva  pas  de  son  état 
de  délabrement,  qui  a  fini  par  la  ruine.  M.  F.Vaultier, 
du  temps  duquel  elle  fut  détruite ,  affirme  positive- 
ment qu'elle  n'avait  pas  été  restaurée. 

Mgr  de  Luynes  assista,  comme  député  de  la  pro-  Représentions 
vince  de  Normandie,  à  l'assemblée  générale  du  clergé,  "«Trot!* 
en  4  745.  Avant  de  quitter  le  diocèse  de  Baveux,  il 
fut  encore  obligé  d'intervenir  dans  les  affaires  du 
jansénisme.  Le  roi  avait  établi  une  commission,  com- 
posée d'évêques  et  de  magistrats,  pour  examiner 
l'objet  des  contestations.  Le  parlement,  de  plus  en 
plus  audacieux,  venait  de  condamner  à  l'amende  un 
curé  de  Paris,  qui  avait  refusé  son  ministère  à  un 
appelant;  déplus,  ordre  avait  été  donné  à  Mgr  l'ar- 
chevêque de  faire  administrer  le  malade  dans  les 
vingt-quatre  heures.  Le  \\  juin  1752,  les  évêques 
qui  se  trouvaient  à  Paris  ,  adressèrent  au  roi  des 
représentations.  Ils  n'avaient  pu  voir  sans  étonne- 
ment  et  sans  douleur  que  le  parlement  usurpât  l'auto- 
rité spirituelle,  et  traitât  une  loi  de  l'Église  comme 
une  chose  indifférente  au  salut.  Ils  suppliaient  le 
monarque  de  réprimer  ces  écarts.  Une  seconde  lettre, 
également  adressée  au  roi ,  prenait  la  défense  de 


7()  HISTOIRE  DL  DIOCÈSE 

M-r  l'archevêque  de  Paris  (1),  contre  un  arrêt  du 
5  mai ,  dans  lequel  il  était  accusé  de  «  favoriser  le 
schisme.  »  Ces  deux  pièces  portent  la  signature  de 
M"r  de  Luynes. 


(1)  Les  Mémoires  pour  servir  a  l'histoire  ecclésiastique 
pendant  le  xvme  siècle  substituent,  par  erreur,  au  nom  de  ce 
prélat  celui  de  M*r  l'archevêque  de  Sens.— V.  les  Mémoires  du 
clergé. 


DE   BAYEUX.  i / 

oyytyyyyyyts'yy  &  "ïyyyïtyyyyyyyyy  yyyyyyy* 


CHAPITRE  VII 


M8'  de  Luynes  est  nomme  archevêque  de  Sens.—  Ms'de  Roche- 
chouart  transféré  à  Baveux.  — Doyens  du  chapitre.  —Vicaires 
généraux  choisis  par  l'évêque.  —  Inhumation  de  M.  le  duc 
de  Morlemart.—  Bénédiction  de  l'abbé  de  Barbery.—  Détails 
historiques  sur  la  fin  de  son  monastère.  —  Inhumation  du 
recteur  de  l'université.-  Expulsion  des  Jésuites. 


gr  de  Luynes 
est  nommé 


de  Sens. 


La  fermeté  de  Mgt  de  Luynes  avait  appelé  sur  lui  m, 
l'attention  du  pouvoir  royal  ;  après  la  mort  de  Mgr  arëhTvôq^ë 
Languet,  il  fut  nommé  au  siège  archiépiscopal  de 
Sens.  Il  quitta  Bayeux  en  1753,  et  y  laissa  beaucoup 
de  regrets  (1).  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  l'admi- 
nistration de  son  nouveau  diocèse  ;  disons  seulement 
que,  en  1756,  Benoît  XIV  lui  donna  le  chapeau  de 

(1)«  Il  a  été  beaucoup  regretté  ici,  »(Mss  de  l'abbé  Beziers  ) 


78  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

cardinal.,  sur  la  présentation  de  Jacques  III,  roi 
d'Ecosse ,  la  cour  de  Rome  ayant  conservé  aux 
Stuarts,  comme  aux  autres  couronnes,  la  faculté  de 
présenter  un  sujet  pour  le  cardinalat.  En  1761 ,  nous 
le  retrouverons  dans  l'affaire  des  Jésuites,  luttant,  à 
la  tête  de  l'épiscopat  français ,  contre  la  haine  des 
parlements.  Il  mourut  à  Paris  le  21  janvier  1788, 
doyen  des  évoques  de  France. 

Pierre-Jules-César  de  Rochechouart,  son  succes- 
seur, était  né  à  Montigny ,  diocèse  d'Orléans,  le  8 
mars  1698.  Il  eut  pour  père  Louis  de  Rochechouart, 
seigneur  de  Montigny ,  et  pour  mère  Elisabeth  de 
Cugnac.  Quoique  sorti  d'une  famille  illustre,  M.  de 
Rochechouart  eut  à  lutter,  dans  son  enfance,  contre 
les  rigueurs  de  la  pauvreté.  Accueilli  par  un  menui- 
sier, chez  lequel  il  habita  durant  ses  études,  il  con- 
serva pour  lui  une  vive  reconnaissance,  et  se  ratta- 
cha en  qualité  de  maître  d'hôtel,  dès  qu'il  fut  promu 
à  l'épiscopat. 

11  n'avait  encore  que  trente-six  ans ,  lorsqu'il  fut 
sacré  évêque  d'Évreux ,  en  1734.  11  joignait  à  ce 
bénéfice  le  revenu  de  deux  abbayes,  celle  de  Bonne- 
Combe  ,  au  diocèse  de  Rodez,  et  celle  de  Conches, 
dans  son  propre  diocèse.  Une  question  de  préémi- 
nence s'étant  élevée  entre  lui  et  le  prince  de  Bouillon, 
Mgr  de  Roche-   celui~ci  se  plaignit  à  la  cour,  et  M.  de  Rochechouart 

;laouart  transféré     „,  „,,  1  •  -  î        ™ 

ùBayeux.  fut  transfère  sur  le  siège  de  Bayeux,  après  avoir 
renoncé  a  la  seconde  de  ses  abbayes.  M.  Hugon, 
vicaire  -  général ,  prit  en  son  nom  possession  de 
l'évêché,  le  20  décembre  1753.  A  la  même  époque, 
il  ordonna  des  prières  publiques  pour  appeler  sur  lui 


DE  BAVEUX.  79 

les  grâces  du  ciel;  mais  il  ne  vint  à  Bayeux  que 
le  21  juillet  de  l'année  suivante.  Il  fit,  comme  ses 
prédécesseurs,  le  pèlerinage  de  la  Délivrande.  Il  est 
le  dernier  de  nos  évêques  qui  soit  descendu  au  prieu- 
ré de  Saint-Vigor.  Les  chants  poétiques  retentirent  à 
son  arrivée,  selon  l'ancienne  coutume.  Les  élèves  du 
collège  royal  de  Bourbon  —  c'était  le  nom  que  les 
Jésuites  avaient  donné  au  collège  du  Mont — publiè- 
rent à  cette  occasion  un  recueil  de  vers  grecs,  de 
vers  latins  et  de  vers  français.  On  en  trouvera  quel- 
ques-uns à  la  fin  de  ce  volume. 

Au  nombre  des  ecclésiastiques  entre  lesquels  Mgr  D°ye™ 
de  Rochechouart  partagea  l'administration  du  dio- 
cèse, nous  devons  citer  en  première  ligne  l'abbé 
de  Biaudos ,  doyen  du  chapitre.  Depuis  l'abbé  de 
Pibrac,  ces  fonctions  avaient  été  remplies  par  Pierre- 
Jean-Baptiste  Durand  de  Missy  et  Louis-François 
INéel  de  Cristot,  celui-ci  nommé  à  l'évêché  de  Séez, 
en  1740,  l'autre  un  peu  plus  tard,  à  l'évêché  d'Avran- 
ches.  Quelques  années  avant  son  départ,  M.  de  Cris- 
tot avait  fait  restaurer  et  embellir  l'hôtel  du  doyenné. 
M.  de  Biaudos,  qui  lui  succéda  en  1741,  recon- 
struisit la  chapelle.  Nous  voyons  encore  aujourd'hui 
son  écusson  au-dessus  des  cinq  grilles  qui  ferment 
le  rond-point,  dans  le  chœur  de  la  Cathédrale,  et 
dont  il  fit  présent  au  chapitre,  en  1772  (1).  L'abbé 
Beziers  ,  son  contemporain  ,  dit  qu'il  s'était  attiré 
l'estime  universelle  par  sa  charité  envers  les  pauvres, 


(1)  Il  portait  écartelé,  au  i,r  et  ive,  d'azur,  au  lion  d'or;  au 
iic  et  m",  d'argent,  à  trois  merlettes  de  sable. 


80  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

et  son  zèle  pour  la  maison  de  Dieu.  Il  continua, 
sous  Mgr  de  Rochechouart,  les  fonctions  de  vicaire- 
général,  qu'il  avait  exercées  sous  Mgr  de  Luynes.  Il 
était  abbé  de  La  Noe,  dans  le  diocèse  d'Évreux,  et 
conserva  son  doyenné  jusqu'en  1780,  époque  de  sa 
mort. 
vicaires  généraux  Nous  avons  déjà  rendu  hommage  à  la  vertu  et  aux 
par^ôque.  talents  de  l'abbé  Hugon,  en  rappelant  les  utiles  fonda- 
tions auxquelles  il  attacha  son  nom,  sous  le  règne  de 
Mgr  de  Luynes.  Mgr  de  Rochechouart  lui  conserva 
d'abord  le  titre  de  vicaire-général  et  la  direction  de 
l'officialité  ;  mais  il  perdit  bientôt  toute  espèce  d'in- 
fluence, quitta  l'évêché,  où  il  demeurait  depuis  vingt 
ans,  et  mourut  le  26  août  1759. 

M.  Suhard  de  Loucelles  appartenait,  comme  l'abbé 
Hugon,  à  l'administration  précédente,  et  avait  été, 
comme  lui,  un  des  bienfaiteurs  de  la  ville  épiscopale. 
Il  conserva  également  ses  pouvoirs,  et  il  les  exerçait 
encore  quand  l'abbé  Beziers  rédigea  ses  manuscrits. 

Les  autres  ecclésiastiques  qui  partagèrent  la  con- 
fiance du  prélat,  et  furent  appelés  par  lui  au  gouver- 
nement du  diocèse,  étaient  presque  tous  des  étran- 
gers. Citons,  entre  autres,  Jean  Dumont,  docteur 
de  Sorbonne,  auparavant  chanoine  et  archidiacre  de 
Neufbourg,  dans  la  Cathédrale  d'Évreux;  —  François- 
Joseph  de  Gascq  et  Louis  de  Chamillard  ,  docteurs 
de  Sorbonne; — Louis- Marie  de  Nicolaï ,  auquel 
Monseigneur  donna  la  chancellerie;  — Louis-Emma- 
nuel de  Cugnac,  chanoine  de  la  Cathédrale  de  Paris 
et  abbé  de  Longues,  en  1759. 

Jean-Baptiste  de  Rochechouart,  duc  de  Mortemarl, 


i 


DE  BAYKUX.  81 

pair  de  France,  mourut  à  Bayeux,  chez  l'évoque,  son    inhumation 

i        .  ~     •  •  ,-,„-       /-v  •,  n«    i  do  M.  le  duc 

parent,  le  16  janvier  1/57.  On  ouvrit;  pour  linhu-  de Mortemart. 
mer,  le  tombeau  de  Zanon  de  Castiglione,  dans  la 
chapelle  Notre-Dame.  Le  cercueil  du  prélat  était  en 
pierre  ;  on  y  trouva  ses  ossements ,  une  certaine 
quantité  de  plantes  aromatiques  assez  bien  conser- 
vées ,  et  la  boîte  de  plomb  qui  renfermait  le  cœur 
de  Pierre  de  Martigny  (1).  Cette  tombe  fut  recouverte 
d'une  pierre  de  marbre ,  sur  laquelle  on  lisait  une 
fastueuse  inscription,  attribuée  à  M.  Le  Beau,  secré- 
taire perpétuel  de  l'Académie  des  inscriptions  et 
belles -lettres.  Hélas  !  le  prince  a  eu  le  même  sort 
que  les  deux  prélats  qui  lui  avaient  accordé  l'hospi- 
talité de  la  tombe,  et  dont  on  lui  avait  sacrifié  la 
mémoire:  son  inscription  a  disparu  comme  la  leur, 
dont  elle  avait  pris  la  place,  et  aujourd'hui  on  lit, 
sur  la  pierre  qui  occupe  le  milieu  de  la  chapelle,  le 
nom  d'un  obscur  chanoine,  Robert  Fabri,  inhumé 
dans  le  transept  du  côté  du  nord.  On  ne  saurait  trop 
déplorer  de  pareilles  substitutions.  Par  reconnais- 
sance pour  les  honneurs  que  le  chapitre  avait  rendus 
à  l'illustre  défunt,  son  fils,  le  duc  de  Mortemart,  fit 
présent  à  la  Cathédrale  d'un  suspensoir  d'argent  du 
poids  de  trente-deux  marcs,  pour  y  conserver  l'Eu- 
charistie. On  voit  encore,  au-dessus  du  maître  autel, 
une  boîte  de  métal,  portée  par  un  ange,  dans  la- 
quelle on  déposait  autrefois  les  saintes  espèces.  Il  y 
a  environ  vingt-cinq  ans  que  l'on  a  renoncé  a  cet 
usage. 

(1)  Voir  vol.  précéd.,  Introd.,  p.  lxxxxii. 


Bénédiction 

de  l'abbé 
de   Barbery. 


82  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Le  dimanche  9  avril  1758,  après  la  haute  messe, 
Mgr  de  Rochedmuart,  assisté  des  abbés  de  Mondaye 
et  de  la  Trappe,  bénit,  dans  le  chœur  de  la  Cathé- 
drale, D.  Bernard  de  Cairon,  dernier  abbé  de  Bar- 
bery. Il  avait  commencé  par  être  mousquetaire  ; 
ensuite,  une  vocation  sérieuse  le  conduisit  a  la  Trap- 
pe. Après  une  courte  épreuve  ,  la  faiblesse  de  sa 
santé  le  Fit  entrer  à  Barbery,  où  la  vie  était  devenue 
un  peu  moins  rigide.  Il  y  fut,  pendant  sa  glorieuse 
carrière,  le  modèle  de  ses  religieux,  et,  dans  tout  le 
pays,  l'objet  de  la,  vénération  commune.  Il  florissait 
encore  en  1790,  et,  après  le  bouleversement  de  nos 
institutions  sociales,  il  alla  se  réfugier  à  Maëstricht, 
sur  la  terre  de  l'exil,  où  il  mourut  âgé  de  soixante- 
douze  ans ,  au  moment  où  cette  place  était  bom- 
bardée par  l'armée  républicaine.  —  M.  F.  Vaultier, 
auquel  nous  empruntons  ces  détails,  le  représente 
comme  «  un  homme  unique  dans  son  espèce,  pour 
le  temps  où  il  a  vécu  (1),  »  joignant  toutes  les  qua- 
lités de  l'esprit  et  du  bon  ton  aux  vertus  rigides  de 
l'anachorète,  aussi  remarquable  par  son  zèle  que  par 
sa  justice  et  sa  charité. 
Détails  Le  revenu  de  l'abbaye  de  Barbery,  évalué  officiel- 

sur'inrrion  lement  à  treize  mille  livres,  s'élevait,  d'après  M.  Yaul- 
iBonastère.  tjer,  de  quarante-cinq  à  cinquante  mille  francs.  Il  y 
avait  connu  habituellement  de  neuf  à  onze  religieux, 
dont  quelques-uns  joignaient  une  piété  solide  à  une 
forte  instruction.  Ils  étaient  agrégés  de  l'université 
de  Caen,  et  ont  conservé  jusqu'à  la  fin  ce  titre  d'hon- 

(1)  Recherches  historiques  sur  l'ancien  pays  de  Cinglais. 


DE  BAYEUX.  83 

neur.  Leur  monastère ,  construit  avec  une  élégante 
simplicité,  a  été  démoli  depuis  1791,  et  la  charrue 
a  passé  sur  ses  fondements.  Les  fêtes  de  Saint-Mar- 
couf  et  de  Saint-Ortaire  y  étaient  célébrées  tous  les 
ans,  le  premier  et  le  troisième  dimanche  de  mai.  On 
y  disait  des  messes  et  des  évangiles  aux  personnes 
pieuses ,  et  il  y  avait  assemblée.  Cette  réunion  se 
tenait  dans  la  grande  cour  du  monastère,  sous  un 
plant  de  pommiers  en  fleurs.  Saint  Marcouf  et  saint 
Ortaire  étaient  invoqués,  l'un,  pour  la  guérison  des 
furoncles  (clous),  l'autre,  pour  celle  des  douleurs 
(tortures).  On  trouve  encore  aujourd'hui,  dans  cer- 
taines localités,  saint  Maclou  (sic)  et  saint  Tortaire 
(sic)  invoqués  pour  la  même  cause.  Tout  porte  à 
croire  que  ce  sont  les  mêmes  personnages,  sous  des 
noms  légèrement  altérés.  Cet  exemple  n'est  pas  le 
seul  par  lequel  on  pourrait  prouver  que  la  foi  naïve 
des  peuples ,  au  moyen  âge ,  faisait  souvent  dériver 
la  puissance  attribuée  aux  bienheureux,  dans  la  guéri- 
son  des  infirmités  humaines,  du  vocable  sous  lequel 
ils  étaient  honorés. 
Le  recteur  de  l'université  de  Caen  était  considéré,     inhumation 

,.,,..  r  ,  .  du  recteur 

depuis  1  origine,  comme  un  lonctionnaire  du  premier  de  r  université, 
ordre.  Il  portait  un  costume  semblable  à  celui  des 
rois  d'Angleterre  (1),  où  resplendissaient  la  pourpre, 
l'hermine  mouchetée  et  la  bourse  de  velours  rouge 
à  glands  d'or;  ses  funérailles,  lorsqu'il  mourait  en 

(1)  «  Le  recteur,  chef  résident  de  l'université,  porte  encore, 
en  mémoire  du  premier  fondateur,  l'habit  royal  d'Angleterre, 
ou  plutôt  la  robe  rouge  d'un  docteur  des  lois  civiles.  »  (Antiq. 
anglo-normandes  de  Dùcarkl.) 


Si  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

charge ,  devaient  être  semblables  à  celles  des  souve- 
rains qui  fondèrent  notre  université.  Aussi,  le  titulaire 
venait-il  à  tomber  malade,  le  corps  universitaire 
s'empressait,  dit-on,  de  lui  choisir  un  successeur, 
afin  d'éviter  les  frais  énormes  qu'eût  entraînés  son 
décès  (1).  H  est  vrai  que  cette  précaution  était  quel- 
quefois mise  en  défaut  par  un  accident  ou  par  les 
lois  de  la  nature  :  nous  avons  même  entendu  raconter, 
dans  notre  enfance,  qu'un  recteur,  étant  à  la  chasse, 
se  donna  la  mort,  afin  d'être  enterré  «  comme  un 

roi.  » 

Le  personnage  sur  le  compte  duquel  coururent 
ces  bruits  populaires,  se  nommait  Jacques-François 
Boisne.  Il  était  professeur  de  rhétorique  au  collège 
du  Bois,  et  recteur  de  l'université  de  Caen,  en  1753. 
Il  chassait  à  Beuville ,  le  mercredi  26  septembre , 
lorsque,  voulant  s'aider  de  son  fusil  pour  traverser 
un  fossé  rempli  d'eau,  le  coup  partit  et  l'étendit 
mort.  Après  avoir  été  rapporté  à  Caen,  le  corps  fut 
embaumé  et  placé  sous  un  dais  de  velours  noir, 
dans  la  chapelle  du  collège  du  Bois  ;  la  cérémonie 
funèbre  n'eut  lieu  que  le  5  octobre. 

Sur  ces  entrefaites ,  parut  un  mandement  publié 
par  l'abbé  Philippe  Vicaire ,  doyen  perpétuel  de  la 
faculté  de  théologie,  et  remplissant,  en  cas  de  mort 

(1)  Ducarel  prétend  que  le  recteur  de  l'université  de  Caen 
n'était  élu  que  pour  six  mois,  et  même  pour  un  temps  plus 
court,  quand  il  s'était  déjà  trouvé  en  danger  de  perdre  la  vie. 
Nous  lisons  au  contraire,  dans  un  compte-rendu,  rédigé,  à 
l'occasion  des  funérailles  de  M.  Boisne,  par  M.  Malouin,  pro- 
fesseur de  langue  grecque:  «  le  temps  et  la  durée  du  rectorat, 
ne  sont  que  de  dix-huit  mois.  » 


DE  BAYEUX.  85 

ou  d'absence,  les  fonctions  de  «  l'amplissime  rec- 
teur. »  Il  était  adressé  «  à  nos  Révérendissimes  Pères 
en  Jésus-Christ,  M.  l'évoque  de  Bayeux ,  chancelier 
de  l'université;  MM.  les  évoques  de  Lisieux  et  de 
Coutances,  conservateurs  des  privilèges  apostoliques; 
M.  le  bailly  de  Caen ,  conservateur  des  privilèges 
royaux  de  la  même  université.  »  C'est  que,  en  effet, 
ces  trois  évoques ,  à  raison  du  titre  universitaire 
inhérent  a  leur  dignité ,  étaient  obligés  d'assister  à 
la  cérémonie.  On  n'avait  pas  oublié  que,  aux  obsèques 
de  l'abbé  ïurpin ,  mort  en  1712,  pendant  le  cours 
de  son  rectorat,  Mgr  de  Nesmond,  retenu  à  Bayeux 
par  une  maladie  ,  avait  envoyé  à  sa  place  l'abbé 
Hue  de  Launey,  son  grand- vicaire.  Mgr  de  Luynes 
ne  montra  pas  la  même  déférence  ,  et  cette  omis- 
sion fut  mise  sur  le  compte  d'un  oubli,  dont  on 
chercha  l'excuse  dans  sa  promotion  à  l'archevêché 
de  Sens. 

Pendant  les  huit  jours  qui  s'écoulèrent  entre  la 
mort  et  les  funérailles,  le  corps  du  défunt  avait  été 
gardé  par  les  religieux  mendiants,  suivant  la  coutu- 
me, et  un  grand  nombre  de  docteurs  et  de  curés 
étaient  venus  célébrer  en  sa  présence  le  saint  sacri- 
fice. Cependant  une  discussion  s'éleva,  dans  le  sein 
de  la  docte  compagnie,  sur  le  lieu  que  l'on  choisirait 
pour  la  sépulture.  Plusieurs  membres  pensèrent  que 
l'église  des  Cordeliers,  qui  était  celle  de  l'université, 
devait  être  le  tombeau  des  recteurs,  «  comme  Saint- 
Denis  était  le  tombeau  des  rois.  »  La  majorité  se 
prononça  pour  le  sanctuaire  de  l'église  Saint-Sauveur. 
Il  paraît  que  la  question  avait  déjà  été  soulevée  aux 


86  HISTOIRE  DL  DIOCÈSE 

funérailles  de  l'abbé  Turpin,  et  que,  malgré  le  désir 
exprimé  par  les  Cordeliers,  il  fut  inhumé  dans  le 
sancta  wnctorum  de  l'église  Saint-Étienne. 

Enfin,  arriva  le  jour  fixé  pour  la  cérémonie.  Après 
l'appel ,  qui  fut  fait  suivant  l'usage ,  à  l'église  des 
Cordeliers  ,  le  cortège  se  mit  en  marche  dans  un 
ordre  magnifique.  Il  était  précédé  d'une  compagnie 
de  soldats ,  derrière  lesquels  étaient  rangés  vingt 
pauvres,  avec  des  torches  de  cire  blanche  aux  armes 
de  l'université.  Venaient  ensuite  les  deux  bannières 
de  Saint-Sauveur,  un  Cordelier  en  aube  et  en  chape 
noire,  portant  la  croix  ;  deux  novices  en  aubes  et  en 
tuniques  noires  ,  portant  chacun  un  cierge  sur  un 
chandelier  d'argent  ;  les  messagers,  papetiers,  par- 
cheminiers,  écrivains,  enlumineurs,  relieurs  et  chi- 
rurgiens de  l'université;  les  ordres  religieux  qui  lui 
étaient  unis  par  l'agrégation  :  d'abord ,  les  quatre 
ordres  mendiants,  Cordeliers,  Carmes,  Jacobins  et 
Croisiers  ;  les  Oraloriens  ,  les  Jésuites  et  les  cha- 
noines de  FHôtel-Dieu;  les  députés  des  abbayes  et 
des  prieurés  de  Barbery,  Troarn,  Aunay,  Fontenay, 
Sainte- Barbe,  le  Plessis-Grimoult,  le  Val-Richer, 
Royal-Pré  (4),  Belle-Étoile,  Mondaye,  Ardennes;  le 
clergé  et  les  trésoriers  de  trois  paroisses:  Saint-Jean, 
Saint-Pierre  et  Saint-Sauveur;  les  chanoines  du  Sépul- 
cre; les  religieux  de  Saint-Étienne,  tous  en  chapes 
noires ,  chantant  l'office  des  morts ,  précédés  de  la 
croix,  du  bénitier,  des  acolytes  et  des  encensoirs. 


(1)  Le  prieuré  de  Sainte-Barbe  et  celui  de  Royal-Pré  étaient 
situés  dans  le  diocèse  de  Lisieux. 


DE  BAYEOX.  87 

A  l'extrémité  des  rangs  ,  on  remarquait,  à  droite,  le 
prieur  de  l'abbaye;  à  gauche,  le  curé  de  Saint-Sau- 
veur, en  chape  et  en  étole.  C'était  ainsi  que,  dans 
toutes  les  cérémonies  religieuses  faites  au  nom  de 
l'université,  le  prieur  de  Saint-Etienne  remplissait 
les  fonctions  d'officiant;  aux  termes  de  la  fondation, 
il  avait  pour  diacre  et  pour  sous -diacre  le  prieur 
de  Troarn  et  celui  de  Fontenay.  A  la  suite  du  clergé, 
marchaient  les  cinq    facultés    en   costume   d'appa- 
rat :    la   faculté   des  arts  et  celle  de  médecine,  la 
faculté  de  droit  civil  et  celle  de  droit  canonique,  la 
faculté  de  théologie.  La  place  d'honneur  était  occu- 
pée par  M.  Vicaire  ;  autour  de  lui  se  trouvaient  quel- 
ques personnes  de  distinction,  qui  avaient  pris  rang 
dans  le  cortège;  on  remarquait,  entre  autres,  les  deux 
grands-vicaires  des  évoques  de  Lisieux  et  de  Cou- 
tances,  MM.  de  Malherbe  et  de  Bernières-Gavrus ,  le 
bailli  de  Caen,  le  procureur  et  l'avocat  du  roi,  le 
personnel  de  la  juridiction  apostolique,  et  derrière 
eux  l'appariteur  général  de  l'université  ;  des  soldats 
fermaient  la  marche.   Maintenant,  qu'on  se  repré- 
sente, au  milieu  des  facultés,   les  huit  bedeaux  de 
la  compagnie,  avec  leurs  masses  (I)  entourées  de 
crêpe,  le  corps  du  recteur,  revêtu  de  ses  insignes, 
porté  sur  les  épaules,  la  face  découverte,  par  quatre 
bacheliers  en  théologie,  que  relevaient  quatre  maîtres 
ès-arts,  en  robe  et  en  chaperon;  au-dessus  du  corps, 
un  dais  de  velours  noir,  soutenu  par  quatre  autres 


(1)  Bâtons  à  tête,  garnis  d'argent,  qu'on  portait  autrefois, 
par  honneur,  devant  certains  dignitaires; 


88  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

bacheliers ,  et  l'on  conviendra  qu'un  prince  du  sang 
royal  aurait  pu  envier  de  pareils  honneurs  (4). 

Le  dais  sous  lequel  avait  été  placé  le  corps  du  dé- 
funt, était  un  appareil  d'une  construction  très-élevée, 
orné  de  franges  d'or,  semé  de  larmes  d'argent,  et  sur 
les  quatre  faces  duquel  se  détachaient  les  armes 
de  l'université.  Aux  qualre  angles  étaient  suspendus 
des  crêpes  funèbres,  que  portaient  quatre  anciens 
recteurs.  C'était  une  innovation:  aux  funérailles  de 
\ 71 2,  quatre  docteurs  en  théologie  avaient  rempli  ces 
fonctions,  bien  que  le  recteur  ne  fût  pas  membre  de 
cette  faculté.  Enfin,  six  ecclésiastiques  en  surplis 
étaient  rangés  autour  du  dais,  avec  des  flambeaux 
allumés  ;  les  quatre  veillants  précédaient  le  corps 
un  cierge  à  la  main.  Le  frère  et  le  neveu  du  défunt 
venaient  à  la  suite ,  conduits  par  deux  docteurs  en 
théologie. 

Quand  la  procession  se  mit  en  marche ,  toutes  les 
cloches  de  la  ville  donnèrent  le  signal  du  départ;  elle 
traversa  la  rue  de  la  Juridiction  (rue  de  Geôle),  et  se 
rendit  à  Saint-Sauveur,  en  remontant  la  rue  Saint- 
Pierre.  Partout  l'affluence  était  considérable.  Plusieurs 

(1)  Nous  avons  sous  les  yeux  deux  comptes-rendus  de  la  cé- 
rémonie ,  rédigés  l'un  et  l'autre  par  des  témoins  oculaires ,  et 
entre  lesquels  il  se  trouve  néanmoins  quelques  variantes. 
Ainsi,  par  exemple,  l'un  raconte  que  le  défunt  était  porté  par 
huit  prêtres  en  aubes  ;  l'autre  par  quatre  bacheliers  en  théolo- 
gie, que  relevaient  quatre  maîtres  ès-arts.  Cette  version  est  la 
plus  vraisemblable,  et  nous  n'hésitons  pas  à  la  préférer.  L'abbé 
Turpin  avait  été  porté  par  quatre  religieux  cordeliers.  De  plus, 
comme  il  était  revêtu  de  ses  habits  sacerdotaux ,  un  bachelier 
le  précédait  «  portant  en  ses  bras  l'habit  rectoral.  »  (Journal 
d'un  bourgeois  de  Caen.) 


DE  BAYEUX.  80 

chanoines  réguliers  de  la  congrégation  de  France ,  en 
rochet  et  en  aumusse,  étaient  venus  se  joindre  au 
cortège.  La  noblesse  de  la  province  s'y  trouvait  en 
grand  nombre  ;  Rouen  et  Paris  avaient  envoyé  une 
foule  de  curieux.  Un  de  nos  chroniqueurs,  cherchant 
un  point  de  comparaison  dans  les  différentes  époques 
de  Tannée  qui  attirent  le  plus  d'étrangers  à  la  ville, 
n'hésite  pas  à  déclarer  qu'il  y  avait  ce  jour-là  plus 
de  monde  à  Caen  qu'il  ne  s'y  en  trouve  «  le  premier 
lundi  de  la  foire.  » 

La  société  de  Jésus,  établie  à  Caen  sous  le  règne  Expulsion 
de  Henri  IV,  avait  alors  a  combattre  trois  sortes 
d'ennemis  acharnés  à  sa  destruction.  D'abord,  les 
Jansénistes  ne  pouvaient  oublier  l'ardeur  avec  la- 
quelle les  Jésuites  avaient  défendu  contre  eux  les 
principes  de  la  foi,  et,  sous  l'apparence  du  rigorisme, 
ils  travaillaient  hypocritement  à  décrier  leur  doctrine. 
Les  incrédules,  qui  avaient  juré  d'éteindre  dans  une 
vaste  conjuration  l'autorité  spirituelle,  se  sentaient 
incapables  de  réussir,  tant  que  les  Jésuites  seraient 
là  pour  déjouer  leurs  complots.  La  destruction  des 
Jésuites  était  donc  devenue  le  mot  d'ordre  de  la  phi- 
losophie. D'Alembert  disputait  aux  Jansénistes  l'hon- 
neur de  les  écraser;  ailleurs,  écrivant  à  Voltaire: 
«  Les  parlements  ,  lui  dit-il ,  en  croyant  servir  la 
religion,  servent  la  raison,  sans  s'en  douter,  et  sont 
les  exécuteurs  de  la  haute  justice  pour  la  philoso- 
phie, dont  ils  prennent  les  ordres  sans  le  savoir.  » 
Quant  aux  parlements,  on  a  dit  avec  raison  que,  avant 
d'instruire  le  procès,  ils  avaient  déjà  prononcé  la 
sentence.   Celui  de  Normandie,  au  témoignage  de 


90  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

M.  Floquet,  ne  fut  pas  des  derniers  a  sonner  l'alarme  ; 
dès  novembre  1761,  il  se  fit  apporter,  outre  les 
constitutions  de  la  Société,  un  grand  nombre  d'ou- 
vrages avoués  par  elle,  et  les  soumit  à  l'examen  des 
gens  du  roi.  La  lecture  du  rapport  dura  huit  jours; 
trois  semaines  furent  employées  à  l'examiner.  «  Après 
quoi  est  rendu  un  arrêt  où  respirent — disons-le  — 
une  chaleur  et  une  indignation  qui  peut-être  ne  de- 
vaient pas  tant  paraître  dans  une  décision  judiciaire; 
—  les  présomptions  n'en  étaient  pas  moins  rigou- 
reuses que  les  termes  énergiques,  violents  et  durs; 
cette  décision  semble  une  diatribe  plutôt  qu'un 
arrêt.  » 

Avant  d'aller  plus  loin  ,  nous  avons  cru  devoir 
rapporter  textuellement  ces  paroles  de  l'honorable 
écrivain,  et  nous  citons  comme  lui  au  tribunal  de  la 
postérité  la  décision  de  la  cour  souveraine.  Maintenant, 
qu'il  nous  soit  permis  de  reprendre  en  détail  les 
incidents  du  procès:  nous  ne  dissimulerons  pas  les 
torts  des  accusés;  mais  nous  demandons  qu'on  les 
écoute,  et  qu'on  écarte  un  moment  la  prévention  qui 
les  condamne. 

Dans  ses  remontrances  du  6  août  1757,  le  parle- 
ment de  Normandie  avait  dénoncé  les  Jésuites  au 
pouvoir  royal  comme  des  ennemis  acharnés  de  la 
magistrature.  Quatre  ans  plus  tard,  celui  de  Paris  , 
devant  lequel  fut  portée  l'affaire  du  P.  Lavalette,  au 
lieu  de  se  renfermer  dans  la  question  qui  lui  était 
soumise,  prétendit  juger  l'institut  en  examinant  les 
constitutions.  Trois  commissaires  furent  chargés  de 
ce  travail.  Alors  le  roi,  pour  ne  pas  rester  en  arrière, 


DE  BAVEUX.  01 

nomma  de  son  coté  une  commission  du  conseil , 
avec  ordre  de  lui  faire  un  rapport.  Cette  commission 
crut  devoir  se  récuser.  Sur  sa  demande,  une  réunion 
du  clergé  fut  convoquée;  douze  membres,  choisis 
dans  son  sein,  et  présidés  par  le  cardinal  de  Luynes, 
archevêque  de  Sens  ,  exprimèrent  leur  avis,  le  30 
décembre  1761,  en  assemblée  générale.  L'avis  des 
commissaires ,  entièrement  favorable  à  la  Société , 
fut  adopté  par  quarante -cinq  prélats  ;  cinq  autres 
proposèrent  quelques  changements  dans  les  consti- 
tutions. Seul,  Mgr  de  Fitz-James,  évêque  de  Soissons, 
répondit  qu'il  croyait  les  Jésuites  inutiles  et  dange- 
reux ;  mais  il  reconnut  que  leurs  mœurs  étaient 
pures,  et  ajouta  qu'il  n'y  avait  peut-être  pas  d'ordre 
dans  l'Église  dont  les  membres  fussent  plus  régu- 
liers. Ce  témoignage ,  émané  d'un  prélat  que 
l'emportement  de  ses  opinions  théologiques,  sur  les 
matières  controversées  depuis  un  siècle ,  rendait 
systématiquement  hostile  à  la  Société,  mérite  d'être 
recueilli  par  l'histoire.  L'année  suivante,  l'assemblée 
générale  du  clergé  ne  craignit  pas  de  déclarer  au  roi 
que  la  conservation  de  l'institut  était  demandée  par 
toutes  les  provinces  ecclésiastiques  du  royaume. 

Sur  ces  entrefaites,  parut  une  brochure  adressée 
à  Mgr  de  Rochechouart,  au  sujet  de  la  doctrine  émise 
par  les  Jésuites  de  Caen,  dans  leurs  thèses ,  cahiers 
et  prédications  (1).  On  y  reprochait  à  l'évoque  de 
s'être  «  lâchement  compromis ,  »  en  attestant  au  roi 


(1)  La  brochure  parut  sans  nom  d'imprimeur  ;  elle  porte  le 
millésime  de  1762. 


92  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

la  pureté  de  leurs  principes  et  les  services  qu'ils 
rendaient  au  clergé,  dans  l'exercice  du  ministère  (1). 
On  attaquait  leur  métaphysique  comme  fausse  et 
dangereuse,  leur  enseignement  sur  la  religion  chré- 
tienne ,  sur  la  nécessité  de  la  révélation ,  comme 
subversif  de  la  foi  ;  on  critiquait  l'exactitude  de  leur 
morale;  on  les  accusait  de  porter  atteinte  aux  droits 
du  souverain  et  aux  libertés  de  l'Église  gallicane. 
Pour  apprécier  avec  justice  ces  différents  points, 
il  faudrait  avoir  sous  les  yeux  le  texte  même  des 
objections  qui  sont  extraites,  en  très-grand  nombre, 
des  cahiers  dictés  par  les  professeurs.  Il  est 
incontestable  que ,  dégagées  de  toute  explication , 
plusieurs  de  ces  opinions  sont  au  moins  répréhen- 
sibles.  La  même  remarque  est  applicable  aux  thèses 
dont  les  nombreux  extraits  sillonnent  les  pages  de 
la  brochure.  C'était  sans  doute  au  sujet  d'une  de 
ces  compositions  que  l'évêque  d'Avranches,  ce  fidèle 
ami  des  Jésuites ,  dans  la  maison  desquels  il 
vivait  à  Paris,  écrivait  en  1714:  «  Le  P.  recteur  de 
Caen  a  fait  très -sagement  d'avoir  empesché  que  la 
thèse  dont  vous  m'avez  envoyé  l'extrait,  n'ait  esté 
soustenue.  La  seule  thèse  imprimée,  et  envoyée 
à  Paris,  pourra  bien  leur  faire  des  affaires.  La  plus- 
part  des  affaires  qui  arrivent  aux  Jésuites ,  leur 
viennent  par  des  jeunes  gens  d'entre  eux,  pleins 


(1)  «  Beaucoup  d'écrits  circulèrent  dans  la  province  ;  un 
entre  autres,  très-vif,  apologétique  des  Jésuites,  et  amer  pour 
le  parlement  de  Rouen,  intitulé  :  Lettre  de  l'évêque  de  B. 
au  roi  sur  l'affaire  des  Jésuites.  »  (  Histoire  du  parlement,  5 
juillet  1762.) 


DE  BAYEUX.  93 

de  feu  et  d'esprit ,  mais  ne  connaissant  point  le 
monde ,  et  ne  voyant  point  les  conséquences  des 
choses.  »  Certaines  parties  de  l'ouvrage  que  nous 
avons  présentement  sous  les  yeux,  nous  ont  rappelé 
ce  jugement  sévère  de  notre  illustre  compatriote  ; 
mais  il  en  est  d'autres  qui  semblent  irréprochables, 
et  sont  plus  ou  moins  conformes  à  l'enseignement 
commun.  Ce  n'est  pas  nous,  par  exemple,  qui  ferons 
un  crime  au  P.  Le  Roux  d'avoir  dicté  à  ses  élèves 
que  le  droit  de  convoquer  les  conciles  a  toujours 
été  regardé  par  les  Catholiques  comme  un  droit 
essentiel  du  chef  de  l'Église,  et  qu'il  n'appartient  pas 
seulement  aux  princes  séculiers.  Pour  tout  dire 
en  un  mot,  cette  brochure,  qui  produisit  alors  une 
vive  impression,  était  l'œuvre  du  parti  janséniste;  le 
mépris  avec  lequel  on  y  parle  de  Mgr  de  Nesmond, 
les  éloges  que  l'on  y  prodigue  à  Mgr  de  Lorraine  et  à 
M.  Buffard,  en  fournissent  une  preuve  éclatante.  Du 
reste  ,  on  le  comprendra  sans  peine,  c'était  une 
injustice  que  de  rendre  la  compagnie  tout  entière 
responsable  des  erreurs  que  l'on  a  reprochées  à 
plusieurs  de  ses  membres.  Quelques  précautions 
qu'elle  emploie  pour  combattre,  dans  son  sein,  la 
diversité  d'enseignement,  elle  ne  peut  consentir  à 
ce  que  les  opinions  de  ses  écrivains  soient  mises  au 
compte  de  l'ordre  tout  entier  ;  et  elle  n'a  jamais  préten- 
du que  l'approbation  obtenue  de  deux  ou  trois  exami- 
nateurs imprimât  à  un  livre  de  théologie  un  caractère 
de  vérité  irréfragable.  «  Il  est  simple  d'avouer  que 
des  auteurs  jésuites,  leurs  examinateurs  et  leurs  su- 
périeurs, ont  pu  se  tromper  et  se  sont  trompés.  »  Je 


<H  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ne  sais  si  cet  aveu  suffira  pour  désarmer  la  critique  ; 
mais  je  dois  dire  qu'il  est  sorti  de  la  plume  du  R.  P. 
de  Ravignan  (1).  Ce  que  Ton  ne  saurait  trop  répéter, 
c'est  que ,  en  province  comme  à  Paris,  ce  fut  l'esprit 
de  parti  qui  dicta  la  condamnation  de  la  Société,  et  l'on 
sait  de  quels  excès  cet  esprit  est  capable,  pour  arri- 
ver aux  fins  qu'il  veut  obtenir.  Qu'il  nous  soit  permis 
d'en  citer  deux  exemples. 

Lorsque  parut  le  livre  de  Mariana  sur  le  tyranni- 
cide,  il  fut  blâmé  à  Rome  par  le  général,  et  l'édition 
fut  supprimée.  Le  P.  Aquaviva  défendit  même,  sous 
peine  d'excommunication,  à  tous  les  membres  de  la 
compagnie  d'en  soutenir  les  principes.  Depuis  1614, 
aucun  de  ses  théologiens  n'avait  donc  pu  traiter  la 
question;  ceci  n'empêcha  pas  que,  en  1762,  tous  les 
Jésuites  ne  fussent  condamnés  comme  enseignant 
cette  abominable  doctrine  (2).  Non-seulement  on  con- 
fondait les  époques,  mais  on  prêta  gratuitement  aux 
membres  de  la  Société  des  opinions  qu'ils  n'avaient 
jamais  enseignées.  Il  est  maintenant  démontré  que, 
dans  les  Extraits  des  Assertions  présentés  au  roi 
par  le  parlement,  sept  cent  cinquante-huit  proposi- 
tions étaient  falsifiées.  Le  conseiller  Roussel  de  la 
Tour,  Minard  et  l'abbé  Gouget  furent  les  principaux 
rédacteurs  de  ces  impostures.  «  Paix  à  leurs  cen- 

(1)  De  V existence  et  de  l'institut  des  Jésuites,  par  le  R.  P. 
de  Ravignan,  de  la  compagnie  de  Jésus. 

(2)  Mariana,  dit  le  P.  de  Ravignan,  était  un  homme  d'une 
intelligence  supérieure,  mais  d'un  caractère  ardent  et  indocile. 
Un  exemplaire  de  son  livre  tomba  entre  les  mains  des  Protes- 
tants, qui  le  réimprimèrent  et  le  répandirent,  afin  de  pouvoir 
l'opposer  éternellement  aux  Jésuites. 


DE  BÀYEUX.  95 

dres!  dirons-nous  ici  avec  le  P.  de  Ravignan.  Serait- 
ce  pourtant  trop  demander  que  du  moins  elles  ne 
mentent  plus  dans  la  mort  1  » 

Avant  l'époque  dont  nous  parlons,  le  vœu  avait 
toujours  été  regardé  par  les  Chrétiens  comme  une 
promesse  religieuse,  sur  la  validité  de  laquelle  l'Église 
seule  avait  le  droit  de  prononcer.  Le  parlement  mé- 
connut ces  principes  :  il  prétendit  annuler  les  vœux. 
Celui  de  Rouen,  surpassant  tous  les  autres,  osa  flétrir 
le  vœu  des  Jésuites,  «  comme  le  serment  impie  d'une 
règle  impie  (1).  »  Taxer  d'impiété  des  constitutions 
autorisées  dans  l'Église  depuis  deux  siècles,  n'était- 
ce  pas  le  comble  de  l'aveuglement,  de  la  part  des  tri- 
bunaux séculiers?  Ne  pouvant  disputer  au  parlement 
de  Paris  la  gloire  d'avoir  porté  les  premiers  coups, 
celui  de  Normandie  semblait  vouloir  le  surpasser  en 
rigueurs. 

Il  s'en  fallait  beaucoup  que  tout  le  monde  en 
France  applaudît  à  ces  mesures.  «  Des  personnes 
pieuses,  dit  encore  M.  Floquet,  étrangères  à  toute 
secte,  gémissaient  de  voir  humilier  l'Église,  dans  ces 
religieux  qui  avaient  beaucoup  fait  pour  elle  ;  des 
Chrétiens,  clans  tous  ces  manifestes  contre  une  so- 
ciété particulière  ,  voyaient  bien  des  choses  dont 
l'impiété  pourrait  se  servir  un  jour  contre  la  société 
catholique  tout  entière.  »  Telle  était  aussi  l'opinion 
d'un  échevin  de  Caen  ,  contemporain  de  la  cata- 
strophe, et  qui,  en  nous  racontant  ses  impressions 


(1)  Le  concile  de  Trente  appelle  la  compagnie  de  Jésus  un 
pieux  institut,  pium  institutum. 


90  HISTOIRE  DC  DIOCÈSE 

dans  des  notes  manuscrites,  déplore  «  la  dureté  du 
parlement  de  Normandie.  »  Ce  fut  lui,  nous  dit-il, 
qui  commença  l'exécution ,  avant  même  qu'aucun 
autre  eût  ordonné  la  saisie  du  temporel. 

En  effet,  on  vendit  à  l'encan,  dès  le  25  juin  1762, 
le  bois  que  les  Jésuites  avaient  amassé  pour  une 
nouvelle  construction ,  le  vin  qu'ils  avaient  à  leur 
maison  de  Lébisey,  et  six  cents  boisseaux  de  froment 
destinés  à  la  nourriture  de  leurs  élèves.  Le  28  juin, 
on  afficha  l'arrêt  du  parlement  en  date  du  21 ,  or- 
donnant que  l'on  vendît  de  la  même  manière  le 
mobilier  de  la  compagnie.  Sur  le  produit,  une  som- 
me de  deux  cents  livres  devait  être  remise  à  chacun 
de  ses  membres ,  «  à  compte  de  leur  pension  ;  » 
mais  ceux-là  seulement  pouvaient  prétendre  à  cette 
faveur,  qui  prêteraient  serment  d'être  fidèles  au  roi, 
de  détester  les  maximes  attentatoires  à  l'autorité 
royale,  d'admettre  la  déclaration  de  1682.  Ils  de- 
vaient en  outre  abandonner  les  maisons  de  la  Socié- 
té, et  ne  plus  entretenir  de  relations  avec  le  supérieur- 
général.  Enfin ,  ils  étaient  déclarés  incapables  de 
posséder  aucun  bénéfice  à  charge  d'âmes ,  ou  de 
remplir  aucune  fonction  civile  ,  avant  d'avoir  prêté 
le  serment  prescrit  par  un  autre  arrêt  rendu  le  12 
février  de  la  même  année.  Ce  serment,  par  lequel  on 
abjurait  le  régime  de  la  Société  et  l'on  condamnait 
sa  morale,  était  tellement  odieux  que  le  roi  défen- 
dit de  passer  outre.  Le  parlement  n'insista  pas;  mais 
il  revint  à  la  charge  en  1764,  et  interdit  alors  a  ceux 
qui  ne  l'avaient  pas  prêté,  tous  bénéfices,  charges, 
emplois,  fonctions  publiques,  ecclésiastiques,  même 


DE  BAVEUX.  1)7 

particulières,  tenant  à  l'enseignement  de  la  jeunesse, 
à  l'instruction  religieuse  ou  à  la  direction  des  âmes. 
«  Cet  arrêt  du  parlement,  dit  en  propres  termes  un 
écrivain  protestant  (1),  porte  trop  visiblement  le 
caractère  de  la  passion  et  de  l'injustice  pour  ne  pas 
être  désapprouvé  par  tous  les  hommes  de  bien  non 
prévenus/ —  Dans  les  maladies  de  l'esprit  humain, 
comme  celle  qui  affectait  la  génération  d'alors ,  la 
raison  se  tait;  le  jugement  est  obscurci  par  les  pré- 
ventions. —  Les  Jésuites  opposèrent  la  résignation 
aux  persécutions  dirigées  contre  eux.  Ces  hommes, 
qu'on  disait  si  disposés  à  se  jouer  de  la  religion, 
refusèrent  de  prêter  le  serment  qu'on  exigeait  d'eux. 
De  quatre  mille  Pères  qu'ils  étaient  en  France,  à 
peine  cinq  s'y  soumirent.  » 

Ce  fut  le  1er  juillet  «1762  que  les  Jésuites  sortirent 
de  leur  collège.  On  y  comptait  alors  vingt  Pères  et 
quatre  Frères,  savoir:  le  recteur,  le  ministre  chargé 
de  suppléer  le  recteur,  le  père  spirituel ,  le  procu- 
reur, le  préfet  des  études,  le  prédicateur,  le  théo- 
logien, les  professeurs  de  mathématiques,  de  logique, 
de  physique  ,  de  rhétorique  et  des  quatre  classes 
suivantes,  le  prédicateur  des  retraites,  un  confesseur 
et  deux  missionnaires,  le  cuisinier,  le  provisionnaire, 
le  sacristain  et  l'infirmier. 

Parmi  les  régents  qui  occupaient  alors  le  collège 
du  Mont,  nous  trouvons  désigné,  comme  surnu- 
méraire, le  P.  Yves-Marie  André,  ex-professeur  de 
malhématiques,  qui  avait  rempli  ces  fonctions  avec 

Schœll,  Cours  d'histoire  des  Etals  européens. 


98  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

un  grand  succès,  depuis  1726  jusqu'en  1759.  Dans 
sa  jeunesse  ,  ses  rapports  avec  Mallebranche  et  la 
vivacité  de  ses  opinions  cartésiennes  avaient  appelé 
sur  lui  les  rigueurs  de  sa  compagnie,  qui  ne  goûtait 
point  alors  la  forme  de  cet  enseignement.  Nous 
n'avons  point  à  nous  occuper  de  ces  tristes  débats  ; 
il  nous  suffit  de  savoir  que  le  P.  André ,  philo- 
sophe judicieux  dans  son  Traité  sur  l'homme,  a 
conquis,  par  son  Essai  sur  le  beau,  un  rang  distin- 
gué parmi  les  littérateurs.  Il  était  âgé  de  quatre- 
vingt-quatre  ans,  lorsqu'il  consentit  à  prendre  le 
repos  que  réclamait  son  grand  âge.  Après  la  disso- 
lution de  la  compagnie,  le  P.  André  se  retira  chez 
les  chanoines  de  l'Hôtel-Dieu,  qui  l'accueillirent  avec 
respect.  Le  parlement  de  Normandie  manda  au 
lieutenant-général  de  Caen  de  lui  accorder  abso- 
lument et  sans  condition  ce  qu'il  réclamerait  pour 
ses  besoins.  Il  mourut  à  Caen,  en  1764,  dans  sa 
quatre-vingt-neuvième  année,  quelques  mois  avant 
les  dernières  rigueurs  qui  dispersèrent  la  Société. 

S'il  faut  en  croire  M.  Floquet,  les  Jésuites  de  Caen 
ne  se  soumirent  pas  immédiatement  à  l'arrêt  lancé 
contre  eux.  «  Ils  se  donnèrent  plus  de  mouvement 
qu'ailleurs,  enseignant,  confessant,  ameutant  (1)  la 
faculté  de  théologie,  tenant  des  conciliabules,  faisant 
publiquement  des  neuvaines  pour  le  rétablissement 
de  la  Société.  »  Ce  que  nous  pouvons  dire ,  c'est 
que,  trois  jours  avant  leur  départ,  le  P.  Sarroux, 


(1)  La  valeur  de  cette  expression  ne  dépasse-t-elle  point  la 
pensée  de  l'auteur? 


DE  BAYEUX.  99 

professeur  de  logique,  prêcha,  dans  la  chapelle  du 
collège,  devant  un  auditoire  si  nombreux  qu'on  fut 
obligé  d'envoyer  chercher  des  chaises  à  l'église  pa- 
roissiale de  Saint- Etienne.  L'échevin  auquel  nous 
empruntons  ces  détails,  ajoute  qu'ils  parurent  tous 
«  recevoir  avec  constance  le  coup  fatal  de  leur  de- 
struction, au  grand  regret  de  la  plus  nombreuse  partie 
des  citoyens.  »  A  Caen  et  dans  les  'environs ,  des 
familles  honorables  leur  donnèrent  d'abord  l'hospi- 
talité. Le  P.  Langegu,  qui  portait  au  collège  le  titre 
de  confesseur,  se  retira  chez  Mme  d'Anisy,  sœur  de 
M.  de  Vacognes,  curé  de  Saint-Jean;  M.  de  la  Piga- 
cière  offrit  un  asile  au  P.  des  Costeaux,  qui  s'était 
distingué  dans  les  retraites  par  ses  prédications  ;  le 
P.  Plesse,  supérieur  de  l'établissement,  fut  recueilli 
par  Mgr  l'évêque  de  Lisieux. 

Malgré  l'arrêt  du  12  février,  qui  leur  enjoignait  de 
prendre  le  même  costume  que  les  prêtres  séculiers, 
ils  sortirent  du  collège  avec  l'habit  de  leur  ordre  (1). 
Le  Père  procureur  avait  écrit  à  la  cour  pour  se  faire 
autoriser  à  l'achat  des  étoffes  nécessaires;  mais  sa 
lettre  resta  sans  réponse.  Il  ne  quitta  la  maison 
qu'après  avoir  présidé  à  la  vente  du  mobilier  ;  on 

(1)  Daprès  Y  Histoire  des  ordres  monastiques ,  religieux  et 
militaires  [1718],  la  différence  entre  les  Jésuites  et  les  prêtres 
séculiers  consistait,  sous  le  rapport  du  vêtement,  en  ce  que 
les  disciples  de  saint  Ignace  portaient  le  collet  droit,  ouvert 
par  devant ,  sans  rabat,  la  soutane  attachée  avec  un  cordon 
autour  des  reins,  et  pour  coiffure,  la  toque  comme  nous  la 
portons  aujourd'hui.  Quand  ils  sortaient,  ils  mettaient  un 
chapeau  bas  de  forme,  à  larges  bords,  et  un  manteau  sur  les 
épaules, 


100  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

remarqua  F  ameublement  du  cabinet  de  physique  , 
qui  était  rempli  de  bons  instruments.  Les  choses 
restèrent  en  cet  état  jusqu'à  Fédit  de  1764,  qui  pro- 
nonça l'entière  abolition  des  Jésuites  en  France.  Alors 
le  parlement  ne  permit  le  séjour  de  Caen  et  de 
Bayeux  qu'à  ceux  qui  en  étaient  originaires.  Tous 
devaient  se  présenter  deux  fois  chaque  année  devant 
le  procureur  du  roi  de  leur  domicile,  tenu  d'en  justi- 
fier au  procureur-général,  qui  lui-même  en  informait 
la  cour. 

Le  26  juin  1762,  le  parlement  supprima  provisoi- 
rement le  collège  du  Mont,  et  ordonna  aux  officiers 
du  bailliage  de  nommer  un  économe  séquestre,  pour 
administrer  les  revenus  de  l'établissement  ;  l'année 
suivante,  il  réunit  le  collège  à  l'université.  Vingt  ans 
plus  tard,  après  de  longs  débats  entre  cette  corpo- 
ration et  l'autorité  municipale,  le  roi  confirma  la 
réunion  ;  le  collège  du  Mont  fut  maintenu  comme 
établissement  de  plein  exercice,  et  la  nomination  du 
principal  attribuée  au  maire  et  aux  échevins.  Ils 
étaient  tenus  d'élire  un  des  trois  candidats  que  propo- 
sait l'université,  et  qui  étaient  choisis  par  elle  dans 
la  faculté  des  arts.  Le  môme  édit  confirmait  la  chaire 
de  mathématiques  du  dit  collège,  y  créait  une  chaire 
d'Écriture  sainte,  à  laquelle  fut  réunie  celle  de  théo- 
logie, fondée  en  1664,  par  Fabbé  de  Saint-Marlin  (1); 
la  doctrine  des  quatre  articles  de  1682  devait  y  être 

(1)  A  son  retour  de  Rome,  en  1650,  l'abbé  de  Saint-Martin 
s'était  fait  agréger  à  la  faculté  de  théologie  de  l'université 
do  Caen  ;  il  avait  fait  réparer  et  lambrisser  à  ses  frais  l'école 
de  théologie,  et  y  avait  fondé  une  chaire  que  devait  occuper 


DE  BA YEUX.  101 

enseignée,  sous  peine  de  désobéissance  et  d'inter- 
diction. Enfin,  la  faculté  de  droit  canonique  et  celle 
de  droit  civil  étaient  réunies  en  une  seule  faculté. 


un  membre  de  la  congrégation  de  l'Oratoire.  Plus  tard,  ce 
traité  fut  dissous  du  consentement  des  parties,  et  l'abbé  de 
Saint-Martin  en  fit  un  autre  avec  les  Jésuites,  le  12  mars  1664. 


402  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

<nryTTrTTyTTTrTTTTrirYTr"ir"a"Tr"8""a'ï'Tj""S"Tr"B'"5'TrirTr"!y  o* 


CHAPITRE  YIII. 


M8'  de  Rochechouart  adhère  au  mandement  de  l'archevêque 
de  Paris.  —  Son  discours  à  l'assemblée  provinciale. — Affaire 
de  l'abbaye  de  Troarn  et  du  Saint-Sépulcre.  —  Fondation  de 
l'hôpital  de  Troarn. —  Démolition  de  l'abbaye. 


Mg»  de  Roche-      Dénoncé  au  roi  par  le  parlement,  pour  avoir  ap- 

chouart  adhère  '     .       •  a,  i  i>        i  •/»• 

au  mandement  prouve  trois  prêtres  de  son  diocèse  qui  refusaient 
de  l'archevêque  aux  jansénistes  les  secours  religieux,  Mgr  de  Beau- 

dc  Pans.  s  7 

mont,  archevêque  de  Paris,  avait  été  exilé  à  Conflans. 
Il  y  publia,  le  19  septembre  1756,  une  instruction 
pastorale,  dans  laquelle  il  exposait  la  doctrine  de 
l'Église  sur  l'administration  des  sacrements.  Il  y  réfu- 
tait cette  incroyable  distinction  ,  imaginée  par  les 
tribunaux  séculiers,  entre  l'administration  intérieure 
et  l'administration  extérieure ,  comme  si  un  signe 


DEBAYEUX.  403 

sensible  pouvait  être  appliqué,  dans  aucun  cas,  sans 
être  administré  extérieurement.  Le  Châtelet  fit  brûler, 
par  la  main  du  bourreau,  le  mandement  de  l'arche- 
vêque; plusieurs  évêques  y  adhérèrent,  les  uns,  par 
une  lettre  commune,  qui  ne  fut  point  rendue  publi- 
que ;  les  autres,  par  des  mandements,  qu'ils  firent 
publier.  Au  nombre  de  ces  derniers,  nous  trouvons 
M*r  de  Rochechouart.  Le  8  novembre  4756,  après 
avoir  ordonné  à  tous  ses  prêtres  de  se  conformer 
dans  la  pratique  aux  principes  et  aux  règles  tracées 
par  M°r  de  Beaumont,  il  défendit  aux  fidèles  de  son 
diocèse  la  lecture  des  ouvrages  qui  avaient  encouru 
sa  censure.  De  plus,  afin  de  pourvoir  à  la  liberté  du 
saint  ministère,  et  d'empêcher,  autant  que  possible,  la 
profanation  des  sacrements  ,  il  défendit  sous  peine 
d'excommunication,  encourue  par  le  seul  fait,  «  1° 
à  tous  fidèles  de  se  pourvoir  par  devant  les  juge's 
séculiers,  pour  se  faire  administrer  les  sacrements, 
et  à  tous  ceux  qui  approchent  des  malades,  de  leur 
conseiller  cette  manière  profane  de  les  obtenir,  ou 
de  leur  donner,  en  quelque  façon  que  ce  soit,  aide 
et  secours ,  pour  y  réussir  par  ce  moyen  ;  —  2°  à 
tous  magistrats  séculiers  de  rendre  aucun  jugement 
ou  sentence  qui ,  soit  expressément ,  soit  équiva- 
lemment,  porte  injonction  aux  ministres  de  l'Église 
d'administrer  les  sacrements,  et  à  tous  officiers  d'un 
tribunal  laïc  de  faire  ou  de  signer  aucun  acte  qui 
tende  à  les  y  contraindre.  »  Il  défendit  en  outre,  sous 
la  même  peine,  à  tous  curés,  vicaires,  prêtres  séculiers 
ou  réguliers,  exempts  ou  non  exempts,  dans  toulc 
l'étendue  du  diocèse,  d'administrer  les  sacrements  en 


404  HISTOIRE  DU  DI0CÈSE 

vertu  d'aucune  signification,  sommation,  sentence, 
arrêt  ou  jugement,  émané  d'un  tribunal  séculier. 

Ce  dispositif,  qui  trace  d'une  main  ferme  la  limite 
des  deux  puissances,  était  emprunté  à  l'archevêque 
de  Paris,  et  nous  lisons,  dans  l'histoire  générale, 
que  des  lettres  de  cachet  envoyèrent  en  exil  tous 
les  prélats  qui  osèrent  le  reproduire.  Cependant , 
aucun  des  biographes  que  nous  avons  consultés,  ne 
nous  autorise  à  penser  que  l'évêque  de  Bayeux  ait 
été  compris  dans  cette  mesure. 
son  discours  Indépendamment  de  leurs  attributions  économi- 
provbdaie.0  ques ,  les  assemblées  générales  du  clergé  de  France 
avaient  toujours  été  en  possession  de  statuer  sur  les 
matières  religieuses.  Les  grandes  assemblées  se  com- 
posaient de  quatre  députés  de  chaque  province  ecclé- 
siastique, deux  du  premier  ordre,  c'est-à-dire,  arche- 
vêques ou  évêqnes;  deux  du  second  ordre,  c'est-à- 
dire,  abbés,  prieurs  ou  autres  bénéficiers  de  la  pro- 
vince qui  les  envoyait.  Les  petites  assemblées  ne 
comptaient  que  deux  députés,  pris  dans  chaque 
province,  l'un,  du  premier,  et  l'autre,  du  second 
ordre.  Ces  assemblées,  grandes  ou  petites,  se  te- 
naient alternativement  tous  les  cinq  ans.  Celle  de  1 765 
fut  une  grande  assemblée.  Quelques  mois  avant  sa 
convocation,  le  clergé  de  notre  province  se  réunit  à 
Rouen  pour  choisir  ses  députés.  MgrdeRochechouart 
y  prit  la  parole.  La  pureté  de  sa  foi  et  la  vivacité  de 
son  caractère  éclatent  dans  ce  discours,  où  il  dénonce 
à  ses  collègues  les  entreprises  du  parlement  et  la  con- 
duite de  plusieurs  prélats. 
«  Il  est  inutile  de  retracer  à  vos  yeux,  dit-il  en 


DE  BAYEUX.  105 

commençant,  les  maux  de  l'Église  et  les  dangers  où 
la  foi  est  exposée  dans  ce  royaume.  Il  n'est  aucun 
de  nous  qui  n'en  soit  parfaitement  instruit.  La  persé- 
cution qui  règne  depuis  plus  de  quinze  ans,  et  contre 
nos  confrères  et  contre  nos  plus  fidèles  coopérateurs, 
les  entreprises  multipliées  dés  tribunaux  séculiers,  la 
licence  des  mauvais  livres  contre  les  mœurs  et  la 
religion,  les  progrès  de  l'erreur,  la  protection  accor- 
dée à  nos  plus  cruels  ennemis,  et  la  gêne  où  nous 
sommes  pour  instruire  nos  peuples  des  vérités  de  la 
religion ,  nous  ont  plus  d'une  fois  pénétré  de  dou- 
leur, et  nous  ont  fait  gémir  devant  Dieu,  en  implo- 
rant son  secours  dans  le  triste  état  où  nous  nous 
trouvons.  —  Qu'il  serait  fâcheux,  Messeigneurs,  que 
cette  assemblée,  qui  fait  les  espérances  des  vrais 
catholiques ,  et  presque  la  seule  ressource  qui  nous 
reste,  se  passât  comme  les  précédentes,  sans  donner 
des  marques  éclatantes  de  son  amour  pour  la  saine 
doctrine ,  de  son  éloignement  pour  l'erreur,  de  son 
courage  pour  défendre  les  droits  sacrés  du  saint 
ministère!  Il  est  donc  important  que  nos  députés 
portent  à  cette  espèce  de  concile  national  les  vœux 
de  notre  province.  » 

Ces  vœux ,  tels  qu'il  les  exprime ,  sont  de  plu- 
sieurs espèces.  D'abord  il  appelle  l'attention  de  ses 
collègues  sur  les  entreprises  de  M.  de  Monlazet , 
archevêque  de  Lyon,  contre  l'archevêque  de  Paris. 
Il  insiste  pour  que  l'assemblée  soit  saisie  de  cette 
affaire,  et  mise  à  même  d'exiger  une  réparation. 
Ensuite,  il  dénonce  les  instructions  pastorales  des 
évèques  d'Angers  et  d'Alais ,    contraires  aux  senti- 


106  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ments  de  presque  tous  les  évoques  de  France,  et 
qui  avaient  déjà  mérité  le  blâme  du  souverain  pon- 
tife. «  Vous  savez,  dit-il,  Messeigneurs  et  Messieurs, 
que  ces  instructions  ne  tendent  à  rien  moins  qu'à 
renouveler  une  doctrine  condamnée  par  plusieurs 
papes  et  par  le  clergé  de  France;  qu'à  attribuer  à  la 
société  des  Jésuites  une  doctrine  qu'elle  n'a  cessé  de 
combattre,  ce  recueil  affreux  d' Assertions  que  leurs 
ennemis  et  ceux  de  l'Église  ont  accumulé  et  composé 
à  loisir  pour  les  perdre;  qu'à  mettre  au  rang  des 
assertions  criminelles  des  sentiments  autorisés  par 
l'Église  et  soutenus,  dans  toutes  les  écoles,  et  enfin, 
qu'à  louer  et  approuver  les  arrêts  injustes  des  parle- 
ments, qui  ont  osé  regarder  comme  impie  un  institut 
formé  par  un  saint,  loué  par  un  concile  général,  con- 
firmé par  près  de  vingt  papes,  protégé  par  tous  les 
souverains,  canonisé  par  le  témoignage  de  tous  les 
évoques.  »  Mgr  de  Rochechouart  termine  son  exposé 
en  signalant  les  remèdes  que  la  situation  commande. 
Le  premier  est  de  demander  au  roi  la  convocation 
d'un  concile  national  ;  le  second  ,  de  donner  aux 
fidèles  un  corps  de  doctrine  propre  à  les  éclairer  sur 
tous  les  points  qui  continuaient  de  diviser  les  esprits. 
De  plus ,  le  souverain  pontife  ayant  manifesté  ses 
sentiments  par  différents  brefs  adressés  à  plusieurs 
évêques  français,  il  propose  à  l'assemblée  de  lui  en 
témoigner  sa  reconnaissance. 

On  assure  que  l'archevêque  de  Rouen  refusa  d'ouvrir 
la  voie  dans  laquelle  l'évêque  de  Bayeux  voulait  en- 
traîner ses  collègues.  Tout  en  rendant  justice  à  ses 
bonnes  .intentions  et  à  la  sagesse  de  ses  vues ,  il 


DE  BAVEUX.  407 

n'approuvait  pas  le  ton  irritant  qui  anime  son  dis- 
cours, et  regardait  comme  inopportunes  plusieurs  des 
questions  qu'il  soulève. 

Les  inquiétudes  qui  tourmentaient  les  évêques  de 
notre  province  ,  retentirent  bientôt  à  Paris  ,  dans 
l'assemblée  du  clergé.  Ses  actes,  que  nous  regret- 
tons de  ne  pouvoir  rappeler  en  détail,  sont  un  des 
plus  précieux  monuments  de  notre  Église  (1).  Non 
content  de  les  supprimer,  le  parlement  de  Paris 
condamna,  comme  un  libelle  séditieux,  la  circulaire 
par  laquelle  ils  furent  communiqués  à  toutl'épiscopat. 
Bientôt  des  témoignages  d'adhésion  arrivèrent  de 
toute  part.  Quatre-vingt-six  évêques  déclarèrent 
qu'ils  adoptaient  la  doctrine  de  leurs  collègues  ; 
quatre  seulement  crurent  devoir  protester.  M.  de 
Montazet,  celui-là  même  dont  Mgr  de  Rochechouart 
avait  dénoncé  «  la  témérité  scandaleuse  ,  »  donna 
le  signal  de  la  résistance.  Cependant  les  actes  du 
22  août,  souscrits  par  un  grand  nombre  de  prélats, 
par  plusieurs  facultés  de  théologie ,  par  une  foule 
de  curés  et  d'ecclésiastiques  du  second  ordre ,  furent 
acceptés  dans  toute  la  France.  Les  parlements  de 
province  les  condamnèrent  à  leur  tour.    Celui  de 


(1)  L'écrit  qu'elle  publia  le  22  août,  est  divisé  en  trois  parties  : 
dans  la  première,  l'assemblée  condamnait  les  principaux  ou- 
vrages de  l'école  philosophique;  tels  que  Y  Encyclopédie , 
YEmile,  le  Contrat  social,  la  Philosophie  de  l'histoire,  etc. 
Dans  la  deuxième,  on  établissait  les  droits  de  la  puissance 
spirituelle  contre  ceux  qui  auraient  voulu  la  réduire  au  silence. 
Dans  la  troisième,  l'assemblée,  après  avoir  reconnu  la  bulle 
Unigenitus  et  adopté  l'encyclique  de  Benoit  XIV,  déclarait  avec 
ce  pape  les  réfractaires  indignes  des  sacrements. 


108  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Normandie  osa  même  les  déclarer  nuls ,  et  intimer 
à  notre  faculté  de  théologie  la  défense  de  s'y  confor- 
mer; mais,  cette  fois,  la  faculté  de  Caen  se  montra 
ferme  sur  la  doctrine.  De  plus  ,  Mgr  de  Roche- 
chouart  ayant  écrit  à  tous  les  curés  de  son  diocèse 
pour  leur  signifier  les  actes  de  l'assemblée,  le  par- 
lement fit  brûler  sa  lettre  par  la  main  du  bourreau. 
D'Alembert  avait  raison  :  les  parlements  exécutaient 
sans  le  savoir  les  ordres  de  la  philosophie. 
Affaire  Autant  Mgr  de  Rochechouart  avait  mis  de  fermeté 

e  TroaT  le  à  défendre ,  contre  l'esprit  philosophique ,  l'ordre  de 
saint-sé^uicre.  samt  ïgnace  »  autant  il  mit  d'insistance  à  négocier 
auprès  du  roi  la  suppression  de  l'abbaye  de  Troarn. 
Les  exemptions  des  chapitres  et  des  abbayes,  leurs 
officialités,  leur  droit  de  patronage  étaient,  à  cette 
époque,  clans  le  monde  religieux,  ce  que  les  fiefs  et 
les  justices  féodales  avaient  été  au  moyen-âge  dans 
la  sphère  politique.  Le  moyen-âge  avait  disséminé  les 
éléments  du  pouvoir;  la  société  moderne,  au  con- 
traire, tendait  à  l'unité,  et  les  évoques  obéissaient  à 
la  tendance  générale.  Les  luttes  qu'ils  engagèrent  au 
xviie  et  au  xvine  siècle  contre  les  anciens  monas- 
tères, ne  furent  point  toujours  inspirées,  comme  on 
l'a  souvent  répété,  par  des  sentiments  d'aigreur  ou  de 
jalousie ,  entre  un  homme  et  une  corporation  ;  elles 
avaient  habituellement  pour  principe  la  nécessité  ou  le 
désir  d'étendre  le  pouvoir  central,  ou  du  moins  de  le 
fortifier.  Sur  six  cent  cinquante-neuf  cures  que  possé- 
dait le  diocèse  de  Bayeux,  il  n'y  en  avait  que  dix-huit 
dont  l'évêque  fût  patron  collateur.  Les  autres  étaient 
à  la  nomination  du  roi,  du  chapitre,  des  abbayes  ou 


DE  BAVEUX.  109 

lies  seigneurs  (1).  Au  xne  et  au  xmc  siècle,  les  évèques 
ne  paraissaient  pas  s'inquiéter  de  celte  situation  , 
conforme  à  celle  de  l'ordre  social;  mais,  quand  ils 
virent  le  pouvoir  monarchique  renverser  les  derniers 
débris  du  pouvoir  féodal,  et  concentrer  en  lui  seul 
toutes  les  forces  de  la  nation,  ils  songèrent  aussi  à 
faire  prévaloir  leur  autorité  dans  les  lieux  où  elle 
était  contestée.  Alors  on  examina  scrupuleusement 
l'origine  des  exemptions  canoniales  et  abbatiales  , 
souvent  fort  obscure,  et  l'exercice  en  fut  restreint. 
L'évêque  soumit  à  la  visite  de  son  archidiacre  les 
églises  dont  les  abbés  commendataires  négligeaient 
l'entretien.  Le  clergé  régulier,  celui  des  paroisses 
qui  relevaient  d'un  prieuré  ou  d'une  abbaye ,  les 
officiers  de  la  Cathédrale,  les  hauts  dignitaires  du 
chapitre,  tous  indistinctement,  furent  justiciables  de 
l'officialité  diocésaine.  Enfin,  la  mauvaise  admini- 
stration de  certains  prieurés  détermina  les  évèques  à 
les  supprimer,  ou  à  leur  donner  une  destination  plus 
utile  [2).  C'était  précisément  ce  que  l'on  se  proposait 
alors,  à  l'égard  de  l'abbaye  de  Troarn.  Une  conipli- 


(1)  Il  est  loin  de  notre  pensée  de  blâmer  en  principe  les 
patronages  laïcs  qui,  en  France  comme  ailleurs,  avaient  eu  leur 
raison  d'être  ;  mais  il  n'en  faut  pas  moins  convenir  qu'ils  res- 
treignaient singulièrement  le  pouvoir  épiscopal,  et  nous  ne 
sommes  pas  surpris  d'entendre  Msr  de  Rochechouart  se  plain- 
dre, dans  sa  correspondance ,  d'un  état  de  choses  qui  lui  lais- 
sait à  peine  «.  une  nomination  en  trois  ans.  »  Nous  nous  pla- 
çons à  son  point  de  vue  en  développant  ces  réflexions. 

(.2)  On  peut  voir,  dans  le  concile  de  Trente,  les  sages  pré- 
cautions que  l'Église  impose  aux  évèques  et  aux  monastères, 
pour  prévenir  les  abus  que  l'on  avait  alors  à  déplorer. 


110  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

cation  d'obstacles  ,  dont  le  secret  n'est  pas  bien 
connu,  fit  échouer  ces  résolutions. 

L'abbaye  de  Saint-Martin  de  Troarn  (ordre  de  saint 
Benoît,  ancienne  observance)  avait,  au  xvme  siècle, 
quatorze  places  monacales,  dont  neuf  offices  claus- 
traux, savoir:  l'office  de  sous-prieur,  de  sacristain, 
de  chambrier  (1),  d'aumônier,  d'infirmier,  de  bailli, 
de  chantre,  de  sous-chantre  et  de  salinier.  Son  pa- 
tronage s'étendait  sur  cinquante-cinq  bénéfices ,  et 
la  mense  abbatiale,  portée  à  trente-huit  mille  livres 
dans  la  France  ecclésiastique ,  s'élevait ,  d'après 
M.  Delamare ,  à  plus  de  cent  mille  livres.  L'abbaye 
possédait  plusieurs  salines  à  Yaraville  et  à  Sallenel- 
les.  Dès  le  xie  siècle,  il  y  avait  sur  ses  terres  une 
maladrerie  de  Saint-Léonard ,  fondée  par  le  comte  de 
Belême,  et  desservie  par  les  religieux,  auxquels  le 
fondateur  en  avait  fait  don.  L'abbé  rédigea  les  statuts 
par  lesquels  elle  était  régie  ;  on  y  admettait  les  lé- 
preux des  paroisses  dépendantes  du  monastère. 

L'abbé  Delarue  semble  avoir  ignoré  la  tentative 
faite  auprès  des  religieux,  en  1767,  pour  les  réunir 
a  la  collégiale  du  Saint-Sépulcre.  Il  se  contente  de 
dire  que,  dans  le  dernier  siècle,  le  haut  clergé  leur 
suscita  mille  tracasseries;  qu'on  essaya  de  les  suppri- 
mer, parce  qu'ils  refusaient  de  vivre  en  commun. 
Suivant  son  exposé ,  les  religieux  demandèrent  long- 
temps, et  toujours  en  vain  ,  la  restauration  des  lieux 
claustraux,  que  les  abbés  laissaient  tomber  en  ruines; 


(1)  Officier  claustral  qui  avait  soin  des  revenus  de  la  maison, 
tant  pour  la  bouche  que  pour  le  vestiaire. 


DE  BAÏEUX.  114 

alors,  pour  étouffer  les  réclamations,  on  en  vint  à  dé- 
fendre l'admission  de  nouveaux  sujets.  Il  est  à  croire 
que  ,  si  l'abbé  Delarue  avait  eu  sous  les  yeux  les 
pièces  que  nous  allons  analyser,  il  eût  modifié  ses 
appréciations  et  son  langage.  Certes  ,  il  n'entre  pas 
dans  notre  pensée  d'excuser  les  fautes  commises  par 
le  haut  clergé,  pendant  les  années  qui  précédèrent 
la  fin  du  dernier  siècle.  On  ne  déplorera  jamais  assez 
l'influence  qu'exerça  dans  la  commission  des  religieux 
un  jeune  prélat  qui  partageait,  dit-on,  les  sentiments 
des  philosophes  les  plus  impies,  ou  du  moins  entre- 
tenait avec  eux  d'intimes  relations  ;  mais ,  quel- 
que jugement  que  l'on  porte  sur  Mgr  de  Loménie  de 
Brienne  (1),  il  faut  reconnaître,  en  étudiant  sa 
correspondance  avec  Mgr  de  Rochechouart,  que  ses 
projets,  relativement  à  l'abbaye  de  Troarn,  avaient 
un  côté  spécieux,  et  qu'il  manquait  autre  chose  à  cet 
antique  monastère ,  pour  pratiquer  la  discipline , 
que  des  bâtiments  où  l'on  pût  rétablir  la  conven- 
tualité  (2). 

Le  23  mai  1766,  le  roi,  après  s'être  fait  rendre 


(1)  Etienne-Charles  de  Loménie  de  Brienne,  successivement 
archevêque  de  Toulouse  et  de  Sens,  prêta  le  serment  exigé  des 
ecclésiastiques,  en  1791,  renvoya  au  pape  Pie  VI  son  chapeau 
de  cardinal  et  prit  le  titre  d'évêque  de  l'Yonne. 

(2)  M.  Petite  avait  fait,  sur  les  abbayes  et  prieurés  du  diocèse, 
un  travail  qui  est  resté  manuscrit.  Voici  de  quelle  manière 
il  jugeait,  un  siècle  auparavant,  les  moines  de  l'abbaye  de 
Troarn  :  «  On  peut  dire  en  général  qu'ils  vivent  sans  scandale 
•et  sans  discipline  monastique.  Ils  plaident  les  uns  contre  les 
autres;  le  prieur  n'y  est  pas  le  maître;  ils  reconnaissent  la 
juridiction  de  l'évêque.  » 


112  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

compte  d'un  mémoire  sur  les  ordres  religieux,  que 
lui  présentèrent  les  prélats  députés  à  l'assemblée  du 
clergé  de  France,  désigna  plusieurs  évoques  et  quel- 
ques membres  de  son  conseil  pour  discuter  entre 
eux  les  mesures  les  plus  propres  à  rétablir  la  disci- 
pline dans  les  monastères,  où  s'étaient  introduits  un 
grand  nombre  d'abus.  Ce  fut  à  cette  occasion  que 
Mgr  de  Rochechouart  conçut  le  projet  de  transformer 
l'abbaye  de  Troarn  en  une  collégiale,  ce  qui  l'eût 
ramenée  à  son  état  primitif. 

On  sait,  en  effet,  que  le  monastère,  fondé  en  1022, 
par  Roger  de  Montgommery,  fut  d'abord  une  collé- 
giale séculière  composée  de  douze  chanoines,  et  que 
Roger,  son  fils,  transforma  cette  collégiale  en  abbaye, 
en  1048,  sous  l'épiscopat  de  Hugues,  évèque  de 
Bayeux.  La  discipline  régulière  y  fut  observée  jus- 
qu'en 1418;  mais,  à  cette  époque,  Henri  V,  roi 
d'Angleterre ,  espérant  conquérir  la  France,  dont  il 
avait  usurpé  la  couronne,  ses  généraux  sillonnaient 
en  tous  sens  notre  pays  dévasté,  et  Talbot,  le  plus 
célèbre  d'entre  eux,  conduisait  à  Caen  un  corps  de 
troupes,  pour  réduire  nos  concitoyens  à  l'obéissance. 
En  ce  temps-là,  le  monastère  de  Troarn  avait  pour 
supérieur  l'abbé  Robert,  qui  entreprit  de  tenir  tète 
à  l'ennemi,  ou  du  moins  de  retarder  sa  marche  triom 
pliante.  En  conséquence,  il  donna  l'ordre  à  ses  vas- 
saux de  rompre  le  pont  de  Saint-Samson ,  sur  la 
Dives,  qui  fermait  le  passage  à  l'Anglais.  Cette  coura- 
geuse, mais  inutile  résolution,  fut  le  signal  d'un 
grand  désastre.  Talbot  passa  la  Dives,  prit  le  mo- 
nastère d'assaut  et  le  mit  au  pillage.  Les  bâtiments 


DE  BAYEUX.  113 

furent  en  partie  ruinés ,  et  un  grand  nombre  de  ses 
titres  périt  au  milieu  des  flammes.  Dans  la  suite,  la 
fortune  s'étant  ralliée  à  nos  drapeaux,  l'abbé  Robert, 
qui  avait  prudemment  cédé  à  l'orage,  revint,  avec 
trente  de  ses  religieux,  relever  les  ruines  de  l'ab- 
baye. Le  roi  Charles  VII  lui  témoigna  sa  bienveillance 
et  son  estime. 

A  peine  les  moines  eurent-ils  réparé  ces  désastres, 
qu'ils  se  virent  de  nouveau  expulsés  par  les  Protes- 
tants. Les  vases  sacrés  furent  pillés  pour  la  seconde 
fois,  et  le  monastère  livré  aux  flammes.  A  partir  de 
cette  époque,  la  vie  commune  fut  supprimée,  et  les 
Bénédictins  du  Gallia  chrisliana  disent  que,  en 
1690,  la  collégiale  de  Troarn  avait  repris  son  ancien 
état  (1). 

Il  faut  bien  en  convenir,  ce  n'était  point  un  état 
régulier  que  celui  de  ces  moines  qui,  sans  avoir  été 
sécularisés,  menaient  à  Troarn  une  vie  séculière,  et 
trouvaient  dans  leur  petit  nombre  un  prétexte  pour 
ne  point  observer  la  règle.  D'un  autre  côté,  comme 
le  remarquait  Mgr  l'archevêque  de  Toulouse  ,  il  y 
aurait  eu  une  espèce  d'injustice  à  leur  imposer  stric- 
tement les  pratiques  de  la  vie  commune,  auxquelles 
l'usage  avait  pu  leur  donner  lieu  de  croire  qu'ils 
n'étaient  pas  astreints  par  leurs  vœux.  C'est  aussi  ce 
que  pensait  Mgr  de  Rochechouart  ;  mais,  lorsqu'il 
exposa  aux  membres  de  la  commission  nommée  par 
le  roi  le  projet  de  rétablir  canoniquement  un  cha- 
pitre à  Troarn,  ceux-ci  furent  d'avis  qu'il  valait  mieux 

(1)  Ad  priorem  canonicorum  statum  postliminio  rediit. 

8 


114  HISTOIRE  DU  DIOCKSE 

réunir  l'abbaye  au  Saint-Sépulcre  de  Caen,  et  donner 
ainsi  aux  religieux  l'occasion  d'exercer  leur  zèle  en 
s'arrachant  à  l'oisiveté. 

L'église  collégiale  du  Sépulcre,  fondée  par  Guil- 
laume Acarin  en  4  219,  était  agrégée  à  l'université, 
qui  donnait  au  doyen,  aux  chanoines  et  aux  chape- 
lains le  droit  de  committimm,  auprès  du  bailliage 
et  du  présidial  de  Caen  (1).  Au  xvme  siècle,  le 
chapitre  était  composé  d'un  doyen  ,  unique  digni- 
taire, et  de  neuf  chanoines  prébendes;  il  fut  fixé  à 
ce  nombre  par  le  pape  Urbain  V,  en  1367.  L'évêque, 
seul  collateur  du  doyenné,  conférait  les  canonicats 
alternativement  avec  le  doyen.  Il  y  avait  en  outre 
six  chapelains  ou  vicaires  amovibles,  six  enfants  de 
chœur,  plusieurs  musiciens  ,  un  sacristain  et  un 
bedeau.  En  proposant  de  rétablir  le  chapitre  de 
Troarn,  Mgr  de  Rochechouart  avait  eu  la  pensée  d'en 
faire  un  chapitre  noble,  destiné,  disait-il,  à  soulager 
«  la  pauvre  noblesse,  très-nombreuse  en  Norman- 
die. »  Il  vit  avec  peine  son  projet  rejeté  par  les  com- 
missaires, mais  il  n'insista  pas  pour  le  faire  admettre. 
Il  se  contenta  de  leur  représenter  que  le  chapitre  du 
Saint-Sépulcre  était  situé  au  haut  d'un  faubourg,  dans 
un  lieu  écarté  et  d'un  accès  assez  difficile;  qu'il 
faudrait  augmenter  le  nombre  des  chanoines  d'au- 
tant de  places  qu'il  y  en  avait  à  Troarn,  c'est-à-dire, 
de  quatorze,  et  que  l'église  du  Sépulcre  ne  pourrait 
les  contenir.  Il  proposait  en  conséquence  de  transfé- 

(1)  Droit  de  plaider  en  première  instance,  en  toutes  leurs 
affaires,  pures,  personnelles,  posscssoires  ou  mixtes,  tant  en 
demandant  qu'en  défendant. 


DE  BAYEUX.  14  5 

rer  la  collégiale  dans  l'église  des  Jésuites,  vacante 
depuis  leur  suppression,  ou  dans  celle  des  Croisiers, 
qui  n'était  plus  desservie  que  par  un  seul  religieux. 
Ces  propositions  furent  écartées,  et  l'on  s'en  tint  au 
premier  projet. 

Cependant  les  Bénédictins  de  Troarn  étaient  loin 
d'aspirer  à  la  vie  commune  ;  malgré  plusieurs  ordon- 
nances épiscopales  et  plusieurs  arrêts  du  parlement, 
ils  avaient  constamment  éludé  la  réforme;  la  crainte 
de  s'y  voir  soumis  les  portait  à  désirer  leur  sécula- 
risation :  c'était  ainsi  du  moins  que  Mgr  de  Roche- 
chouart  appréciait  leurs  dispositions.  Le  8  octobre 
1767,  il  informa  Wr  de  Brienne,  archevêque  de  Tou- 
louse ,  que  les  religieux  ,  «  d'une  voix  unanime  et 
sans  la  moindre  contradiction,  »  étaient  entrés  dans 
ses  vues,  et  qu'ils  consentaient,  soit  a  former  entre 
eux  un  nouveau  chapitre ,  soit  à  grossir  les  rangs 
d'une  autre  institution. 

Cette  unanimité  ne  tarda  pas  à  se  démentir.  Cinq 
religieux,  prétextant  des  scrupules  de  conscience,  se 
séparèrent  de  leurs  collègues  et  combattirent  le  pro- 
jet. Ce  fut  sans  doute  pour  vaincre  leur  opposition 
que  l'évêque  d'Orléans,  abbé  de  Troarn,  leur  déclara, 
quelque  temps  après,  qu'il  ne  fournirait  plus  rien 
pour  la  sacristie,  et  qu'il  ne  ferait  aucune  réparation, 
soit  aux  ornements,  soit  à  l'église.  D'un  autre  côté, 
les  chanoines  du  Sépulcre,  après  de  longues  hésita- 
tions, venaient  d'envoyer  à  Paris  un  projet  de  réu- 
nion. Leur  plan  ayant  été  rejeté  comme  trop  étendu, 
il  fut  modifié  le  41  octobre  1770.  L'abbé  Beziers , 
historien  du  diocèse,  était  l'un  des  commissaires. 

8 


116  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

J'ignore  si  ce  nouveau  projet  fut  soumis  à  l'appro- 
bation du  pouvoir  civil.  M.  Delamare  dit,  dans  son 
pouillé,  que  le  concordat  fut  signé  entre  les  cha- 
noines et  les  religieux  ,  et  qu'il  ne  s'agissait  plus 
que  de  poursuivre  en  cour  de  Rome  la  sécularisation 
du  monastère ,  «  lorsque  des  raisons  secrètes  ne 
permirent  pas  d'aller  plus  loin.  » 

Quelque  temps  après,  M*r  de  BrienneetM.de 
Yéry ,  abbé  de  Troarn ,  entreprirent  de  relever 
l'abbaye.  Dans  cette  prévision,  ils  défendirent  aux 
religieux  de  recevoir  de  nouveaux  sujets;  ils  vou- 
laient établir  k  leur  place  un  chapitre  de  chanoi- 
nesses  sous  la  direction  d'un  abbé.  Mgr  de  Cheylus  eut 
la  sagesse  de  s'y  opposer,  li  se  rendit  k  Troarn,  y  fit 
nommer  un  prieur  à  vie,  et  essaya  d'y  introduire 
la  réforme.  Cinq  religieux  y  consentirent,  quatre  la 
rejetèrent,  et  la  réforme  fut  indéfiniment  ajournée. 
Ceci  se  passait  en  octobre  1782.  Au  moment  où 
M.  Delamare  rédigeait  son  pouillé  [1786],  il  y  avait 
encore  sept  religieux  vivants  et  sept  places  vacantes. 
Plus  tard  ,  on  revint  k  l'idée  d'une  transformation  , 
et  l'abbaye  faillit  tomber  en  quenouille.  Mme  Henriette 
de  Crécy,  chanoinesse  du  noble  chapitre  de  Beaume- 
les-Damcs ,  fut  nommée  grande-prieure  du  chapitre 
de  Troarn.  Elle  prit  possession  le  6me  jour  de  mai 
1790  (1).  Le  29  du  même  mois,  l'assemblée  nationale 
commençait  k  discuter  la  constitution  civile  du  clergé. 
Fondation  Jean~Louis  du  Bouchet  de  Sourches,  évoque  de 
de  Troarn*.     Dol,  abbé  commendataîre  de  Saint-Martin  de  Troarn, 

(1)  V.  Pièces  justificatives ,  p.  41. 


DE  BAYEUX.  117 

acheta,  en  1745,  au  prix  de  sept  mille  six  cents 
livres  ,  un  terrain  et  des  bâtiments  pour  y  fonder 
un  hôpital.  Cette  maison  était  destinée  aux  pauvres 
malades  de  la  commune  et  des  quinze  paroisses  où 
l'abbaye  avait  des  possessions.  En  1746,  le  fonda- 
teur, après  avoir  assuré  à  l'hospice,  par  de  nouvelles 
donations,  un  revenu  de  mille  livres,  demanda  qu'on 
y  réunît  les  fondations  affectées  aux  secours  manuels 
que  les  religieux  distribuaient  à  la  porte  du  monas- 
tère. Sa  requête  fut  octroyée  par  lettres-patentes  en 
1748.  Ces  lettres  désignaient  comme  administrateurs 
du  nouvel  hospice,  l'abbé  de  Troarn  ou  son  fondé  de 
pouvoirs,  le  prieur  claustral  de  l'abbaye  et ,  en  son 
absence,  le  sous-prieur  ou  le  doyen,  deux  notables 
du  bourg  nommés  par  élection.  La  suppression  des 
aumônes  manuelles  rencontra  quelque  opposition  de 
la  part  des  religieux  ;  mais,  en  1753,  on  en  vint  à  un 
accommodement.  L'aumônier  de  l'abbaye  s'engagea  , 
au  nom  du  prieur,  à  livrer  chaque  année  a  l'hospice 
cent  quarante  boisseaux  d'orge,  au  lieu  des  distri- 
butions de  pain  que  l'on  faisait  aux  pauvres  trois 
fois  la  semaine,  d-epuis  la  Trinité  jusqu'à  la  Saint- 
Clair  (1).  De  plus,  sur  douze  cents  bourrées  que 
l'abbé   était    tenu    de   fournir   aux    religieux   pour 

(1)  C'est  au  moins  ce  qui  fut  réglé  à  l'époque  dont  nous 
parlons;  cependant,  on  nous  assure  que,  durant  les  années 
qui  précédèrent  la  révolution  ,  les  pauvres  venaient  recevoir, 
à  la  porte  de  l'aumônerie,  tous  les  samedis,  du  pain  et  une 
chemise  blanche;  tous  les  mois,  une  paire  de  draps  blancs. — 
La  porte  de  l'aumônerie,  remarquable  par  son  architecture,  a 
été  transportée,  pierre  à  pierre,  à  l'entrée  du  parc  de  M.  de 
Banneville,  sur  le  bord  de  la  route  de  Rouen. 


418  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

cuire  ce  pain  ,   l'aumônier  en  céda  onze  cents  à 
l'hôpital  ;  enfin  il  obtint  qu'on  laissât  à  sa  disposi- 
tion les  autres  biens  affectés  à  son  titre,  pour  en 
assister,  comme  par  le  passé,  les  pauvres  étrangers, 
prêtres,  soldats,  matelots,  officiers  et  autres.  Le  29 
avril  4754,  Messire  Odet-Joseph  de  Giry  de  Saint- 
Cyr,  abbé  de  Troarn ,   traita ,  au  nom  de  l'abbaye , 
avec  le  supérieur  des  Lazaristes  ,  pour  que  sa  con- 
grégation envoyât  trois  religieuses   desservir  l'hos- 
pice de  Troarn.  Il  dota  cette  maison  de  deux  mille 
livres  de  rentes,  et  lui  laissa  en  mourant  une  somme 
de  quatre  mille  livres.  Quelques  années  après,  les 
cotes-mortes  des  religieux  de  Troarn  qui  mouraient 
pourvus  de  bénéfices  situés  hors  de  l'abbaye  furent, 
par  un  arrêt  du  parlement,  appliquées  à  son  hôpital. 
En  4763,  on  demande  une  quatrième  religieuse  pour 
diriger  l'école  des  filles;  l'abbé  affecte  à  cette  dé- 
pense une  rente  de  soixante-quatre  livres,  que  rece- 
vait auparavant  une  maîtresse  laïque.  En  4784,  la 
salle  des  malades  étant  jugée  insalubre,  les  deux 
salles  actuelles  furent  bâties  successivement  dans 
l'espace  de  quatre  ans.  M.  de  Véry,  prélat  romain, 
alors  abbé  de  Troarn,  donna  pour  cette  construction 
deux  mille  quatre  cents  livres.  En  4790,  le  même 
abbé  fit  nommer  un  chapelain,  avec  un  traitement 
de  six  cents  livres,  qui  devait  être  pris  sur  les  reve- 
nus de  l'ancien  prieuré  de  Cagny.  La  révolution,  qui 
éclata,  ne  permit  pas  de  donner  suite  à  cette  der- 
nière fondation.  Le  revenu  de  l'hospice  était  alors 
de  cinq  mille  quatre-vingt-cinq  livres  dix  sols,  dont 
dix-sept  cent  vingt-cinq  livres  dix  sols  étaient  four- 


DE  BAIEUX.  119 

nis  par  l'abbé  et  les  religieux  ;  le  reste  se  composait 
de  renies  sur  particuliers,  mais  qui  provenaient  géné- 
ralement de  dons  faits  par  l'abbé.  Ajoutons,  à  l'hon- 
neur du  bourg  de  Troarn ,  que,  pendant  les  jours 
néfastes  qui  suivirent,  les  Sœurs  de  Saint-Vincent  de 
Paul  continuèrent  de  soigner  les  malades,  aidées  et 
protégées  par  la  majorité  des  habitants. 

La  démolition  de  l'église  de  l'abbaye  eut  lieu  à  la  Démolition 
fin  du  dernier  siècle.  Pendant  plusieurs  années,  ce 
fut  comme  une  immense  carrière ,  où  l'on  venait 
chercher  des  matériaux  pour  les  constructions  qui 
se  faisaient  à  Troarn  et  dans  les  communes  d'alen- 
tour. Sa  grandeur,  la  beauté  de  ses  clochers  vivent 
encore  dans  le  souvenir  de  quelques  vieillards.  La 
chaire,  les  stalles,  les  lambris  du  chœur  et  le  grand 
autel  ont  enrichi  l'église  paroissiale. 


420  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

*yyY7Tjnrc"ff  g'gwvyinnnrgwa'yirBy6"flw&  a  o  o  a  a*  a  aa  a-s  6  g-'innnrgTa'fa 


CHAPITRE  IX. 


Prières  pour  le  roi.  —  Exécution  d'un  condamné  à  mort.  — 
Filles  de  Saint-Vincent  de  Paul,  établies  à  Caen.  —  Pain 
des  pauvres  de  Bayeux. — Ordinations.  —  Conférences  ecclé- 
siastiques. —  Épidémie. 


Prières  Les  temps  n'étaient  pas  éloignés  où  le  régicide  allait 
pour  ie  roi.  s'accijmater  en  France.  Damiens  venait  de  poignar- 
der Louis  XV,  et  nos  évoques  rendaient  à  Dieu  de 
solennelles  actions  de  grâce  pour  la  conservation  du 
roi  (1).  Mgr  de  Rochechouart  ordonna  que  la  messe 
Pro  gratiis  Deo  agendis,  ainsi  que  le  Te  Deum, 


(1)  Damiens  avait  passé  quelque  temps  chez  les  Jésuites  de 
Paris  en  qualité  de  domestique.  Il  en  était  sorti  en  1738;  ce 
fut  vingt  ans  plus  tard  qu'il  commit  son  crime.  Il  soutenait 
alors,  avec  la  violence  d'un  sectaire,  les  mensonges  du  parti 
janséniste.  Comment  se  fait-il  que  son  crime  soit  retombé  sur 
les  Jésuites,  comme  s'ils  l'avaient  inspiré? 


DEBAÏEUX.  121 

serait  chantée,  rilu  annuali,  àBayeux,  dans  l'église 
Cathédrale  ;  à  Caen ,  dans  l'église  de  Saint-Pierre , 
en  présence  du  clergé  séculier  et  régulier  de  ces 
deux  villes.  Les  autres  paroisses  du  diocèse  devaient 
suivre  cet  exemple;  les  supérieurs  des  communau- 
tés reçurent  également  l'ordre  de  s'y  conformer.  Ceci 
se  passait  en  1757.  On  peut  remarquer  que,  dans  la 
convocation  des  communautés  religieuses,  aucune 
exception  n'est  admise  par  l'évêque  :  il  appliquait 
donc  aux  Bénédictins  de  Caen  les  principes  de  Mgr  de 
Nesmond. 

Le  22  mars  1760,  un  soldat  nommé  Corbelet,  con-  Exécution 
damné  à  être  rompu  vif  pour  avoir  tué  et  volé  un  de  unà  mortamne 
ses  camarades,  fut  exécuté  k  Caen,  sur  la  place  du 
Vieux-Marché.  Extrait  de  la  prison,  qui,  à  cette  épo- 
que, était  située  dans  la  rue  de  Geôle,  il  fit  d'abord 
amende  honorable  devant  le  portail  de  l'église  Saint- 
Pierre;  deux  prêtres  l'accompagnaient;  trente  sergents 
à  cheval  et  un  cavalier  de  la  maréchaussée  formaient 
l'escorte.  Arrivé  à  la  Belle-Croix,  il  y  chanta  lui- 
même  le  Salve  regina,  baisa  l'image  du  salut,  et 
exhorta  le  peuple  à  prier  pour  lui  et  pour  sa  victime. 
Ensuite  le  cortège  funèbre  se  dirigea  par  la  rue 
Monte-à-Regret  (1),  vers  la  grande  place  où  était 
située  l'église  Saint-Sauveur,  dont  la  cloche  sonnait 
le  trépas.  Cette  place  était  couverte  d'une  foule  im- 
mense ;  une  multitude  de  curieux  garnissait  les  fenê- 
tres des  maisons  qui  l'entourent.  Corbelet  s'étendit 
sur  la  roue  et  y  reçut  onze  coups  de  barre,  en  invo- 

(1)  C'était  Je  nom  populaire  que  portait  alors  la  rue  Formage. 


\li  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

quant  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  Puis  il  se  mit 
à  chanter,  «  d'une  voix  mâle  et  forte ,  »  le  Veni 
Creator,  Y  Ave  maris  Stella  et  le  psaume  Miserere. 
Les  strophes  des  deux  premières  hymnes  furent 
chantées  alternativement  par  le  patient  et  par  le 
peuple  ;  pendant  le  Miserere ,  le  peuple  répétait 
entre  chaque  verset  la  prière  que  l'Église  a  coutume 
d'adresser  à  Dieu  pour  désarmer  sa  colère,  Parce, 
Domine,  parce  populo  tuo.  Vers  le  milieu  du  psau- 
me, la  voix  du  patient  s'affaiblit;  son  agonie  com- 
mença ,  et  au  bout  d'une  heure ,  il  fut  étranglé  par 
le  bourreau.  Il  y  a  loin  de  ce  dialogue  religieux  aux 
cris  féroces  ou  aux  ignobles  plaisanteries  qui ,  de 
nos  jours  ,  accueillent  trop  souvent  le  condamné. 
Alors,  du  moins,  l'appareil  qui  l'entourait,  soutenait 
son  courage,  et  les  spectateurs  y  puisaient  de  salu- 
taires émotions. 
Fines  Nous  lisons,  dans  les  registres  de  la  municipalité 

de  Saint-Vincent  . 

de  Paul      de  Caen,  que,  des  lan  1744,  une  maison  pour  ele- 

établiesàCaen.    ^   ^g   j^^    gjj^    ^fo   ^   fmfâQ    ^    SaUlt-MCOlaS 

par  une  personne  charitable.  D'un  autre  côté,  sans 
remonter  à  aucune  date  précise ,  M.  Vaultier  fait 
honneur  de  cette  institution  à  M.  Bonhomme,  dernier 
curé  de  Saint-Nicolas.  La  vérité  est  que  M.  Julienne, 
curé  de  cette  paroisse ,  avait  donné  pour  le  même 
but,  en  4761,  une  somme  de  douze  mille  cinq  cent 
dix  livres  provenant  de  différentes  aumônes,  placées 
à  cet  effet  entre  ses  mains.  Mais  l'abbé  Julienne  étant 
mort  en  1762,  avant  la  rédaction  du  contrat,  les 
trois  Sœurs  de  Saint -Vincent  de  Paul ,  qui  déjà 
s'étaient  mises  à  l'œuvre,  furent  inquiétées  par  les 


DE  BAYEUX.  123 

héritiers  du  défunt.  Le  monastère  de  Saint-Étienne 
vint  en  aide  à  la  paroisse  et  adressa,  en  1770,  une 
requête  au  parlement,  par  l'organe  de  son  abbé.  Il 
eut  à  combattre  l'opposition  «  de  quelques  personnes 
qui  auraient  dû,  par  état  et  par  devoir,  favoriser  une 
institution  si  utile,  »  et  qui  en  contrariaient  l'établis- 
sement. Peut-être  le  jugement  définitif  ne  fut-il  rendu 
que  sous  l'administration  de  M.  Bonhomme.  Dans  ce 
cas,  nous  serions  heureux  de  nous  trouver  draccord 
avec  M.  Vaultier,  que  nous  avons  suivi  dans  notre 
Introduction. 

De  temps  immémorial,  le  temporel  de  l'évêché  de  pain 
Bayeux  devait  aux  pauvres  de  la  ville  une  rente  ^11*112 
hebdomadaire  de  dix-huit  boisseaux  de  blé  réduit 
en  pain.  La  distribution  se  fit  d'abord  trois  fois  la 
semaine,  et  plus  tard  tous  les  lundis.  Ce  jour-là, 
les  deux  portes  de  l'évêché  s'ouvraient  pour  le  service 
des  pauvres.  On  les  faisait  entrer  et  sortir  de  diffé- 
rents côtés,  afin  d'éviter  la  confusion.  Cette  aumône 
était-elle  une  application  du  droit  primitif  qui  affec- 
tait au  soulagement  des  pauvres  le  quart  des  reve- 
nus de  l'Église?  Doit- on  la  faire  remonter  à  une 
donation  spéciale  octroyée  par  quelque  bienfaiteur? 
C'est  ce  qu'il  était,  dès  le  temps  qui  nous  occupe, 
impossible  de  déterminer.  On  sait  seulement  que , 
en  plusieurs  circonstances,  le  chapitre  adressa  une 
requête  au  parlement  pour  qu'il  obligeât  le  vicaire 
de  l'évêque  à  payer  la  rente  ;  ce  qui  porterait  à 
croire  que,  dans  le  principe,  les  biens  du  chapitre 
étaient  chargés  de  cette  redevance,  concurremment 
avec  ceux  de  l'évêché.  Du  reste,  quelle  qu'en  soit  l'o- 


124  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

rigine,  les  conclusions  capitulaires  du  3  et  du  10  mai 
1501  étaient,  dès  cette  époque,  le  titre  le  plus  ancien 
que  pussent  invoquer  les  pauvres  (1). 

Depuis  M*r  René  de  Prie  jusqu'à  WT  de  Nesmond, 
la  prestation  fut  acquittée  tantôt  spontanément,  tantôt 
en  vertu  d'une  sentence  judiciaire.  Le  four  où  l'on 
cuisait  le  pain,  était  alors  sous  la  chapelle  de  l'évê- 
ché,  dans  une  partie  des  bâtiments  qui  portait  le 
nom  de  salle  octogone.  Mgr  de  Nesmond  transporta 
le  four  du  palais  épiscopal  dans  la  chapelle  Saint- 
Yves,  située  près  de  la  Cathédrale.  Il  convertit  en 
un  revenu  fixe,  comme  nous  l'avons  dit  ailleurs,  la 
rente  de  dix-huit  boisseaux ,  et  laissa  aux  admini- 
strateurs de  l'hôpital  le  soin  des  approvisionnements. 
Cet  abonnement  tacite,  proportionné  pour  le  temps 
à  la  valeur  des  céréales ,  n'avait  pas  éteint  la  rede- 
vance. Aussi  voyons-nous,  dès  1715,  quelques  mois 
après  la  mort  du  prélat,  le  syndic  des  pauvres  auto- 
risé par  le  chapitre  à  poursuivre  l'économe-séquestre, 
et  le  bailliage  de  Bayeux  condamner  celui-ci  à  payer 
les  arrérages. 

Sur  ces  entrefaites,  les  pauvres  avaient  été  mis 

(1)  Quia  charitas  locum  habet  in  illis  et  aliis  partibus  multis, 
et  multiplicantur  quotidiè  pauperes,  egentes  panibus  et  famem 
patientes,  nec  eis  distribuuntur  eleemosynae  ex  parte  D.  Epis- 
copi  Bajocensis ,  ut  solet  fieri  per  ejus  praedecessores  ter  in 
hebdomadâ ,  conquesti  sunt  Domini  capitulantes,  et  dixerunt 
prœdicto  Le  Gorboyer  canonico  de  Albrayo  et  menagerio  Bajo- 
censi,  ut  faciat  eleemosynas  pro  D.  Episcopo  praefato,  etc. 

Et  ailleurs  : 

Consentit  prœdictus  Le  Gorboyer  quôd  quâlibet  hebdomadâ 
distribuentur  in  panibus  sex  bucelli  in  diebus  Dominicis,  Martis 
et  Jovis.  (Actes  capit.  du  3  mai  et  du  10  mai  1501.) 


DE  BÀYEUX.  125 

en  demeure  d'établir  leurs  droits.  Ces  droits  furent 
reconnus  par  Mgr  le  cardinal  de  la  Tremoille,  qui 
s'engagea,  comme  Mgr  de  Nesmond  ,  à  payer  douze 
cents  livres  ;  par  Mgr  de  Lorraine,  qui  paya  différentes 
sommes ,  et  sur  la  succession  duquel  on  fit  des 
arrêts  ;  puis ,  par  l'économe-séqueslre  de  la  dite 
succession,  taxé  en  fin  de  compte  à  deux  mille  vingt 
livres.  Depuis  1728  jusqu'en  1761,  la  rente  tomba 
dans  l'oubli.  En  1761,  M.  de  Vacqueville,  un  des 
administrateurs  de  l'hospice  ,  en  prit  connaissance, 
et  présenta  une  requête  à  Mgr  de  Rochechouart;  mais 
celui-ci,  craignant  d'imposer  à  ses  successeurs  une 
charge  nouvelle,  refusa  la  prestation.  Bientôt  après, 
assigné  à  la  requête  du  procureur  du  roi,  qui  récla- 
mait avec  le  paiement  de  la  rente  celui  des  arrérages, 
il  fit  opposition  à  l'arrêt  de  1650,  appela  au  parle- 
ment de  la  sentence  par  laquelle  l'économe-séquestre 
avait  été  condamné  en  1715,  et  intima  le  cardinal 
de  Luynes  comme  responsable  de  la  somme  qu'il 
aurait  dû  payer  pendant  son  épiscopat.  De  leur  côté, 
le  maire  et  les  échevins  de  Baveux  se  firent  recevoir 
parties  intervenantes  pour  les  pauvres  de  la  ville,  le 
7  juillet  1766.  Évidemment,  le  conseil  de  Mgr  de 
Rochechouart,  —  nous  parlons  ici  des  avocats  qui 
signèrent  son  mémoire  ,  —  l'avait  témérairement 
engagé  dans  cette  procédure,  comme  s'il  se  fût  agi 
de  repousser  un  «  acte  humiliant,  »  auquel  on 
aurait  voulu  l'astreindre.  La  partie  adverse  s'em- 
pressa de  déclarer  qu'un  tel  but  était  loin  de  sa 
pensée.  La  ville  de  Bayeux ,  disait-elle,  connaît  la 
charité  et  la  bonté  de  son  évêque,  et,  «  s'il  était  une 


Ordinations. 


\  26  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

voie  ouverte  pour  obliger  les  prélats  à  faire  l'aumône, 
elle  serait  inutile  sous  son  épiscopat.  »  Ce  n'était 
donc  pas  dans  le  but  de  l'y  contraindre  que  les  ma- 
gistrats avaient  été  saisis  de  l'affaire  ,  mais  unique- 
ment pour  faire  valoir  une  redevance,  «  assignée  sur 
le  temporel  de  l'évêché  de  Bayeux.  »  Il  est  probable 
que  Mgr  de  Rochechouart,  dont  la  religion  avait  été 
surprise,  retira  son  instance;  ce  que  nous  pouvons 
affirmer,  c'est  que,  en  1765,  il  avait  déjà  payé  mille 
cinquante  livres.  On  ne  sait  rien  de  plus  sur  la  con- 
clusion de  ce  procès  ,  lequel,  dit  un  contemporain, 
s'était  déjà  renouvelé  plusieurs  fois  dans  les  temps 
de  détresse,  et  qui,  «  sans  jugement  définitif,  » 
aboutissait  toujours  «  à  un  don  extraordinaire,  »  que 
la  charitéMe  nos  prélats  offrait  généreusement  aux 
pauvres  de  la  cité. 

Chaque  année,  à  l'époque  des  ordinations,  le  sémi- 
naire de  Caen  envoyait  au  séminaire  de  Bayeux  les 
étudiants  qui  se  préparaient  à  recevoir  les  saints 
ordres  ;  mais  le  temps  des  retraites  ne  concourait 
pas  avec  celui  des  examens  :  de  là,  des  voyages  mul- 
tipliés, source  de  dissipation  pour  quelques-uns  et 
onéreux  pour  le  plus  grand  nombre.  Mgr  de  Roche- 
chouart décida  que  les  retraites  et  les  examens 
auraient  lieu  a'ia  même  époque.  Il  exigea  un  mois 
d'épreuve  pour  les  ordres  mineurs,  cinq  pour  le 
sous-diaconat,  trois  pour  le  diaconat  et  trois  pour 
la  prêtrise  ,  non  compris  le  temps  des  retraites  qui 
précédaient  chaque  ordination.  La  tonsure  ne  fut 
plus  conférée  qu'après  une  retraite  de  dix  jours. 
L'ouverture  des  quartiers  fut  fixée  au  séminaire  de 


DE  BAYEUX.  127 

Bayeux  de  la  manière  suivante  :  pour  les  ordres 
mineurs,  le  douzième  jour  du  mois  d'août;  pour  le 
sous-diaconat,  le  25  novembre  ;  pour  le  diaconat  et 
la  prêtrise,  le  quinzième  jour  de  juin.  On  ne  faisait 
alors  qu'une  seule  ordination  générale,  aux  Quatre- 
Temps  de  septembre.  Des  ordinations  particulières 
avaient  lieu  aux  autres  époques,  en  faveur  de  ceux 
qui,  ayant  été  admis  précédemment  à  l'examen  géné- 
ral, ne  s'étaient  point  présentés  à  l'ordination  pour 
quelque  raison  légitime.  L'évêque  exigeait  en  outre 
que  tous  ceux  qui  seraient  promus  aux  ordres  sacrés, 
possédassent  en  propre  une  bible  et  une  théologie. 
Enfin,  les  ordinands  qui  avaient  leur  domicile  dans 
la  ville  de  Caen  et  dans  celle  de  Bayeux,  étaient 
tenus  de  suivre  au  séminaire  les  leçons  de  théologie, 
ainsi  que  les  conférences  sur  l'Écriture  sainte  ;  ceux 
qui  demeuraient  à  la  campagne,  devaient  suivre  les 
conférences  ecclésiastiques  de  leur  canton  ,  et  en 
donner  la  preuve  par  un  certificat.  Vers  la  fin  de  la 
seconde  année  de  philosophie,  qui,  dans  les  trois 
collèges  de  Caen,  était  consacrée  à  l'étude  des  scien- 
ces physiques,  les  aspirants  au  sacerdoce  se  présen- 
taient pour  subir  un  examen  au  séminaire  de  Caen 
ou  à  celui  de  Bayeux.  Ceux  qui  étaient  reçus,  y 
restaient  pendant  un  mois,  sans  prendre  la  soutane, 
et  rentraient  ensuite  dans  leur  famille.  Ce  temps 
d'épreuve  s'appelait  «  mois  de  gris,  »  par  allusion 
à  la  couleur  des  vêtements  que  portaient  ordinai- 
rement les  jeunes  élèves.  Le  séjour  du  séminaire 
n'était  donc  rigoureusement  obligatoire  qu'aux  épo- 
ques mentionnées  plus  haut.  Dans  les  autres  temps, 


128  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

on  pouvait  étudier  à  la  campagne   ou  prendre  sa 
pension  dans  la  ville ,  pour  assister  aux  cours  de 
l'université.  Ces  cours  étaient  suivis  par  tous  ceux 
qui  aspiraient  à  posséder  un  bénéfice.  Ils  devaient 
obtenir  au  moins  le  titre  de  maître  ès-arts.  A  l'époque 
de  l'ordination ,   MM.   les    curés  choisissaient  eux- 
mêmes  leurs  vicaires ,  en  se  réservant  le  droit  de 
les  congédier;  les  jeunes  prêtres  qui  n'étaient  récla- 
més pour  aucun  poste,  restaient  en  disponibilité,  ou 
allaient  exercer  leur  ministère  dans  un  autre  diocèse. 
Ces  derniers  détails,  qui  m'ont  été  fournis  par  un 
prêtre  contemporain  de  Mgrde  Cheylus,  sont  suffisants 
pour  établir  que  le  séminaire  de  la  Délivrande  n'était 
plus  en  exercice;   on  pourrait  aussi  le  conclure  de 
l'ordonnance  de  Mgr  de  Rochechouart  que  nous  avons 
analysée,  et  dans  laquelle  le  nom  de  la  Délivrande 
n'est  même  pas  cité,  bien  qu'elle  embrasse,  dans 
leur  ensemble,  l'organisation  des  séminaires. 
conférences        Les  conférences  ecclésiastiques  n'avaient  pas  dégé- 
néré. Nous  avons  sous  les  yeux  le  programme  de  deux 
années,  depuis  novembre   1765  jusqu'à  la  fin  de 
juillet   1766,   et  depuis  novembre   1770   jusqu'en 
1771.  Le  premier  résume   le  traité  des  Lois;  le 
second  roule  sur  la  Justice ,  le  Droit  et  la  Resti- 
tution en  général.  Ces  travaux  sont  bien  conçus,  et 
indiquent  de  fortes  études.  Les  conférences,  sous 
Mgr  de  Rochechouart ,  avaient  lieu  dix-huit  fois  par 
an;  elles  étaient  suspendues  pendant  les  mois  d'août, 
de  septembre  et  d'octobre  ;  sous  l'épiscopat  de  Mgr 
de  Cheylus,  le  jour  en  était  fixé  dans  YOrdo.  Elles 
étaient  obligatoires  pour  les  prêtres  et  pour  tous 


ecclésiastiques. 


DE  BÀYEl'X.  129 

les  clercs ,  particulièrement  pour  ceux  qui  étaient 
promus  aux  ordres  sacrés  ;  dans  les  paroisses  rura- 
les, c'était  la  conférence  qui  les  y  préparait,  et  Mgr 
de  Cheylus,  comme  son  prédécesseur,  déclare  qu'il 
n'admettra  point  aux  fonctions  du  saint  ministère  les 
ecclésiastiques  qui  ne  fréquenteraient  pas  avec  assi- 
duité ces  pieuses  réunions. 

Depuis  près  de  deux  ans,  la  maladie  connue  sous  Épidémie. 
le  nom  de  fièvre  miliaire  désolait  la  ville  de  Bayeux, 
et  étendait  ses  ravages  sur  une  grande  partie  du 
Bessin  ;  elle  affectait  particulièrement  les  jeunes  per- 
sonnes ;  beaucoup  de  malades  avaient  péri.  Après 
plusieurs  pèlerinages  à  la  Délivrande,  Mgr  l'évêque 
ordonna  que,  le  dimanche  23  juin  1765,  une  pro- 
cession générale  se  rendrait  de  la  Cathédrale  à  Saint- 
Exupère ,  pour  demander  à  Dieu  la  cessation  du 
fléau.  On  y  accourut  de  toute  la  contrée;  un  peuple 
immense  se  pressait  sur  son  passage.  La  crainte  de 
la  mort  semblait  avoir  réveillé  la  foi  chez  les  plus 
indifférents,  et  durant  plusieurs  semaines  on  conti- 
nua d'offrir  à  Dieu  des  cérémonies  expiatoires. 
Sur  la  requête  du  procureur  du  roi,  le  lieutenant- 
général  du  bailliage  suspendit  pour  un  an  le  droit 
d'inhumer  dans  les  églises.  Les  curés,  les  vicaires 
et  les  trésoriers  en  charge  étaient  seuls  exceptés.  Dix 
ans  plus  tard,  fut  rendue  l'ordonnance  qui  défendait 
absolument  ces  sortes  d'inhumations. 


130  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


CHAPITRE  X. 


Abbaye  de  Cerisy.  —  Le  curé  de  la  Haye-Pi quenot.  —  Service 
pour  Marie  Leckzinska. — Office  du  Sacré-Cœur. —  Suppres- 
sion de  quelques  fêles.  —  Mandements  de  M8r  de  Roche- 
chouart. 


Abbaye  A  Cerisy,  comme  dans  plusieurs  autres  monastères, 

!my*  la  décadence  de  la  régularité  avait  entraîné  la  ruine 
des  lieux  réguliers.  A  peine  les  Bénédictins  de  la 
congrégation  de  Saint-Maur  eurent-ils  remplacé  ceux 
de  l'ancienne  observance,  qu'ils  travaillèrent  à  res- 
taurer l'église  et  à  remettre  en  valeur  les  terres 
restées  sans  culture.  On  fit  refondre  les  cinq  cloches 
en  4737;  Mgr  de  Luynes,  abbé  de  Cerisy,  et  à  cette 
époque  évêque  de  Bayeux,  nomma  la  première  avec 
l'abbesse  de  Caen  ;  leur  présent  s'élevait  à  cinq 
cent  dix  livres  ;  on  en  profita  pour  acheter  des  orne- 
ments. En  4752,  M«r  de  Luynes  vint  à  son  abbaye, 


DE  BAYEUX.  431 

y  donna  la  confirmation  et  tint  la  calende  ;  sa  visite 
fut  des  plus  gracieuses  ;  elle  fit  oublier  aux  religieux 
les  démêlés  un  peu  vifs  que  la  reconstruction  de 
l'abbatiale  avait  soulevés  entre  eux  et  le  seigneur 
abbé.  Quelque  temps  après,  le  P.  d'Irlande  et  le  P. 
Langegu,  de  la  maison  des  Jésuites  de  Caen,  furent 
envoyés  à  Cerisy;  ils  y  prêchèrent  une  mission  au 
milieu  d'une  affluence  si  considérable,  que  l'on  fut 
obligé  de  transporter  la  chaire  à  la  porte  de  l'église. 

Vingt-huit  Bénédictins  de  l'abbaye  de  Saint-Ger- 
main-des-Prés,  à  Paris,  séduits  par  l'influence  des 
livres  contagieux  qui  pénétraient  jusque»  dans  leurs 
cellules,  avaient  osé  demander  au  roi  qu'il  retran- 
chât de  leurs  obligations  le  costume  religieux,  l'ab- 
stinence et  l'office  de  la  nuit.  L'abbaye  de  Cerisy  en 
fut  informée  le  28  juin  1765,  et  elle  se  hâta  d'oppo- 
ser à  cette  requête  l'unanimité  de  ses  protestations. 
Le  roi  fit  témoigner  aux  signataires  son  vif  mécon- 
tentement, et  ils  se  retractèrent  quelques  jours  après 
entre  les  mains  de  l'archevêque  de  Paris.  11  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  la  congrégation  des  Bénédictins 
était  déjà  tourmentée  par  l'esprit  d'incrédulité  ; 
l'amour  de  la  retraite  et  de  la  prière  s'y  était  affaibli 
depuis  long-temps. 

A  Cerisy,  le  temporel  de  la  maison  se  trouvait  dans 
un  grand  désordre.  Les  dettes  s'élevaient  à  quatre- 
vingt  mille  livres.  Le  Cartulaire  en  impute  la  plus 
grande  partie  a  la  mauvaise  administration  d'un 
des  derniers  prieurs.  Rien  n'attriste  l'âme  comme 
la  lecture  de  ces  feuilles  rédigées  par  le  chroni- 
queur avec  une  froide  impartialité.  Tantôt  c'est  le 


432  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

feu  du  ciel  qui,  en  1766,  désole  l'église  à  peine 
restaurée.  Tantôt  ce  sont  les  prieurs  qui ,  dé- 
couragés par  le  déplorable  état  des  finances,  s'em- 
pressent de  quitter  un  poste  où  le  dévouement 
aurait  dû  les  retenir.  Puis  viennent  les  luttes  de  la 
communauté  avec  le  curé  de  Cerisy,  l'abbé  commen- 
dataire  ou  l'évêque  de  Bayeux.  En  4779,  Mgr  de 
Cheylus  nomme  un  titulaire  à  la  cure  de  Deux- 
Jumeaux;  celui-ci  se  met  en  possession,  malgré  les 
réclamations  d'un  compétiteur  qui  avait  reçu  ses 
pouvoirs  de  l'abbé.  Après  une  longue  procédure , 
le  bailliage  de  Bayeux  rend  un  arrêt  en  faveur  du 
candidat  nommé  par  l'évêque;  mais,  en  1781,  un 
arrêt  du  parlement  reconnaît  et  confirme  le  droit  de 
collation  auquel  prétendait  l'abbaye.  Du  reste,  cette 
lutte  n'altéra  pas  les  rapports  de  bienveillance  que 
Mgr  de  Cheylus  entretenait  avec  le  monastère.  Il  y 
donna  la  confirmation  en  1782,  tint  la  calende  du 
doyenné,  et  vint  s'asseoir  à  la  table  du  prieur. 

Ici  s'arrêtent  les  renseignements  fournis  par  le 
Cartulaire.  Les  souvenirs  des  contemporains  que  nous 
avons  évoqués  ,  ne  sont  pas  favorables  aux  derniers 
religieux.  L'amour  du  jeu  et  le  plaisir  de  la  chasse 
les  arrachaient  souvent  à  leurs  saintes  occupations. 
Une  vie,  une  seule  vie  pieusement  austère,  contrastait 
pourtant  avec  la  dissipation  et  le  relâchement  général. 
Tous  eurent  le  malheur  de  prêter  serment  à  la  consti- 
tution civile  du  clergé  ;  on  nous  assure  qu'ils  étaient 
alors  au  nombre  de  huit.  La  communauté  passait  pour 
avoir  un  revenu  de  quarante  mille  livres  ;  on  dit  qu'elle 
était  restée  fidèle  au  précepte  de  l'aumône. 


DE  BAYEUX.  133 

Les  bâtiments ,  y  compris  l'abbatiale ,  ont  été  dé- 
molis après  la  révolution.  L'église  était  composée 
de  deux  nefs  et  d'un  chœur.  Un  mur  séparait  les 
deux  nefs  ,  dont  l'une  servait  d'église  paroissiale  ; 
celle-ci  a  été  supprimée  comme  inutile  ;  les  autres 
parties  du  monument  sont  maintenant  affectées  au 
service  de  la  paroisse.  Près  de  la  porte  du  mona- 
stère, était  autrefois  la  chapelle  de  l'abbé  ;  on  peut 
encore  en  admirer  l'élégance  ,  malgré  les  mutila- 
tions qu'elle  a  subies. 

De  temps  en  temps,  l'hérésie  essayait  de  relever  la  Le  curé 
tête.  L'hostilité  des  parlements  contre  l'épiscopat  fa-  Haye-piqoenot. 
vorisait  ses  intrigues  ;  c'était  là  surtout  qu'elle  cher- 
chait un  point  d'appui.  Un  prêtre  du  diocèse  de 
Bayeux ,  présenté  à  la  cure  de  la  Haye-Piquenot , 
s'était  pourvu  devant  l'évêque,  le  29  décembre  1764, 
pour  se  faire  octroyer  des  pouvoirs.  Le  prélat  exigea 
la  signature  du  formulaire  d'Alexandre  VII.  Le  Pelley, 
c'était  le  nom  du  demandeur,  refusa  d'obéir,  et  se 
contenta  de  signer  une  formule  adoptée  par  les  Jan- 
sénistes, où  se  trouvait  la  distinction  du  fait  et  du 
droit.  Cette  formule  ne  fut  point  admise.  Alors  Le 
Pelley  obtint  de  la  chancellerie  la  permission  d'appe- 
ler l'évêque  de  Bayeux  devant  le  parlement;  l'évêque 
y  fut  assigné.  Des  magistrats  séculiers,  usurpant 
l'autorilé  des  fonctions  ecclésiastiques  ,  osaient  ainsi 
prendre  sous  leur  patronage  un  prêtre  entaché  d'hé- 
résie, et  qui  avait  brisé  les  liens  de  la  soumission. 
Notre  diocèse  n'était  pas  le  seul  où  l'on  eût  à  déplo- 
rer ce  scandale.  L'assemblée  du  clergé  de  France  en 
fut  instruite;  elle  porta   ses  doléances  au  pied  du 


1  3i  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

trône  ;  et  le  roi  défendit  aux  tribunaux  séculiers  de 
recevoir  à  l'avenir  ces  sortes  d'appels, 
serticepour  Le  10  octobre  4768,  on  célébra,  dans  l'église  du 
a  monastère  de  Saint-Étienne,  un  service  funèbre  pour 
la  reine  Marie  Leckzinska.  L'université  ,  qui  avait 
demandé  cette  cérémonie,  envoya  deux  députés  au 
château  de  Sommervieu,  pour  inviter  Mgr  l'évêque  à 
l'honorer  de  sa  présence.  Il  vint,  en  effet,  offrir  le 
saint  sacrifice.  Le  prieur  et  le  procureur  de  l'abbaye 
remplissaient  les  fonctions  de  prêtres  assistants. 
M.  Hélie  ,  professeur  de  rhétorique  au  collège  des 
Arts,  prononça  l'oraison  funèbre.  Le  matin,  on  avait 
fait  distribuer  du  pain  à  huit  cents  pauvres,  dans 
toutes  les  paroisses  de  Caen. 
offre  Trois  ans  avant  sa  mort,  la  pieuse  princesse  avait 

obtenu  du  clergé  de  France  qu'il  instituât  une  fête 
solennelle  en  l'honneur  du  Sacré-Cœur  de  Jésus.  Le 
mandement  par  lequel  Mgr  de  Rochechouart  ordonna 
que  cette  fête  serait  célébrée  tous  les  ans ,  est  du 
12  mars  1772;  il  annonce  en  même  temps  la  nou- 
velle édition  du  bréviaire,  qui  contenait,  avec  l'office 
du  Sacré-Cœur,  celui  de  Sainte-Chantal  et  de  Saint- 
Vincent  de  Paul,  récemment  canonisés, 
suppression  Le  nombre  des  solennités  religieuses  qui  entraî- 
dequelqHesfcHc9'naient  la  suppression  du  travail,  paraissait  de  plus 
en  plus  excessif  à  une  population  chez  laquelle  la 
foi  allait  toujours  s'affaiblissant.  Le  22  mars  4767, 
Mgr  de  Rochechouart  publia  un  mandement  qui  en 
retranchait  quelques-unes.  Il  permit  les  œuvres  ser- 
viles,  et  dispensa  les  fidèles  d'entendre  la  messe  les 
jours  de  Saint -Mathias,  de  Saint-Jacques  et  Saint- 


du  Sacré  Cœur. 


DE  BÀYEUX.  435 

Philippe,  de  Saint-André,  de  Saint-Thomas,  de  Saint- 
Jean-1'Évangéliste,  ainsi  que  le  mardi  de  la  Pente- 
côte. Il  transféra  au  dimanche  la  fête  de  Saint-Exu- 
père  et  la  solennité  du  patron  dans  chaque  église. 
Le  jeûne  et  l'abstinence  cessèrent  d'être  obligatoires 
la  veille  de  Saint-André.  Les  fêtes  du  lundi  et  du  mardi 
de  Pâques  ,  celles  de  l'Ascension  ,  du  lundi  après  la 
Pentecôte,  la  fête  du  Saint-Sacrement:,  celles  de  la 
Circoncision  et  de  l'Epiphanie,  les  fêtes  de  la  très- 
sainte  Vierge,  celles  de  Saint-Jean-Baptiste,  de  Saint- 
Pierre  et  de  Saint-Paul,  celle  de  tous  les  Saints,  la 
Nativité  de  Notre-Seigneur,  la  fête  de  Saint-Étienne, 
premier  martyr,  furent  maintenues  «  sous  peine  de 
péché.  »  Ces  mesures,  arrachées  à  l'autorité  par  les 
périls  d'une  situation  qui  s'aggravait  à  chaque  instant, 
coïncidaient  avec  les  perfides  attaques  du  Journal 
encyclopédique.  C'est  contre  lui  qu'est  dirigé  le 
morceau  qu'on  va  lire: 
«  INon ,  s'écrie  le  prélat ,  les  fêtes  dans  la  religion  ne    Mandements 

-,  -,        P   .  .  de  Mgrde  Roche- 

sont  pas,  comme  on  voudrait  vous  le  faire  croire,  chouan. 
des  jours  d'une  inutile  et  dangereuse  oisiveté.  Ce 
sont  des  jours  d'instruction  ,  où  l'on  vous  apprend 
ce  qu'il  vous  est  important  de  savoir,  ce  que  vous 
devez  croire  ,  ce  que  \ous  devez  à  Dieu ,  à  vous- 
mêmes  ,  aux  hommes  vos  semblables  ;  ce  sont  des 
jours  de  grâce,  qui  vous  sont  donnés  pour  opérer 
votre  salut,  pour  réparer  par  l'assistance  aux  divins 
mystères  et  aux  saints  offices,  par  l'exercice  de  la 
prière  et  la  pratique  des  vertus  chrétiennes,  ce  que 
font  perdre  à  la  piété ,  ou  l'embarras  des  affaires 
séculières,  ou  la  continuelle  application  à  un  travail 


136  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

pénible  et  nécessaire.  Ce  sont  encore  des  jours  de 
repos ,  mais  d'un  repos  sacré  dans  lequel  l'esprit 
s'unit  à  Dieu,  tandis  que  le  corps  se  délasse  de  ses 
fatigues,  où  l'homme  se  renouvelle  pour  ainsi  dire 
tout  entier,  pour  remplir  avec  plus  de  zèle  et  de 
courage  les  importants  devoirs  de  père,  de  citoyen 
et  de  sujet.  »  —  «  Le  vrai  repos,  dit-il  encore,  est 
celui  où  nous  faisons  taire  nos  passions,  et  où  nous 
cessons  de  commettre  le  mal.  » — Ensuite  il  reproche  à 
ses  contradicteurs  d'avoir  moins  à  cœur  de  secourir 
la  misère  des  pauvres  que  de  propager  les  maximes 
de  l'incrédulité.  Il  avoue  que,  parmi  les  chrétiens, 
quelques-uns  abusent  des  jours  de  fête  pour  se  livrer 
a  la  licence ,  ou  violent  sans  scrupule  la  défense  de 
l'Église,  en  prétextant  la  nécessité;  tandis  que  les 
autres,  plus  religieux,  s'interdisent,  par  respect  de  la 
loi ,  un  travail  qui  eût  soulagé  leur  indigence.  Pour 
remédier  à  ces  inconvénients,  l'évêque  consent  à  sup- 
primer l'obligation  d'entendre  la  messe  le  jour  de 
certaines  fêles,  mais  il  exhorte  ses  diocésains  à  sanc- 
tifier le  travail  qui  va  leur  être  permis,  à  l'accepter 
comme  une  pénitence  que  la  justice  de  Dieu  nous 
impose. —  L'archevêque  de  Rouen,  les  évêques  de 
Séez,  de  Lisieux  et  du  Mans  imitèrent  son  exemple. 
Une  secte  puissante  travaillait  alors  au  renverse- 
ment des  idées  religieuses ,  et  dans  presque  toutes 
ses  publications ,  Wr  de  Rochechouart  s'attachait  à  la 
combattre.  Le  morceau  que  nous  allons  citer  est  ex- 
trait d'un  mandement  publié  le  26  avril  1759,  pour 
annoncer  à  ses  diocésains  le  jubilé  que  Clément  XIII 
venait  d'accorder  à  l'Église  : 


DE  BAYEUX.  4  37 

«  Aujourd'hui,  nous  le  disons  avec  horreur,  tout 
est  malheureusement  renversé.  On  conteste  au  Créa- 
teur son  légitime  culte  et  souvent  même  sa  propre 
existence  ;  on  dépouille  notre  âme  de  ses  plus  nobles 
avantages,  sa  spiritualité,  sa  liberté,  son  immortalité, 
et  dans  une  classe  des  êtres  vivants,  arbitrairement 
et  follement  graduée,  on  assigne  a  l'homme  un  rang 
qui  ne  le  distingue  que  par  la  supériorité  des  orga- 
nes. Les  notions  du  juste  et  de  l'injuste,  du  bien  et 
du  mal,  sont  confondues,  quoique  aussi  manifes- 
tement distinctes  que  les  idées  immuables  du  faux 
et  du  vrai;  en  changeant  de  climat,  le  vice  et  la 
vertu  changent  de  nature  et  de  nom  ;  tout  est  donc 
réduit  au  caprice  des  temps  et  des  lieux.  Ce  ne  sont 
plus  les  lois  divines  qui  règlent  et  fixent  les  devoirs, 
ils  sont  déterminés  par  les  mœurs  dominantes;  la 
sensibilité  physique  est  le  seul  agent  de  l'univers,  et 
c'est  à  l'activité  des  passions  qui  naissent  d'elle,  que 
la  société  doit  tous  ses  avantages. — Voilà,  M.  T.  C. 
F.,  quelques-unes  des  monstrueuses  maximes  qui 
s'accréditent  de  nos  jours.  Le  paganisme  les  aurait 
abhorrées.  L'infâme  espèce  de  philosophie  qui  s'efforce 
de  les  répandre,  se  produit  tantôt  sous  le  masque  et 
tantôt  à  découvert;  elle  use  quelquefois  de  réserve 
et  de  ménagement;  quelquefois  elle  se  montre  avec 
éclat  et  sans  pudeur;  elle  affecte  ici  les  indécisions 
du  pyrrhonisme ;  là,  elle  voudrait  en  imposer  par 
un  air  de  confiance  ,  que  l'évidence  seule  devrait 
donner  ;  en  un  mot,  elle  sait  prendre  tous  les  tons, 
et  jamais  le  venin  ne  fut  si  artificieusement  préparé 
et  présenté  sous  tant  de  formes.  A  peine  dans  cette 


138  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

foule  de  livres  que  le  siècle  produit,  en  trouve-t-on 
quelques-uns  qui  conservent  à  la  vertu  et  à  la  reli- 
gion l'intégrité  de  leurs  droits,  et  si  tous  les  auteurs 
nouveaux  qui  se  parent  du  nom  de  philosophes,  ne 
nous  offrent  pas  un  système  suivi  de  libertinage  et 
d'irréligion,  il  n'en  est  point  parmi  eux  qui  ne  cher- 
che et  ne  trouve  le  malheureux  secret  d'insérer  dans 
ses  écrits  quelques  germes  plus  ou  moins  développés 
de  licence  et  d'incrédulité;  de  telle  sorte  que,  nous 
ne  craignons  pas  de  le  dire,  si  Ton  veut  observer 
avec  soin  la  marche  concertée  de  ces  philosophes 
prétendus;  leur  usage  de  s'honorer  réciproquement 
de  magnifiques  éloges,  auxquels  rien  ne  manque  que 
le  sceau  du  public;  leur  manière  de  jeter  en  avant, 
et  comme  sans  dessein,  leurs  affreux  principes;  leur 
adresse  à  pourvoir  à  leur  propre  sûreté,  en  se  ména- 
geant avec  art,  la  ressource  de  quelques  équivoques, 
pour  le  cas  du  besoin  ;  leur  méthode  de  s'expliquer 
ensuite  plus  ouvertement,  quand  ils  croient  les  esprits 
suffisamment  disposés  ;  l'impudence  avec  laquelle  ils 
ont  réuni  dans  un  môme  ouvrage  et  présenté  sous 
un  seul  point  de  vue  leurs  scandaleux  principes  , 
dispersés  auparavant  dans  leurs  divers  écrits,  on  ne 
doutera  pas  qu'ils  n'aient  fait  entre  eux  une  crimi- 
nelle association,  dans  laquelle  on  ne  peut  être  initié 
et  reçu  qu'en  proscrivant  d'abord  la  foi  chrétienne.  » 
Il  serait  difficile  d'analyser  sous  des  traits  plus 
frappants  la  tactique  impie  des  philosophes  qui  sont 
en  cause.  L'évêque  était  vivement  frappé  des  malheurs 
qui  menaçaient  la  France.  11  termine  en  indiquant 
aux  chrétiens  la  manière  de  les  conjurer:  respecter 


DE  BAYEUX.  130 

la  religion,  avoir  pour  elle  amour  et  confiance ,  se 
tenir  en  garde  contre  les  pièges  de  la  philosophie, 
faire  de  sa  raison  un  usage  circonspect,  jeter  aux 
flammes  les  livres  pervers  qui  ne  tendent  à.  la  séduire 
que  pour  l'égarer. 


de  Caen. 


'140  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


CHAPITRE  XL 


Hôtel-Dieu  de  Caen.  —  Chanoines  de  l'Hôtel-Dieu.  —  Reli- 
gieuses de  l'Hôtel-Dieu.  —  Reliques  de  la  Cathédrale.  — 
Travaux  à  l'église  et  au  palais  épiscopal.  —  Cession  de  la 
seigneurie  d'Isigny.  —  Conseil  supérieur. 


Hôtei-Dieu        L'origine  de  l'Hôtel-Dieu  de  Caen,  sur  laquelle 


Huet  avait  émis  plusieurs  conjectures  insoutenables, 
a  été  discutée  par  l'abbé  Delarue,  dans  ses  Essais 
historiques,  et  éclaircie  par  lui  autant  qu'elle  pou- 
vait l'être.  Il  résulte  de  ses  savantes  recherches:  1° 
que,  vers  l'année  1054,  Guillaume-le- Conquérant 
fonda  un  hôpital  entre  le  pont  de  Vaucelles  et  celui 
de  l'Hôtel-Dieu,  dans  cette  partie  de  la  ville  que  l'on 
appelait  Vile  des  casernes,  à  gauche  du  chemin  qui 
conduisait  de  la  ville  au  faubourg;  —  2°  que  cet 
hôpital  existait  encore  du  temps  de  Robert  Wace, 
«  clerc  lisant  »  de  la  chapelle  du  roi  Henri  II,  et  que 


DE  BAYEUX.  141 

l'on  y  recevait  indistinctement  toutes  sortes  de  mala- 
des ;  —  3°  que  la  population  de  Caen  étant  devenue 
plus  nombreuse  et  la  lèpre  très-commune,  vers  l'an 
1160,  le  roi  Henri  II,  duc  de  Normandie,  fonda  la 
grande  maladrerie  à  l'extrémité  du  Bourg-l'Abbé  , 
et  y  fit  transporter  les  lépreux  ;  — ■  4°  qu'entre  les 
années  1185  et  1188,  après  avoir  isolé  la  lèpre  des 
autres  infirmités,  on  construisit  pour  les  malades  de 
la  ville,  sur  l'emplacement  de  l'hôpital  primitif,  la 
maison  de  l'Hôtel-Dieu,  lequel  y  est  resté  jusqu'en 
1823;  — 5°  qu'une  infinité  de  seigneurs  et  de  bour- 
geois aumônèrent  des  fonds  pour  former  cet  hospice, 
et  que,  si  le  véritable  fondateur  est  resté  inconnu, 
tout  porte  à  croire  que  ce  fut  le  roi  Henri  II  ;  — 6° 
que,  dès  l'an  1210,  les  chanoines  réguliers  de  Saint- 
Augustin  étaient  établis  à  l'Hôtel-Dieu  de  Caen , 
comme  le  prouve  la  bulle  du  pape  Innocent  III;  que 
cette  maison  fut  fondée  sous  le  titre  de  prieuré 
conventuel  hospitalier ,  par  Guillaume ,  comte  de 
Manneville;  — 7°  qu'en  1266  il  y  avait  un  prieur 
et  cinq  chanoines,  dont  deux  desservaient  les  pa- 
roisses voisines  ,  dix  religieuses  âgées  et  infirmes 
pour  servir  les  malades;  que  l'Hôtel-Dieu  avait  un 
revenu  de  deux  mille  livres,  somme  égale  à  qua- 
rante-un mille  huit  francs  de  notre  monnaie  actuelle. 
De  quel  ordre  étaient  les  religieuses  que  l'arche- 
vêque de  Rouen  y  trouva,  en  1266?  Par  qui  furent- 
elles  appelées?  Jusqu'à  quelle  époque  demeurèrent- 
elles  chargées  du  soin  des  malades?  on  l'ignore. 
Tout  ce  que  l'on  sait,  c'est  que  le  prieur  admini- 
strateur spirituel  et  temporel  de  cette  maison  avait 


442  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

rang  parmi  les  prélats  du  second  ordre;  que,  dans 
les  cérémonies  publiques,  il  portait  le  bâton  pasto- 
ral;  que  sa  communauté  avait  fondé  des  colonies 
dans  quelques  villes  de  la  province.  Au  xme  siècle, 
les  marchands  de  la  ville  de  Caen,  à  l'exemple  de 
la  noblesse  et  de  la  bourgeoisie,  se  signalèrent  par 
leur  bienfaisance  envers  l'Hôtel-Dieu.  Une  assemblée 
publique  décida  que  chaque  corps  de  métiers  élirait 
un  prévôt  pour  recevoir  les  Deniers-à-Dieu  de  tous 
les  marchés  conclus  dans  l'année,  et  qu'ils  seraient 
abandonnés  à  l'hospice.  Le  jour  de  la  Pentecôte,  on 
les  attachait  à  un  énorme  cierge  fait  avec  la  cire  due 
par  les  apprentis  de  chaque  corporation ,  et  on  les 
portait  ainsi  à  une  procession  solennelle,  où  toutes 
assistaient  avec  leur  bannière.  Le  prieur  présidait  à 
la  cérémonie  et  conduisait  la  procession  de  l'église 
Saint-Pierre  à  celle  de  Saint-Nicolas.  Les  échevins 
la  suivaient  avec  leur  cortège.  A  l'époque  dont  nous 
écrivons  l'histoire,  cette  pieuse  coutume  commen- 
çait à  vieillir.  Aussi  voyons-nous,  en  1773,  M.  du 
Touchet,  lieutenant-général  du  bailliage  et  siège  pré- 
sidial  de  Caen ,  ordonner  que  les  aumônes  seraient 
recueillies  par  le  commissaire,   qui  devait  dresser 
procès-verbal  contre  les  défaillants. 

L'Hôtel-Dieu  était  donc  occupé,  au  xvme  siècle, 
1°  par  les  chanoines  de  Saint-Augustin,  qui  d'abord 
ne  vécurent  pas  en  communauté ,  et  sur  l'origine 
desquels  on  ne  peut  émettre  que  des  conjectures  ; 
2°  par  les  religieuses  hospitalières  de  la  maladrerie 
de  Rouen ,  qui  vinrent  s'établir  à  Caen,  en  1629, 
pour  soigner  les  malades  ;  3°  par  les  Pelits-Renfer- 


de  l' Hôtel-Dieu. 


DE  BAYEUX.  H 3 

mes ,  dont  nous  avons  déjà  raconté  la  fondation  J 
en  rappelant  les  mesures  qui  furent  prises  en  1 635 , 
pour  l'extinction  de  la  mendicité,  sous  le  gouver- 
nement du  duc  de  Longueville  (1). 

La  communauté  des  chanoines  de  Saint-Augustin  chanoines 
se  composait  alors  de  dix  religieux ,  en  comptant 
le  prieur.  Celui-ci  était  élu  dans  le  prétoire  du  bail- 
liage, par  les  bourgeois  de  la  ville,  devant  le  bailli 
et  les  échevins.  Présenté  ensuite  à  l'évêque,  qui  lui 
donnait  sa  collation,  il  était  mis  en  possession  par 
le  bailli  ou  son  lieutenant.  Laissons  l'abbé  Delarue 
combattre  sur  ce  point  les  prétentions  du  corps 
municipal ,  qu'il  accuse  d'en  avoir  imposé  notoi- 
rement à  la  justice;  ce  qui  est  certain,  c'est  que  les 
choses  se  passaient  ainsi  depuis  plusieurs  siècles  ; 
c'est  que  tous  les  canonicats  étaient  à  la  nomination 
du  maire  et  des  échevins,  qui  prenaient  le  titre  de 
patrons  et  administrateurs  nés  de  l'Hôtel-Dieu.  L'é- 
glise était  sous  l'invocation  de  saint  Thomas  de 
Cantorbéry  et  de  saint  Antoine  ;  les  chanoines  avaient 
le  patronage  de  trois  bénéfices-cures:  Clinchamps, 
Yenoix  et  Basly. 

Depuis  long-temps,  l'usage  de  fraterniser  était 
établi  entre  les  chanoines  réguliers  des  différentes 
congrégations  ;  c'est-à-dire ,  que  celles  qui  étaient 
suffisamment  pourvues,  quelquefois  même  surchar- 
gées de  bénéfices,  en  accordaient  la  jouissance  à 
d'autres  moins  privilégiées.  Ainsi,  par  exemple,  la 
Congrégation  de  France,  qui  avait  à  sa  disposition 

(1)  Vol.  précéd.,  p.  135. 


144  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

treize  cents  cures  régulières,  bien  qu'elle  ne  comptât 
que  neuf  cents  sujets,  fraternisait  avec  l'Hôtel-Dieu 
de  Caen,  dont  tous  les  revenus  se  réduisaient  à 
trois  bénéfices.  En  4770,  le  roi  défendit  cet  usage; 
mais  bientôt  après,  touché  des  représentations  que 
lui  adressèrent  les  chanoines  de  l'Hôtel-Dieu ,  il  ré- 
tablit, en  4774,  le  privilège  dont  les  avait  dépouillés 
son  premier  édit.  La  congrégation  de  France  en 
appela  de  la  déclaration  royale  ;  les  chanoines  de 
l'Hôtel-Dieu  lui  répondirent  en  exposant  la  situation 
où  les  aurait  placés  la  mesure  contre  laquelle  ils 
réclamaient.  Ils  citent  les  termes  d'un  procès-verbal, 
rédigé  en  1599,  par  les  magistrats  du  parlement,  à 
la  suite  d'une  enquête  à  laquelle  furent  soumises  les 
propriétés  de  l'Hôtel-Dieu.  Il  en  résulte  que  leurs  pré- 
décesseurs avaient  abandonné  aux  pauvres  l'usu- 
fruit d'une  partie  de  leurs  biens;  qu'ils  avaient  réduit 
leur  nombre,  afin  d'ouvrir  leur  porte  à  une  plus 
grande  multitude  de  malades.  «  Quatre  cents  livres  et 
quinze  boisseaux  de  blé,  telle  est  la  portion  attribuée 
à  chacun  pour  subvenir  à  ses  besoins  personnels 
et  prendre  part  aux  charges  communes.  Placés  au 
milieu  d'une  importante  cité,  ils  ne  lui  coûtent  rien, 
bien  qu'ils  soient  entièrement  dévoués  à  son  service. 
Ils  le  sont  aux  pauvres  par  état,  et  toute  la  ville 
est  témoin  que,  plus  d'une  fois,  ils  les  ont  suivis 
seuls,  hors  de  l'hôpital  même  (4),  lorsque  les  conta- 

(1)  Citons  entre  autres  l'abbé  Le  Baron,  qui,  en  1718,  ne 
craignit  pas  de  s'enfermer  à  la  Gobelinière,  pour  y  assister 
les  pauvres  attaqués  d'une  maladie  contagieuse  ;  il  enseve- 
lissait lui-même  les  morts  et  leur  donnait  la  sépulture. 


DE  BAYEL'X.  115 

gions  étaient  trop  meurtrières  ;  que  jamais  auprès 
d'eux  ils  n'ont  écouté  un  seul  instant  le  dégoût  ni 
la  crainte.  » 

Proposera- t-on  de  réduire  leur  nombre?  Mais, 
depuis  leur  établissement,  ils  sont  astreints  à  l'office 
canonial,  fondé  par  les  illustres  maisons  de  Harcourt, 
de  Malherbe,  de  Manneville,  d'Anisy,  dont  les  dona- 
tions, qui  subsistent,  n'ont  été  faites  et  acceptées 
qu'à  cette  condition  formelle.  —  De  plus  ,  il  leur 
faut  acquitter  près  de  quinze  cents  messes,  dont  la 
plupart  doivent  être  célébrées  avec  diacre  et  sous- 
diacre  ;  pourvoir  à  l'administration  de  deux  hôpi- 
taux: l'Hôtel-Dieu  et  les  Petits-Renfermés. — Enfin, 
ils  ont  abandonné,  «  depuis  quelques  années,  »  une 
somme  annuelle  de  vingt  mille  francs ,  pour  élever 
et  nourrir  «  une  multitude  d'enfants  trouvés,  qu'on 
leur  apporte  de  toute  part.  »  Serait-il  sage  de  suppri- 
mer cette  institution,  dans  l'intérêt  d'une  commu- 
nauté qui  déjà  regorge  de  richesses? 

Nous  avons  dit  que  la  Congrégation  de  France  en 
appela  de  la  déclaration  royale;  elle  mit  en  œuvre 
plusieurs  systèmes  pour  la  rendre  illusoire.  Quoique 
repoussés  constamment  par  le  ministre,  ces  expé- 
dients avaient  pour  résultat  d'épuiser  l'Hôtel-Dieu, 
en  ajournant  la  solution  définitive.  Le  roi,  ayant 
été  informé  de  la  situation ,  fit  déclarer  par  ses 
commissaires,  le  19  septembre  1778,  à  Messieurs  de 
la  Congrégation  de  France ,  assemblés  en  chapitre 
général,  que  «  Sa  Majesté  les  verrait  avec  satisfaction 
délibérer  sur  les  moyens  de  procurer  des  bénéfices- 
cures  aux  chanoines  réguliers  de  l'Hôtel-Dieu  de 

10 


1  46  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Caen  ,  qui ,  après  avoir  travaillé  durant  plusieurs 
années  à  desservir  le  dit  hôpital,  méritaient  de  trou- 
ver, dans  des  bénéfices,  une  retraite  qui  serait  la 
récompense  de  leurs  travaux.  »  En  réponse  à  cette 
déclaration,  la  Congrégation  de  France  offrit  au  roi 
de  réunir  à  l'Hôtel -Dieu  le  monastère  du  Plessis- 
Grimoult,  qui  comptait  vingt-cinq  bénéfices  réguliers, 
et  n'était  composé  que  de  trois  ou  quatre  religieux. 
Elle  y  eût  mis  pour  condition  que  la  maison  de 
l'Hôtel-Dieu  lui  serait  incorporée,  ce  qui  eût  entraî- 
né l'extinction  des  canonicats.  Cet  arrangement  fut 
repoussé  par  les  chanoines,  comme  étant  contraire 
aux  intentions  du  pouvoir.  Le  roi,  en  effet,  ne  voulait 
pas  les  détruire,  mais  au  contraire  les  conserver  et 
récompenser  leurs  services  ;  la  ville  de  Caen  était 
elle-même  intéressée  à  leur  conservation  :  car  ils 
recevaient  sans  dot  les  jeunes  gens  qui  désiraient 
entrer  dans  l'état  ecclésiastique,  et  se  consacrer  au 
service  des  pauvres.  Les  •  pauvres ,  de  leur  côté, 
trouvaient  une  ressource  dans  la  cote-morte  des 
chanoines  qui  mouraient  pourvus  de  bénéfices  (1), 
et  dont  ils  recueillaient  l'héritage. 

Une  pièce  manuscrite ,  déposée  aux  archives  de 
la  mairie  de  Caen,  suppose  que,  en  4789,  l'affaire 
n'était  pas  encore  terminée.  Il  était  question,  à  cette 
époque,  de  donner  aux  pauvres  la  maison  et  les 
jardins  qui  appartenaient  aux  chanoines,  de  remplacer 
ceux-ci  par  quatre  chapelains  et  d'éteindre  les  fonda- 

(1)  On  appelait  cote-morte  la  succession  d'un  moine  qui 
vivait  hors  de  la  mense  commune,  et  qui  avait  quelque  béné- 
fice ou  quelque  pécule,  dont  l'abbé  et  le  couvent  héritaient. 


de 
l'Ilôtel-Dicu. 


DE  BAYEUX.  147 

tions.  L'abbé  Delarue,  qui  a  passé  sous  silence  tous 
les  faits  que  nous  venons  de  rapporter,  ne  dit  rien  de 
cet  «  anéantissement,  »  dont  la  perspective  arrachait 
des  cris  de  douleur  aux  derniers  titulaires  ;  mais  il  a 
donné  la  liste  des  prieurs ,  et ,  d'après  lui ,  Joseph 
Villers  ,  nommé  en  4776,  était  encore  en  charge  à 
l'époque  de  la  révolution. 

A  côté  des  chanoines  de  l'Hôtel-Dieu,  nous  trou-  Religieuses 
vons  les  religieuses  de  la  maladrerie  de  Rouen,  appe- 
lées en  1629  par  l'administration  municipale,  qui 
leur  assigna  sept  cents  livres  de  rentes  pour  leur 
subsistance  (1).  Le  prieur  consentit  à  la  fondation, 
et  l'évêque  l'approuva  l'année  suivante.  C'était  avec 
la  permission  de  l'archevêque  de  Rouen  qu'Elisabeth 
Hédiart  et  ses  deux  compagnes  avaient  quitté  leur 
monastère.  Cependant  lorsque,  en  1637,  elles  priè- 
rent le  saint- siège  d'approuver  leur  translation,  le 
pape  Urbain  VIII  leur  fit  imposer  une  pénitence  par 
l'évêque  de  Rayeux,  pour  avoir  «  témérairement  » 
abandonné  le  lieu  de  leur  domicile.  Mais  il  les  dé- 
clara, suivant  leur  désir,  absolument  exemptes  de 
la  juridiction  que  le  prieur  de  l'Hôtel-Dieu  préten- 
dait exercer  sur  elles,  et  les  soumit  à  celle  de  l'évê- 
que diocésain. 

D'après  la  bulle  que  nous  venons  de  citer,  les 
religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  firent  d'abord  profession 
de  «  servir  les  pauvres  par  personnes  interposées;  » 
mais,  suivant  la  coutume  autorisée  dans  les  hôpitaux 

(1)  Ce  chiffre  est  celui  que  donne  Huet  dans  les  Origines 
de  Caen.  La  bulle  d'Urbain  VIII,  publiée  en  1637,  ne  parle 
que  de  six  cents  livres  tournois. 


148  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

de  France,  elles  demandèrent  à  Rome  qu'il  leur  fût 
permis  de  «  soigner  et  assister  par  elles-mêmes  les 
pauvres  infirmes  de  l'un  et  l'autre  sexe.  »  Leur  sup- 
plique, qui  porte  la  signature  de  douze  professes, 
fut  favorablement  accueillie  le  12  mars  1638.  Quant 
aux  constitutions  ,  ce  fut  après  s'y  être  soumises 
volontairement  pendant  quinze  années,  qu'elles  priè- 
rent Mgr  d'Angennes  de  les  confirmer.  Son  approbation 
est  du  4  mai  1645. 

L'hôpital  des  Petits-Renfermés  consistait  en  deux 
maisons  séparées,  où  étaient  élevés  les  enfants  des 
deux  sexes  abandonnés  par  leur  famille.  C'était  sans 
doute  cette  partie  de  l'Hôtel-Dieu  que  les  chanoines 
avaient  ouverte  aux  enfants  trouvés ,  quelque  temps 
avant  leurs  démêlés  avec  la  Congrégation  de  France. 

L'église  Cathédrale  de  Bayeux  possédait  autrefois 
d«Ia       quatre  somptueux  reliquaires  ,  dont  Y  Inventaire  du 

Cathédrale 

Trésor,  rédigé  en  1476,  par  ordre  de  WT  de  Harcourt, 
contient  une  ample  description.  Le  premier  renfer- 
mait les  corps  de  saint  Raven  et  de  saint  Rasiphe; 
le  deuxième,  celui  de  saint  Pantaléon  ;  le  troisième, 
celui  de  saint  Antonin;  le  quatrième,  celui  de  saint 
Regnobert,  transféré  de  l'église  de  Saint-Exupère  à 
la  Cathédrale,  vers  fan  847.  Ces  quatre  châsses, 
d'or  et  argent,  «  à  ymages  eslevées,  ornées  de  grands 
et  chiers  esmaulx,  »  de  perles,  de  saphirs  et  autres 
pierres  précieuses,  étaient,  sous  le  rapport  du  dessin 
et  de  l'exécution,  autant  de  chefs-d'œuvre  d'orfè- 
vrerie. M.  de  Bras,  qui  les  avait  admirées,  dit  que, 
sur  celle  où  étaient  renfermés  les  corps  de  saint 
Raven  et  de  saint  Rasiphe ,  on  voyait  «  une  Notre- 


Reliques 


DE   BAYEUX.  149 

Dame  de  pur  argent  plus  haute  qu'une  fille  de  dix 
ans.  »  Enlevées  par  les  Protestants  en  1 562,  ces  quatre 
châsses  furent  remises  avec  beaucoup  d'autres  objets 
précieux  entre  les  mains  du  duc  de  Bouillon  ,  qui  les 
fît  fondre  et  convertir  en  monnaie  (1).  Les  reliques 
furent  dispersées  et  détruites  par  ses  soldats:  seule, 
la  chasuble  de  saint  Regnobert  fut  préservée  du  pilla- 
ge. Mgr  de  Humières ,  chassé  de  son  palais  ,  s'enfuit 
sur  l'Océan  ,  emportant  avec  lui  le  coffre*  d'ivoire  où 
on  la  voit  encore  aujourd'hui. 

La  Cathédrale  reçut  donc,  vers  l'an  847,  le  corps 
de  saint  Regnobert.  «  En  la  quarte  capse  ou  fiertre 
est  clos  et  repose  le  benêt  (benedictum)  corps  du 
glorieux  confesseur  Monsieur  saint  Regnobert,  second 
évêque  de  Bayeux,  laquelle  est  toute  d'argent  doré.  » 
C'est  ainsi  qu'en  parle  l'Inventaire  du  Trésor,  rédigé 
en  1476.  11  est  vrai  que  longtemps  auparavant,  à 
l'époque  où  les  Normands  ravageaient  notre  pays , 
une  partie  avait  été  envoyée  dans  le  diocèse  d'Au- 
xerre;  qu'une  autre,  d'après  Hermant,  était  vénérée 
à  Corbeil ,  où  l'on  célébra  longtemps  la  fête  du  saint 
pontife  ;  mais  «  la  meilleure  et  la  plus  considérable,  » 
dit  notre  historien ,  reposait  dans  l'une  des  quatre 
châsses  qui  furent  enlevées  par  les  Protestants,  et , 
suivant  une  formule  autorisée  par  l'usage,  l'Inven- 
taire attribue  à  la  Cathédrale  le  corps  saint  tout 
entier.  L'an  4744,  le  chapitre  de  Bayeux ,  qui  en  était 

(1)  Beziers  en  a  donné  la  description  dans  son  histoire  ;  mais 
il  n'a  conservé  ni  l'orthographe  ni  le  style  de  l'Inventaire;  de 
plus  ,  il  a  traduit  d'une  manière  fort  inexacte  certaines  ex- 
pressions du  manuscrit  original  ,  en  cherchant  à  les  rajeunir. 

c— 10 


150  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

privé  depuis  deux  siècles ,  obtint  de  l'évoque  d'Au- 
xerre  la  restitution  d'un  des  os  de  la  cuisse  ;  Mgr  de 
Rochechouart  en  fit  la  translation  en  1770,  et  le  ren- 
ferma dans  un  reliquaire  d'argent.  Le  reliquaire  a 
disparu  pendant  la  Terreur;  mais  la  relique  fut  con- 
servée par  l'abbé  Le  Menand,  curé  de  Saint-Sauveur 
de  Bayeux ,  avec  un  doigt  de  saint  Biaise  ,  que  l'on 
vénérait  dans  sa  paroisse  avant  la  révolution.  M.  Le 
Menand  ayant  été  nommé  plus  tard  à  la  cure  de  Tré- 
vières,  y  fit  porter  la  relique.  Après  sa  mort,  elle  fut 
remise  à  M.  Moulland,  curé  de  Balleroy,  qui  la  déposa 
entre  les  mains  de  Mgr  Duperrier.  Le  11  avril  1832  , 
une  commission  instituée  par  Mgr  Dancel  entendit , 
sous  la  foi  du  serment ,  une  personne  «  remplie  de 
piété ,  »  disent  les  commissaires ,  qui  depuis  long- 
temps surveillait  cette  relique,  et  avait  concouru  à  ses 
diverses  translations.  Enfin,  la  relique  fut  vérifiée  par 
M.  d'Audibert  de  la  Yillasse  et  M.  Delaunay-Dufon- 
dray,  celui-ci  membre  de  l'ancien  chapitre  ,  l'autre 
vicaire-général  de  Mgr  de  Cheylus  ;  ils  reconnurent 
sans  hésiter  l'authenticité  du  dépôt. 

Les  restes  de  saint  Exupère  ayant  été  exhumés  de 
l'église  qui  porte  son  nom  ,  furent  transférés  a  la 
Cathédrale  selon  les  uns,  dès  le  ve  siècle,  selon  les 
autres,  au  commencement  du  IXe.  Puis,  la  province 
étant  exposée  aux  incursions  des  Danois,  on  les  trans- 
porta vers  l'an  863  ,  peut-être  un  peu  plus  tard ,  au 
château  de  Palluau ,  d'où  ils  furent  ensuite  portés  à 
Corbeil,  dans  le  diocèse  de  Versailles.  Le  chef  seul 
fut  conservé  à  Bayeux  et  enlevé  par  les  Protestants  à 
l'époque  de  leurs  ravages.  Dans  le  mois  de  novembre 


DE   BAYEUX.  451 

4  793,  «  la  commune  de  Corbeil,  jalouse  d'être  comptée 
au  nombre  des  communes  de  la  république  qui, 
les  premières ,  rendirent  un  hommage  solennel  à  la 
Raison,  s'était  empressée  d'envoyer  à  la  convention 
nationale  une  châsse  fameuse  de  vermeil,  que  jusque- 
là  on  avait  prétendu  renfermer  les  os  d'un  grand  saint 
(Spire  ou  Exupère).  »  Le  20  pluviôse  an  II  de  la 
république  [1794],  les  officiers  municipaux  de  la 
ville  de  Corbeil  les  chargèrent  dans  un  tombereau 
servant  à  enlever  les  immondices  ,  et  les  réduisirent 
en  cendres,  sur  la  place  de  la  Révolution.  Le  procès- 
verbal  de  cette  sauvage  exécution  ,  auquel  nous  em- 
pruntons ces  détails,  constate  également  la  destruction 
des  reliques  de  saint  Loup  et  de  saint  Regnobert.  La 
châsse  de  saint  Exupère  pesait  cinq  cents  marcs 
d'argent  (1). 

Il  y  eut  pourtant  deux  pièces  qui  échappèrent  à  la 
profanation.  La  première  est  un  des  os  de  la  mâchoire 
inférieure,  avec  deux  dents  incrustées  dans  les  alvéo- 
les. Elle  fut  soustraite  ,  en  1793 ,  par  le  sacristain  de 
l'église  de  Saint-Spire ,  et  remise  à  un  orfèvre  de  la 
ville,  qui  la  déposa  quelque  temps  après  entre  les 
mains  d'un  chanoine.  L'évêque  diocésain  en  reconnut 
l'authenticité  en  1803.  La  seconde  est  l'os  de  l'avant- 
bras,  que  Claude  Fauchet,  évêque  du  Calvados,  obtint 
de  son  collègue  l'évêque  constitutionnel  de  Seine-et- 
Oise,  le  30  août  1793.  Cet  os,  nous  dit  le  procès- 
verbal,  avait  été  extrait  de  la  châsse  en  4  476,  «  pour 
être  offert  a  la  vénération  des  pèlerins.  »  Il  était 

(1)  Monographie  de   l'église  de  Saint-Spire  de  Corbeil, 
par  M.  Pinard. 


152  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

renfermé  clans  un  reliquaire  d'argent,  lequel  a  subsisté 
jusqu'en  1792,  et  fut,  à  celte  époque,  converti  en 
numéraire. 

Fauchet  avait  délégué  auprès  de  l'évêque  de  Seine- 
et-Oise  ,  son  premier  vicaire  épiscopal,  Louis-Marie 
Bajot,  pour  négocier  la  remise  du  dépôt.  Il  ne  se 
pressa  pas  de  l'envoyer  à  Bayeux  (1  ) .  Dans  les  derniers 
mois  de  sa  vie ,  quelque  temps  après  le  31  mai ,  à 
l'époque  où  il  était  encore  chez  lui ,  gardé  par  des 
gendarmes,  ayant  reçu  la  visite  de  M.  Gauthier,  prési- 
dent de  chambre  sous  la  restauration  à  la  cour  royale 
de  Caen,  il  lui  dit  avec  un  grand  calme  qu'il  attendait 
la  mort,  qu'il  espérait  mourir  en  chrétien,  et  qu'il 
comptait,  pour  obtenir  sa  grâce,  sur  l'intercession  de 
saint  Exupère,  «  son  bienheureux  prédécesseur.  » 
En  même  temps,  il  lui  montra  la  relique  qu'il  tenait 
cachée  sous  ses  vêtements  (2).  Elle  le  suivit  à  l'Ab- 
baye, où  il  fut  incarcéré  quelque  temps  après,  mais  il 
n'osa  pas  la  transporter  a  la  Conciergerie.  Racontant 
à  M.  Emery,  son  compagnon  de  captivité,  l'histoire 
de  cette  relique ,  il  ajoutait  qu'il  avait  craint  qu'un 
jour  ou  l'autre  elle  ne  fût  exposée  à  la  profanation , 
qu'il  avait  mieux  aimé  s'en  dessaisir,  et  «  qu'il  l'avait 
confiée  à  une  personne  qui  l'honorerait  et  la  garderait 
soigneusement.  »  Après  l'exécution  de  l'abbé  Fauchet, 


(1)  Le  procès-verbal  qui  accompagne  la  remise  de  la  relique 
ne  laisse  rien  à  désirer.  Il  est  signé  du  curé  de  Corbeil ,  du 
vicaire  et  du  trésorier  de  l'église  de  Saint-Spire.  Ces  signatures 
sont  légalisées  par  J.-.I.  Avoine  ,  évoque  du  département  de 
Seine-et-Oise. 

(2)  Notes  sur  Claude  Fauchet,  par  M.  G. -S.  Trébutien. 


DE   BAYEUX.  153 

M.  Emery  eut  le  bonheur  de  découvrir  la  personne 
qui  en  était  dépositaire.  C'était ,  nous  dit-il ,  «  une 
dame  qui  venait  régulièrement  le  visiter  dans  sa  pri- 
son ,  et  qui  avait  eu  la  charité  de  pourvoir  à  tous  ses 
besoins.  »  Elle  remit  la  relique  entre  les  mains  de 
l'abbé  Emery,  le  laissant  libre  de  l'envoyer  à  Bayeux 
ou  à  Corbeil.  Cependant,  elle  lui  fit  observer  qu'il 
serait  plus  conforme  aux  intentions  de  M.  Fauchet  de 
la  remettre  à  Bayeux.  M.  Emery  pensa  comme  elle  , 
nous  dit-il ,  que  l'Église  de  Bayeux  avait  des  droits 
bien  fondés  à  cette  préférence,  et  il  remit  la  relique 
à  Mgr  Brault.  Elle  était  renfermée  dans  un  reliquaire 
en  bois  «  tourné  en  ovale ,  d'environ  un  pied  de  long 
sur  trois  ou  quatre  pouces  de  large.  »  Le  procès- 
verbal,  signé  par  l'évêque  de  Seine-et-Oise,  que  nous 
citions  tout-à-1'heure ,  accompagna  la  remise  de  la 
relique ,  et  la  donatrice  contre-signa  celui  où  sont 
renfermés  ces  derniers  renseignements  (1). 

Sous  l'épiscopat  de  Mgr  de  Rochechouart,  des  travaux      Ty,™x 

L  *  al  enlise 

importants  furent  exécutés  à  la  Cathédrale.  L'évêque    etaupaiais 

épiscopal. 

fit  renouveler  en  marbre  l'autel  et  le  pavé  du  sanc- 
tuaire, au  milieu  duquel  on  plaça  ses  armes;  elles 
ont  été  brisées  à  la  révolution.  «  Au  mois  de  juin 
1761 ,  on  ôta ,  dit  Beziers  ,  la  niche  des  reliques  ,  qui 
était  attachée  au  haut  de  l'arcade  du  chevet  du  chœur  ; 
on  abattit  en  même  temps  le  vieil  autel  de  la  férié 
pour  en  placer  un  autre,  sous  lequel  on  mit  les  châs- 

(1)  Le  procès-verbal  fut  rédigé  à  Paris ,  le  Ier  août  de  l'an 
1803,  jour  de  la  fête  de  Saint-Spire.  Il  est  signé:  Emery, 
vicaire-général;  Buée,  secrétaire;  Anne-Henriette  Hoquet, 
femme  de  Calon,  et  porte  les  armes  de  Msr  l'archevêque. 


154  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

ses  des  reliques  (1).  »  Une  croix  en  bronze  du  plus 
beau  modèle,  des  chandeliers  travaillés  avec  art,  et 
qui  excitent  chaque  année  l'admiration  des  visiteurs , 
prirent  place  sur  le  tabernacle  et  sur  les  degrés ,  aux 
fêtes  de  Pâques  de  l'année  1771  (2);  le  chapitre  s'asso- 
cia généreusement  à  toutes  ces  largesses.  Le  doyen , 
M.  de  Biaudos,  donna  les  cinq  grilles  qui  ferment  le 
rond  point;  deux  lampes  d'argent,  deux  encensoirs 
et  un  bénitier  remplacèrent ,  au  prix  de  cinq  mille 
six  cents  livres  ,  les  mêmes  objets  envoyés  à  la  mon- 
naie quelques  années  auparavant ,  pour  subvenir  aux 
besoins  de  l'État. 

M§r  de  Rochechouart  joignait  aux  goûts  d'un  grand 
seigneur  l'instinct  de  la  générosité  et  de  la  bienfai- 
sance. Comme  son  prédécesseur,  il  avait  pris  à  sa 
charge  quelques  jeunes  gens  des  deux  sexes,  auxquels 
il  faisait  donner,  dans  les  établissements  de  son  dio- 
cèse, une  éducation  libérale.  Il  aimait  à  secourir  les 
gentilshommes  disgraciés  de  la  fortune.  Il  fit  agrandir 
l'hôpital  des  pauvres ,  fondé  par  Mgr  de  Nesmond. 
En  même  temps,  l'église ,  le  château  et  le  parc  de 
Sommervieu  recevaient  des  embellissements.  A  la 
place  de  la  modeste  habitation  où  il  était  né,  s'élevait 
un  château  magnifique.  A  Bayeux,  le  palais  épiscopal 
était  reconstruit  sur  un  nouveau  plan.  Ce  fut  à  cette 
occasion  qu'il  restaura  la  galerie  des  évêques.  Les 

(1)  Mémoires  manuscrits. 

(2)  Ibidem.  Ces  objets  ,  sauvés  à  l'époque  de  la  Révolution 
par  M.  Le  Forestier,  membre  du  district  de  Bayeux ,  furent 
inventoriés  par  la  commission  des  arts ,  et  restitués  plus  tard 
au  trésor  de  la  Cathédrale. 


DE   BAYEUX.  155 

anciens  portraits,  que  le  temps  avait  presque  détruits, 
furent  copiés  par  son  ordre  et  placés  dans  le  vestibule 
qui  conduisait  à  la  chapelle. 
Ces  dépenses  étaient  énormes;  pour  y  faire  face,  .    Cession  . 

1  'iv  de  Ja  seigneurie 

il  se  vit  obligé  de  recourir  a  de  fâcheux  expédients,  d'feigny. 
Le  marquis  de  Bricqueville,  possesseur  d'une  grande 
fortune  sur  le  territoire  d'Isigny,  avait  besoin  de  la 
seigneurie  pour  anoblir  ses  biens.  L'évêque  consentit 
à  la  lui  céder  en  1770.  Une  somme  considérable  fut 
payée  comptant  aux  mains  du  prélat;  une  autre  fut 
acquittée  à  sa  décharge  et  au  profit  de  l'hôpital  de 
Bayeux.  De  plus  ,  M.  de  Bricqueville  lui  abandonna , 
en  échange  ,  un  fief  relevant  du  roi ,  qu'il  possédait 
dans  la  paroisse  de  Neuilly,  avec  quelques  autres 
domaines.  Des  lettres-patentes,  obtenues  au  mois  de 
septembre  de  la  même  année ,  validèrent  cette  alié- 
nation. Elle  ne  fut  point  enregistrée  au  parlement  de 
Normandie  ;  ce  fut  le  Conseil  supérieur,  installé  à 
Bayeux  au  mois  d'octobre  1771,  qui  remplit  cette 
formalité. 

Puisque  nous  avons  prononcé  le  nom  du  Conseil 
supérieur,  disons  en  passant  que,  en  1771,  à  l'épo- 
que de  l'audience  de  la  Saint-Martin  ,  une  grand'- 
messe  du  Saint-Esprit  fut  offerte  par  le  chapitre  ,  et 
acceptée  avec  empressement  par  les  nouveaux  magis- 
trats. Mgr  l'évêque  officia  pontificalement  ;  le  Conseil 
tout  entier  y  assistait  en  robes  rouges.  Le  1er  janvier, 
il  fut  harangué  en  latin ,  au  nom  de  la  faculté  de 
théologie,  par  M.  Le  Clerc  de  Beauberon,  recteur  de 
l'université.  L'injustice  et  la  passion  qui  avaient  dicté 
l'arrêt  du  parlement  de  Normandie  dans  l'affaire  des 


Conseil 
supérieur. 


156  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Jésuites ,  n'étaient  point  encore  oubliées.  Fidèles  à 
leurs  regrets ,  dit  M.  Floquet ,  l'évêque  et  le  clergé 
fêtaient  à  l'envi  le  Conseil  établi  sur  les  ruines  de 
l'ancien  sénat.  Mais  bientôt  le  peuple  et  la  noblesse  se 
soulevèrent  contre  la  nouvelle  magistrature.  Louis  XVI 
la  supprima  au  commencement  de  son  règne,  et  sa 
disparition  fut  célébrée  à  Bayeux  par  tous  les  excès 
de  la  joie  populaire.  Ce  fut  alors  que  Mgr  de  Roche- 
chouart  conçut  le  projet  d'abdiquer  l'épiscopat. 


e^fe 


DE  BÀTEUX.  \'ôl 

*TT"a"VTTT"(T"!r"3"3'T7ryTTy"îr5"TrTr"îrTB"'ir"8""5"Tnr*inrTTT-s"^ 


CHAPITRE  XU. 


Extinction  du  prieuré  de  Villers. — Cures  à  portion  congrue. — 
Mort  de  M"r  de  Rochechouart.—  Travaux  de  l'abbé  Beziers. — 
Conférences  de  l'abbé  Vicaire.— L'abbé  Le  Clerc  de  Bauberon. 
—  L'abbé  Lecoq.— Le  P.  Martin.— L'abbé  Mauduit. 


Le  prieuré  de  Villers  avait  été  fondé,  en  1366,  par  Extinction 
Jeanne  Bacon,  dame  du  Molay  et  de  Villers-Bocage  (1).  pricUréd"viiier8. 
Mais,  comme  l'évêque  de  Bayeux  était  seigneur  suze- 
rain de  la  terre  de  Villers,  la  fondatrice  lui  laissa  la 
libre  disposition  du  prieuré.  L'évêque  le  réforma  en 
1643,  de  concert  avec  le  seigneur,  et  y  plaça  des 
religieuses  Bénédictines.  Cet  établissement  a  rendu 
d'importants  services  au  bourg  de  Villers;  les  pauvres 
des  environs  y  étaient  secourus  ;  les  soldats  et  les 
matelots,  reçus  et  soignés  dans  leurs  maladies;  les 

(1)  V.  volume  précéd.,  Introduction,  p.  xxxi. 


4  58  HISTOIRE  l){j  DIOCÈSE 

pauvres  femmes  y  faisaient  leurs  couches.  Anned'A- 
verton  de  Belin  le  dirigea  depuis  4643  jusqu'en  1668, 
avec  autant  de  piété  que  de  sagesse;  elle  y  reçut 
vingt-six  religieuses  de  chœur.  En  1740,  Mgr  de  Luynes 
voulut  supprimer  le  monastère  et  en  réunir  les  biens 
à  la  communauté  des  Bénédictines  de  Bayeux.  Quel 
motif  l'avait  porté  à  cet  acte  de  rigueur?  On  lit  dans 
le  réquisitoire  que  le  prieuré  était  en  proie  à  des 
dissensions,  à  des  désordres,  à  des  excès  connus  de 
l'évêque.  Il  est  certain  que  le  jansénisme  y  avait  im- 
planté ses  doctrines  ;  ces  graves  raisons  expliquent  la 
fermeté  avec  laquelle  Mgr  de  Luynes  et  son  successeur 
insistèrent  pour  le  détruire.  En  1749  ,  malgré  les 
efforts  du  marquis  de  Blangy,  seigneur  de  Yillers,  des 
lettres  de  cachet  dispersèrent  les  religieuses  dans 
d'autres  couvents,  et  les  biens  du  prieuré,  mis  en 
séquestre  ,  furent  régis  par  un  économe.  Suzanne 
d'Achey,  septième  prieure,  était  restée  dans  la  maison 
avec  une  seule  religieuse.  Après  avoir  soutenu  contre 
son  évêque  une  lutte  opiniâtre,  elle  se  retira  au  cou- 
vent des  Ursulines  de  Caen ,  en  1751  ;  les  autres 
religieuses  avaient  été  dispersées  à  Bayeux  et  à  Vire. 
A  partir  de  ce  moment,  le  prieuré  resta  désert;  on 
continua  cependant  de  distribuer  l'aumône  aux  pau- 
vres qui  se  présentaient  le  dimanche  à  la  porte. 

Avant  de  partir  pour  l'archevêché  de  Sens ,  Mgr  de 
Luynes  écrivit  à  Mme  d'Achey,  et  lui  conseilla  de  re- 
mettre ses  intérêts  entre  les  mains  de  Mgr  de  Roche- 
chouart;  celui-ci  vint  en  personne  au  couvent  des 
Ursulines,  le  12  juin  1756,  mais  il  ne  put  vaincre 
l'obstination  de  la  prieure ,  et  M.  de  Blangy  continua 


DE  BAYE UX.  159 

de  soutenir  le  procès.  Enfin  ,  Mgr  de  Rochechouart 
rendit  une  ordonnance  par  laquelle  il  déclarait  que  les 
religieuses  professes  de  Villers-Bocage,  alors  résidant 
au  monastère  des  Bénédictines  de  Bayeux,  seraient 
réputées  membres  de  cette  communauté,  et  y  joui- 
raient de  toutes  les  prérogatives  des  religieuses  pro- 
fesses ,  sans  cependant  être  obligées  de  suivre  la 
réforme  que  les  Bénédictines  de  Bayeux  avaient  em- 
brassée au  commencement  du  siècle.  Celles-ci  pre- 
naient l'engagement  d'acquitter  toutes  les  fondations 
faites  au  profit  du  prieuré ,  et  généralement  toutes 
les  charges  qui  affectaient  les  biens  de  ce  monastère. 
Cette  ordonnance  fut  enregistrée  au  conseil  supérieur 
de  Bayeux  le  22  décembre  1772. 

Malgré  ces  sages  dispositions ,  la  lutte  continua,  et 
le  procès  ne  fut  terminé  que  sous  Mgr  de  Cheylus. 
On  convint  alors  que ,  comme  tous  les  hôpitaux  du 
royaume,  celui  de  Villers  serait  régi  par  un  bureau, 
dans  lequel  devaient  entrer  l'évêque,  le  seigneur,  les 
deux  curés  de  Villers  ,  le  chapelain  de  l'hôpital  et 
deux  notables  du  bourg.  Le  soin  des  malades  fut 
confié  à  trois  Sœurs  de  Saint-Thomas-de-Villeneuve, 
sous  l'inspection  du  bureau.  Tous  les  fonds  demeu- 
rèrent attachés  à  l'hôpital  de  Villers,  moyennant  une 
certaine  quantité  de  froment  qu'il  payait  chaque  année 
aux  Bénédictines  de  Bayeux. 

La  plupart  des  curés  à  portion  congrue  (1)  étaient,  currs  à  portion 
a  l'époque  dont  nous  parlons,  dans  un  état  voisin  de 
l'indigence.  Leur  revenu  variait  de  cent  quatre-vingts 

(1)  V.  volume  précéd.,  Introduction,  p.  xxiv. 


ccn^rue 


160  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

à  trois  cent  cinquante  livres,  en  y  comprenant  les 
fondations  qu'ils  étaient  obligés  de  faire  acquitter  à 
leurs  frais ,  en  cas  de  maladie.  Le  petit  nombre  et  la 
pauvreté  de  leurs  paroissiens  réduisaient  à  peu  de 
chose  leurs  profits  éventuels;  il  n'y  avait  ni  gros déci- 
mateurs,  ni  curés  primitifs  qui  fussent  obligés  de  les 
secourir.  Dès  l'année  1765,  il  parut  à  Caen  un  long 
mémoire ,  rédigé  par  un  avocat ,  en  faveur  des  curés 
congruistes ,  et  revêtu  de  leur  signature.  La  plus 
importante  de  leurs  réclamations  portait  sur  la  natu- 
re même  de  leur  traitement.  Ils  demandaient  un  tiers 
des  dîmes  en  essence,  et  s'attachaient  à  faire  sentir 
les  inconvénients  d'une  pension  soumise  à  toutes  les 
variations  du  numéraire.  En  4769,  ils  s'adressèrent 
directement  à  l'évêque.  Mgr  de  Rochechouart  prit  con- 
naissance de  leur  revenu,  dont  la  modicité  fut  justifiée, 
et  leur  fit  espérer  l'union  de  quelques  bénéfices  ; 
dans  cette  vue,  ils  présentèrent,  l'année  suivante,  un 
placet  au  roi.  A  l'époque  de  l'assemblée  de  1775, 
leur  situation  était  toujours  ia  même.  Ils  réclamèrent 
l'exécution  de  l'édit  de  1768,  dans  lequel  le  roi  avait 
exprimé  l'intention  d'améliorer  leur  sort.  Mais  ce  fut 
en  vain  que  l'archevêque  de  Narbonne  rappela  cette 
promesse  ;  quelque  pressant  que  fût  son  rapport , 
il  resta  sans  effet,  comme  les  instances  de  notre 
évoque.  La  question,  n'ayant  pas  été  résolue,  devait 
reparaître  vingt  ans  plus  tard,  devant  l'assemblée 
constituante.  Les  curés  du  diocèse  de  Baveux  pu- 
blièrent alors  un  second  mémoire,  dans  lequel  ils 
établirent  l'insuffisance  de  la  portion  congrue ,  qui 
ne  représentait  que  la  seizième ,  et  quelquefois  la 


DE  BAYEUX.  164 

vingtième  partie  des  bénéfices  possédés  par  les  déci- 
mateurs.  Ils  demandent  qu'elle  soit  portée  à  douze 
cents  livres ,  et  prouvent  que  seulement  alors  elle 
atteindra  la  valeur  fixée  par  Charles  IX,  Louis  XIII  et 
Louis  XIV  (1).  Ils  supplient  les  évoques  de  s'inter- 
poser auprès  du  roi  pour  faire  cesser  l'abus  dont  ils 
se  plaignent.  Mais  c'est  surtout  au  roi  et  à  la  nation 
qu'ils  s'adressent.  «  Les  évêques,  disent-ils,  sont  trop 
justes  et  trop  modestes  pour  vouloir  être  seuls  juges 
dans  celte  cause.  »  Encore  quelques  mois,  et  l'Assem- 
blée ,  après  avoir  supprimé  la  dîme ,  allait  décréter, 
sur  la  proposition  de  l'évoque  d'Àutun  ,  que  tous  les 
biens  du  clergé  étaient  autant  de  propriétés  natio- 
nales. 

Mgr  de  Rochecbouart  venait  d'entrer  clans  sa  soi-  iHondens' 
xante-dix-huilième  année,  quand  il  forma  le  projet dcIlochechouarL 
d'abdiquer  l'épiscopat;  il  alla  passer  la  fin  de  sa  vie 
au  château  de  Montigny,  dont  il  avait  fait  un  palais. 
Ce  fut  de  Paris  qu'il  adressa  ses  adieux  à  son  dio- 
cèse, par  un  mandement  qui  porte  la  date  du  24  jan- 
vier 1776.  Il  mourut  à  la  fin  de  l'année  4  781,  et  fut 
inhumé  quelques  jours  après  dans  un  caveau  de  l'é- 
glise de  Montigny.  Les  habitants  de  Bayeux  le  virent 
s'éloigner  avec  peine ,  et  ceux  de  Montigny  l'entou- 
rèrent à  sa  mort  de  leurs  larmes  et  de  leurs  regrets. 

(1)  La  portion  congrue  était  de  cent  vingt  livres  sous  Charles 
IX,  de  deux  cents  livres  sous  Louis  XIII  ;  elle  fut  fixée  à  trois 
cents  livres  par  Louis  XIV,  en  1686.  Ce  qui  coûtait  dix  livres, 
à  la  première  de  ces  trois  époques,  valait  cent  livres  à  la  fin 
du  xvmc  siècle.  Le  prix  d'un  chapon,  que  l'on  achetait,  à 
Caen ,  trois  ou  quatre  sols  du  temps  de  M.  de  Bras,  variait, 
deux  siècles  après  lui,  de  trente  sols  à  deux  livres. 

11 


ICi  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

C'est  qu'à  Bayeux ,  comme  dans  sa  retraite ,  les  bien- 
faits qu'il  ne  cessa  de  répandre ,  lui  avaient  gagné 
presque  tous  les  cœurs.  Malgré  les  habitudes  de  grand 
seigneur  au  milieu  desquelles  il  aimait  à  vivre,  il  était 
d'un  accès  facile,  et  rappelait  volontiers  le  souvenir  de 
la  pauvreté  dans  laquelle  il  avait  passé  sa  jeunesse  : 
il  semblait  y  puiser  des  inspirations  généreuses. 
Ses  mœurs  étaient  irréprochables  ;  mais  il  paraît  que 
l'aptitude  de  son  esprit  n'était  pas  toujours  à  la  hau- 
teur de  ses  fonctions.  Du  reste,  il  ne  cessa  jamais 
de  les  remplir  avec  zèle  ;  il  prêchait  la  vertu  par  son 
exemple,  et  au  besoin  la  vérité  trouvait  en  lui  un  zélé 
défenseur. 
Travaux         £es  manuscrits  de  l'abbé  Beziers  nous  ont  fourni 

de 

y  abbé  BMicw.  sur  la  dernière  partie  de  cet  épiscopat,  d'utiles  ren- 
seignements. Il  est  juste  qu'après  avoir  profité  des 
travaux  de  l'historien  ,  nous  rendions  hommage  à 
sa  mémoire.  Michel  Beziers  ,  naquit  à  Bayeux,  sur 
la  paroisse  de  Saint-Malo  (1),  en  1 721 .  Il  exerça 
d'abord ,  dans  cette  église ,  les  fonctions  vicariales , 
et  obtint,  en  4754,  la  cure  de  Saint -André,  la 
moins  importante  de  la  ville.  Il  se  dévoua  de  très- 
jeune  âge  à  l'étude  des  antiquités  locales,  explo- 
rant avec  soin  les  mémoires  et  les  cartulaires,  soit 
au  séminaire,  soit  à  la  bibliothèque  du  chapitre  ou 
dans  les  chartriers  de  quelques  châteaux.  Le  résultat 
de  ses  investigations  fut  consigné  dans  quatre  vo- 
lumes manuscrits  ,  dont  trois  ont  été   retrouvés  à 

(1)  La  Biographie  universelle  a  confondu  le  nom  de  cette 
paroisse  avec  celui  de  la  ville  de  Saint-Malo ,  où  elle  place  le 
lieu  de  sa  naissance. 


DE  BAVEUX.  1G3 

Rouen,  en  '1845.  Le  dépouillement  de  ces  mémoires 
inédits,  mis  à  notre  disposition  avec  une  gracieuse 
obligeance,  a  plus  d'une  fois  enrichi  notre  ouvrage. 
L'Histoire  sommaire  de  la  ville  de  Bayetix  en  fut 
détachée  par  l'auteur,  en  1773,  et  livrée  à  l'impres- 
sion. Le  Discours  préliminaire ,  dans  lequel  l'éru- 
dition s'appuie  sur  la  critique,  est  généralement  appré- 
cié comme  un  morceau  très-remarquable.  La  dédicace 
en  fut  adressée  à  Mgr  de  Rochechouart.  L'auteur  y 
rappelle  la  douceur  de  son  gouvernement,  son  zèle 
pour  la  religion,  sa  charité  pour  les  pauvres,  et,  en 
parlant  ainsi,  l'abbé  Beziers  est  fidèle  à  son  rôle 
d'historien.  Pauvre  lui-même,  oublié  ou  inconnu  au 
milieu  de  la  ville  épiscopale,  accusé  par  des  confrè- 
res jaloux  de  son  mérite  de  favoriser  ce  qu'on  appe- 
lait alors  les  opinions  nouvelles,  il  trouva  dans  l'abbé 
Raffin,  vicaire-général,  et  dans  M.  de  Biaudos,  doyen 
du  chapitre ,  des  protecteurs  éclairés ,  qui  rendirent 
pleine  justice  à  ses  sentiments.  Qu'on  lise,  en  effet, 
ses  mémoires,  qu'on  étudie  le  jugement  qu'il  y  porte 
sur  Mgr  de  Lorraine,  et  l'on  verra  qu'il  déplore  «  sa  com- 
plaisance pour  les  grands-vicaires  qui  le  gouvernaient, 
et  son  adhésion  aux  principes  du  Jansénisme,  qu'ils  lui 
avaient  inculqués.  »  La  protection  de  M.  de  Mathan 
et  celle  de  M.  de  Faudoas  lui  ouvrirent  enfin  la  collé- 
giale du  Saint-Sépulcre,  en  1767.  Il  devint  chanoine 
de  Moult,  et  put  alors  se  livrer  sans  réserve  à  ses 
travaux  de  Bénédictin.  «  Mon  plan,  dit-il  dans  l'aver- 
tissement qu'il  a  mis  en  tête  de  ses  manuscrits,  n'est 
peut-être  pas  rempli  comme  il  devrait  l'être.  Je  ne 
m'en  ferai  pas  de  reproche  ;  ce  n'est  point  par  manque 


464  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

de  zèle  el  de  bonne  volonté  qu'il  se  présente  quelque- 
fois du  vide  dans  les  articles  ,  c'est  seulement  par 
défaut  de  mémoires  et  d'instructions  nécessaires.  » 
Qu'il  nous  soit  permis  de  nous  approprier  cette  ex- 
cuse. Et  nous  aussi,  malgré  nos  patientes  recherches, 
malgré  les  précieuses  communications  des  hommes 
les  plus  compétents,  nous  avons  eu  à  regretter  quel- 
quefois des  matériaux  indispensables.  Nous  espérons 
que  nos  lecteurs  sauront  en  apprécier  la  cause,  et  ne 
mettront  pas  en  question  le  désir  qui  nous  anime  de 
faire  connaître  la  vérité.  Cette  excuse,  il  faut  bien  en 
convenir,  n'est  point  applicable  à  certaines  erreurs  que 
nous  avons  signalées  dans  notre  historiographe  ;  mais 
quel  est  celui  qui  oserait  se  flatter  de  n'en  pas  com- 
mettre? Nous  l'avons  corrigé;  d'autres  nous  corri- 
geront à  leur  tour.  C'est  en  vain  que  les  œuvres  de 
l'homme  tendent  à  la  perfection  ;  elles  ne  franchiront 
jamais  la  limite  qui  les  en  sépare. 

L'abbé  Beziers  vint  mourir  à  Bayeux,  le  48  août 
4782,  et  y  fut  inhumé  dans  le  cimetière  de  sa  pa- 
roisse. La  révolution  a  fait  disparaître  la  trace  de  sa 
sépulture;  mais,  le  7  juillet  1855,  la  société  acadé- 
mique de  Bayeux  a  placé  au  lieu  de  sa  naissance  une 
pierre  monumentale  qui  en  perpétuera  le  souvenir. 

Indépendamment  de  YHistoire  de  Bayeux,  on  cite 
encore,  au  nombre  des  ouvrages  qu'il  a  composés,  la 
Chronologie  historique  des  baillis  et  des  gouver- 
neurs de  Caen  ;  un  Mémoire  sur  l'origine  et  le 
fondateur  de  la  collégiale  du  Saint- Sépulcre  ; 
différents  opuscules  sur  les  bourgs  de  Creully  et  de 
Condé-sur-Noireau ,  la  châtellenie  du  Molay-Bacon  et 


DE  BÀYEUX.  105 

celle  de  Saint-Pierre-de-Semilly,  en  Basse-Normandie. 
L'abbé  Beziers  était  uni  par  les  liens  de  l'amitié  avec 
D.  Blanchard,  religieux  Bénédictin  de  Saint-Étienne 
de  Caen,  qui  a  laissé  des  manuscrits  sur  l'histoire  de 
cette  abbaye. 

L'abbé  Philippe  Vicaire  ,  doyen  de  la  faculté  de  conférences 
théologie  et  curé  de  Saint-Pierre  de  Caen,  avait  plu-  rabbùdyicaire. 
sieurs  fois  témoigné  à  Mgr  de  Rochechouart  la  douleur 
qu'il  ressentait  de  voir  dans  sa  paroisse  un  grand 
nombre  de  Protestants  vivre  et  mourir  séparés  de 
l'Église  catholique.  Il  y  avait  parmi  eux,  il  le  procla- 
mait lui-même ,  «  des  gens  d'une  probité  reconnue , 
recommandables  par  la  régularité  de  leur  conduite  et 
leur  charité  envers  les  pauvres ,  à  la  vertu  desquels  il 
ne  manquait  que  d'avoir  pour  fondement  la  foi,  qui 
est  la  racine  de  toute  justice,  et  sans  laquelle  il  est 
impossible  de  plaire  à  Bien.  »  Depuis  long-temps , 
M.  Vicaire  songeait  aux  moyens  de  leur  faire  enten- 
dre sa  voix.  Il  les  voyait  avec  peine  s'éloigner  de  la 
chaire  évangélique ,  en  détourner  leurs  enfants ,  et 
refuser  en  toute  occasion  des  éclaircissements  dont 
ils  craignaient  la  lumière.  Il  prit  donc  la  résolution  de 
leur  communiquer  par  écrit  les  conférences  qu'il  avait 
composées  pour  eux,  et  il  les  pria,  dans  les  termes 
les  plus  touchants,  d'agréer  cet  ouvrage  comme  une 
preuve  de  dévouement  aux  intérêts  de  leur  conscience. 
Rien  de  plus  propre,  en  effet,  à  détromper  les  âmes 
abusées ,  que  la  modération  et  la  charité  avec  les- 
quelles il  dévoile  les  sophismes ,  les  mensonges ,  les 
calomnies  de  ses  adversaires  :  jamais  d'aigreur  ni  de 
contention  dans  sa  manière  d'argumenter  ou  d'expo- 


460  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ser  les  preuves.  Il  discute,  avec  simplicité  et  avec 
force,  les  dogmes  de  la  foi,  les  principes  sur  lesquels 
ils  s'appuient ,  les  raisonnements  que  les  ministres 
apportent  pour  les  combattre  ,  les  réponses  de  la 
théologie  à  toutes  leurs  difficultés.  La  première  partie 
roule  sur  les  principes  généraux  qui  ont  servi  de  pré- 
texte a  la  réforme  ;  dans  la  seconde ,  il  aborde  les 
questions  particulières  controversées  entre  les  deux 
communions.  Cet  ouvrage,  composé  de  quatre  volu- 
mes (1),  et  aujourd'hui  complètement  oublié,  eut 
alors  un  très-grand  succès. 

M.  Vicaire  parut,  dans  l'université,  à  l'époque  où 
elle  était  divisée  par  la  querelle  du  jansénisme.  Il  fut 
du  nombre  de  ceux  qui  acceptèrent  la  constitution, 
et  protestèrent  contre  le  décret  d'appel.  Il  prêcha, 
en  4  743 ,  l'oraison  funèbre  du  cardinal  de  Fleury , 
abbé  de  Saint-Étienne  de  Caen,  qui  l'avait  choisi  pour 
officiai.  En  1744,  il  était  titulaire  du  prieuré  de  Sept- 
vents.— Né  en  4689;  mort  en  4775. 
L'abbé  Le  cicrc  On  prétend  que  le  P.  Mabiilon  subit,  dans  son  en- 
fance ,  une  opération  cérébrale  qui  développa  ses 
facultés ,  et  augmenta  considérablement  la  puissance 
de  sa  mémoire.  Un  violent  coup  de  marteau,  dont  il 
faillit  périr,  produisit ,  sur  M.  Le  Clerc  de  Beauberon  , 
un  phénomène  semblable.  Ses  facultés  intellectuelles 
se  développèrent  inopinément,  et  sa  mémoire  acquit 

(1)  Exposition  fidelle  et  preuves  solides  de  la  doctrine 
catholique,  adressées  aux  Protestants ,  sur  les  principaux 
articles  controversés  entre  eux  et  les  Catholiques,  par  M.  Vi- 
caire, docteur  et  doyen  de  la  faculté  de  théologie.  — A  Caen  , 
chez  Le  Roy,  1770. 


DE  BAYEUX.  467 

tout-à-coup  une  sûreté  prodigieuse.  Nicolas-François 
Le  Clerc,  né  en  1714,  à  Saint-Denis-de-Meré,  près  de 
Condé-sur-Noireau ,  termina  ses  études  à  Caen  de  la 
manière  la  plus  brillante,  et  y  fut  nommé,  à  vingt- 
sept  ans,  professeur  de  théologie;  nous  avons  souvent 
entendu  dire  à  ses  élèves  qu'il  était  sous  tous  les 
rapports  digne  de  cet  honneur.  Ce  qui  le  distinguait 
surtout,  c'était  une  grande  netteté  dans  les  idées , 
jointe  à  une  élocution  élégante  et  facile.  Pro  Gratiâ 
pugnasti,  et  Gratia  te  facit  doctorem,  dit-il  un 
jour  à  un  licencié  qui  venait  de  soutenir  médiocrement 
une  thèse  sur  la  Grâce.  Les  richesses  de  la  langue 
latine  lui  étaient  beaucoup  plus  familières  que  celles 
de  l'idiome  national.  Ennemi  des  sophismes,  il  dis- 
cutait avec  impartialité,  et  portait  la  démonstration 
jusqu'à  l'évidence.  Il  surprenait  à  chaque  instant  ses 
auditeurs  par  la  souplesse  et  l'étendue  de  sa  mémoire; 
il  aimait  à  citer  les  ouvrages  des  Pères  de  l'Église, 
particulièrement  ceux  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Thomas.  Son  principal  ouvrage  est  le  fameux  traité  De 
homine  lapso  et  reparato.  —  La  Chute  de  l'homme 
et  la  Rédemption.  —  Il  le  professa  pendant  les  années 
4773  et  1774,  et  le  laissa  publier  par  un  de  ses  élè- 
ves. Le  pape  voulut  lui  écrire  de  sa  propre  main  pour 
lui  témoigner  sa  satisfaction  (1).  Sans  parler  de  quatre 
ou  cinq  autres  traités  de  théologie  qui  sont  restés 
manuscrits,  M.  Le  Clerc  composa  plusieurs  harangues, 
des  mandements  et  des  discours  latins  qui  furent 
prononcés  à  différentes  époques.  Deux  fois  recteur 

(1)  V.  volume  précédent,  p.  214. 


168  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

de  l'université ,  et  à  ce  titre  chargé  d'annoncer  la 
mort  de  ses  collègues ,  il  excellait  dans  ces  billets 
de  convocation,  appelés  convenire,  où  l'on  faisait 
ressortir  en  quelques  lignes  les  qualités  du  défunt.  Il 
enseigna  la  théologie  pendant  quarante-neuf  ans  ;  il 
était  chanoine  de  la  métropole  et  officiai  de  l'abbaye 
de  Saint-Étienne.  M.  Le  Clerc  mourut  à  Caen,  le  4 
décembre  1790,  à  l'âge  de  soixante-seize  ans.  Il  fut 
enterré  dans  cette  ville ,  sous  le  portail  de  l'église 
Saint-Nicolas. 

Si  nous  écrivions  la  biographie  de  M.  Le  Clerc,  et 
que  nous  eussions  à  le  suivre  dans  les  relations  de  la 
vie  sociale,  nous  serions  obligés  de  convenir  qu'à  ses 
bonnes  qualités  se  mêlaient  de  légers  ridicules ,  et 
surtout  une  vaniteuse  ostentation  (1);  contentons- 
nous  d'ajouter  qu'il  faisait  le  meilleur  usage  de  sa  for- 
tune. Pendant  plusieurs  années  qu'il  fut  chapelain  de 
l'hôpital  Saint-Louis,  il  distribua  ses  émoluments  aux 
pauvres  de  la  maison,  suivant  leur  âge,  leurs  infir- 
mités et  leurs  besoins.  Du  reste,  étranger  aux  notions 
les  plus  simples  de  la  vie,  les  limites  de  son  ensei- 
gnement étaient  pour  lui  les  bornes  du  monde.  Aussi 
transportait-il  souvent  dans  la  conversation  le  ton  et 
les  formules  de  la  classe.  On  assure  même  qu'un 
jour,  il  lui  arriva  de  haranguer  en  latin  l'abbesse  de 
Sainte-Trinité. 


(1)  C'est  ainsi  qu'il  ne  parlait  jamais  de  lui-même ,  sans 
employer,  comme  Cicéron,  la  première  personne  du  pluriel: 
nous.  Il  avait  ajouté  à  son  nom  ,  qu'il  trouvait  trop  simple  et 
trop  court,  celui  de  deux  petites  terres  qu'il  possédait  dans  le 
Bocage,  Beau-Beron. 


DE  BAYEUX.  169 

M.  Le  Clerc  eut  des  amis;  il  fut  lié  particulièrement 
avec  le  P.  Porée  et  son  frère;  il  entretenait  des  rela- 
tions intimes  avec  l'abbé  Beziers.  Il  prépara  les  succès 
de  Malfilâtre ,  en  l'aidant  de  sa  bourse  et  de  ses 
conseils. 

Citons  encore,  avant  de  terminer  ce  chapitre: 

Pierre  Lecoq,  supérieur-général  des  Eudistes ,  né  à  i.'abbé  Lecoq 
Ifs  en  4728,  mort  à  Caen  en  1777.  Entre  plusieurs 
ouvrages  de  droit  dont  il  est  Fauteur,  on  estime  sur- 
tout celui  qui  a  pour  titre  :  De  l'état  des  personnes 
suivant  les  principes  du  droit  français  et  du  droit 
coutumier  de  la  province  de  Normandie.  Le  célè- 
bre Thouret,  président  de  l'assemblée  constituante, 
le  regardait  comme  faisant  autorité  sur  cette  matière; 

Le  P.  François  Martin,  docteur  de  Sorbonne,  gar-  te  p.  Martin; 
dien  du  couvent  des  Cordeliers  de  Caen ,  où  il  forma 
une  bibliothèque,  qu'on  a  réunie  à  celle  de  la  ville, 
après  la  suppression  de  cette  communauté;  tous  les 
livres  qui  la  composaient,  portent  cette  inscription: 
Franciscus  Martin,  doctor  theolog.  Parisiens., 
comparavit.  Oretur  pro  eo.  On  a  de  lui  des  vers 
latins  sur  la  mort  de  Huet,  et  un  ouvrage  intitulé: 
Virorum  aliquot  Cadomensium  ,  doctrine  illus- 
trium,  syllabus  carminé  recensitus  [Caen,  1717]. 
La  bibliothèque  de  Caen ,  qui  s'est  enrichie  de  ses 
collections,  possède  un  de  ses  manuscrits,  intitulé  : 
Athenœ  Normannorum  veteres  ac  récentes,  seu 
syllabus  auctorum  qui  oriundi  è  Normanniâ.  Les 
biographes  le  font  naître  à  Caen  en  1640.  M.  Boisard, 
auquel  nous  avons  emprunté  les  détails  qui  précè- 
dent, rapporte  sa  mort  à  Tannée  1721  ;  M.  Delamare, 


HO  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

dans  son  pouillé,  la  recule  jusqu'en  4726; 
L-abbé  Mauduit.  Michel  Mauduit ,  prêtre  de  l'Oratoire ,  né  à  Vire  en 
4644,  mort  a  Paris  en  4709.  Son  Traité  de  la  reli- 
gion contre  les  Athées,  les  Déistes  et  les  nouveaux 
Pyrrhoniens,  ses  Annales  des  évangiles  et  des  épl- 
tres  de  saint  Paul  et  des  épîtres  canoniques, 
annoncent  un  jugement  solide,  un  profond  savoir  et 
un  esprit  méthodique.  Toutefois,  on  lui  reproche 
d'avoir  souvent  adopté  des  sentiments  qui  ne  pou- 
vaient lui  plaire,  que  parce  qu'ils  étaient  nouveaux. 
Il  critique,  non-seulement  la  Vulgate ,  mais  l'opinion 
commune  des  interprètes  et  des  Pères,  en  leur  oppo- 
sant des  subtilités  grammaticales.  On  ne  se  souvient 
plus  qu'il  a  traduit  en  vers  français  les  psaumes  de 
David . 


DE  BAYEUX.  471 


CHAPITRE  XIII. 


Couvents  menacés  de  la  suppression.  —  Extinction  de  l'abbaye 
de  Longues. —  Notice  sur  l'abbaye  de  Belle-Étoile. —  Abbaye, 
—  Prieuré,  —  Hospice,  — École  de  Thorigny. — Abbaye  de 
Mondaye.  —  La  Charité  de  Caen. 


Quand  on  parcourt  la  correspondance  de  Mgr  de  coûtais 
Kochechouart  avec  Mgr  l'archevêque  de  Toulouse  ,  de  la  «oppression, 
pendant  les  années  1766  et  1767,  il  est  impossible 
de  ne  pas  déplorer  la  décadence  où  était  tombée  la 
vie  religieuse  dans  la  plupart  des  couvents  d'hommes 
de  notre  diocèse ,  et  l'on  se  demande  ce  qu'aurait 
produit  la  transformation  qu'on  voulait  leur  faire 
subir.  Au  moment  où  Mgr  l'éveque  de  Bayeux  pressait 
la  commission  de  sacrifier  l'abbaye  de  Troarn,  voici 
ce  que  lui  écrivait  Mgr  de  Brienne  : 

«  Je  ne  vous  réponds  pas  sur  les  abbayes  qui  sont 
en  congrégation  et  sur  lesquelles  je  ne  pourrais  vous 


172  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

mander  encore  que  des  vues  vagues  et  incertaines.  A 
l'égard  des  chanoines  réguliers  qui  sont  sous  votre 
juridiction,  il  n'y  a  sûrement  pas  de  difficultés  à  la 
suppression  de  la  Chesnaye ,  et ,  quand  vous  le  dési- 
rerez ,  nous  pourrons  vous  envoyer  une  défense  de 
recevoir  des  religieux. 

«  La  maison  de  Notre-Dame-du-Val  paraîtra  souffrir 
plus  de  difficultés,  tant  à  cause  des  religieux  qui  y 
sont,  qu'à  cause  de  ceux  qui  peuvent  y  rentrer.  C'est 
à  vous ,  Monseigneur,  à  voir  si  vous  vous  déciderez 
absolument  pour  la  suppression,  ou  si  vous  aimerez 
mieux  établir  dans  cette  maison  ou  même  dans  celle 
de  l'Hôtel-Dieu  (1),  une  espèce  de  séminaire  de  cha- 
noines réguliers,  qui  pourraient  ensuite  desservir  des 
cures.  Ces  chanoines  réguliers,  réunis  en  une  ou 
deux  maisons,  seraient  sous  votre  juridiction,  et  peut- 
être  parviendrait-on  par  là  à  vous  donner  plus  d'auto- 
rité sur  ceux  de  l'Hôtel-Dieu.  Tous  voudrez  bien  voir 
ce  qui  vous  conviendra  le  mieux,  nous  faire  part  des 
facilités  ou  des  obstacles  que  vous  prévoyez  dans  l'un 
ou  l'autre  projet,  et  nous  envoyer  un  mémoire  plus 
détaillé  sur  l'origine,  la  fondation,  la  dotation  et  les 
biens  et  charges  de  ces  trois  maisons,  dont  il  n'est 
peut-être  pas  impossible  de  tirer  parti.  » 

Nous  avons  dit  ailleurs  que,  en  1770,  le  roi  auto- 
risa l'évêque  de  Bayeux  à  disposer  des  biens  de  Saint- 
Mcolas-de-la-Chesnaye  en  faveur  de  la  Cathédrale  ; 
mais  ces  biens  furent  revendiqués  par  l'administration 


(1)  L'Hôtel-Dieu  de  Bois-IIalboul,  qui  dépendait  de  l'abbaye 
du  Val. 


DE  BAYEUX.  I7:j 

des  hospices;  la  révolution  survint  avant  que  le  pro- 
cès fût  jugé. — L'abbaye  du  Val  existait  encore  en 
1786,  et  à  cette  même  époque,  l'hospice  entretenait 
douze  pauvres  vieillards  ,  qui  avaient  remplacé  les 
lépreux. 

Ces  trois  établissements  échappèrent  donc  pour  un     Extinction 
temps  à  la  destruction  qui  les  menaçait.  Il  n'en  fut    ddee Longues. 
pas  ainsi  de  l'abbaye  de  Longues.  Mgrde  Rochechouart 
engagea  la  lutte ,  et  les  religieux  succombèrent  après 
une  longue  procédure,  en  1782. 

L'abbaye  de  Notre-Dame  de  Longues ,  à  six  kilo- 
mètres et  demi  de  Bayeux,  vers  le  nord,  appartenait 
à  l'ordre  de  Saint-Benoît,  ancienne  observance.  Les 
Bénédictins  du  Gallia  chrisliana  écrivaient,  en  1759, 
que,  depuis  plusieurs  années ,  elle  faisait  partie  de 
l'ordre  de  Cluny.  Nous  devons  ajouter  que  cette  affi- 
liation fut  contestée  par  Mgr  de  Cugnac,  son  dernier 
abbé,  et  que  les  religieux  refusèrent  de  produire  le 
titre  de  leur  évocation ,  quoiqu'ils  y  fussent  condam- 
nés par  une  sentence  du  bailliage.  L'abbaye  de  Lon- 
gues avait  eu  pour  fondateur  Hugues  Wac,  membre 
d'une  famille  illustre  en  Angleterre  et  en  Normandie; 
elle  comptait  trente-cinq  abbés,  dont  seize  commen- 
dalaires.  En  1771,  il  y  avait  quatre  religieux;  la 
cinquième  place  était  vacante;  onze  ans  plus  tard, 
leur  nombre  était  réduit  à  trois.  Soutenu  par  Mgr  de 
Brienne  et  par  la  commission  dont  il  était  président, 
Mgr  l'évoque  de  Bayeux  obtint  du  roi,  le  7  mai  1769, 
un  brevet  qui  l'autorisait  a  supprimer  la  mense  con- 
ventuelle du  monastère.  Remarquons,  en  passant, 
que  le  seul  motif  allégué  par  lui,  était  le  petit  nombre 


474  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

des  titulaires,  et  l'impuissance  où  ils  se  trouvaient  de 
vaquer  à  leurs  fonctions.  Au  mois  de  mars  4782, 
parurent  les  lettres-patentes  de  Louis  XVI,  par  les- 
quelles le  monastère  fut  entièrement  supprimé.  On 
détruisit  la  nef  et  les  deux  grandes  chapelles  du  croi- 
sillon ,  ainsi  qu'une  partie  des  bâliments  claustraux  ; 
mais  on  conserva  des  bâtiments  d'exploitation  et  les 
habitations  particulières  des  trois  religieux.  Les  biens 
de  l'abbaye  furent  réunis  an  grand  séminaire  de 
Baveux.  Cette  union  assurait  aux  paroisses  de  Lon- 
gues, de  Fontenailles  et  de  Marigny,  quelques  aumô- 
nes et  une  école  pour  les  filles.  Après  la  mort  de 
WT  de  Cugnac,  le  séminaire  devait  entrer  en  partage 
des  fonds,  et  recevoir  gratuitement  un  certain  nombre 
de  clercs.  Ces  bourses  étaient  spécialement  affectées 
aux  trois  paroisses  désignées  plus  haut.  Enfin ,  M*r 
l'archevêque  de  Toulouse,  avant  de  consentir  à  l'ex- 
tinction du  monastère,  exigea  qu'on  pensionnât  les 
trois  derniers  religieux. 

L'abbaye  de  Belle-Étoile ,  située  à  un  myriamètre 
«rJiÏÏÏÏL  de  Tinchebray,  arrondissement  de  Domfront,  était 
'  assise  au  fond  d'une  vallée  ,  et  entourée  de  beaux 
étangs,  de  bois  giboyeux,  de  plateaux  fertiles.  Elle 
eut  pour  fondateurs  Henri  de  Beaufou ,  qui  figurait 
parmi  les  soixante-dix-sept  chevaliers  bannerets  de 
Normandie  du  temps  de  Philippe-Auguste,  etÉdice  ou 
Édicie,  son  épouse.  Une  étoile  qui  leur  apparut  au 
milieu  du  jour,  dans  une  fontaine  du  voisinage,  aurait, 
suivant  le  récit  de  quelques  auteurs,  déterminé  l'em- 
placement du  monastère  et  le  choix  du  nom  sous 
lequel  il  est  connu.  Bien  de  plus  poétique  que  cette 


Notice 


DE  BAYEUX.  I 75 

légende;  pourquoi  l'histoire  a-t-elle  omis  de  l'appuyer? 
Des  chanoines  de  la  Luzerne,  au  diocèse  d'Àvranches, 
ordre  de  Prémontré ,  furent  établis  à  Belle-Étoile,  en 
1215.  Ils  remplacèrent  des  hermites  qui  habitaient  la 
montagne ,  et  en  étaient  descendus  pendant  quelque 
temps,  à  la  prière  du  sire  de  Beaufou,  pour  défricher 
les  bois  et  bâtir  des  cellules.  De  là,  deux  époques 
auxquelles  on  peut  rapporter  l'origine  de  l'abbaye. 
Quelques-uns,  par  exemple,  la  font  remonter  à  l'an 
1213,  lorsque,  à  la  demande  de  l'évêque  de  Bayeux, 
l'abbé  de  Lonlay  et  son  couvent  renoncèrent  à  leurs 
droits  sur  l'hermitage  de  Saint-Jacques.  D'autres  la 
placent  à  l'arrivée  des  Prémonlrés ,  ou  môme  la  re- 
poussent jusqu'en  1216,  c'est-à-dire,  jusqu'à  l'épo- 
que à  laquelle  Robert,  évèque  de  Bayeux ,  confirma 
par  une  charte  la  donation  des  fondateurs. 

L'abbé  de  Belle-Étoile  embrassa  chaudement  le  parti 
de  la  ligue.  Henri  IV  le  chassa  comme  un  traître,  con- 
fisqua tous  les  biens  du  monastère,  en  1589,  et  en 
donna  la  jouissance  à  un  officier  calviniste,  au  baron 
de  Larchamp ,  Antoine  de  Crux.  Celui-ci  emporta  les 
papiers  et  les  meubles  au  manoir  de  Bellefontaine,  et 
força  les  religieux  à  se  retirer  dans  leur  oratoire.  In- 
formé de  cette  spoliation  ,  le  parlement  ordonna  que 
les  revenus  de  cette  maison  seraient  employés  à  la 
relever  de  ses  ruines ,  et  que  le  baron  serait  forcé  de 
s'en  dessaisir,  sous  peine  d'une  amende  de  trois  mille 
écus.  Malgré  cet  arrêt,  le  parlement  et  le  monastère 
luttèrent  pendant  vingt-cinq  ans  contre  l'usurpateur. 
Il  fut  chassé  per  un  des  abbés,  Pierre  de  Scarron, 
évèque  de  Grenoble. 


176  HISTOIRE   DU  DIOCÈSE 

Vient  ensuite  la  réforme  d'Augustin  Pannier,  envoyé 
en  1623  pour  rétablir  la  discipline.  Alors  Belle-Étoile 
adopta  une  règle  plus  sévère,  qui  l'ut  enregistrée  au 
parlement  en  1G30. 

Quarante-trois  abbés,  dont  dix-sept  commendatai- 
res,  ont  gouverné  Belle-Étoile  l'espace  de  cinq  cent 
soixante-quinze  ans,  depuis  l'hermite  de  Monufray, 
qui  dirigea  la  construction  et  les  premiers  travaux  de 
l'abbaye,  jusqu'à  M.  de  Lestrade,  nommé  par  Louis 
XVI  en  1784,  et  qui  siégeait  encore  à  la  révolution. 

Lorsque  la  Constituante,  par  son  décret  du  20 
février  1790,  eut  supprimé  les  communautés,  les 
religieux  de  Belle -Étoile  se  dispersèrent;  nous  ne 
saurions  dire  s'ils  étaient  nombreux.  Un  seul  resta 
dans  le  pays,  qu'il  édifiait  par  ses  vertus  et  ses  lu- 
mières, y  exerça  les  fonctions  pastorales  et  y  mourut 
dans  une  grande  vieillesse.  Les  biens  de  la  commu- 
nauté furent  vendus,  et  l'administration  de  Tinche- 
bray  fut  autorisée  à  la  dépouiller  de  tout  ce  qui  pou- 
vait servir  au  culte.  On  transporta  au  département 
les  livres  qui  échappèrent  au  pillage.  L'abbatiale,  de 
construction  assez  récente,  est  encore  debout;  mais 
la  basilique,  bâtie  en  1238,  par  Henri  de  Beaufou, 
fut  dévastée  à  l'époque  de  la  révolution.  En  1818, 
ses  voûtes  étaient  tombées ,  ses  murailles  et  ses  co- 
lonnes rasées  à  hauteur  d'appui.  Cependant,  ajoute 
l'auteur  auquel  nous  empruntons  ces  détails ,  la  fon- 
taine où  la  pieuse  Édicie  vit,  dit-on,  l'étoile  mysté- 
rieuse, coule  toujours  fraîche  et  pure:  la  nature  seule 
ne  vieillit  pas. 

A  l'époque  où  fut  rédigé  le  commencement  de  ce 


de  Thorigny. 


DEBAYEUX.  477 

travail ,  nous  n'avions  pu  recueillir,  sur  les  établisse- 
ments religieux  de  Thorigny,  que  des  notions  très- 
imparfaites.  Aujourd'hui,  la  monographie  que  vient 
de  publier  M.  F.  Deschamps  ,  va  nous  permettre 
d'ajouter  quelques  détails  pleins  d'intérêt  à  ceux  que 
nous  avons  déjà  consignés. 

Dès  l'an  1134,  Richard  de  Saint-Remy  donna  aux  Abbaye 
religieux  de  l'abbaye  d'Aunay  la  seigneurie  de  La 
Boulaye,  située  sur  la  commune  de  Condé-sur-Vire , 
à  condition  qu'ils  y  établiraient  un  monastère  com- 
posé de  quatre  religieux.  Robert  de  Saint-Remy  éten- 
dit et  confirma,  en  1135,  la  donation  de  son  père. 
C'est  à  ce  titre  sans  doute  qu'il  est  désigné  comme 
fondateur  par  quelques  historiens.  Ce  premier  éta- 
blissement, dédié  à  saint  Nicolas ,  et  confié  en  1190 
à  Jean  de  La  Boulaye ,  eut  une  courte  durée  ;  mais , 
en  1307,  il  fut  restauré  par  Robert  Lefèvre ,  archi- 
diacre d'Avranches ,  chanoine  de  Bayeux  et  médecin 
dePhilippe-le-Bel.  L'abbaye  d'Aunay  y  envoya  quatre 
de  ses  religieux ,  sous  la  direction  d'un  abbé ,  qui 
portait,  comme  son  prédécesseur,  le  nom  de  La 
Boulaye.  Deux  chartes,  l'une  de  4307,  l'autre  de 
4  309 ,  homologuées  aux  assises  de  Thorigny,  leur 
attribuèrent  tous  les  biens  qui  avaient  été  donnés  a 
l'ancienne  abbaye.  Philippe-le-Bel  confirma  la  dona- 
tion de  Robert  Lefèvre,  et  y  ajouta,  en  4308,  les 
dîmes  de  la  paroisse  de  Duran ville,  ainsi  que  le  pa- 
tronage de  Notre  -  Dam e-du-Grand-Vivier,  l'une  des 
églises  du  bourg.  En  4310,  Clément  V  plaça  le  mo- 
nastère sous  l'invocation  du  prince  des  apôtres.  Phi- 
lippe V  lui  fit  aussi  quelques  donations,  et  confirma 

12 


478  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

celles  de  son  père,  en  4319.  Cette  abbaye  compte 
vingt-trois  abbés,  au  nombre  desquels  six  furent  com- 
mendataires.  Elle  fut  vendue,  avec  les  huit  hectares 
de  terre  qui  l'entouraient,  vingt -six  mille  francs  en 
assignats  (4). 
prieuré  s'il  faut  en  croire  le  Gallia  christiana  et  le  pouil- 
lé  de  M.  Delamare,  le  prieuré  de  Thorigny  doit  son 
origine  à  Léonore  d'Orléans ,  veuve  de  Charles  de 
Matignon,  gouverneur  de  Normandie.  Ce  nom  n'a  pas 
été  cité  par  M.  Deschamps.  Il  raconte  simplement  que 
deux  religieuses  professes  de  Villers-Canivct  s'éta- 
blirent en  4630  en  la  commune  de  Saint-Amand-de- 
Thorigny,  à  l'ermitage  nommé  la  Madeleine ,  près  la 
lande  de  Rouges -Terres.  Elles  y  pratiquèrent  pen- 
dant dix  mois  les  observances  religieuses,  sous  la 
direction  d'Yves  de  Monthurel ,  propriétaire  de  l'ermi- 
tage. En  4632,  elles  se  transportèrent  sur  le  terrain 
que  leur  donna  Guillaume  Le  Mière ,  curé  de  Notre- 
Dame.  C'est  ici  qu'a  été  oublié  le  nom  de  la  fonda- 
trice. «  La  pieuse  princesse,  dit  M.  Delamare,  fit 
venir  de  Villers-Canivet  deux  religieuses,  Bonne  de 
Malvoue  et  Claire  Boulon ,  qui  furent  d'abord  reçues 

(1)  11  est  à  regretter  que  M.  Deschamps  ne  nous  ait  pas  fait 
connaître  la  source  où  il  a  puisé  la  nomenclature  des  abbés  de 
Thorigny.  En  la  comparant  à  celle  du  Gallia  christiana ,  nous 
y  avons  trouvé  des  différences  assez  notables,  tant  sous  le 
rapport  des  noms  que  sous  celui  des  dates.  La  même  remar- 
que est  applicable  à  celle  des  prieures.  Ainsi,  par  exemple, 
la  fondatrice  du  prieuré,  qu'il  désigne  sous  le  nom  de  Bonne 
de  Mallouet,  est  appelée  par  les  Bénédictins  Bonne  de  Malvoue. 
Quant  à  nos  éveques,  M.  Deschamps  a  été  évidemment  trompé 
par  ses  manuscrits,  lorsqu'il  substitue  Hervé  à  Henri  IL  et 
Jacques  d'Anglemer  à  Jacques  d'Angennes. 


de  Thorigny. 


DE  BAYEUX.  479 

dans  la  solitude  de  Sainte-Madeleine.  La  donation  de 
Léonore  et  de  Guillaume  fut  acceptée  par  l'abbé  de 
Cîteaux ,  Dom  Pierre  Nivelle ,  qui  érigea  ce  mona- 
stère en  prieuré,  le  48  mai  4632.  »  Le  roi  l'approuva 
en  4634.  Il  renfermait  ordinairement  de  douze  à 
quinze  religieuses;  ses  prieures  ont  été  au  nombre 
de  douze.  L'église  et  un  bâtiment  à  deux  étages  sont 
les  seuls  restes  de  ce  qui  existait  autrefois.  Trois  reli- 
gieuses ,  de  la  congrégation  du  Sacré-Cœur,  y  tien- 
nent un  pensionnat  et  une  école  de  jeunes  filles. 

En  4  224 ,  Gaucher  de  Châtillon  ,  comte  de  Saint-  Hospice 
Paul,  auquel  Philippe-Auguste  avait  fait  don  de  la 
baronnie  de  Thorigny,  confisquée  sur  Jean -Sans- 
Terre  ,  y  fonda  un  Hôtel-Dieu  en  face  l'église  Notre- 
Dame-du-Grand-Vivier.  Une  chapelle ,  dédiée  à  saint 
Éloi,  et  portant  le  titre  de  prieuré,  y  était  annexée; 
elle  était  desservie  par  le  curé  de  la  paroisse. 

Par  une  charte  de  4  300 ,  Philippe-le-Bel  fit  quel- 
ques donations  à  cet  hôpital,  particulièrement  des- 
tiné aux  pauvres  infirmes  et  aux  voyageurs  indigents. 
Les  bâtiments  qui  le  composaient,  devinrent  considé- 
rables. Les  draps,  les  toiles  qu'on  y  fabriquait,  furent 
long-temps  le  principal  aliment  du  commerce  de  la 
ville.  Cet  état  de  prospérité  finit  en  4388 ,  et  la  ruine 
était  complète  en  4675.  Ce  fut  alors  que  Jean  de 
Matignon  ,  seigneur  de  Thorigny,  fonda  l'hospice 
actuel,  en  commémoration  de  son  mariage  avec  Char- 
lotte de  Matignon,  sa  nièce.  Il  dota  sa  fondation  de 
la  plus  grande  partie  des  biens  qu'elle  possède.  On  y 
ajouta  le  reste  des  revenus  de  l'ancien  Hôtel-Dieu.  Un 
édit  de  4685  y  réunit  ceux  du  prêche  de  Chefresne; 


École 
de  Thorigny. 


Abbaye 
de  Mondaye. 


180  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ceux  des  maladreries  de  Thorigny,  de  Condé-sur-Vire, 
de  Septvents,  de  Tessy  et  de  la  Ferrière-Hareng ,  y 
furent  incorporés  par  lettres -patentes  le  24  février 
1696.  L'hospice  de  Thorigny  et  ses  dépendances 
immédiates  sont  de  plus  d'un  hectare.  Son  revenu 
s'élève  à  huit  mille  sept  cent  quatre-vingt-deux  francs. 

Raoult  Boulogne,  curé  de  Saint-Martin  de  Caumont, 
Guillaume  Le  Bouteiller,  curé  de  Notre- Dame -du- 
Grand-Vivier,  et  Georges  Dajon,  tabellion  de  Thori- 
gny, fondèrent  en  1 595 ,  une  école  qui  fut  nommée 
collège  Notre-Dame-du-Grand-Vivier.  Le  maître  était 
à  la  nomination  du  curé  et  des  principaux  habitants. 

Un  siècle  plus  tard,  en  1691 ,  Catherine  Chevreuil 
fonda,  dans  sa  maison,  une  école  pour  les  jeunes 
filles;  elle  légua  en  mourant  cette  propriété  à  ses 
compagnes,  et  leur  imposa  l'obligation  de  continuer 
la  vie  commune  sous  la  règle  de  Saint-Augustin,  de 
tenir  les  petites  écoles ,  de  soigner  les  malades  et  de 
leur  rendre  au  besoin  les  derniers  devoirs.  Leur  dé- 
vouement fut  très-précieux  dans  les  temps  d'épidé- 
mie; la  révolution  les  chassa  de  leur  asile. 

Au  sud  de  la  ville  de  Bayeux,  dans  la  direction  des 
communes  d'Ellon  et  de  Monceaux,  s'étendent  à  quel- 
ques pieds  au-dessous  du  sol  les  restes  d'un  aque- 
duc construit  par  les  Romains.  Au  nombre  des  sources 
qui  l'alimentaient  autrefois ,  on  cite  comme  la  plus 
importante  celle  de  Mondaye,  située  à  huit  kilomètres 
de  la  ville  épiscopale.  Elle  fournissait  alors  une  assez 
grande  quantité  d'eau  limpide,  et  avait  donné  son 
nom  à  la  colline  d'où  elle  jaillissait.  Cette  colline,  en 
effet,  eut  pour  nom  primitif  Mont-d'Ae  [Mons  aquœ], 


DE   BAYEUX.  184 

dont  on  a  fait  plus  tard  Mont  d'Aide  [Mons  auxilii], 
et  Mont  de  Dieu  [Mons  Dei] ,  lorsque  les  moines  y 
eurent  fixé  leur  séjour. 

Au  commencement  du  xn6  siècle ,  un  pieux  ana- 
chorète, nommé  Turstin  ,  habitait  cette  solitude  ;  sa 
mémoire  s'y  conserva  parmi  les  habitants  du  mona- 
stère; on  y  priait  pour  lui  chaque  année,  îe  15  avril. 

Était-ce  sur  le  patrimoine  de  ses  aïeux  ou  sur  le 
territoire  de  son  siège  épiscopal  que  Jourdain  du 
Hommet ,  évêque  de  Lisieux ,  fonda  l'abbaye  de 
Mondaye?La  question  nous  semble  résolue  en  faveur 
de  la  seconde  opinion.  Nous  nous  en  référons  à 
l'indication  que  nous  avons  donnée  dans  notre  pre- 
mier volume  et  aux  preuves  plus  développées  qui  se 
trouvent  a  la  fin  de  celui-ci  (1  ) .  Quant  à  l'époque  de  la 
fondation,  nous  nous  étions  récusé  ,  en  présence  de 
deux  dates  qui  se  contredisent .  Aujourd'hui ,  nous 
sommes  heureux  d'accepter  celle  que  nous  propose 
l'historien  de  l'abbaye,  le  P.  Godefroid  Madelaine  (2). 
Il  est  certain  qu'en  1202  ,  il  existait  déjà  sur  la  col- 
line de  Mondaye  une  communauté  de  chanoines, 
gouvernée  par  un  supérieur  régulier.  La  paroisse  de 
Juaye,  où  elle  était  située,  faisait  partie  de  l'exemp- 
tion de  Nonant.  —  L'histoire  de  Mondaye  est  donc 
écrite  et  nous  n'avons  qu'à  nous  en  réjouir.  L'histoire 
des  communautés  est  une  spécialité  dans  celle  du 
diocèse.  Il  serait  impossible  qu'un  seul  homme  eût 
le  temps  et  la  force  d'en  réunir  tous  les  matériaux. 

(1)  Pièces  justificatives,  Note  22,  page  23. 

(2)  Essai  historique  sur  l'Abbaye  de  Mondaye,  par  le 
R.  P.  Godefroid  Madelaine.— Caen,  Leblanc-Hardel ,  1874. 

c.  12 


482  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Quand  nous  avons  eu  le  bonheur  de  rencontrer  sur 
l'abbaye  de  Troarn  des  documents  inédits,  nous  en 
avons  longuement  profité  ;  mais  ce  bonheur  est  une 
exception.  Laissons  donc  au  P.  Godefroid  le  plaisir 
d'apprendre  à  nos  lecteurs  toutes  les  particularités 
qu'il  a  recueillies  sur  sa  chère  abbaye,  et  contentons- 
nous  d'en  extraire  quelques  faits  qui  intéressent 
plus  particulièrement  l'histoire  du  diocèse. 

Disons  d'abord  qu'une  charte  de  saint  Louis,  roi 
de  France,  donnée  à  Pont-Audemer  en  1269,  met  à 
la  disposition  des  chanoines  «  le  bois  mort  qu'ils 
pourront  recueillir  dans  la  forêt  du  Vernay,  jusqu'à 
concurrence  de  la  double  charge  d'un  âne  par  jour.  » 
Il  existe  encore  à  Juaye  un  chemin  designé  sous  le 
nom  de  Rue-aux-Anes ,  qui  conduit  directement  du 
monaslère  à  la  forêt,  distante  d'une  lieue  environ. 
On  ignore  aujourd'hui  que  ce  nom  est  d'origine 
royale,  et  l'on  croit  faussement  que,  dans  le  langage 
populaire,  il  s'appliquait  aux  religieux. 

En  signalant,  comme  c'était  notre  devoir,  l'atta- 
chement de  l'abbé  Jahouel  a  la  secte  de  Jansénius, 
nous  avions  rendu  justice  à  son  savoir  et  à  sa  piété  ; 
il  nous  reste  à  publier  ici  un  détail  que  nous 
ignorions  et  qui  vaut  mieux  que  tous  les  éloges.  Tout 
le  monde  sait  qu'une  lettre  de  cachet  l'avait  consigné 
dans  son  abbaye,  et,  d'après  certains  témoignages 
dont  je  ne  discute  pas  la  valeur,  tant  que  vécut  Mgr 
de  Lorraine,  il  eut  avec  lui  de  secrètes  intelligences; 
mais,  dit  le  P.  Godefroid,  dès  qu'il  fut  débarrassé  de 
celui  qu'on  peut  appeler  «  son  mauvais  génie,  »  il 
écoula  les  cris  de  sa  conscience,  et  se  rendit  aux 


DE  BAYEUX.  183 

sages  remontrances  de  ses  confrères.  Il  y  a  donc  , 
dans  la  vie  du  P.  Jahouel,  deux  périodes  bien  dis- 
tinctes :  celle  de  ses  égarements  et  celle  de  son 
repentir. 

Il  faut  lire,  dans  le  P.  Godefroid,  le  chapitre  où 
il  traite  des  travaux  d'art  que  l'on  doit  à  ses  frères 
les  religieux. 

Mondaye  se  trouvait  dans  une  situation  prospère; 
Philippe  l'ïïermitev  élu  abbé  régulier  en  1704,  en 
profita  pour  faire  construire  l'église  actuelle,  remar- 
quable par  ses  belles  proportions  et  l'ensemble  bien 
ordonné  de  toutes  ses  parties.  Elle  fut  achevée  par 
Olivier  Jahouel ,  qui  rebâtit  l'ancien  couvent  et  le 
mit  en  communication  avec  l'église.  La  communauté 
comptait  alors  parmi  ses  membres  Eustache  Restout, 
architecte,  peintre  et  sculpteur,  qui  dirigea  la  con- 
struction de  l'église  et  y  plaça  les  sculptures  et  les 
peintures  qui  la  décorent.  Une  très-belle  Assomption 
modelée  en  terre  deNoron  et  entourée  de  chérubins, 
pourrait  servir  de  type  pour  toute  composition  du 
même  genre.  A  la  suite  de  la  révolution  de  1793, 
les  tableaux  qui  décoraient  l'église,  et  dont  le  mé- 
rite était  subordonné,  dans  la  pensée  du  peintre,  à 
la  place  qu'ils  y  occuperaient,  furent  transportés 
à  Bayeux  et  placés  à  la  Cathédrale.  On  n'a  pas 
oublié  l'effet  disgracieux  qu'ils  produisaient  dans  la 
nef,  alignés  sur  deux  rangs.  Des  réclamations  nom- 
breuses avaient  éveillé  sur  ce  point  l'attention  pu- 
blique. Enfin,  M°rDidiot,  après  avoir  consulté  son 
chapitre,  «  renonça  gracieusement,  »  dit  notre  au- 
teur, à  la  possession  de  ces  richesses.  Grâce  à  cette 


de  Caeu. 


184  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

décision,  elles  reprirent  successivement  le  chemin 
de  l'abbaye;  là  seulement  elles  sont  à  leur  place  : 
tout  le  monde  en  convient  aujourd'hui. 

Les  annales  manuscrites  de  la  Charité  de  Caen 
nous  ont  laissé,  sur  Mgr  de  Luynes  et  son  successeur, 
de  précieuses  communications.  Ces  pages,  que  nous 
avons  sous  les  yeux ,  nous  font  si  bien  connaître  les 
deux  prélats  ;  elles  sont  écrites  avec  tant  de  naturel 
et  d'exquise  simplicité  ,  que  nous  regrettons  de  ne 
pouvoir  les  reproduire.  Essayons  au  moins  d'en  dé- 
tacher quelques  fragments. 
La  charité  Quoique  Mgr  de  Luynes,  nous  disent-elles,  fût  loin 
de  partager  les  sentiments  de  son  prédécesseur  «  sur 
les  affaires  de  la  religion  »  relatives  à  la  querelle  du 
jansénisme,  il  montra  pour  la  communauté  la  même 
charité  et  la  même  bienveillance  que  Mgr  de  Lorraine. 
Il  la  visita  pour  la  première  fois  le  M  janvier  1730, 
et  s'empressa  de  lui  témoigner  «  combien  il  était 
prévenu  en  sa  faveur.  »  Après  la  mort  de  l'abbé 
Robinet,  son  grand-vicaire  et  son  ami,  qu'il  donna 
d'abord  aux  religieuses  pour  père  spirituel ,  il  con- 
sentit à  remplir  lui-même  ces  fonctions.  Il  montra 
toujours  un  grand  zèle  pour  l'exacte  observance,  et 
ne  craignait  pas  d'entrer  à  cet  égard  dans  les  détails 
les  plus  minutieux.  C'était  le  temps  où  une  assem- 
blée générale  des  supérieures  de  l'ordre  se  réunit  à 
Caen  sous  la  présidence  de  deux  docteurs  en  théo- 
logie, pour  revoir  les  constitutions.  Mgr  de  Luynes, 
auquel  on  soumit,  en  1")35,  le  travail  de  l'assemblée, 
prit  la  peine  de  l'examiner  avec  la  plus  scrupuleuse 
attention  ;  il  y  fit  même  de  légers  changements  , 


DE  BAYEUX.  485 

«  soit  pour  réformer  quelques  expressions  suran- 
nées, soit  pour  les  rendre  plus  intelligibles.  »  D'après 
ses  conseils ,  qui  furent  acceptés  par  toutes  les  mai- 
sons de  l'institut,  les  règles  furent  mises  à  l'essai 
pendant  trois  ans  ;  puis  il  les  approuva,  et  obtint  du 
pape  un  bref  de  confirmation. 

Monseigneur  ne  se  contenta  pas  d'apporter  tous 
ses  soins  à  l'examen  des  constitutions  ,  il  voulut  ap- 
précier en  détail  le  règlement  et  les  coutumes  ;  «  tan- 
tôt il  écrivait  pour  donner  quelques  éclaircissements 
sur  ses  remarques  ;  d'autres  fois  il  venait  au  parloir 
avec  tous  nos  manuscrits  pour  faire  ses  observations, 
et  recevoir  celles  qu'on  pouvait  avoir  à  lui  faire  ;  on 
l'a  vu  passer  à  ces  examens  depuis  huit  heures  du 
malin  jusqu'après  midi  sans  interruption.  Lorsqu'il 
était  à  Caen ,  il  ne  manquait  jamais  de  donner  quel- 
ques marques  particulières  de  l'intérêt  qu'il  prenait 
à  ce  qui  concernait  ce  monastère  ;  s'informant  de 
tout,  visitant  nos  cellules,  la  nourriture  de  nos  pé- 
nitentes, la  tenue  de  nos  livres  de  comptes.  » 

On  aime  à  voir  la  pensée  de  Mgr  de  Luynes 
descendre  à  ces  petits  détails  :  c'est  le  propre  des 
hommes  supérieurs  d'embrasser  ainsi  avec  la  même 
aptitude  les  fonctions  les  plus  variées  ;  mais  il  faut 
quelque  chose  de  plus  que  le  talent  pour  l'entre- 
prendre, il  faut  le  sentiment  du  devoir.  Voilà  pour- 
quoi les  lignes  que  je  viens  de  citer,  doivent  être 
ajoutées  au  portrait  de  Mgr  de  Luynes,  qu'elles  nous 
présentent  sous  un  nouvel  aspect.  On  ne  le  connaîtrait 
pas ,  si  on  le  jugeait  uniquement  d'après  ses  luttes 
contre  le  jansénisme  ou  son  discours  à  l'Académie. 


186  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Mgr  de  Rochechouart  marcha  sur  ses  traces  ;  il 
accepta  le  titre  de  supérieur,  qui  lui  fut  offert  à  sa 
première  visite,  et  il  accorda  toujours  une  attention 
bienveillante  aux  intérêts  de  la  communauté. 

L'acquit  des  messes  de  fondation  était  devenu 
pour  elle  une  charge  très-onéreuse  ;  d'un  côté,  les 
revenus  avaient  diminué  ;  de  l'autre,  la  misère  des 
temps  et  l'élévation  du  prix  des  denrées  semblaient 
exiger  que  l'on  augmentât  les  honoraires.  Le  rem- 
boursement des  billets  de  banque,  sous  le  ministère 
de  Law,  et  la  dépréciation  du  papier-monnaie  qui 
en  fut  la  conséquence,  avaient  englouti  un  capital  de 
dix  à  onze  mille  francs ,  spécialement  affecté  à  des 
fondations  de  cette  espèce,  et,  depuis  vingt-cinq 
ans  ,  la  Charité  était  dans  un  état  de  souffrance  qui 
s'aggravait  tous  les  jours.  Mgr  de  Rochechouart  fit 
alors  ce  que  Mgr  de  Luynes  n'avait  pas  osé  faire  :  en 
1757,  il  réduisit  le  nombre  des  messes  que  l'on  était 
tenu  d'acquitter,  ce  qui  permit  d'élever  à  treize  sols 
l'honoraire  de  chacune  (1). 

On  cite  plusieurs  lettres  que  le  prélat  écrivit  du 
fond  de  sa  retraite  aux  religieuses  de  la  Charité  ; 
elles  prouvent  que  l'âge  et  la  distance  n'avaient  pas 
refroidi  ses  sentiments  :  il  en  donna  des  preuves 
jusqu'à  sa  mort. 

(i)  Nous  avons  déjà  constaté  le  changement  survenu  dans  les 
valeurs,  qui  avait,  en  deux  siècles,  décuplé  le  prix  de  certains 
objets  de  première  nécessité. 


DE   BAYEUX.  187 

^TTTTryTYTYTfYTTTTrTrTrT'B'TrTrTrTrTrTrTrTrTrTrTrTrTrvTr* 


CHAPITRE  XIV. 


Élection  de  Msr  de  Cheylus.  —  Travaux  à  la  Cathédrale.  — 
Nouvelle  édition  des  Statuts  diocésains.—  Extinction  delà 
mendicité.— Petit-Bureau.— Frères  des  Écoles  chrétiennes. 
—  Actes  de  baptême  des  Prolestants.  — Mariages  des  Protes- 
tants.— Révolte  à  Douvres.—  École  de  la  Providence. 


Si,  pour  être  irréprochable  au  jugement  de  la 
postérité,  il  suffisait  à  un  prince  de  l'Église  de  con- 
sacrer une  partie  de  ses  richesses  à  soulager  l'indi- 
gence, de  fonder  autour  de  lui  des  établissements 
charitables,  d'opposer  aux  persécuteurs  de  la  reli- 
gion, tantôt  une  conduite  modérée  et  prudente,  tantôt 
une  énergie  pleine  de  dignité;  si  l'exil,  courageusement 
accepté  pour  échapper  aux  décrets  d'une  assemblée 
schismatique,  pouvait  nous  faire  oublier  les  entraî- 
nements et  les  erreurs  d'une  autre  époque,  l'épisco- 
pat  de  Mgr  de  Cheylus  défierait  la  critique  ,  et  nous 


188  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

n'aurions  que  des  hommages  à  déposer  sur  sa  tombe. 
Mais  l'historien  ne  peut  manier  à  son  gré  les  docu- 
ments où  il  puise  ses  inspirations  ;  son  premier  de- 
voir est  de  les  reproduire  sans  les  altérer.  Nous 
dirons  donc  que,  au  moment  où  Mgr  de  Cheylus  prit 
possession  de  son  troisième  diocèse  ,  quoique  d'un 
âge  assez  avancé,  il  y  apportait  l'activité  et  les  res- 
sources d'un  esprit  jeune  encore  ;  ses  habitudes 
étaient  celles  d'un  grand  seigneur.  Il  appartenait  à 
un  groupe  de  prélats  que  l'abbé  Barruel  avait  vus  de 
près  en  exil,  et  sur  lesquels  il  a  porté  un  jugement 
qui  rend  ici  toute  notre  pensée  (1).«  Trop  longtemps, 
dit-il,  ils  avaient  associé  le  culte  de  la  Cour  à  celui 
de  la  Croix;  mais  la  persécution  rendit  leur  foi  et 
plus  pure  et  plus  forte.  »  Mgr  de  Cheylus  regardait 
comme  inébranlables  les  fondements  sur  lesquels 
reposait  l'ancienne  monarchie.  Il  ne  crut  jamais  à 
la  révolution.  A  ses  yeux,  la  révolution  était  une* 
bourrasque  qui  passait  sur  la  France.  Cet  espoir  le 
soutint  jusques  au  jour  de  sa  mort. 
Élection  Mgrde  Cheylus  était  originaire  du  diocèse  d'Avignon. 

de  Mer  de  Cheylus.  J  S  S 

Né  dans  cette  ville  en  17'l  7,  docteurdeSorbonne,  abbé 
de  Cormeilles,  dans  le  diocèse  de  Lisieux,  doyen  du 
chapitre  de  cette  cathédrale  en  4754,  évoque  de  Tré- 
guier  en  1762,  transféré  à  Cahors  en  1766,  premier 
aumônier  de  Madame  la  comtesse  d'Artois,  conseiller 
du  roi,  commandeur  des  ordres  royaux,  militaires 
et  hospitaliers  de  Notre-Dame  du  Mont-Carmel  et 
de  Saint-Lazare  de  Jérusalem,  Joseph-Dominique  de 

(1)  Histoire  du  Clergé  pendant  la  Révolution  française.— 
Londres,  1797. 


DE  BAYEUX.  489 

Cheylus  fut  nommé  à  l'évêché  de  Bayeux  le  17  no- 
vembre 1776,  à  l'âge  de  cinquante-neuf  ans.  Il  donna 
procuration  a  M.  de  Biaudos,  doyen  du  chapitre,  pour 
prendre  à  sa  place  possession  de  l'évêché,  le  1er  avril 
1777;  mais  il  ne  vint  à  Bayeux  que  le  5  avril  de 
l'année  suivante  (1).  A  l'exemple  de  Mgr  de  Lorraine, 
Mgr  de  Cheylus  s'affranchit  de  l'hommage  traditionnel 
que  ses  prédécesseurs  rendaient  depuis  cinq  siècles 
à  Notre-Dame-de-la-Délivrande  ;  il  arriva  directement 
à  Bayeux  le  samedi  soir,  et  le  lendemain  il  se  rendit 
de  l'église  Saint-Sauveur  à  la  Cathédrale,  après  avoir 
fait  processionnellement  le  tour  de  la  cité.  On  a  pré- 
tendu, mais  sans  pouvoir  en  donner  la  preuve,  que 
Mgr  de  Cheylus  avait,  par  ses  intrigues,  enlevé  l'évê- 
ché de  Bayeux  à  M.  de  Nicolaï,  chancelier  de  la  Cathé- 
drale, en  faveur  duquel  Mgr  de  Rochechouart  aurait 
donné  sa  démission.  Nous  entrons  dans  une  époque 
où  l'on  ne  peut  trop  se  tenir  en  garde  contre  les  in- 
sinuations de  cette  nature ,  surtout  quand  les  témoi- 
gnages sur  lesquels  elles  reposent,  sont  évidemment 
inspirés  par  la  haine.  Or,  tel  est  à  nos  yeux  le  carac- 
tère des  pamphlets  et  des  brochures  où  celles-ci 
furent  outrageusement  répétées. 

Mgr  de  Cheylus  confia  successivement  les  pouvoirs 
de  vicaire-général  à  un  grand  nombre  d'ecclésiasti- 
ques, étrangers  pour  la  plupart  à  son  nouveau  dio- 


(1)  C'est  au  moins  ce  que  nous  lisons  dans  un  manuscrit 
rédigé  sous  son  épiscopat. .  D'autres  fixent  son  arrivée  au  27 
mars  1777;  mais  alors  il  faudrait  dire  que  Msr  de  Cheylus  se 
serait  fait  installer  avant  d'avoir  pris  possession  par  procu- 
reur. 


490  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

cèse.  Contentons-nous  de  citer  ici  les  noms  de  ceux 
qui  remplissaient  cette  charge  au  commencement  de 
l'année  4  790  :  MM.  de  Marguerye,  doyen  du  chapitre  ;— 
Le  Sueur  des  Frênes,  grand-chantre  de  la  Cathédrale; 
— Merry  de  Berthenouville,  docteur  de  Sorbonne, doyen 
du  Saint- Sépulcre  de  Caen;  —  de  La  Cour,  conseiller 
au  parlement  de  Rouen ,  archidiacre  des  Veys  ;  —  de 
Pradelles,  archidiacre  de  Caen; — de  Cairon,  chanoine 
de  Cussy; — de  Narbonne,  chancelier  de  la  Cathédrale  ; 
—  Maffré,  docteur  en  théologie,  officiai  du  diocèse; 
— d'Audibert  de  laVillasse,  licencié  en  droit  et  archi- 
diacre de  Bayeux.  Né  à  Carpentras,  en  4750,  M.  d'Au- 
dibert était  âgé  de  vingt-huit  ans,  lorsque  M&r  de 
Cheylus,  son  parent,  le  nomma  chanoine  de  Gueron, 
et  le  fit  entrer  dans  son  conseil.  On  voit  par  le  procès- 
verbal  de  son  installation ,  que  l'on  donnait  encore 
aux  nouveaux  chanoines  l'investiture  spirituelle  de 
leur  prébende  par  l'imposition  d'un  livre,  et  la  saisine 
du  temporel  en  leur  faisant  toucher  du  pain  et  du 
vin.  Cette  coutume  était  fort  ancienne  dans  l'Église  de 
Bayeux  :  on  la  trouve  indiquée  dans  un  manuscrit  du 
xme  siècle. 
Travaux  Jean-François  de  Marguerye,  chanoine  de  Vaucelles, 
cathédrale.  avait  remplacé,  en  4781,  M.  de  Biaudos,  doyen  du 
chapitre  et  vicaire-général  de  Mgr  de  Cheylus  ;  il  obtint 
vingt-quatre  voix  sur  quarante-un  votants.  Il  travailla 
comme  son  prédéceseur  à  l'ornementation  de  la  Cathé- 
drale, et  la  compléta  en  y  plaçant  la  chaire  à  prêcher  ; 
elle  fut  faite  à  Caen,  en  1786. 

On  lit  dans  un  rapport  adressé  au  ministre  des 
cultes  par  l'évêque  de  Bayeux,  le  20  janvier  4842, 


DE  BAYEUX.  191 

que  le  portail  de  l'église  fut  mutilé  en  1778,  lorsqu'on 
répara  l'arche  du  milieu,  laquelle  menaçait  ruine.  Un 
de  nos  manuscrits ,  rédigé  sous  l'épiscopat  de  Mgr  de 
Cheylus,  donne  sur  le  même  fait  des  explications 
toutes  différentes.  D'après  lui,  le  pilier  qui  soutenait 
le  tympan ,  et  séparait  en  deux  la  porte  principale , 
aurait  été  supprimé,  parce  qu'il  rendait  le  passage 
trop  étroit,  et  qu'aux  fêtes  du  Saint-Sacrement,  on 
était  obligé  de  monter  le  dais  en  dehors  de  l'église. 
Alors  on  fit  disparaître  six  statues  d'apôtres  et  une 
statue  de  la  Vierge  placées  sur  le  pilier,  au  milieu  du 
portail.  Alors  aussi  on  perça  cette  fenêtre  ronde  qui 
éclaire  l'église  au-dessous  des  orgues.  La  grille  qui 
ferme  l'entrée,  fut  construite  à  peu  près  dans  le  même 
temps. 

L'édition  des  statuts  rédigés  par  Mgr  de  Luynes ,  Nouvelle  édition 
étant  épuisée,  Wr  de  Cheylus  la  renouvela  sans  y  rien  J^S!! 
changer.  Mais  il  la  fit  précéder  d'un  mandement ,  en 
date  du  5  janvier  1781  ,  dans  lequel  il  exhorte  le 
clergé  à  rendre  plus  léger  pour  lui  le  fardeau  d'un 
ministère  qui  s'aggravait  tous  les  jours.  Il  s'y  plaint 
des  mœurs  nouvelles  que  «  la  licence  du  siècle  s'ef- 
force d'introduire  dans  le  sanctuaire.  »  Il  y  rappelle 
à  l'observation  des  règlements  les  ecclésiastiques 
qui  ne  craignaient  pas  de  s'en  affranchir  par  une 
transgression  coupable,  en  abjurant,  «  dans  leurs  v 
manières  et  dans  leur  conduite,  la  décence  et  la  di- 
gnité de  leur  état;  »  une  injonction  sévère,  adressée 
au  promoteur  de  l'officialité,  lui  ordonnait  de  publier 
les  statuts  et  de  poursuivre  les  délinquants.  Ces  or- 
donnances ont  été  renouvelées  par  Mgr  Brault ,  avec 


de  la  mendicité. 


492  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

quelques  changements  que  les  circonstances  avaient 
rendus  indispensables.  Mgr  Duperrier  et  Mgr  Robin  les 
ont  également  modifiées.  La  dernière  édition,  celle 
de  4853,  postérieure  au  concile  de  Rouen,  en  a  re- 
produit les  décrets,  après  avoir  été  soumise  par  Mgr 
Robin  à  l'examen  d'un  synode. 
Extinction  L'extinction  de  la  mendicité  est  un  des  problêmes 
les  plus  difficiles  qui  aient  jamais  éveillé  l'attention 
des  administrateurs.  Mgr  de  Cheylus  entreprit  de  le 
résoudre.  Président  d'un  bureau  où  devaient  siéger, 
d'une  part,  le  doyen  du  chapitre ,  le  lieutenant-géné- 
ral du  bailliage  et  celui  de  police,  le  procureur  du 
roi ,  le  maire,  accompagné  d'un  des  échevins  ;  et  de 
l'autre,  des  délégués  du  chapitre,  du  bailliage,  des 
curés  de  la  ville ,  de  la  noblesse  et  du  collège  des 
avocats,  élus  par  leurs  corps  respectifs,  il  y  associa 
des  dames  de  charité,  prises  dans  chaque  paroisse. 
Ces  dames  furent  priées  de  dresser  le  tableau  des 
indigents,  et  de  mettre  en  regard  celui  des  ressources 
qu'ils  pouvaient  tirer  de  leur  travail.  Les  Sœurs  de 
Saint-Vincent-de-Paul ,  préposées  par  Mgr  de  Nesmond 
au  soulagement  des  pauvres  malades ,  et  dont  Mgr  de 
Luynes  avait  régularisé  l'institution,  furent  appelées 
à  distribuer  les  aumônes.  Les  aumônes  se  faisaient 
en  nature;  elles  consistaient  en  comestibles  et  en 
vêtements.  Les  Sœurs  se  trouvaient  aux  assemblées, 
pour  informer  les  administrateurs  des  changements 
qui  pouvaient  survenir  dans  l'état  des  familles.  Les 
secours  destinés  aux  pauvres  honteux  étaient  remis  à 
celui  des  administrateurs  qui  s'était  chargé  d'en  faire 
la  demande.  Pendant  l'Avent  et  à  l'époque  du  Carê- 


DE  BAYEUX.  193 

me,  une  quête  générale  était  faite  dans  toute  la  ville 
par  les  membres  du  bureau  et  les  dames  de  charité; 
les  assemblées  avaient  lieu  tous  les  mois,  au  palais 
épiscopal.  En  échange  des  secours  qu'ils  recevaient 
de  l'administration ,  les  pauyres  étaient  obligés  au 
travail.  Une  tâche  leur  était  remise  le  lundi  par  les 
Sœurs,  qui  étaient  tenues  de  rendre  compte  au  bu- 
reau de  l'exactitude  avec  laquelle  elle  avait  été  rem- 
plie. Dès-lors,  la  mendicité  fut  interdite  à  Bayeux , 
dans  les  faubourgs  aussi  bien  que  dans  la  ville,  et  le 
ministère  public  invité  à  sévir  contre  les  mendiants  et 
les  vagabonds. 

Ces  mesures  étaient  rigoureusement  nécessaires. 
Mgr  de  Cheylus  les  justifia  par  un  mandement  qui 
parut  le  26  avril  1782.  Il  y  appelle  surtout  l'attention 
des  habitants  sur  l'état  des  hôpitaux  et  le  nombre 
excessif  des  mendiants  répandus  dans  la  cité.  Le 
cœur  se  serre  quand  on  entend  l'évêque  déclarer  que 
les  hospices  eux-mêmes  «  ne  sont  pas  pour  l'indigent 
un  abri  contre  la  rigueur  et  l'intempérie  des  saisons.  » 
L'on  s'étonne  qu'il  ne  craigne  pas  de  les  désigner 
comme  un  repaire  plutôt  que  comme  un  asile ,  où 
les  pauvres  languissent  dans  un  «  dénuement  absolu 
de  toutes  les  nécessités  de  la  vie,  »  où  «  tous  les 
maux  et  tous  les  besoins  sont  réunis  sans  aucun 
secours  pour  les  adoucir  et  les  calmer.  »  Dès-lors, 
on  est  moins  surpris  d'apprendre  qu'à  cette  époque , 
«  les  maisons  et  les  temples  étaient  assiégés  par  une 
multitude  de  mendiants,  vicieux  sans  honte,  libertins 
sans  retenue,  qui  retardaient  le  passant  dans  sa  mar- 
che et  le  fatiguaient  par  l'importunité  de  leurs  de- 

13 


194  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

mandes;  »  mais  on  regrette  surtout  que,  par  différents 
motifs ,  dont  Mgr  de  Cheylus  se  croit  obligé  de  faire 
l'aveu,  l'administration  de  charité  rencontrât  une  assez 
forte  opposition  dans  la  ville,  et  que  la  plupart  de 
MM.  les  curés  eussent  refusé  d'y  concourir.  Le  même 
projet,  dont  l'abbé  Hugon ,  grand-vicaire  de  Mgr  de 
Luynes ,  eut,  en  1754,  la  première  pensée,  avait 
soulevé  les  mêmes  réclamations,  sans  opérer  aucune 
réforme  ;  tant  il  est  vrai ,  dit  à  ce  propos  l'abbé 
Beziers  (1),  qu'avec  des  intentions  également  droites, 
on  n'envisage  pas  toujours  les  idées  du  même  point 
de  vue,  et  que,  dans  toute  entreprise  un  peu  sérieuse, 
c'est  une  folie  de  compter  sur  l'unanimité  des  suffra- 
ges. 
petu-Burcau.  L'abbé  Hugon  avait  fondé,  à  la  manufacture  de 
dentelles  de  Bayeux  (2),  des  pensions  gratuites  pour 
les  jeunes  filles  de  condition,  dont  la  fortune  ne  ré- 
pondait pas  à  la  naissance.  Ces  demoiselles,  au  nom- 
bre de  douze,  y  étaient  ordinairement  élevées  jusqu'à 
l'âge  de  vingt-cinq  ans  ;  mais  le  revenu  affecté  à  cette 
bonne  œuvre  ne  suffisait  pas  pour  remplir  les  vues 
du  fondateur.  M.  Raffin,  abbé  de  Mondaye,  y  avait 
pourvu  sous  le  dernier  épiscopat.  A  l'époque  de  sa 
mort,  arrivée  en  1782,  Mgr  de  Cheylus  se  déclara  le 


(1)  Mémoires  inédits. 

(2)  Il  ne  faut  pas  confondre  cette  manufacture ,  dirigée  par 
les  Sœurs  de  la  Providence  ,  sous  le  nom  de  Petit-Bureau , 
avec  le  Grand- Bureau,  ou  Hôpital -général ,  dirigé,  depuis 
M8r  de  Nesmond,  par  les  Sœurs  de  Saint-Vincent-de-Paul.  Au- 
jourd'hui ,  les  deux  établissements  sont  réunis  et  confiés  aux 
Sœurs  de  Saint-Thomas-de-Villeneuve. 


DE   BÀYEUX. 


195 


protecteur  de  l'établissement,  et  lui  vint  en  aide  par 
ses  bienfaits. 

L'instruction  manquait  autour  de  lui  aux  enfants 
des  familles  pauvres.  Il  fit  construire,  sur  un  terrain 
que  lui  donna  la  ville ,  à  l'extrémité  de  la  paroisse 
Saint-Laurent ,  un  magnifique  établissement  où  il 
appela  les  Frères  des  Écoles  chrétiennes  ;  M.  de 
Marguerye ,  vicaire-général  et  doyen  du  chapitre,  le 
bénit  en  1788  (I),  après  une  messe  solennelle,  chan- 
tée à  la  Cathédrale,  où  se  réunirent,  à  cette  occasion, 
une  multitude  de  fidèles.  Les  quatre  Frères  furent 
reçus  dans  le  chœur,  avec  les  enfants  de  la  ville,  et 
reconduits  à  leur  maison  par  le  chapitre.  La  cloche 
principale  sonna  pendant  une  demi-heure  pour 
annoncer  la  cérémonie.  A  peine  les  Frères  étaient- 
ils  installés,  que  l'on  fut  obligé  de  construire  deux 
nouvelles  classes.  On  évaluait  alors  à  plus  de  cent 
mille  francs  celte  fondation  de  Mgr  de  Cheylus;  il  est 
au  moins  certain  qu'il  y  avait  attaché  un  revenu  per- 
pétuel ,  et  que  la  construction  primitive  lui  coûta 
plus  de  trente  mille  francs.  La  rue  Saint-Laurent 
prit  quelque  temps  après  le  nom  du  fondateur. 

La  législation  sévère  qui  pesait  sur  les  Protestants 
depuis  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes  ne  fut  réfor- 
mée qu'en  1787.  Avant  celte  époque,  les  exercices  de 
leur  culte  étaient  resserrés  dans  l'intérieur  de  leur 
famille;  les.  enfants  nouveau-nés  devaient  être  bapti- 


Frères 
des  Ecoles 
chrétiennes. 


Actes 

tle  baptême 

des  Protestants. 


(1)  L'inscription  du  millésime,  gravée  sur  le  bâtiment, 
remonte  à  l'année  1786.  Cependant  le  procès-verbal  d'instal- 
lation porte  la  date  du  mardi  10  juin  1788. 

c.  13 


196  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ses  à  l'église  par  le  curé  catholique;  tout  acte  émané 
d'un  ministre  agissant  en  cetle  qualité  était  nul,  quant 
à  son  effet  légal ,  et  exposait  son  auteur  à  des  châti- 
ments sévères.  Dans  l'assemblée  de  4770,  les  agents 
du  clergé  exposèrent  que  le  curé  de  Saint-Jean  de 
Caen  avait  été  cité  devant  le  bailliage,  par  le  sieur 
Sygnard,  négociant  de  cette  paroisse,  qui  demandait 
que  l'on  réformât  l'acte  de  baptême  de  ses  deux 
enfants  et  que  l'on  employât  pour  eux  la  même  for- 
mule que  pour  les  Catholiques. Tout  en  reconnaissant 
que  la  forme  usitée  en  Normandie  était  vicieuse  (l), 
les  agents  du  clergé  insistèrent  pour  que  le  curé  ne 
fût  point  obligé  à  qualifier  de  légitime  ce  qui  était 
réprouvé  par  les  lois.  Ils  proposèrent  au  comte  de 
Saint-Florentin  une  formule  générale,  dans  laquelle  il 
n'était  fait  mention  ni  du  mariage  ni  de  la  religion  des 
parents.  Le  ministre  approuva  la  nouvelle  rédaction 
par  laquelle  il  paraît  que  les  actes  du  clergé  normand 
devenaient  conformes  à  ceux  du  Languedoc  et  des 
autres  provinces  où  les  Protestants  étaient  en  plus 
grand  nombre,  et  il  arrêta  les  poursuites  intentées 
devant  le  bailliage  contre  le  curé  de  Saint-Jean. 
Mariages  Dix  ans  plus  tard  ,  à  l'occasion  de  la  naissance  du 

i  Protestants.      ,  ,  •  ,  -i 

dauphin,  parut  une  lettre  pastorale  adressée  par  le 
président  du  consistoire  aux  habitants  de  la  ville  et 

(1)  La  première  rédaction  était  ainsi  conçue  :  Un  fils  né 
du  prétendu  mariage  d'un  tel  et  d'une  telle,  de  la  religion 
prétendue  réformée.  Le  curé  de  Saint-Jean  retrancha,  sur  la 
demande  du  sieur  Sygnard,  les  expressions  prétendu  mariage 
à  la  naissance  de  son  second  enfant;  mais  cette  modification 
n'avait  pas  entièrement  satisfait  la  famille. 


DE  BAYEUX.  197 

de  la  campagne  de  Caen.  L'auteur  insistait  de  la  ma- 
nière la  plus  pressante  sur  la  nécessité  de  réformer 
la  législation  à  laquelle  ses  coreligionnaires  étaient 
soumis  ;  il  s'adressait  à  la  reine,  la  conjurant  d'inter- 
venir pour  hâter  l'abolition  des  lois  rigoureuses  qui 
frappaient  de  nullité  les  mariages  des  Protestants.  Ses 
vœux  furent  exaucés  :  Louis  XVI  leur  rendit,  en  1787, 
la  possession  régulière  de  l'état  civil,  et  les  juges 
furent  chargés  de  constater  leurs  mariages.  Cette  or- 
donnance, il  est  vrai,  provoqua  les  remontrances  du 
clergé  assemblé  en  1788;  et  pourtant,  comme  le  dé- 
clarèrent les  évoques,  «  Le  clergé  de  France  n'avait 
garde  de  méconnaître  les  droits  imprescriptibles  de 
la  nature  dans  la  personne  de  nos  frères  errants.  Il 
était  loin  de  sa  pensée  d'élever  la  voix  contre  les 
formes  nécessaires  de  toute  institution  sociale,  pour 
assurer  l'état  des  familles.  »  Mais  il  prétendit  que  la 
nouvelle  loi  ne  s'était  pas  renfermée  dans  ces  bornes, 
et  que  les  mesures  prises  pour  faire  jouir  les  Protes- 
tants du  bénéfice  des  effets  civils,  leur  attribuaient 
aussi  une  existence  religieuse  qui  n'était  pas  sans 
danger  pour  la  société  chrétienne.  Ces  remontrances 
furent  imprimées  et  publiées  dans  le  diocèse  de 
Bayeux,  par  ordre  de  M°r  de  Cheylus. 

La  baronnie  de  Douvres,  un  des  sept  domaines  qui  R^oite 
formaient  alors  le  temporel  de  l'évêché  de  Bayeux , 
avait  été,  à  l'arrivée  de  M*r  de  Cheylus,  le  théâtre 
d'un  grand  désordre.  Son  intendant -général  ayant 
cassé  les  baux  des  tenanciers ,  renouvelés  peu  de 
temps  auparavant  par  Mgr  de  Rochechouart,  on  pré- 
tendit que  cette  opération  avait  pour  but  d'extorquer 


à  Douvres. 


198  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

aux  parties  une  somme  d'argent  qui  accompagnait 
toujours  les  transactions  de  cette  nature.  Or,  comme 
les  terres  du  canton  de  Douvres  se  louaient  en  détail, 
et  que,  par  suite,  la  mesure  atteignait  un  grand  nom- 
bre de  fermiers,  elle  y  excita  de  violents  murmures, 
et  fut  suivie  d'une  révolte.  Si  Mgr  de  Cheylus  eût  été 
sur  les  lieux,  et  qu'il  eût  pu  se  rendre  compte  de  la 
disposition  des  esprits ,  il  eût  voulu  sans  doute  les 
apaiser  au  prix  d'un  sacrifice.  Malheureusement,  il 
résidait  à  Paris  ,  et  son  intendant  —  qui,  plus  tard, 
devint  dans  les  clubs  révolutionnaires  un  de  ses  enne- 
mis les  plus  dangereux ,  —  déploya  contre  les  mé- 
contents une  sévérité  inexorable.  Sous  la  pression 
d'une  compagnie  de  soldats  qu'il  fit  venir  à  Douvres, 
il  déposséda  les  anciens  fermiers  ;  et  l'irritation  fut  si 
grande  que  le  curé  de  la  paroisse  se  vit  contraint  de 
passer  sous  silence  le  nom  de  Mgr  de  Cheylus,  quand 
il  recommandait  aux  prières  publiques  les  dignitaires 
de  l'Église  et  de  l'État.  A  partir  de  ce  moment,  l' évo- 
que chargea  son  régisseur  de  la  distribution  de  ses 
aumônes;  mais  quand  la  persécution  l'eut  chassé  de 
son  palais ,  il  retrouva  en  exil  le  curé  et  le  vicaire  de 
Douvres,  auxquels  il  fit  l'accueil  le  plus  gracieux. 
Écoie  L'école  de  filles  fondée  à  la  Délivrande  sur  la  pa- 

ia  Providence,  roisse  de  Douvres  et  dirigée  par  les  Sœurs  de  la  Pro- 
vidence, était  comprise  dans  la  baronnie  épiscopale. 
On  doit  surtout  la  prospérité  de  cet  établissement 
aux  pieuses  libéralités  de  M.  Berlin,  supérieur  du  sé- 
minaire de  la  Délivrande  ;  mais  Mgr  de  Rochechouart 
et  Mgr  de  Cheylus  y  concoururent  aussi  par  leurs 
bienfaits. 


DE  BÀYEUX.  199 


CHAPITRE  XV. 


Caractère  de  Mgr  de  Cheylus.  —  Camp  de  Vaussieux.— Voyage 
de  Louis  XVI. — Assemblée  du  bailliage.  —  Protestations  du 
Chapitre. —  Msr  de  Cheylus  quitte  l'assemblée.— Élection  de 
trois  députés. — Cahiers  du  clergé,  de  la  noblesse  et  du 
tiers-état.  -Déports. — Collège  N.-D.  de  Bayeux. 


A  l'époque  où  survinrent  les  complications  que  nous     Caraclère 
venons  de  raconter,  et  dont  le  souvenir  est  encore  „    A  d°    , 

'  Msr  de  Cheylus. 

vivant  parmi  les  habitants  de  la  contrée,  Mgr  de  Cheylus 
n'était  point  préparé  aux  graves  événements  qui  me- 
naçaient l'épiscopat.  L'exemple  de  la  Cour,  où  il  se 
faisait  remarquer  par  la  distinction  de  ses  manières 
et  l'élégance  de  ses  habitudes ,  le  goût  de  la  re- 
présentation, dont  l'exil  même  ne  put  entièrement  le 
dépouiller,  le  portaient  à  rechercher  le  luxe  des 
ameublements,  la  somptuosité  des  équipages,  et  sur- 
tout les  émotions  du  jeu ,  dont  la  société  était  alors 


de  Vaussieux. 


de  Louis  XVI 


200  DU  HISTOIRE  DIOCÈSE 

singulièrement  avide  (1).  Son  testament  contient  le 
nom  de  dix-sept  domestiques ,  ayant  tous  des  attri- 
butions distinctes,  entre  lesquels  il  partage  une  somme 
de  quatre-vingt-dix  mille  francs  prélevés  sur  sa  for- 
tune. Dès  le  commencement  de  son  administration 

c«mP  [1778],  le  camp  de  Yaussieux  attira  l'élite  de  la  no- 
blesse dans  la  ville  épiscopale,  où  elle  reçut  le  plus 
gracieux  accueil.  M^r  de  Cheylus  quitta  la  Cour  pour 
faire  au  duc  de  Broglie  et  a  ses  compagnons  d'armes 
les  honneurs  de  son  palais.  Il  y  avait  alors  vers  les 
réunions  et  les  plaisirs  du  monde  une  sorte  d'entraî- 
nement général  auquel  personne  ne  voulait  rester 
étranger.  11  nous  en  coûte  d'ajouter  que,  en  1786, 

voya-e  lorsqu'à  l'occasion  du  voyage  de  Cherbourg,  le  comte 
d'Artois  et  le  roi ,  son  frère ,  passèrent  par  Bayeux , 
à  un  mois  d'intervalle,  Mgr  de  Cheylus  ne  s'y  trouvait 
pas.  On  mit  en  avant,  pour  expliquer  son  absence, 
les  fonctions  d'aumônier  de  Mme  la  comtesse  d'Artois, 
qui,  disait-on,  le  retenaient  à  Versailles  ;  mais,  s'il 
faut  en  croire  la  tradition  ,  son  absence  s'expliquait 
par  un  autre  motif.  En  sa  qualité  de  gouverneur  de 
Normandie ,  le  duc  de  Harcourt  accompagnait  le  roi 
et  l'avait  conduit  dans  ses  domaines;  or,  il  paraît  que, 


(1)  La  passion  du  jeu  était  tempérée  chez  M6r  de  Cheylus 
par  un  désintéressement  plein  de  délicatesse  et  une  munifi- 
cence presque  royale.  M.  le  chevalier  de  Valois,  alors  simple 
officier  d'infanterie,  était  admis  pendant  ses  congés  à  partager 
les  divertissements  du  prélat.  Plus  tard,  il  aimait  à  raconter 
que  ,  quand  le  moment  était  venu  de  rejoindre  son  corps, 
l'évêque  lui  envoyait  à  titre  de  souvenir,  un  présent  dont  la 
valeur  surpassait  plusieurs  fois  les  sommes  qu'il  avait  perdues. 
(V.  Bayeux  a  la  fin  du  xvme  siècle,  par  M.  Pezet.) 


DE  BAYEUX.  201 

malgré  la  haute  influence  qui  protégeait  Mgr  de  Cheylus, 
il  demanda  la  môme  faveur  sans  pouvoir  l'obtenir.  Ce 
fut  à  Sainte-Croix-Grand'Tonne  que  Louis  XVI  descen- 
dit pour  prendre  son  repas.  Quand  il  parut  à  Bayeux, 
sur  la  place  Saint-Patrice,  il  y  fut  salué  par  le  chapitre 
en  habits  de  chœur,  et  s'y  arrêta  quelques  instants.  Le 
maire  lui  présenta  les  clefs  de  la  ville,  dans  un  bassin 
d'argent.  Toute  harangue  avait  été  interdite  ;  mais  le 
peuple  témoignait  sa  joie  par  de  bruyantes  acclama- 
tions. On  remarquait,  sur  la  physionomie  du  roi,  l'ex- 
pression d'une  joie  douce  et  calme  ;  il  accueillit  avec 
bienveillance  différents  projets  d'intérêtlocal  dont  l'exé- 
cution contribua  plus  tard  à  l'embellissement  de  la  cité. 

Il  y  avait  cent  soixante-quinze  ans  que  la  nation  Assemblée 
française  n'avait  été  appelée  par  le  souverain  à  déli-  da*ai[Via%e- 
bérer  sur  les  affaires  publiques  ,  lorsque  parut  a 
Versailles,  le  24  janvier  1789,  l'ordonnance  royale 
qui  convoquait  les  États-généraux.  Nous  ne  nous  éten- 
drons pas  sur  la  constitution  de  cette  assemblée,  où 
les  trois  ordres  étaient  représentés.  Disons  seulement 
que  Louis  XVI  y  admit  les  députés  du  tiers-état  en 
nombre  égal  à  celui  que  devaient  atteindre  les  dépu- 
tés du  clergé,  réunis  à  ceux  de  la  noblesse  ,  et  qu'il 
favorisa  l'élection  des  curés,  afin  que  l'élément  popu- 
laire prédominât  dans  l'ordre  ecclésiastique  ;  le  nom- 
bre des  députés  s'élevait  à  douze  cents.  Le  \  \  février, 
le  duc  de  Coigny,  gouverneur  du  château  de  Caen  et 
grand  bailli  d'épée,  publia  une  ordonnance  en  vertu 
de  laquelle  Mgr  l'évêque  de  Bayeux ,  les  abbés  sécu- 
liers et  réguliers,  les  chapitres,  corps  et  communautés 
de  l'un  et  l'autre  sexe  qui  jouissaient  d'un  revenu , 


du  chapitre. 


202  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

les  prieurs ,  les  curés ,  les  commandeurs ,  les  autres 
membres  du  clergé  appartenant  au  grand  bailliage  de 
Caen  et  aux  bailliages  secondaires  de  Bayeux  ,  Tho- 
rigny,  Falaise  et  Vire,  étaient  assignés  à  comparaître 
le  lundi  \  6  mars ,  à  huit  heures  du  matin ,  dans  les 
salles  de  l'abbaye  de  Saint-Étienne ,  les  uns  par  délé- 
gation, les  autres  en  personne  ou  par  procureur  (1). 
Au  jour  marqué,  une  messe  solennelle  fut  célébrée 
dans  l'église  de  l'abbaye,  par  M&r  l'évêque,  et  le  grand 
bailli  fît  prêter  serment  aux  trois  ordres,  qui  se  sépa- 
rèrent ensuite  pour  vaquer  à  leurs  travaux. 
protestat.on  Ceux  du  clergé  commencèrent  sous  la  présidence 
de  Mgr  de  Cheylus.  Il  fit  faire  l'appel  de  tous  les  ecclé- 
siastiques inscrits  au  procès-verbal ,  et  ordonna  que 
l'on  désignât  un  secrétaire  greffier,  ainsi  que  des 
commissaires  chargés  de  procéder  à  la  rédaction  des 
cahiers  et  à  la  vérification  des  pouvoirs.  Mais  à  peine 
ces  préliminaires  étaient-ils  accomplis,  que  MM.  de 
Pradelle,  archidiacre  de  Caen,  Blasne,  LeVoivenel  et 
Renauld ,  députés  du  chapitre  de  Bayeux,  déposèrent 
une  protestation  contre  la  partie  du  règlement  annexé 
à  la  lettre  du  roi  qui  fixait  la  composition  de  l'ordre 
du  clergé,  «  et  contre  tout  ce  qui  pourrait  s'en  suivre.  » 
Pour  bien  comprendre  la  portée  de  cette  démarche 
dont  l'évêque  n'avait  probablement  pas  prévu  les 
suites  ,  il  suffit  de  jeter  les  yeux  sur  le  règlement 
publié  par  ordre  du  roi  avant  la  convocation  des  états- 
généraux.  Sa  Majesté,  disait  le  préambule,  a  voulu 
que  l'on  appelât  aux  assemblées  du  clergé  «  tous  les 

(1)  V.  Pièces  justificatives. 


DE  BAYEUX.  203 

bons  et  fidèles  pasteurs  qui  s'occupent  de  près  et 
journellement  de  l'indigence  et  de  l'assistance  du 
peuple ,  et  qui  connaissent  plus  intimement  ses 
maux  et  ses  appréhensions.  »  En  effet,  tous  les  ecclé- 
siastiques de  la  campagne,  ceux-là  même  qui  étaient 
dépourvus  de  bénéfices ,  étaient  admis  à  exercer 
leurs  droits,  tandis  que  la  députation  du  chapitre  était 
réduite  a  un  chanoine  sur  dix  membres  présents, 
et  celle  du  clergé  des  villes  à  une  proportion  encore 
moins  considérable.  Or,  disait  la  protestation  ,  «  il 
paraît  à  craindre  que  ce  nombre  prodigieux  de  jeunes 
ecclésiastiques  sans  bénéfice,  ne  puisse  guères  ac- 
croître la  masse  des  lumières  de  l'assemblée  parti- 
culière de  l'ordre  du  clergé,  et  qu'ils  n'ajoutent  infi- 
niment a  l'embarras  de  ses  délibérations.  Leur  nom- 
bre est  tel,  surtout  en  Normandie,  que,  par  cet  avan- 
tage seul ,  ils  pourraient  à  peu  près  concentrer  en 
eux-mêmes  la  députation  de  l'ordre  du  clergé  aux 
États-généraux.  Du  moins,  ils  influeront  très-puissam- 
ment, s'ils  le  veulent,  sur  le  choix  des  députés.  Ils 
ne  s'offenseront  pas  sans  doute  que  l'Église,  qui  les 
regarde  comme  sa  plus  chère  espérance,  redoute  de 
les  voir  prononcer,  jeunes  encore,  sans  intérêt,  sans 
droit  réel,  sur  sa  destinée  et  sur  celle  de  l'État.  » 

Les  dispositions  critiquées  par  le  chapitre  n'avaient 
pas  seulement  pour  résultat  de  favoriser  l'élection  des 
simples  prêtres,  elles  pouvaient  encore  entraîner 
l'exclusion  des  dignitaires,  en  déplaçant  la  majorité. 
«  D'après  le  règlement,  continue  la  protestation,  il 
est  possible  que  nul  évêque,  nul  abbé,  nul  chanoine, 
nul  prieur,  nul  curé  même  ne  soit  député  aux  États- 


204  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

généraux.  La  représentation  de  cet  ordre,  dans  cette 
auguste  assemblée ,  peut  absolument  être  concentrée 
dans  la  classe  des  ecclésiastiques  constitués,  il  est 
vrai,  dans  les  ordres  sacrés,  mais  dépourvus  de  tout 
bénéfice.  »  D'un  autre  côté,  et  c'était  sur  ce  point  que 
le  chapitre  fondait  principalement  ses  réclamations, 
le  règlement  n'était  point  revêtu  des  formes  légales. 
Le  roi  avait  bien  voulu  le  reconnaître  lui-même ,  et 
réserver  à  l'assemblée  nationale  le  soin  de  remédier  à 
cet  inconvénient  ;  mais  l'assemblée ,  dont  la  consti- 
tution allait  se  trouver  dénaturée,  pouvait  s'en  tenir 
au  premier  résultat,  proposer  au  roi  de  le  confirmer, 
et  rendre  impossibles  les  modifications  dont  il  sem- 
blait lui-même  proclamer  l'urgence.  De  ces  motifs 
et  de  plusieurs  autres  que  nous  passons  sous  silence, 
comme  moins  importants,  le  chapitre  concluait  que 
l'assemblée  électorale  devait  examiner  avant  tout  si 
sa  composition  était  complète  et  son  organisation 
régulière  ;  il  l'engageait  a  commencer  ses  opéra- 
tions, en  nommant  des  commissaires  chargés  de 
résoudre  cette  grave  question ,  et  à  délibérer  ensuite 
sur  leur  rapport. 

Il  serait  difficile  de  peindre  ,  sans  les  affaiblir,  la 
surprise  et  le  mécontentement  qui  accueillirent  de 
tout  côté  les  réclamations  du  chapitre.  On  s'étonna 
surtout  que  l'on  eût  attendu  la  troisième  séance 
pour  critiquer  le  règlement  du  roi,  qui  était  connu 
depuis  un  mois.  La  proposition  fut  repoussée  avant 
tout  examen  ,  et  les  quatre  députés  se  retirèrent. 
Alors,  au  milieu  d'une  agitation  inexprimable,  trois 
opinions  se  produisirent.  Les  députés  du  chapitre  de 


DE  BAYEUX.  205 

Séez,  le  procureur  de  l'évêque  de  Lisieux  (1),  M.  Méry 
de  Berlhenouville,  doyen  du  Saint-Sépulcre  de  Caen, 
et  quelques  autres,  tant  séculiers  que  réguliers,  quit- 
tèrent la  réunion  pour  arrêter  entre  eux  la  conduite 
qu'ils  devaient  tenir.  D.  Mesnilgrand,  prieur  de  l'ab- 
baye de  Saint-Étienne  ,  déclara  qu'il  trouvait  justes 
les  représentations  du  chapitre  du  Bayeux;  mais,  «  le 
règlement  du  roi  n'étant  que  provisoire  et  ne  per- 
mettant aucun  délai,  »  il  ajouta  qu'il  croirait  manquer 
au  roi  et  à  la  nation  s'il  faisait  naître  quelque  obsta- 
cle qui. pût  retarder  les  travaux.  Enfin,  les  termes  de 
cette  déclaration,  à  laquelle  se  rallièrent  un  certain 
nombre  de  suffrages  parmi  les  ordres  religieux , 
furent  combattus ,  «  au  nom  des  simples  prêtres,  » 
par  l'abbé  Jarry,  docteur  en  théologie.  Il  protesta 
également  contre  les  actes  du  chapitre ,  et  contre 
l'approbation  même  indirecte  qu'ils  avaient  obtenue 
de  D.  Mesnilgrand. 

On  attendait  avec  impatience  que  l'évêque  s'ex-  m*t de cheyiua 
pliquât  sur  ce  déplorable  incident.  L'opposition  ma-  rAslembU. 
nifestée  par  le  chapitre  était  une  démarche  trop  sé- 
rieuse pour  qu'on  lui  en  attribuât  la  responsabilité 
tout  entière.  Personne  ne  fut  donc  surpris  d'entendre 
Mgr  de  Cheylus  y  donner  son  approbation.  Avant 
d'exercer  la  présidence,  il  demanda  que  l'on  prît  en 
considération  les  raisons  contenues  dans  le  mémoire, 
et  la  conséquence  à  laquelle  elles  aboutissaient.  Cette 

(1)  C'était  comme  titulaire  de  la  baronnie  de  Nonant  que 
l'Kvêque  de  Lisieux  était  représenté  au  bailliage  de  Bayeux. 
De  môme,  l'Abbé  de  Saint-Sever,  quoique  étranger  à  notre 
diocèse,  faisait  partie  du  bailliage  de  Vire. 


206  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

condition  ne  fut  point  acceptée;  alors  Mgr  de  Cheylus 
signa  le  procès-verbal  et  abandonna  la  séance. 

De  quelque  manière  que  l'on  apprécie  les  motifs  qui 
déterminèrent  dans  cette  circonstance  la  conduite  du 
prélat,  il  est  impossible  de  ne  pas  s'associer  à  la  dou- 
leur que  lui  exprima  l'assemblée,  en  le  voyant  s'éloi- 
gner d'elle.  Son  départ,  il  faut  bien'le  reconnaître,  la 
mettait  dans  une  situation  périlleuse.  A  propos  d'un 
règlement  politique  émané  de  l'autorité  du  roi  et  im- 
posé a  toute  la  France  ,  Mgr  de  Cheylus  rompait  avec 
son  clergé  ;  il  l'abandonnait  sans  direction  à  l'influence 
des  passions  révolutionnaires  qu'y  excitait  déjà  une 
minorité  turbulente ,  et  que  l'on  reprochait  au  rè- 
glement d'y  avoir  éveillées.  Elles  ne  tardèrent  pas  à 
faire  explosion.  A  la  suite  de  réunions  particulières, 
tenues  clandestinement  a  l'église  Saint-Nicolas  par 
une  fraction  des  opposants,  parut,  sans  signatures 
.  et  sans  nom  d'imprimeur,  un  mémoire  attribué  «  à 
MM.  les  curés  du  grand  bailliage  de  Caen.  »  On  y 
dénonçait  au  roi  la  conduite  de  l'évêque  et  de  son 
chapitre  ,  comme  ayant  «  insulté  l'assemblée  par 
d'odieuses  réclamations.  »  Le  courage  nous  manque 
pour  analyser  cet  écrit,  évidemment  rédigé  sous  l'in- 
fluence des  idées  presbytériennes.  Le  ton  en  est  amer, 
le  style  déclamatoire,  et,  à  côté  de  quelques  aperçus 
dont  la  justesse  est  incontestable,  on  voit  percer  à 
chaque  instant  la  haine  et  le  mépris  du  haut  clergé. 
Aussi ,  nous  en  sommes  convaincu  ,  les  «  Repré- 
sentations adressées  au  roi  »  ne  sont  pas  l'œuvre  de 
tous  les  curés  auxquels  on  les  attribue  ;  il  y  a  loin 
des  idées  qu'elles  expriment  à  celles  qui  furent  pu- 


DE  BAYEUX.  207 

bliées  contre  la  prestation  du  serment  au  commence- 
ment de  Tannée  1791 ,  et  auxquelles  l'immense  majo- 
rité apposa  sa  signature.  Si,  au  contraire,  on  les 
compare  aux  violentes  diatribes  qui  parurent  à  la 
même  époque  contre  l'autorité  de  l'Église ,  il  semble 
alors  qu'il  serait  facile  d'en  nommer  les  auteurs. 

Aussitôt  après  le  départ  de  Mgr  de  Cheylus,  l'assem- 
blée ,  d'un  consentement  unanime ,  déféra  la  prési- 
dence à. M.  de  Cairon ,  abbé  régulier  du  monastère  de 
Barbery.  Nous  avons  fait  connaître  ailleurs  le  mérite 
exceptionnel  de  ce  pieux  solitaire ,  qui  unissait  aux 
vertus  les  plus  aimables  l'austérité  primitive  et  la  fer- 
veur de  l'ordre  de  Cîteaux.  Il  était  impossible  de  faire 
un  meilleur  choix.  Sur  sa  proposition,  une  députa- 
tion,  dont  il  fut  nommé  membre,  se  rendit  immédia- 
tement auprès  de  Mgr  de  Cheylus  et  le  supplia  de 
rester  à  la  tête  de  son  clergé  (1).  L'évêque  fut  inflexi- 
ble ;  de  son  côté  ,  l'assemblée  persista  dans  sa  réso- 
lution, et  nomma  des  commissaires  auxquels  elle 
enjoignit  d'examiner  la  protestation  du  chapitre  ; 
comme  il  était  facile  de  le  prévoir,  ceux-ci  déclarèrent 
que  le  parti  d'abord  adopté ,  était  le  seul  qui  fût  con- 
forme à  la  soumission  que  l'on  devait  aux  décrets  du 


(1)  Cette  députation  comprenait  l'abbé  de  Barbery,  l'abbé 
Méry  de  Berthenouville ,  grand-vicaire  de  M6r  de  Cheylus  et 
doyen  du  Saint-Sépulcre,  qui  avait  d'abord  quitté  l'assemblée, 
l'abbé  Méry,  curé  de  Notre-Dame  de  Caen ,  l'abbé  Lentaigne, 
curé  de  Saint-Sauveur,  labbé  Bonhomme,  curé  de  Saint-Nico- 
las, et  l'abbé  Jarry,  docteur  en  théologie.  Tous  ces  ecclésias- 
tiques furent  plus  tard  confesseurs  de  la  foi ,  et  quelques-uns 
la  défendirent  par  leurs  écrits  avec  autant  de  talent  que  de 
courage. 


208  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

roi.  Le  clergé,  disaient-ils,  ne  se  croit  pas  compétent 
pour  apprécier  les  règlements  que  le  roi  lui  impose, 
et  le  chapitre  lui-même  les  a  d'abord  acceptés,  en 
envoyant  ici  les  députés  qui  le  représentent.  Ils  de- 
mandaient ensuite ,  ce  qui  fut  accordé ,  que  l'on  se 
contentât  de  joindre  les  actes  capitulaires  au  cahier 
des  doléances.  Le  mardi  24  mars,  un  notaire  aposto- 
lique protesta  contre  cette  décision  au  nom  de  Mgr  de 
Cheylus. 

Il  nous  resterait  a  faire  connaître  en  détail  quelles 
furent  les  plaintes  et  les  vœux  du  clergé  ;  mais,  au 
lieu  d'analyser  ici  cette  pièce  importante ,  qui  n'a  pas 
encore  été  publiée,  nous  avons  cru  qu'il  valait  mieux 
la  donner  intégralement  à  la  fin  du  volume.  Il  suffit 
d'y  jeter  un  coup-d'œil  pour  se  convaincre  que,  si  le 
clergé  normand  s'exagérait  à  certains  égards  ses  droits 
constitutionnels,  il  comprenait  la  situation  comme  tous 
les  esprits  vraiment  monarchiques,  et  ne  craignait  pas 
d'appeler  les  réformes,  qui  seules  pouvaient  sauver 
l'État.  Au  nombre  des  commissaires  auxquels  la  ré- 
daction en  avait  été  confiée ,  figurent  les  noms  les 
plus  honorables:  M.  Bonhomme,  curé  de  Saint-Nico- 
las, et  M.  Godechal,  curé  de  Saint-Gervais  de  Falaise; 
nous  les  verrons  bientôt  combattre  sur  la  brèche,  dès 
que  la  question  religieuse  sera  soulevée  par  les  repré- 
sentants. D'autres,  il  est  vrai,  ne  montrèrent  pas  le 
môme  courage;  mais  tous,  à  cette  première  époque, 
semblent  avoir  obéi  aux  mêmes  inspirations. 

Le  cahier  des  doléances  ,  à  la  rédaction  duquel 
vingt-cinq  membres  avaient  concouru,  réunit  l'unani- 
mité des  suffrages.  Aussitôt  que  la  lecture  en  fut 


DE  BAYEUX.  i()9 

terminée,  commença  l'élection  des  députés.  M.  Le  Élection 
François,  curé  de  Mutrécy,  secrétaire  de  l'assemblée, 
et  M.  Lévêque ,  curé  deTracy,  furent  élus  dès  le 
premier  jour  à  la  pluralité  des  voix.  Le  lendemain 
27  mars  ,  on  leur  adjoignit  M.  Le  Tellier,  curé  de 
Bonnœil  (1).  Les  membres  des  congrégations,  aussi 
bien  que  les  dignitaires  de  l'Église,  étaient  exclus 
systématiquement  du  choix  de  la  majorité. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  ce  qui  se  cahiers  du  cie^ 
passa  dans  l'ordre  de  la  noblesse  ni  dans  celui  du  eu\n\kLém. 
tiers-état.  Disons  seulement  que,  quand  on  compare 
leurs  cahiers  à  ceux  du  clergé ,  on  y  trouve  à  peu 
près  les  mêmes  tendances  sur  les  questions  reli- 
gieuses ,  et  en  particulier  sur  la  question  des  biens 
ecclésiastiques.  Ce  fut  ainsi  que  les  trois  ordres 
chargèrent  leurs  députés  de  dénoncer  les  déports  Déports, 
comme  un  abus  préjudiciable  à  l'intérêt  des  pauvres 
et  à  l'administration  des  paroisses.  Ce  droit,  qui 
s'exerçait  principalement  en  Normandie,  avait  été 
discuté,  quelques  années  auparavant,  par  M.  de 
Pradelle  ,  archidiacre  du  diocèse  (2).  Il  consistait 
en  ce  que ,  toutes  les  fois  qu'une  cure  devenait 
vacante,  l'évêque  la  faisait  desservir  et  en  partageait 
le  revenu  pendant  un  an  avec  ses  archidiacres,  non- 
obstant la  nomination  du  nouveau  titulaire.  Un  dé- 
cret du  concile  de  Bâle,  inséré  dans  la  pragmatique- 
sanction,  avait  condamné  cet  usage  ;  mais  le  concor- 

(1)  V.  Pièces  justificatives. 

(2)  Du  droit  de  déport  dans  l'Église  de  Normandie ,  par 
J.  de  Pradelle,  archidiacre  et  vicaire-général  de  Bayeux.  A 
Caen,  chez  G.  Le  Koy,  1788. 

c.  14 


210  HISTOIRE  DU  DIOCESE 

dat  de  Léon  X  avec  François  1er  rétablit  les  déports. 
C'était  un  de  ces  droits  en  faveur  desquels  on  ne 
peut  guères  invoquer  que  la  prescription.  M.  de 
Pradelle  avait  déployé  beaucoup  d'érudition  pour 
en  établir  la  légitimité. 
collège  Fondé  à  Paris  en  1370,  par  maître  Gervais  Chré- 

^.-D.-de-Bayeux.  tien ,  premier  physicien  ou  médecin  de  Charles  V, 
le  collège  de  Notre-Dame-de-Bayeux  avait  subi, 
depuis  sa  fondation,  plusieurs  transformations  mal- 
heureuses. On  regrettait  surtout,  en  Normandie,  une 
déclaration  surprise  au  roi  le  13  septembre  1778, 
par  laquelle  était  réuni  au  collège  de  Louis-le-Grand 
celui  qui  jusqu'alors  avait  porté  le  nom  de  notre 
ville  épiscopale.  Le  clergé  et  le  tiers-état  réclamèrent 
dans  leurs  cahiers  contre  les  lettres-patentes  qui 
avaient  dénaturé  cette  précieuse  institution  (t). 

Parmi  les  vœux  du  tiers-état ,  nous  remarquons 
encore  l'article  84  qui  était  ainsi  conçu  :  «  que  pour 

(1)  Gervais  Chrétien,  originaire  de  Vendes,  diocèse  de 
Bayeux,  naquit  vers  le  commencement  du  xive  siècle.  Il  eut 
pour  parents  de  pauvres  villageois.  A  l'âge  de  quinze  ou 
seize  ans,  il  fut  chargé  par  le  seigneur  de  Vendes  de  con- 
duire deux  lévriers  à  Jean  ,  fils  de  Philippe  de  Valois,  et 
non  à  son  fils  Charles,  comme  l'abbé  Beziers  le  raconte.  Il 
gagna  les  faveurs  du  prince,  étudia  la  médecine  et  entra  dans 
la  caricature.  Il  devint  premier  physicien  (médecin)  du  roi 
Charles  V,  chanoine  de  Paris  en  1378  et  chanoine  de  Bayeux 
en  1381.  Paris  lui  devait  un  de  ses  collèges,  celui  qui  portait 
le  nom  de  Notre-Dame-de- Bayeux.  Il  l'avait  fondé  en  1370. 
(V.  Pièces  justificatives,  p.  37:  Origine  —  développements 
—  suppression  de  ce  collège.) —  Gervais  Chrétien  fut  enterré 
dans  l'église  cathédrale  de  Bayeux,  au  bas  de  la  nef,  du  côté 
gauche.  On  célébrait  son  obit  le  10  du  mois  de  mai. 


DE  BAYEUX.  214 

l'intérêt  de  l'ordre  public  dans  chaque  classe  d'admi- 
nistration, l'ecclésiastique  n'ait  qu'un  seul  bénéfice, 
comme  le  militaire  un  seul  gouvernement,  le  magis- 
trat une  seule  charge  ;  que  les  uns  et  les  autres  soient 
expressément  tenus  de  résider.  »  Des  vœux  analogues 
avaient  été  confiés  aux  députés  du  tiers-état  de  la 
ville  de  Bayeux,  chargés  de  représenter  leurs  conci- 
toyens à  l'assemblée  du  grand  bailliage. 


212  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


CHAPITRE  XVI. 


Mandement  qui  ordonne  des  prières  pour  le  rétablissement  de 
la  paix. — Discours  de  M8r  de  Gheylus  pour  la  bénédiction 
des  drapeaux  de  la  garde  nationale.— Déclaration  de  i'évêque 
et  du  chapitre  de  Bayeux  relative  aux  impôts.  —  Mgr  de 
Gheylus,  maire  de  Bayeux.  —  Son  mandement  contre  la 
constitution  du  clergé.  —  Suppression  du  chapitre.  —  Mgr  de 
Gheylus  dénoncé  au  conseil  général. 


Mandement  Des  troubles  sérieux  commençaient  à  désoler  le 
ie  retardement  royaume.  Partout  la  révolution  multipliait  ses  agents; 
de  ia  pa».  ^es  }}anc|es  fe  malfaiteurs  soulevaient  au  nom  du  roi 
les  habitants  des  campagnes;  ils  leur  persuadaient 
que  l'on  entrait  dans  ses  vues  en  pillant  les  châteaux, 
en  y  détruisant  les  archives  et  tous  les  titres  de  pro- 
priété. Le  roi  écrivit  aux  évoques  pour  les  prier  d'é- 
clairer son  peuple  sur  les  pièges  que  lui  tendaient  les 
méchants,  et  d'implorer  publiquement  les  secours  de 
la  Providence.  Mgr  de  Gheylus ,  dont  le  diocèse  avait 


DE  B  A  YEUX.  213 

eu  a  déplorer  une  partie  de  ces  désastres,  s'empressa 
d'ordonner  une  neuvaine  de  prières ,  qui  s'ouvrit  à 
Bayeux,  le  dimanche  20  septembre  1789  ;  il  y  ajouta 
une  procession  générale  au  tombeau  de  saint  Exupère, 
à  laquelle  furent  convoqués  le  clergé  régulier  et  celui 
des  paroisses.  Hélas  !  ces  calamités,  qui  répandaient 
l'effroi  dans  les  âmes,  étaient  déjà  des  avertissements 
de  la  colère  de  Dieu  ;  mais ,  comme  le  disait  Mgr  de 
Cheylus ,  ce  n'était  encore  que  «  le  commencement 
de  nos  douleurs.  » 

N'allons  pas  croire  cependant  qu'aux  yeux  des  évo- 
ques la  situation  fût  désespérée.  Jusqu'au  moment 
où  ils  virent  la  religion  attaquée  dans  ses  dogmes  et 
dans  sa  discipline ,  ils  ne  reculèrent  devant  aucun 
sacrifice;  ils  applaudirent  généreusement  à  toutes  les 
réformes,  même  à  celles  qui  ruinaient  leur  opulence; 
ils  ne  s'arrêtèrent  que  devant  l'usurpation  et  le  ren- 
versement des  pouvoirs.  Nous  en  trouvons  la  preuve  Discours 
dans  le  discours  que  l'évêque  de  Bayeux  adressa,  le  22 
novembre  1789,  à  la  garde  nationale  de  cette  ville,     àiagardt 

«  •  îiii*  nationale. 

au  moment  ou  elle  vint  a  la  Cathédrale  lui  présenter 
ses  drapeaux  à  bénir.  «  Cédons  tous ,  disait-il ,  à 
l'allégresse  qu'excite  dans  les  cœurs  cette  constitution 
sage,  qui,  en  nous  appelant  tous  au  bonheur,  interdit 
à  la  faveur  le  droit  de  faire  des  heureux,  et  qui,  en 
renversant  les  barrières  qui  séparaient  les  citoyens, 
n'offre  qu'au  seul  mérite  les  distinctions  et  les  hon- 
neurs. Victorieuse  des  erreurs  de  nos  pères  ,  ses 
lois,  adoucies  par  l'humanité,  triomphent  aujourd'hui 
du  préjugé  qui  les  avait  accréditées:  les  distances  sont 
rapprochées ,  les  rapports  plus  faciles ,  les  intérêts 


de 
de  Cheylus 


214  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

plus  ménagés;  le  peuple  a  des  droits,  le  citoyen  des 
prérogatives ,  l'autorité  même  a  des  bornes ,  et  nous 
jouissons  enfin  de  la  liberté.  »  Il  était  impossible 
d'exprimer  avec  plus  d'énergie  les  espérances  que 
les  travaux  de  l'assemblée  nationale  avaient  fait  con- 
cevoir et  qu'elle  devait  sitôt  démentir. 

En  même  temps  que  la  malveillance  incendiait  et 
pillait  les  châteaux,  elle  répandait  dans  les  campagnes, 
et  jusque  dans  la  ville  épiscopale ,  les  plus  perfides 
accusations.  On  disait,  par  exemple,  que  le  clergé  et 
la  noblesse  cherchaient  à  recouvrer  leurs  privilèges, 
et  à  rejeter  le  fardeau  des  contributions  publiques  sur 
les  autres  citoyens.  Mgr  de  Cheylus  et  son  chapitre 
repoussèrent  ces  calomnies  par  une  manifestation 
Pédaratron  collective.  Ils  déclarèrent,  le  13  janvier  1790,  «  qu'ils 
ni* chaire,  voulaient  payer,  dans  la  même  proportion  que  les 
autres  citoyens ,  tous  les  impôts  et  toutes  les  charges 
publiques ,  sans  exception  ;  que  le  chapitre  avait  re- 
noncé à  ses  privilèges  par  un  acte  public  passé  devant 
le  notaire  de  Bayeux,  le  14  mars  1789,  lequel  acte, 
adopté  par  Mgr  l'évêque ,  avait  été  joint  au  cahier  que 
l'ordre  du  clergé  du  bailliage  de  Caen  envoya  aux  états- 
généraux.  »  L'évêque  et  le  chapitre  protestaient  d'un 
commun  accord  qu'ils  se  feraient  toujours,  comme  par 
le  passé,  un  devoir  religieux  de  secourir  les  pauvres, 
malgré  les  motifs  auxquels  une  méchanceté  réfléchie 
attribuait  leurs  aumônes ,  et  dont  leur  conduite 
dans  tous  les  temps  aurait  dû  éloigner  les  soupçons. 
Ajoutons  néanmoins  que,  dans  la  ville  de  Bayeux,  la 
majorité  des  habitants  rendait  pleine  justice  aux  inten- 
tions de  Mgr  de  Cheylus,  et  appréciait  dignement  sa 


DE  BAYEUX.  215 

bienfaisance.  Les  élections  municipales  en  fournirent 
la  preuve. 
Le  27  janvier  1790,  une  députation  fut  envoyée  mb*  de  cheyius 

,  naire 

vers  le  prélat,  pour  lui  annoncer  quil  venait  d  être  deBayeux. 
élu  maire  de  Bayeux.  Il  accepta  sans  hésiter  ces  fonc- 
tions honorables,  auxquelles  il  était  appelé  par  deux 
cent  trente-trois  voix  sur  trois  cent  quatre-vingt-sept 
votants ,  et  se  rendit  aussitôt  à  l'hôtel  de  ville,  où 
l'accueillirent  de  sympathiques  acclamations.  Quelques 
jours  après,  son  installation  eut  lieu  sur  la  place  Louis 
XVI,  en  présence  de  la  garde  nationale  et  du  régiment 
de  Lorraine.  Ce  fut  pour  la  ville  un  jour  de  fête.  Les 
cloches  de  toutes  les  églises  mêlaient  leurs  accords 
au  bruit  de  l'artillerie;  la  foule  applaudissait.  Mgr  de 
Cheyius  parut  très-touché  de  ces  démonstrations  ; 
malheureusement  on  glissait  depuis  quelques  mois 
sur  une  pente  si  rapide,  que  l'on  pouvait  déjà  prévoir 
le  terme  de  cette  popularité  dont  l'entourait  la  re- 
connaissance publique.  Le  moment  n'était  pas  éloigné 
où  des  pamphlets  calomnieux  allaient  lui  faire  expier 
les  hommages  que  lui  adressait  l'élite  de  ses  conci- 
toyens. Dès  le  mois  d'avril,  la  liberté  des  cultes  ayant 
été  admise  en  principe  par  l'assemblée  nationale  ,  la 
religion  catholique  cessait  d'être  la  religion  de  l'État. 
A  cette  occasion ,  le  chapitre  se  rendit  à  l'hôtel  de 
ville,  et  là,  en  présence  du  conseil  municipal,  présidé 
par  l'évêque,  il  déposa  sur  le  bureau  une  protestation 
contre  la  loi.  Le  conseil  répondit  qu'il  en  serait  déli- 
béré. L'évêque  ne  dissimula  pas  que  «  cette  protes- 
tation était  en  partie  son  ouvrage,  »  et,  sans  attendre 
la  délibération,  il  quitta  la  séance.  Alors,  après  avoir 


216  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

témoigné  de  son  profond  respect  pour  la  religion 
catholique,  dans  l'exercice  de  laquelle  il  voulait,  disait- 
il  ,  vivre  et  mourir,  le  conseil  déclara  la  protestation 
du  chapitre  attentatoire  aux  décrets  de  l'assemblée , 
et  en  ordonna  la  suppression.  Cette  circonstance 
extraordinaire ,  qui  mettait  en  conflit  deux  autorités 
présidées  par  le  même  chef,  hâta  probablement  la 
retraite  de  Mgr  de  Cheylus.  11  donna  sa  démission  le 
6  novembre  1790.  Le  conseil,  en  l'acceptant,  lui  ex- 
prima les  regrets  de  la  commune  et  l'attachement 
dont  elle  était  pénétrée  pour  sa  personne  ;  il  lui  pro- 
mit de  le  conserver  toujours  «  en  mémoire  de  ses 
bienfaits.  »  Peu  de  temps  après,  Mgr  de  Cheylus  quitta 
son  diocèse  pour  se  retirer  à  Paris.  Les  nombreux 
écrits  qu'il  y  publia  dans  l'espace  de  quelques  mois, 
attestent  la  vigilance  avec  laquelle  il  suivait  la  marche 
des  événements. 

Mandement  A  la  nouvelle  division  du  royaume  en  quatre-vingt- 
ia  Jnstuution  tr°is  départements,  correspondait  une  nouvelle  circon- 

du  cierge,  scnption  ecclésiastique,  imposée  par  l'autorité  civile 
aux  diocèses  et  aux  paroisses.  Les  canonicats  étaient 
supprimés  ;  des  vicaires  épiscopaux  devaient  partager 
avec  l'évêque  les  soins  de  l'administration  et  former  son 
conseil.  Les  églises  cathédrales  étaient  transformées 
en  paroisses,  et  les  curés  des  paroisses  supprimées, 
par  suite  de  leur  réunion  à  la  paroisse  épiscopale , 
devenaient  de  plein  droit  vicaires  épiscopaux.  Ces 
réformes  téméraires,  que  Louis  XVI  avait  eu  la  faiblesse 
de  sanctionner,  arrachèrent  des  plaintes  éloquentes  à 
l'évêque  de  Bayeux.  Il  les  dénonça  le  20  novembre 
1790,  comme  un  système  réprouvé  ,  qui  attaquait  la 


DE  BAYEUX.  217 

puissance  de  l'Église.  Aussi,  tout  en  applaudissant  au 
zèle  et  aux  lumières  des  pasteurs  appelés  par  la  loi 
à  former  son  conseil ,  tout  en  écartant  la  pensée  qu'ils 
osassent  élever  contre  lui  des  mains  schismatiques,  il 
avertissait  les  fidèles  que  ces  nouveaux  dignitaires, 
improvisés  par  la  constitution,  ne  pouvaient  remplacer 
le  chapitre  auprès  de  l'évêque  diocésain ,  partager  sa 
juridiction  pendant  sa  vie,  et  encore  moins  l'exercer 
après  sa  mort.  En  conséquence,  il  défendait  à  tout 
prêtre  désigné  par  la  constitution  pour  remplir  les 
fonctions  de  vicaire  épiscopal,  de  s'attribuer  les  pou- 
voirs réservés  aux  vicaires-généraux;  et,  dans  le  cas 
ou  quelqu'un  d'entre  eux  prétendrait  les  exercer,  il 
ordonnait  aux  fidèles  de  le  traiter  comme  un  intrus  et 
usurpateur.  Enfin,  tournant  ses  regards  vers  le  diocèse 
de  Lisieux,  réuni  par  le  même  décret  à  son  propre  dio- 
cèse, il  avertissait  les  peuples  de  cette  contrée  qu'il 
n'exercerait  sur  eux  aucune  juridiction ,  à  moins  que 
l'Église  n'étendît  ses  pouvoirs.  Il  exhortait  ses  fidèles 
coopérateurs  à  ne  pas  redouter  le  glaive  des  puis- 
sances, et  à  confesser  devant  elles  le  nom  de  Jésus- 
Christ  avec  le  même  courage  que  les  premiers  apôtres. 

La  ville  de  Bayeux  devait  en  grande  partie  sa  prospé-  suppression 
rite  matérielle  aux  établissements  que  supprimait  la 
révolution.  Dès  le  29  avril  1790,  la  municipalité  avait 
adressé  à  l'assemblée  nationale  une  réclamation  pres- 
sante dans  laquelle  le  fait  était  avoué  sans  détours. 
«  Les  ressources  de  Bayeux,  disait-elle,  ses  richesses, 
consistent  dans  son  évêché,  dans  son  chapitre.  C'est 
à  ce  corps  ecclésiastique  que  la  ville  doit  le  peu  d'éta- 
blissements qui  existent.  Les  hôpitaux,  le  séminaire, 


du  chapitre. 


218  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

les  maisons  de  travail  pour  la  jeunesse ,  sont  des 
monuments  de  leur  piété.  Bayeux,  menacé  de  perdre 
l'évêché,  le  chapitre,  les  juridictions,  est  menacé  de 
la  plus  affreuse  misère.  »  En  ce  qui  concerne  le  cha- 
pitre, cette  menace  ne  devait  pas  tarder  à  s'accomplir. 
Le  41  décembre  de  la  même  année,  il  se  réunit  pour 
la  dernière  fois  dans  la  salle  capitulaire,  et  y  reçut  en 
silence  les  officiers  municipaux  chargés  par  le  gouver- 
nement de  lui  en  interdire  l'entrée.  Après  que  ceux-ci 
lui  eurent  fait  connaître  l'objet  de  leur  mission, 
ils  permirent  au  doyen  de  prendre  la  parole.  M.  de 
Marguerye  fît  lire  par  le  secrétaire  un  exposé  de  la 
doctrine  catholique  sur  l'autorité  du  saint-siége ,  de 
laquelle  découlent  tous  les  pouvoirs  épiscopaux  ;  sur 
l'origine  et  les  fonctions  des  chapitres,  établis  par 
l'Église  pour  être  le  conseil  de  l'évêque ,  et  recueillir 
après  sa  mort  les  droits  de  sa  juridiction.  Mais ,  en 
protestant  contre  la  tyrannie  qui  foulait  aux  pieds  les 
saints  canons,  et  voulait  rompre  la  chaîne  des  pouvoirs 
spirituels,  le  chapitre  n'en  proclamait  pas  moins  sa 
soumission  à  l'arrêt  de  mort  dont  il  était  frappé.  Puis, 
craignant  que  l'on  n'interprétât  sa  retraite  comme  un 
acte  d'obéissance  à  la  constitution ,  il  en  discutait  les 
erreurs,  et  s'étonnait  que  l'on  prétendît  conserver  avec 
le  saint-siége  «  l'unité  de  la  foi  et  de  la  communion,  » 
après  avoir  abjuré  l'autorité  qui  les  maintient. 

Cette  lecture  étant  terminée,  l'assemblée  refusa  de 
signer  le  procès-verbal.  Alors,  tandis  que  les  officiers 
municipaux  apposaient  les  scellés  sur  la  porte  de  la 
salle  capitulaire,  le  chapitre  descendit  dans  la  nef  et 
se  prosterna  une  dernière  fois  devant  le  crucifix ,  que 


DE  BAYEUX.  219 

des  mains  impies  allaient  bientôt  mutiler.  Quelques 
jours  après ,  la  municipalité  offrit  aux  chanoines  la 
faculté  de  célébrer  individuellement  les  saints  mystères 
dans  l'église  Cathédrale ,  à  condition  qu'aucun  d'eux 
n'y  paraîtrait  revêtu  de  ses  insignes.  Le  chapitre  répon- 
dit qu'il  lui  était  interdit  de  siéger  dans  le  temple  avec 
des  ministres  que  l'Église  n'y  introduisait  pas,  et  qu'y 
paraître  publiquement  sous  une  forme  nouvelle,  ce 
serait  accepter  sa  dégradation,  en  acquiesçant  aux 
décrets  qui  l'avaient  prononcée.  Se  réunir  deux  fois 
le  jour  dans  la  chapelle  de  l'évêché,  réciter  en  commun 
le  saint  office,  sans  solennité  et  sans  appareil ,  y  célé- 
brer et  y  entendre  la  messe  pour  l'acquit  des  fonda- 
tions :  tel  était  le  projet  qu'il  avait  conçu,  et  qu'il 
soumettait  aux  administrateurs.  Nous  ignorons  s'il 
y  fut  donné  suite;  mais,  en  tout  cas,  il  dut  bientôt 
rencontrer  des  obstacles  dans  la  disposition  des  esprits 
et  dans  les  troubles  qui  suivirent. 

Le  directoire  du  district  de  Bayeux  ne  tarda  pas  à  Mg*  de  chcyius 
s'émouvoir  du  mandement  publié  à  Paris,  le  20  no-  conseTg^rai. 
vembre ,  au  nom  de  Mgr  de  Cheylus  (1).  Il  fit  défense 
à  toute  personne  de  le  vendre  ou  de  le  distribuer;  il 
défendit  pareillement  à  tous  les  ecclésiastiques  d'en 

(1)  Le  directoire  de  Bayeux  reprochait  surtout  à  Mgr  de  Cheylus 
«  d'avoir  sonné  l'alarme  ;  de  présenter  la  religion  comme 
anéantie ,  les  temples  détruits  ,  les  autels  renversés  ,  et  le 
trône ,  —  ce  trône  que  soutient  l'amour  éclairé  du  peuple 
français,  disaient  encore  à  cette  époque  MM.  les  directeurs 
—  comme  menacé  d'une  chute  prochaine.  »  Il  nous  semble 
que  les  craintes  de  M6r  de  Cheylus  n'étaient  que  trop  fondées, 
et  que  les  maux  qu'il  prévoyait,  n'étaient  pas  précisément  des 
maux  imaginaires. 


220  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

donner  lecture  ;  il  arrêta  qu'un  exemplaire  du  dit 
libelle  serait  envoyé  sur-le-champ  au  directoire  du 
département,  ainsi  qu'à  l'assemblée  nationale.  Le 
conseil  général  du  Calvados  prit  connaissance  de 
l'acte  incriminé,  contre  lequel  il  entassa  les  qualifi- 
cations les  plus  injurieuses  ;  il  l'envoya  aux  juges  du 
district  de  Caen,  auquel  il  fut  recommandé  d'en  pour- 
suivre l'auteur,  les  distributeurs  et  les  fauteurs  , 
comme  prêchant  la  révolte  et  organisant  la  sédition. 
En  même  temps,  les  journaux  du  pouvoir  répandaient 
le  bruit  que  ce  mandement  était  une  pièce  apocryphe, 
et  que  Mgr  de  Cheylus  en  avait  hautement  désavoué 
la  publication. 

A  cette  nouvelle ,  l'évêque  de  Bayeux ,  vivement 
indigné,  écrivit  aux  curés  de  son  diocèse  pour  démen- 
tir une  calomnie  dont  il  déclara  connaître  la  source. 
Il  reproche  à  quelques-uns  de  ses  prêtres  de  s'y  être 
laissé  surprendre,  et  il  ajoute  que,  pour  éviter  l'erreur 
dont  il  se  plaint,  il  suffisait  que  l'on  eût  de  son  cou- 
rage l'opinion  que  l'on  devait  en  avoir.  Le  tribunal 
criminel  du  district  de  Caen ,  que  le  conseil  général 
avait  saisi  de  la  plainte  portée  contre  l'évêque,  or- 
donna, le  6  mars  1791,  qu'il  serait  «  pris  et  appré- 
hendé au  corps,  »  pour  être  interrogé  sur  les  charges 
qui  existaient  contre  lui.  Cet  ordre  ne  fut  pas  exécuté. 

La  ville  de  Caen  avait  alors  pour  premier  admi- 
nistrateur M.  Le  Forestier  de  Vendeuvre ,  que  les 
officiers  municipaux ,  réunis  à  la  corporation  des 
notables,  avaient  élu  le  12  juillet  1781.  Aussi  remar- 
quable par  sa  sagesse  que  par  sa  modestie  et  sa 
simplicité,  dirigé  dans  toute  sa  conduite  par  un  grand 


DE  BÀYEUX.  224 

esprit  de  droiture,  il  s'était  dévoué  pendant  dix  ans 
aux  intérêts  de  la  ville,  qui  recueillait  avec  joie  les 
fruits  de  son  administration  paternelle  (1).  Mais  la 
religion  avait  poussé  un  cri  d'alarme.  Dès-lors,  placé 
entre  le  droit  méconnu  et  sa  conscience  alarmée  , 
M.  de  Vendeuvre  n'hésita  pas.  Il  montra  ce  que  le 
devoir  bien  compris  peut  inspirer  de  courage  aux 
natures  les  plus  timides ,  même  en  présence  d'un 
danger  sérieux.  Tandis  que  ,  sur  la  réquisition  du 
procureur-général,  le  conseil  du  département  déférait 
aux  juges  du  district  le  mandement  de  Mgr  de  Cheylus, 
le  conseil  de  la  commune  de  Caen  s'était  réuni  pour 
en  prendre  connaissance.  Le  maire  lui  représenta  que 
cette  question  excédait  les  limites  de  sa  compétence  ; 
que,  quand  les  actes  de  la  puissance  séculière  étaient 
contraires  à  la  loi  de  Dieu ,  c'était  pour  la  puissance 
ecclésiastique  un  devoir  impérieux  d'en  prévenir  les 
fidèles.  «  Vous  êtes  persuadés,  ajouta-t-il,  que  l'assem- 
blée nationale  veut  conserver  et  soutenir  la  religion 
catholique,  apostolique  et  romaine,  comme  étant  la 
religion  du  peuple  français  ;  ne  la  détruisez  donc  pas 
en  vous  érigeant  en  juges,  quand  vous  devez  plutôt 
obéir  comme  chrétiens.    »   Le  conseil   n'ayant  pas 
accueilli  ces  raisons,  M.  de  Vendeuvre  donna  sur-le- 
champ  sa  démission.  Il  déclara  qu'il  ne  voulait  parti- 
ciper en  aucune  manière  à  la  délibération  qu'on  allait 

(1)  On  a  trouvé  à  sa  mort  de  nombreux  mémoires  qui  attes- 
tent sa  sollicitude  pour  les  établissements  de  bienfaisance;  il 
s'était  principalement  occupé  de  celui  des  Frères,  et  d'une  école 
de  dessin,  où  les  jeunes  ouvriers  étaient  admis  pour  épurer  leur 
goût. 


222  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

prendre  ,  parce  qu'elle  contrariait  absolument  ses 
principes  religieux.  Malgré  cette  courageuse  absten- 
tion ,  sa  démission  ne  fut  pas  acceptée  ;  il  consentit  à 
la  retirer,  et  conserva  ses  fonctions  jusqu'au  \  3  janvier 
de  l'année  suivante.  Nous  le  retrouverons  encore  une 
fois  sur  la  brèche  dans  la  question  du  serment. 


DE  BAYEliX.  2'2'J 

»TYoTTir"irTfTTrYTry'ir"B""B""B""B"VTrTr'ifTr"ï"B'TrTn»"B'"y  ytï""»  t>* 


CHÂPTIRE  XVII. 


La  loi  du  serment  est  promulguée.  —  Décision  du  conseil 
épiscopal.—  Appréciation  théologique  du  serment.—  Lettre 
de  Msr  de  Cheylus.  —  Sa  réponse  au  district  de  Bayeux.  — 
Manifestation  du  clergé  et  de  l'université  de  Caen.  ~  Dis- 
cours de  M.  Le  Forestier  de  Vendeuvre.  —  La  majorité 
refuse  le  serment.  —  Controverses  à  ce  sujet. 


Le  serment  ecclésiastique,  décrété  le  27  novembre  La  loi  du  serment 
1790  par  l'Assemblée  nationale  était,  on  en  convient  e8tpromu 
aujourd'hui ,  un  véritable  attentat  contre  l'autorité 
de  l'Eglise.  On  ne  se  bornait  pas,  en  effet,  à  exiger 
de  ses  ministres  qu'ils  jurassent  de  remplir  leurs 
fondions  avec  exactitude  ,  d'être  fidèles  à  la  nation, 
à  la  loi  et  au  roi  :  ils  devaient  promettre  de  maintenir 
de  tout  leur  pouvoir  cette  constitution  qui  commen- 
çait à  troubler  les  consciences,  et  à  jeter  la  division 
parmi  ceux  que  l'on  appelait  à  la  défendre.  Le  conseil       Décision 

.     •  i  ..,.,_.  ...  -,  du  conseil 

épiscopal ,   qui  siégeait  a  Bayeux  en  1  absence  du      épiscoPai. 
pontife,  essaya  d'abord  de  résoudre  la  difficulté.  11 


224  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

proposa  au  clergé  une  formule  d'après  laquelle  on 
eût  promis  fidélité  à  la  constitution,  en  réservant  les 
droits  de  la  religion  catholique ,  apostolique  et  ro- 
maine, les  principes  de  la  morale  et  la  discipline  de 
l'Église  de  France.  Ce  n'était  pas  ainsi  que  l'enten- 
daient les  rédacteurs  du  projet.  Un  décret  du  4  jan- 
vier 1791,  sanctionné  le  9  du  même  mois,  ordonna 
que  le  serment  serait  prêté  «  purement  et  simple- 
ment ,  »  sans  qu'aucun  ecclésiastique  pût  se  per- 
mettre ni  explications,  ni  restrictions,  ni  préambule. 
Appréciation      Cependant  il  était  facile  de  prouver  aux  législa- 

théolosique  .  .  .  t 

du  serment,  teurs  que  la  situation  faite  au  cierge  par  la  consti- 
tution française  était  incompatible  avec  les  lois  de 
l'Église,  L'article  4  du  titre  Ier  défendait  à  tout  fidèle 
de  reconnaître,  en  aucun  cas  «  et  sous  quelque  pré- 
texte que  ce  fût,  »  l'autorité  d'un  évêque  dont  le 
siège  serait  établi  sous  la  domination  d'une  puissance 
étrangère.  Donc,  aux  termes  de  la  constitution  ,  le 
pape  cessait  d'être  le  souverain  pasteur  des  âmes;  la 
France  ne  le  regardait  plus  comme  la  pierre  fonda- 
mentale de  l'édifice  religieux.  En  vain  rappellera-t-on 
qu'il  était  prescrit  à  chaque  nouvel  évêque  d'adresser 
au  chef  de  l'Église  une  lettre  de  communion.  Cette 
démarche  ne  pouvait  être  acceptée  comme  un  signe 
d'unité,  ou,  du  moins,  ce  signe  était  absolument 
illusoire.  Il  ne  suffit  pas,  en  effet,  pour  rester  en 
communion  avec  le  saint-siége,  d'être  soumis  à  sa 
croyance;  il  faut  encore,  sous  peine  d'errer  dans 
la  foi,  reconnaître  la  plénitude  de  son  autorité.  La 
constitution  du  clergé  était  donc  à  cet  égard  en 
opposition  directe  avec  l'enseignement  universel. 


DE  BAYEUX.  225 

Que  dirons-nous  maintenant  de  l'article  M  du  titre 
Ier  qui  défendait  à  l'évêque  de  faire  aucun  acte  de 
juridiction  sans  avoir  délibéré  avec  les  vicaires  de 
l'église  Cathédrale?  Nous  nous  contenterons  de  signa- 
ler ici  l'usurpation  flagrante  par  laquelle  une  assemblée 
purement  politique  s'immisçait  dans  le  gouvernement 
de  l'Église  pour  en  changer  l'organisation.  «  La  juri- 
diction de  l'évoque  étant  de  droit  divin,  dit  un  célèbre 
jurisconsulte  (1),  est  attachée  à  sa  personne,  sans 
pouvoir  appartenir  aux  autres  ecclésiastiques.  La  puis- 
sance des  inférieurs  est  communiquée,  dépendante  et 
subordonnée;  celle  de  l'évêque  n'est  reçue  que  du  ciel, 
ne  coule  d'autre  source  que  de  l'infinie  plénitude  de 
Dieu.  »  Asservir  les  évoques  au  suffrage  de  leurs 
vicaires ,  c'était  donc  renverser  l'ordre  divin  ;  Wiclef 
et  Luther  n'eussent  pas  désavoué  cette  doctrine. 

L'article  49  du  titre  IIe  établissait  une  séparation 
encore  plus  radicale  ;  ce  n'était  point  au  pape  que  le 
nouvel  évoque  devait  demander  l'institution  canonique; 
c'était  au  métropolitain,  ou  au  plus  ancien  évêque  de 
la  circonscription  dont  il  faisait  partie.  Nous  n'igno- 
rons pas  qu'autrefois  l'Église  attribua  aux  conciles 
provinciaux  et  aux  métropolitains  le  droit  de  donner 
aux  évoques  l'institution  canonique;  mais,  depuis  le 
xme  siècle  ,  le  pape  seul  en  était  investi.  Le  concile 
de  Trente  avait  consacré  cette  discipline,  et  la  France 
l'avait  acceptée  en  s'y  conformant.  Pour  qu'un  tel 
pouvoir  fût  étendu  aux  métropolitains,  il  aurait  fallu 
que  l'Église  le  leur  conférât;   l'Église  n'ayant  pas 

(1)  Talon,  Mémoires  du  clergé,  tom.m. 

15 


226  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

changé  sur  ce  point  sa  discipline ,  au  moment  où 
parut  le  décret  de  l'assemblée  nationale ,  le  droit 
d'instituer  canoniquement  les  évoques  appartenait  au 
souverain  pontife ,  et  cependant,  la  constitution  dé- 
fendait de  recourir  à  lui  :  la  succession  des  pasteurs 
était  donc  interrompue;  le  schisme  était  décrété. 

En  un  mot,  la  Constitution  de  l'Église  de  France 
avait  été  réglée  par  le  concordat  de  Léon  X  avec 
François  Ier.  Donc,  quelque  jugement  que  l'on  portât 
sur  cette  convention,  il  fallait  en  respecter  les  princi- 
pes, jusqu'à  ce  qu'elle  eût  été  remplacée  par  un  nouvel 
accord  entre  les  deux  puissances.  L'assemblée  natio- 
nale la  déchira  sans  consulter  la  cour  de  Rome  ;  elle 
ne  se  contenta  pas  de  soustraire  tous  les  évêchés  de 
France  à  la  juridiction  du  pape,  elle  réduisit  le  nombre 
des  diocèses;  elle  sécularisa  en  quelque  sorte  les 
ministres  du  cuite  ;  elle  rendit  l'élection  des  curés 
indépendante  de  l'autorité  des  évêques  ;  elle  fit  nom- 
mer les  uns  et  les  autres  par  tous  les  citoyens  français, 
à  quelque  religion  qu'ils  appartinssent,  en  sorte  que, 
dans  certains  départements,  les  assemblées  primaires 
ne  désignèrent  pas  un  seul  ecclésiastique  au  nombre 
des  électeurs.  Donc  évidemment,  l'assemblée  consti- 
tuante se  substituait  à  l'Église,  et  le  ministère  qu'elle 
établissait,  était  un  ministère  sans  pouvoir,  parce 
qu'il  était  sans  fondement  légitime. 

En  présence  d'une  si  monstrueuse  usurpation ,  la 
question  ne  pouvait  rester  long-temps  indécise.  Dès 
le  commencement  de  l'année  1791,  Mgr  de  Cheylus 
adressa  de  Paris  aux  curés  de  son  diocèse  une  lettre 
pleine  d'énergie,  dans  laquelle  il  leur  traçait  des  règles 


DE  BAYEUX.  227 

de  conduite:  «  N'allons  pas  trahir  la  religion,  leur       Leur, 

de 

disait-il,  par  le  scandale  d'un  serment  que  Dieu ,  Mgr de  cheyius. 
l'honneur  et  la  conscience  nous  défendent  de  prêter; 
ne  nous  laissons  ni  intimider  par  des  menaces,  ni 
surprendre  par  des  promesses  ;  imitons  l'exemple  de 
ces  prélats  vertueux  dont  l'appareil  de  la  terreur  n'a 
point  ébranlé  l'unanime  et  courageuse  fermeté  ;  de 
ces  pasteurs  généreux  dont  la  mort  n'a  pas  même 
fait  pâlir  le  zèle.  Ne  nous  laissons  pas  entraîner  par 
celui  de  ces  mercenaires  qui,  plus  effrayés  de  la  perte 
de  leur  traitement  que  de  celle  de  leur  âme  ,  et  plus 
dociles  à  l'impression  de  la  crainte  qu'au  sentiment 
du  devoir,  n'ont  pas  rougi  de  salir  leurs  lèvres  en  le 
prononçant.  N'envions  pas  leur  sort;  ils  ont  bien  pu 
par  leur  infamie  écarter  d'eux  la  misère;  mais  la  honte, 
l'opprobre  et  le  mépris  les  suivront  partout,  et  le  re- 
mords en  fera  justice  un  jour.  » 

De  son  côté,  le  directoire  du  district  de  Bayeux 
avait  adressé  à  Mgr  de  Cheyius  le  décret  du  27  novem- 
bre, et  en  exigeait  la  prompte  exécution.  L'évèque    sa  réponse 

,  ,,  ,       .  .  ,.,  .  au  district 

s  empressa  d  écrire  aux  magistrats  «  qu  il  ne  prêterait  deBayeu*. 
jamais  le  serment  décrété  par  l'assemblée  nationale, 
parce  que  sa  conscience  le  lui  défendait;  que  cette 
raison  ne  pouvait  être  balancée  par  aucune  autre,  pas 
même  par  la  crainte  de  se  voir  dépouillé  de  sa  qualité 
de  pasteur  ;  que  la  violence  pouvait  bien  en  interdire 
les  fonctions  à  son  zèle,  mais  qu'elle  ne  saurait  en 
arracher  ni  le  titre  à  sa  personne,  ni  les  sentiments  à 
son  cœur.  »  Quelques  jours  avant  la  publication  de 
ce  manifeste,  les  curés  de  Caen  avaient  déjà  protesté 
contre  le  décret  de  l'assemblée;  ils  s'empressèrent 


228  HISTOIHE  DU  DIOCÈSE 

de  renouveler  leur  déclaration  ;  cette  fois ,  leurs  vi- 
caires la  souscrivirent ,  et ,  de  tous  les  points  du 
diocèse ,  s'élevèrent  presque  en  même  temps  des 
Manifestation  protestations  analogues.  L'université  suivit  l'exemple 
de'runivcrsité  que  lui  donnait  le  clergé  des  paroisses.  A  peine  ie 
decaon.  décret  relatif  à  la  prestation  du  serment  eut-il  été 
notifié  au  syndic  général  [47  mai  1791],  que  toutes 
les  facultés  présentèrent  au  directoire  une  déclaration 
respectueuse  signée  de  quarante-six  professeurs,  et  a 
laquelle  adhérèrent  une  foule  de  curés ,  gradués  en 
théologie ,  appartenant  au  diocèse  de  Bayeux  ou  aux 
diocèses  voisins:  «  Nous  sommes  prêts ,  disaient-ils, 
à  rendre  a  la  constitution  purement  politique  et 
temporelle  du  royaume,  l'hommage  nécessaire  d'une 
obéissance  raisonnée  ;  mais  nous  déclarons  nous  en 
tenir  au  jugement  et  à  la  conduite  du  souverain  pon- 
tife et  des  évêques  de  France,  relativement  aux  articles 
de  la  constitution  du  clergé  qui  intéressent  la  foi,  la 
discipline  et  la  morale  du  christianisme  (4).  »  Cette 
pièce  fut  mise  sous  les  yeux  de  Pie  VI  par  l'abbé  Maury, 
et  le  pape  répondit  le  9  juillet  de  la  même  année , 
«  qu'elle  était  dictée  par  la  sagesse  et  la  piété;  qu'elle 
respirait  dans  tous  ses  points  une  doctrine  vraiment 
catholique;  qu'il  l'avait  lue  et  relue  plusieurs  fois, 
comme  un  ouvrage  qui  répondait  parfaitement  aux 
besoins  actuels  de  l'Église  (2)  » 

(1)  L'un  des  professeurs  de  théologie,  M.  Vasse,  fit  imprimer 
à  Londres,  en  1800,  un  «  Essai  en  forme  de  discours,  sur  la 
conduite  à  tenir  par  le  clergé  fidèle,  dans  les  principaux  points 
du  ministère  qu'il  aura  à  exercer  lors  de  sa  rentrée  en  France.  » 
—  Londres,  de  l'imprimerie  de  Baylis. 

(2)  Non  semel  eam  legimus,  sed  saepè  suepiùsque  perlegimus. 


DE  BAYEUX.  229 

La  démission  de  M.  de  Vendeuvre  n'ayant  point  été 
acceptée ,  il  présidait  encore  le  conseil  général  de  la 
commune  de  Caen,  le  13  janvier  1791.  Pour  lui  le 
moment  suprême  était  arrivé  ;  mais  avant  d'abdiquer 
ses  fonctions,  il  essaya  une  dernière  fois  d'éclairer  ses 
collègues.  Il  leur  rappela  donc  la  différence  qui  existe  Discours 
entre  le  caractère  épiscopal  que  l'évêque  reçoit  dans  m.  de  vendeuvre. 
sa  consécration,  et  la  mission  particulière  sans  laquelle 
l'Église  ne  lui  permet  pas  d'exercer  ses  fonctions. 
«  La  puissance  temporelle,  leur  dit-il,  peut  bien  sans 
doute  tracer  les  limites  territoriales  des  évêchés  et 
des  cures ,  et  proposer  son  vœu  à  la  puissance  spiri- 
tuelle; mais  elle  est  sans  pouvoirs  pour  conférer 
l'ordre  et  la  juridiction  qui  émanent  de  Dieu  même  , 
qui  ne  peuvent  être  données  que  par  les  successeurs 
des  apôtres  et  conformément  à  sa  loi.  »  Puis,  portant 
ses  regards  dans  l'avenir,  le  vénérable  magistrat 
exhortait  ses  concitoyens  a  calculer  les  maux  affreux 
qui  allaient  naître  du  schisme.  Il  en  tirait  la  consé- 
quence qu'on  ne  pouvait  agir  avec  trop  de  circonspec- 
tion et  de  lenteur  dans  le  but  de  les  conjurer.  Enfin , 
après  avoir  déclaré  qu'il  était  prêt  à  mourir  «  plutôt 
que  de  trahir  sa  foi ,  »  M.  de  Vendeuvre  ajoutait  que 
l'assemblée  était  sans  mission  pour  faire  prêter  le 
serment  exigé  par  elle,  et  il  demanda  qu'on  lui  soumît, 
dans  le  plus  bref  délai,  d'énergiques  représentations. 
Cette  proposition  ne  fut  point  accueillie,  et  le  maire 
de  Caen  se  démit  aussitôt  de  ses  pouvoirs.  En  vain 
le  conseil  municipal  l'invita-t-il  de  la  manière  la  plus 
pressante  à  retirer  sa  démission  ;  en  vain  lui  offrit-on 
de  le  suppléer  dans  une  fonction  qui  répugnait  à  sa 


230  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

conscience:  M.  de  Vendeuvre  fut  inflexible.  «  Quand 
la  conscience  d'un  homme  public,  écrivait-il  alors,  est 
en  opposition  avec  la  loi,  il  faut  qu'il  abdique;  autre- 
ment ,  il  peut  survenir  des  cas  où  la  neutralité  serait 
une  sorte  de  désobéissance.  » 

Aussitôt  que  M?r  de  Cheylus  eut  appris  ce  qui  se 
passait  en  Normandie ,  il  écrivit  a  M.  de  Vendeuvre 
pour  lui  exprimer  toute  l'admiration  que  lui  inspirait 
son  courage  ;  il  le  remerciait  surtout  d'avoir  soutenu 
et  mis  en  lumière  des  vérités  qui,  dans  sa  bouche, 
devaient  avoir  infiniment  plus  d'autorité  que  dans  celle 
d'un  évêque  ou  d'un  théologien.  «  Je  me  flatte  , 
Monsieur,  lui  disait-il  en  terminant ,  que  vous  me 
distinguez  de  la  foule  de  ceux  qui  vous  lisent  et  vous 
admirent;  j'ai  su  de  tout  temps  rendre  justice  à  vos 
talents  et  à  vos  vertus.  » 
La  majorité        La  résistance  des  évêques  et  des  chapitres  aux 

rcfus6 

ie  serment,  ordres  du  pouvoir  n'avait  point  étonné  l'administra- 
tion civile;  mais  on  s'attendait  généralement  à  trouver 
dans  le  clergé  des  paroisses  plus  de  soumission  et  de 
condescendance.  Ce  fut  donc  avec  une  surprise  mêlée 
d'inquiétude  que  les  administrateurs  virent  les  récla- 
mations s'élever  de  toutes  parts ,  et  les  noms  les  plus 
recommandables  figurer  en  première  ligne  sur  la  liste 
des  opposants. 

Quelques  jours  avant  l'époque  fixée  pour  les  élec- 
tions, une  proclamation  fut  adressée  dans  chaque 
localité  aux  officiers  municipaux  ;  elle  leur  permettait 
d'admettre  à  la  prestation  du  serment  les  fonctionnaires 
ecclésiastiques  «  jusqu'au  moment  où  commencerait 
le  scrutin  pour  les  remplacer.  »  Toute  restriction , 


DE    BAYEUX.  231 

toute  réserve  relatives  aux  droits  de  la  religion  étaient 
rigoureusement  défendues ,  comme  un  outrage  aux 
législateurs.  Nous  sommes  déjà  trop  loin  des  événe- 
ments pour  exprimer  par  des  chiffres  le  résultat  de 
cette  grande  controverse.  Il  faudrait  pouvoir  réunir 
dans  un  même  tableau  les  ecclésiastiques  qui  étaient 
attachés  au  ministère  des  paroisses  à  l'époque  où  le 
serment  fut  exigé,  les  membres  des  différentes  congré- 
gations, les  religieux  des  différents  ordres  qui,  rendus 
à  la  vie  civile,  exercèrent  plus  tard  les  fonctions  cu- 
riales.  Il  faudrait  tenir  compte  de  ceux  que  nous 
trouvons  d'abord  sur  la  liste  des  opposants ,  et  qui  cé- 
dèrent ensuite  à  la  pression  des  magistrats  ou  à  celle 
de  l'opinion  publique.  Il  faudrait  porter  en  regard 
ceux  qui  rétractèrent  de  bonne  heure  et  avec  courage 
une  démarche  inconsidérée  ;  ceux  qui,  plus  timides, 
attendirent  pour  publier  leur  rétractation  que  la 
terreur  cessât  de  peser  sur  la  France.  Si  l'on  s'en 
rapportait  aux  listes  officielles ,  dans  le  district  de 
Caen,  snr  cent  soixante-sept  paroisses,  on  compterait 
tout  d'abord  cent  vingt-cinq  curés  démissionnaires  ; 
à  Vire  ,  en  ajoutant  aux  prêtres  qui  sont  morts  dans 
cette  ville  ceux  qui,  à  une  certaine  époque,  y  exer- 
cèrent quelques  fonctions ,  on  en  trouverait  soixante- 
quinze  qui  se  soumirent  à  la  constitution  ,  cent  huit 
qui  la  rejetèrent.  La  proportion  serait  à  peu  près  la 
même  dans  le  district  de  Bayeux.  Quant  aux  trois  villes 
de  l'ancien  diocèse,  elles  opposèrent  au  décret  une 
résistance  presque  unanime  :  à  Vire ,  le  titulaire  de 
la  cure  refusa  le  serment ,  les  vicaires  suivirent  son 
exemple  ;  à  Bayeux ,  dix  curés  sur  quatorze  décla- 

c— 15 


Controverses 

à  ce  sujet. 


232  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

rèrent  qu'ils  préféraient  la  mort  à  l'apostasie  (t)  ;  a 
Caen  ,  il  y  eut  deux  exceptions  :  M.  Gervais  de  la 
Prise,  curé  de  Saint-Pierre  ,  et  M.  Hébert,  curé  de 
Vaucelles.  Ils  ne  se  contentèrent  pas  d'obéir  à  la  loi , 
ils  écrivirent  l'un  et  l'autre  plusieurs  brochures  pour 
justifier  leur  conduite.  Celui-ci  fut  vivement  contredit 
par  l'impétueux  abbé  Blondel,  curé  de  Banneville-la- 
Campagne;  l'autre  eut  pour  adversaire  l'abbé  De  La 
Rue,  déjà  professeur  au  collège  des  arts.  M.  De  La 
Hue  engagea  la  lutte  sous  le  nom  d'un  ministre  an- 
glican (William  Workesby),  et  déploya  contre  son 
adversaire  une  logique  vigoureuse ,  un  style  piquant , 
une  érudition  très-solide.  Nous  avons  lu  tous  ces  ou- 
vrages. Ils  sont  curieux  à  étudier,  mais  on  compren- 
dra qu'il  nous  est  impossible  d'en  donner  l'analyse  , 
et  que  nous  devons  nous  borner  à  citer  en  passant 
le  nom  des  auteurs. 

(1)  La  bonne  foi  nous  oblige  à  reconnaître  que ,  dans  plu- 
sieurs doyennés ,  quelques  signatures  qui  se  trouvent  au  bas 
de  la  déclaration ,  furent  ensuite  retirées  par  les  signataires. 


DE   BAYEUX.  233 

*Yfl  Y"&  YY"5  YYTJ  7$  YY  Y  S"YY  TYY  YY3  YY  tf  5"  ffYYVYYY* 


CHAPITRE  XV1I1, 


Dernier  mandement  de  Msr  de  Cheylus  aux  fidèles  du  diocèse. 
—  Élection  de  M.  Gervais  de  la  Prise.  —  Lettre  de  M8'  de 
Cheylus  aux  électeurs.  —  Idées  de  M.  de  la  Prise  sur  la 
nécessité  d'un  concile.  —  Il  donne  sa  démission.—  Élection 
de  l'abbé  Fauchet.  —  Ordonnance  de  Mgr  de  Cheylus.  —  Il 
part  pour  l'exil. 


Dernier 
mandement 


Le  dernier  mandement  que  M^r  de  Cheylus  publia 
dans  le  diocèse  de  Bayeux ,  porte  la  date  du  11  mars 
1791 .  Aujourd  nui  même  qu  un  demi-siecle  nous  sé- 
pare de  ces  lugubres  événements,  on  se  recueille  avec 
émotion  en  écoutant  les  adieux  du  pontife.  La  tris- 
tesse majestueuse  dont  ils  sont  empreints ,  les  sages 
instructions  qu'il  y  donne  au  clergé  et  aux  fidèles ,  la 
tendresse  et  l'énergie  qu'il  y  déploie  tour  à  tour, 
montrent  l'inébranlable  fermeté  de  son  âme,  en  pré- 
sence des  menaces  qui  grondaient  autour  de  lui. 

«  Hélas!  Mes  Très-Chers  Frères  ,  s'écriait-il  ,  que 


234  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

n'avons-nous  pas  déjà  souffert  pour  avoir  été  fidèle  à 
notre  ministère  en  vous  disant  la  vérité?  On  nous  a 
traité  d'imposteur;  on  a  tronqué  nos  instructions, 
pour  nous  faire  un  crime  de  notre  doctrine  ;  on  a 
fait  circuler  la  calomnie  contre  nous  ;  on  nous  a ,  pour 
vous  exciter  à  la  vengeance,  présenté  comme  l'enne- 
mi de  votre  bonheur .  —  Retenez ,  nous  vous  en  conju- 
rons, dans  votre  mémoire,  et  plus  encore  dans  votre 
cœur,  les  avis  que  notre  tendresse  vous  donne  en  ce 
moment  :  ils  seront  peut-être  les  derniers  que  vous 
recevrez  de  nous,  et  cette  lettre  que  nous  vous  adres- 
sons, est  peut-être  le  dernier  cri  de  notre  sollicitude. 
—  Priez  pour  moi ,  qui ,  dans  ce  moment ,  ai  tant 
besoin  du  secours  d'en  haut,  mes  chers  enfants,  vous 
pour  qui  je  prie  sans  cesse ,  et  pour  qui  je  ne  cesse- 
rai de  prier.  Priez  pour  moi ,  pasteurs  respectables , 
vous  qui ,  fidèles  à  Jésus-Christ ,  avez  eu  le  courage 
de  sa  foi ,  et  qui ,  plus  effrayés  de  l'apostasie  que  de 
l'indigence,  en  avez  bravé  la  menace  par  votre  iné- 
branlable fermeté.  —  Priez  aussi  pour  ce  peuple  qui 
va  bientôt  se  trouver  sans  pasteur,  vous  surtout  qui, 
chargés  de  ma  confiance,  en  partagiez  avec  moi  la 
sollicitude;  continuez-lui  vos  soins.  Vos  lumières  les 
lui  rendront  aussi  précieux  que  leurs  besoins  les  leur 
rendent  nécessaires  et  les  circonstances  difficiles  : 
c'est  le  gage  le  plus  cher  que  vous  puissiez  me  donner 
de  votre  attachement.  Je  le  sollicite  au  nom  de  ma 
tendresse  pour  vous,  au  nom  de  la  charité  du  souve- 
rain pasteur  des  âmes,  au  nom  de  cette  religion  que 
l'on  méconnaît  et  que  l'on  outrage,  et  dont  il  semble 
qu'on  veuille  renverser  les  autels.  » 


DE  BAYEUX.  235 

Rome  avait  été  consultée  par  les  évoques  de  France 
sur  la  question  du  serment.  On  n'est  donc  pas  surpris 
d'entendre  Mgr  de  Cheylus  déclarer  qu'il  acceptera  la 
décision  du  saint  Père ,  entre  les  mains  duquel  il  est 
prêt,  dit-il,  à  remettre  ses  pouvoirs,  s'il  lui  demande 
ce  sacrifice;  jusque-la,  il  en  est  toujours  investi;  tout 
autre  évêque  qui  viendrait  occuper  son  siège  ,  serait 
un  intrus.  Les  prêtres  envoyés  par  lui  ne  pourraient 
conférer  la  grâce  des  sacrements ,  excepté  à  l'article 
de  la  mort. 

«  Mais  en  vous  avertissant,  Mes  Très-Chers  Frères , 
de  vous  séparer  de  la  communion  de  l'évêque  intrus 
et  de  ses  prêtres,  nous  invoquons  en  même  temps 
en  leur  faveur  toute  la  charité  que  Jésus-Christ  vous 
a  recommandée  ;  vous  conjurant  de  fermer  votre 
cœur  à  tout  sentiment  d'aigreur,  et  vos  lèvres  à  l'amer- 
tume même  des  plaintes.  Nous  vous  conjurons  en 
son  nom  de  vous  souvenir  que  la  parole  sainte,  la 
douceur  et  la  patience  doivent  être  les  seules  armes 
du  chrétien,  pour  justifier  le  courage  de  sa  foi;  que 
la  cause  de  Jésus-Christ  ne  doit  être  défendue  qu'avec 
les  vertus  qu'il  commande,  et  que  l'Église  serait  en- 
core moins  affligée  de  voir  couler  le  sang  de  ses  enfants 
que  de  les  voir  oublier  ses  divins  préceptes  pour  ou- 
trager ses  propres  ennemis.  »  La  beauté  de  ces  der- 
nières paroles  a  dû  frapper  nos  lecteurs.  C'est  ainsi 
que  les  évêques  des  premiers  siècles  élevaient  la  voix 
pour  encourager  les  fidèles,  quand  ils  prévoyaient 
que  la  persécution  allait  peupler  le  ciel  de  nouveaux 
martyrs. 

WT  de  Cheylus  n'ayant  point  satisfait  dans  le  délai 


236  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

prescrit  par  la  loi  à  l'obligation  du  serment,  lut  ré- 
puté démissionnaire,  et  le  lundi  14  mars  1791,  les 
électeurs  se  réunirent  dans  l'église  SainUPierre  de 
Caen ,  pour  lui  nommer  un  successeur.  Quelques 
jours  auparavant,  on  leur  avait  adressé  une  série  de 
Questions  préalables,  qu'on  les  engageait  à  résoudre 
avant  d'exercer  leur  mandat.  Après  leur  avoir  de- 
mandé si  le  siège  de  Bayeux  était  vacant,  et,  en  suppo- 
sant qu'il  le  fût ,  s'ils  se  croyaient  investis  du  droit 
d'élire  un  évêque  ;  s'ils  étaient  capables  de  porter  un 
jugement  sur  la  science  absolue  et  relative  du  candi- 
dat, sur  son  orthodoxie,  sur  les  empêchements  cano- 
niques dont  il  pouvait  être  atteint,  on  arrivait  à  cette 
conclusion:  «  Que  faire  donc  dans  ce  moment  décisif? 
—  Reconnaître  pour  évêque  celui  qui  l'est  sans  vous 
et  le  sera  constamment  malgré  tout  acte  contraire. 
Le  proclamer  de  nouveau,  non  par  choix,  mais  par 
devoir;  non  par  préférence,  mais  par  conscience; 
non  comme  électeurs,  mais  comme  chrétiens.  » 
Élection  Ces  sages  remontrances  ne  furent  pas  écoutées. 
Trois  cent  quatorze  suffrages  sur  quatre  cent  onze, 
nombre  égal  à  celui  des  votants,  désignèrent  M.  Charles- 
René  Gervais  de  la  Prise,  curé  de  Saint-Pierre  de 
Caen  ,  pour  évêque  du  Calvados  (1).  Il  vint  aussitôt 
prendre  place  au  bureau,  et  accepta  le  titre  que  lui 
déférait  l'assemblée  ,  aux  acclamations  de  la  joie 
populaire;  un  prêtre  électeur  entonna  le  Te  Deum, 
et  la  bénédiction,  donnée  avec  le  saint-ciboire,  termi- 


(1)  Ce  chiffre  est  celui  que  donne  le  procès -verbal  des 
séances  de  l'assemblée. 


de  M.  Gervais 
de  la  Prise. 


DE  BAYEUX.  237 

na  cette  lamentable  solennité.  Les  élections ,  qui 
avaient  aussi  pour  objet  le  choix  de  plusieurs  magis- 
trats, se  prolongèrent  depuis  le  dimanche  13  mars 
jusqu'au  19  du  même  mois.  Une  partie  des  séances 
se  tint  dans  l'église  Saint-Pierre  de  Caen,  l'autre  dans 
la  salle  ordinaire  des  assemblées  électorales,  à  l'abbaye 
de  Saint-Étienne.  Le  jour  de  la  première  réunion,  on 
avait  déposé  sur  le  bureau  une  lettre  adressée  à 
Messieurs  les  électeurs  du  Calvados ,  qui  ne  fut  ou- 
verte qu'après  la  nomination  de  M.  de  la  Prise.  Cette  Lettre 
lettre  portait  la  date  du  40  mars  ;  elle  était  signée  par  Mgr  dedcheylu<, 
Mgr  de  Cheylus.  «  Je  vous  annonce,  leur  disait-il,  que,  aux éleoteurs- 
quelque  étendu  que  soit  le  pouvoir  que  vous  avez 
reçu  de  l'assemblée  nationale,  votre  choix  ne  peut 
faire  qu'un  intrus,  parce  que  mon  siège  n'est  pas 
vacant.  Je  vous  préviens  qu'après  avoir  à  son  égard 
épuisé  tous  les  ménagements  de  la  charité,  je  le  pour- 
suivrai partout  comme  un  loup  ravissant ,  avec  les 
armes  de  l'Église;  j'invoquerai  l'anathème  sur  sa  tête; 
j'en  ferai  retentir  la  menace  à  ses  oreilles,  et  si  son 
opiniâtre  témérité  m'y  force,  j'irai  l'en  frapper  sur  la 
chaire  môme  sur  laquelle  le  scandale  l'aura  placé.  » 
Les  électeurs  ,  après  avoir  entendu  cette  lecture  , 
dénoncèrent  Mgr  de  Cheylus  à  l'assemblée  nationale 
et  à  l'accusateur  public.  Trois  jours  après,  sur  la  de- 
mande du  curé  de  Saint-Pierre  ,  ils  consentirent  à 
retirer  leur  dénonciation. 

A  peine  M.  de  la  Prise  s'était-il  laissé  placer  sur  le       Jdée, 
siège  épiscopal,  que  d'honorables  scrupules  lui  firent  A\*\*^J^ 
regretter  son  acceptation.  Il  se  demanda  «  de  quel  droit    dun  conci,e» 
le  pouvoir  civil  avait  prononcé  la  destitution  de  l'évè- 


238  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

que  de  Bayeux,  et  si  la  décision  d'un  concile  n'était 
pas  nécessaire  pour  régulariser  une  mesure  aussi 
grave.  En  attendant  cette  décision,  il  pensait  que  les 
nouveaux  évêques  ne  pouvaient  être  envoyés  que 
comme  coadjuteurs  et  desservants.  Il  ne  doutait  pas 
que  l'assemblée  nationale  n'accueillît  favorablement 
l'idée  d'un  concile,  et  il  ajoutait  que  ce  concile,  abso- 
lument nécessaire  à  ses  yeux  pour  légitimer  l'insti- 
tution canonique  des  nouveaux  élus ,  l'était  encore 
pour  faire  tomber  les  soupçons  de  schisme  et  d'in- 
trusion jetés  sur  eux  par  le  parti  des  mécontents  (1).  » 
Effrayé  de  cette  déclaration ,  le  directoire  informa  M. 
le  curé  de  Saint-Pierre  que  sa  paroisse  était  réputée 
vacante,  et  que  le  corps  électoral  s'assemblerait  le 
dimanche  suivant  pour  lui  désigner  un  successeur. 
m. de ia  Prise  M.  de  la  Prise  vit  qu'il  n'y  avait  plus  à  balancer,  et, 
sa  démission,  le  même  jour,  il  envoya  aux  directeurs  sa  démission 
de  l'évêché  du  Calvados.  Quelque  timides  et  quelque 
incomplètes  que  paraissent  aujourd'hui  les  explica- 
tions dont  elle  est  accompagnée ,  il  faut  savoir  gré  à 
M.  de  la  Prise  de  n'avoir  pas  trahi  sa  conscience  en 
usurpant  les  fonctions  augustes  que  le  pouvoir  civil 
avait  osé  lui  offrir.  Il  exposa  ses  raisons  dans  un 
mémoire  qui  fut  mis  sous  les  yeux  de  l'assemblée 
nationale  ;  le  procureur  général  du  Calvados  le  blâma 
sévèrement  de  s'être  laissé  tromper  par  une  opinion 

(1)  En  écrivant  ces  paroles ,  M.  de  la  Prise  oubliait  ce  que 
nous  avons  rappelé  p.  225,  savoir:  que,  depuis  le  xme  siècle,  le 
droit  de  donner  aux  évêques  l'institution  canonique,  était  réser- 
vé au  pape  ;  que  le  concile  de  Trente  avait  consacré  cette  disci- 
pline ,  et  que  la  France  l'avait  acceptée  en  s'y  conformant. 


DE  BAYEUX.  239 

«  dont  ses  lumières  et  son  attachement  à  la  constitu- 
tion auraient  dû  le  garantir.  » 

M*r  de  Cheylus  était  rentré  à  Bayeux  après  cinq 
mois  d'absence.  Il  avait,  à  son  arrivée,  refusé  d'ad- 
mettre dans  son  palais  une  garde  de  dix  hommes, 
qu'y  envoya  la  municipalité ,  sous  prétexte  de  veiller 
à  sa  sûreté  personnelle.  Le  3  avril,  il  avait  reçu,  de 
la  part  d'un  huissier,  l'ordre  de  quitter  sa  demeure 
dans  le  délai  de  quelques  jours.  Il  fit  encore  subir 
l'examen  à  un  petit  nombre  de  séminaristes  que  n'ef- 
frayaient pas  les  malheurs  de  l'Église,  et  auxquels  il 
voulait  conférer  les  saints  ordres  ;  mais  une  défense 
l'ayant  contraint  de  renoncer  à  cette  cérémonie,  il  leur 
remit  des  démissoires  pour  le  diocèse  de  Séez.  L'ad- 
ministration du  Calvados  ne  tarda  pas  à  s'inquiéter  de 
la  présence  de  l'évêque  au  milieu  de  ses  diocésains. 
Elle  rappela  au  président  de  l'assemblée  nationale 
qu'une  ordonnance  du  tribunal  criminel,  rendue  un 
mois  auparavant  contre  Mgr  de  Cheylus ,  était  restée 
sans  exécution ,  et  elle  demanda  que  l'on  statuât  sans 
délai  sur  le  crime  qui  lui  était  reproché.  Quelques 
jours  après,  la  nomination  de  l'abbé  Fauchet  vint 
l'arracher  définitivement  à  ses  fonctions.  Ce  fut  le 
1 8  avril  que  cent  cinquante-deux  électeurs  rempla-  Élection 
cèrent  M.  de  la  Prise  par  l'abbé  Fauchet,  grand- 
vicaire  de  Bourges.  Il  ne  l'emporta  qu'au  troisième 
tour  de  scrutin  sur  deux  ecclésiastiques  étrangers 
comme  lui  au  diocèse  de  Bayeux,  et  que  la  fougue 
de  leurs  opinions  politiques  désignait  seule  aux  suf- 
frages populaires. 

La  constitution  civile  du  clergé  venait  d'être  jugée 


de 

l'abbé  Fauchet. 


240  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

par  le  souverain  pontife.  Pie  VI  avait  déclaré  qu'elle 
contenait  en  substance  plusieurs  hérésies,  et  que  l'on 
ne  pouvait  sans  apostasie  s'y  soumettre  par  serment. 
Mgr  deCheylus  avait  donc  un  devoir  suprême  a  remplir 
envers  ses  diocésains ,  c'était  de  les  prémunir  contre 
le  scandale ,  en  les  éclairant  sur  l'intrusion  du  prêtre 
schismatique  qu'on  allait  leur  présenter  comme  son 
ordonnance    successeur.  Il  publia,  sous  le  titre  d'Ordonnance, 

de 

Mg' decheyius.  une  lettre  dans  laquelle  il  adressait  directement  à 
l'abbé  Fauchet  les  questions  que  fait  Tertullien  aux 
novateurs  de  son  temps.  «  Qui  êtes -vous?  D'où 
venez-vous?  Si  c'est  au  nom  de  l'Église,  nous  sommes 
prêts  à  vous  céder  notre  place  ;  mais  montrez-nous 
vos  litres;  montrez-nous  le  mandat  apostolique  qui 
vous  institue;  montrez-nous  la  sentence  qui  nous 
dépose.  »  Puis  il  lui  reprochait  l'illégalité  de  ses  pou- 
voirs et  lui  défendait,  sous  peine  d'excommunication, 
d'exercer  dans  son  diocèse  aucune  fonction  épisco- 
pale.  «  A  ces  causes,  ajoutait-il,  nous  vous  citons, 
vous,  M.  Fauchet,  par  notre  présente  ordonnance, 
au  tribunal  du  souverain  pontife ,  devant  lequel  nous 
vous  déclarons  que  nous  allons  vous  poursuivre,  pour 
faire  prononcer  solennellement  votre  déposition.  » 
On  devine  sans  peine  que  cet  acte  courageux  fut 
dénoncé  à  l'accusateur  public  ;  Mgr  de  Cheylus  n'en 
déclina  pas  la  responsabilité,  mais  il  quitta  l'évôché 
presque  aussitôt.  Après  avoir  accepté  pendant  quel- 
ques mois  l'hospitalité  que  lui  offrit  à  Bayeux  la 
son  exii.  baronne  de  VVimpfen,  il  s'embarqua  pour  l'Angleterre 
le  43  septembre  4792,  et  s'établit  d'abord  dans  une 
petite  ville  voisine  de  Porlsmouth.  Plus  tard,  il  se 


DE  BAYEUX.  241 

retira  clans  l'île  de  Jersey.  Là  fut  rédigé,  en  1795,  un 
règlement  ecclésiastique  dont  nous  aurons  plus  tard 
à  nous  occuper. 


16 


242  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


CHAPITRE  XIX. 


Statistique  de  l'ancien  diocèse  de  Lisieux.  —  Suppression  de 
ce  diocèse.  —  Exil  de  M5'  de  la  Ferronnays.  —  Antécédents 
de  l'abbé  Fauchet.  —  Lettre  de  communion  qu'il  adresse  au 
Saint-Père.— Prise  de  possession.  —  Vicaires  épiscopaux. 
—  Ses  rapports  avec  M.  de  la  Prise.  —  Lettre  pastorale  de 
Fauchet.—  Pèlerinage  de  la  Délivrande.  —  Visite  à  Lisieux, 
à  Vire  et  à  Falaise. 


statistique  Le  département  du  Calvados ,  dont  l'abbé  Fauchet 
îanciondiocèse  venait  d'être  nommé  évêque  aux  termes  de  la  consti- 

de  Lisieux.  tution ,  comprenait  dans  ses  limites  l'ancien  diocèse 
de  Bayeux ,  quelques  portions  des  diocèses  de  Séez  et 
de  Coutances  et  la  plus  grande  partie  de  celui  de 
Lisieux,  supprimé  par  l'assemblée  nationale.  Le  dio- 
cèse de  Lisieux ,  à  l'époque  de  sa  suppression ,  se 
composait  de  quatre  archidiaconés  :  l'archidiaconé  du 
Lieuvin,  l'archidiaconé  d'Auge,  celui  de  Pont-Àudemer 
et  celui  de  Gacé.  Ces  quatre  circonscriptions  se  parta- 


DE  BAYEUX.  243 

geaient  en  quatorze  doyennés ,  subdivisés  en  quatre 
cent  soixante- sept  paroisses ,  qui  formaient  quatre 
cent  quatre-vingt-onze  cures  ou  portions.  De  plus,  on 
comptait  trois  cures  dans  la  ville  :  Saint-Jacques  , 
Saint-Germain  et  Saint-Désir;  sept  paroisses  rurales, 
qui  formaient  la  banlieue;  l'exemption  de  Nonant, 
située  dans  le  diocèse  de  Bayeux,  et  l'exemption  de 
Saint-Cande,  enclavée  dans  le  diocèse  de  Rouen. 

Saint  Pierre  et  saint  Paul  étaient  les  patrons  de  la 
Cathédrale  et  du  diocèse.  Le  chapitre ,  dont  Innocent 
III  faisait  un  si  brillant  éloge  au  commencement  du 
xme  siècle  (1),  était  composé  d'un  haut-doyen,  de 
huit  autres  dignitaires,  savoir:  un  grand-chantre,  un 
trésorier,  un  chefecier  (2),  un  écolâtre  et  quatre  archi- 
diacres; de  trente-huit  prébendes,  dont  trente  étaient 
distributives.  Elles  donnaient  voix  au  chapitre  et  part 
à  toutes  les  fondations.  Sur  les  huit  non-distributiv es, 
l'une  était  réunie  au  collège,  l'autre  à  la  maîtrise. 
L'évéque  nommait  à  toutes  ces  prébendes,  dont  les 
dernières  ne  conféraient  voix  au  chapitre  que  pour 
l'élection  du  doyen.  La  même  distinction  s'appliquait 
aussi  aux  chapelles  de  l'église  Cathédrale.  On  appelait 
chapelles  distributives  celles  qui  avaient  part  à  des 
fondations  particulières ,  auxquelles  les  titulaires  des 
autres  chapelles  ne  participaient  pas. 

Les  Eudistes  dirigeaient  à  Lisieux  le  grand  sémi- 
naire et  le  collège.  Le  grand  séminaire  fut  établi,  en 

(1)  Sacrum  collegium  canonicorum  Lexoviorum  imprimis 
spectabile. 

(2)  Le  chefecier  ou  chevecier  capicerius—a  capiendis  cereis 
—  celui  qui  avait  soin  des  chapes  et  de  la  cire. 


244  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

1653,  par  Mgr  Léonor  Ier  de  Matignon;  mais  ce  fut 
son  neveu,  Léonor  II,  qui  en  éleva  les  bâtiments.  Il 
fit  aussi  construire,  en  1704,  le  petit  séminaire. 

Le  diocèse  de  Lisieux  comptait  autrefois  six  abbayes 
d'hommes  et  deux  de  femmes.  C'étaient:  1°  Saint- 
Évroul,  au  pays  d'Ouche;  2°  Sainte-Marie-de-Bernai , 
située  dans  cette  ville;  3°  Saint-Pierre-de-Préaux ,  à 
quelque  distance  de  Pont-Audemer  ;  4°  Gretain,  à 
l'embouchure  de  la  Seine,  dans  un  lieu  consacré  a  la 
vierge  Marie;  5°  Cormeilles,  entre  Lisieux  et  Pont- 
Audemer,  sur  la  rivière  de  Calonne  ;  6°  Mondaye , 
dans  la  commune  de  Juaye  ,  à  un  myriamètre  de 
Bayeux:  —  1°  Saint-Désir  ou  Notre-Dame-du-Pré,  dans 
un  des  faubourgs  de  la  ville;  2°  Saint-Léger-de-Préaux, 
dans  la  môme  vallée  que  l'abbaye  d'hommes  dédiée  a 
saint  Pierre.  Toutes  ces  abbayes  appartenaient  à 
l'ordre  de  saint  Benoît ,  excepté  Mondaye ,  qui  était 
de  l'ordre  de  Prémontré.  Les  deux  prieurés  les  plus 
remarquables  du  diocèse  étaient  celui  de  Beaumont- 
en-Auge  ,  de  l'ordre  de  saint  Benoît,  et  de  Sainte- 
Barbe-en-Auge,  de  l'ordre  de  saint  Augustin. 

Il  y  avait  encore,  dans  la  ville  épiscopale ,  —  des 
religieux  Dominicains  et  des  religieux  de  Saint-Fran- 
çois; —  un  monastère  d'Ursulines,  qui  tenaient  une 
école  gratuite  ;  — des  Sœurs  de  la  Providence,  qui 
dirigeaient  les  écoles  de  charité  ej,  assistaient  les 
pauvres  malades  ;  —  des  Écoles  chrétiennes,  fondées 
en  1777  par  M*r  de  Ccndorcet ,  pour  l'instruction 
gratuite  des  jeunes  garçons. 

On  distinguait  alors  trois  hôpitaux  : 

L'Hôlel-Dieu  ,  appelé  hôpital  <T  en-bas,  fondé  en 


DE  BAYEUX.  245 

1163,  et  reconstruit  au  xvne  siècle  par  Léonor  II  de 
Matignon,  évêque  de  Lisieux.  Jourdain  du  Hommet 
en  donna  la  direction  aux  chanoines  réguliers  de  la 
Sainte-Trinité,  plus  connus  sous  le  nom  de  Mathurins. 

L'hôpital  général  ou  hôpital  d' en-haut.  On  y  re- 
cevait les  enfants  trouvés ,  les  orphelins  et  les  vieil- 
lards. Léonor  Ier  de  Matignon  ,  dont  la  bienfaisance, 
comme  celle  de  son  neveu ,  fut  inépuisable ,  avait 
fondé  ce  bel  établissement,  Mgr  de  Brancas ,  un  de 
ses  successeurs,  y  appela  en  1716  les  sœurs  de 
Notre-Dame  de  Charité  qui  représentaient  une  frac- 
tion de  l'ordre  fondé  à  Caen ,  par  Melle  de  Saint- 
Simon  et  le  P.  Le  Valois. 

L'hospice  du  Bon-Pasteur.  Il  existait  depuis  1709, 
et  devait  son  origine  à  Léonor  II  de  Matignon.  Mgrde 
Brancas  en  confia  également  la  direction  aux  sœurs 
de  l'hôpital  général.  Cette  maison  servait  d'asile  aux 
jeunes  personnes  que  l'on  s'efforçait  de  ramener  à  la 
vertu,  et  aux  femmes  du  monde  détenues  en  vertu 
d'une  lettre  de  cachet,  surlademande  de  leurs  époux. 

L'évêché  de  Lisieux  était,  comme  le  nôtre,  suffra- 
gant  de  l'archevêché  de  Rouen.  D'après  la  France 
ecclésiastique ,  son  revenu  s'élevait  à  cinquante 
mille  livres.  L'évêque  était  comte  de  la  ville  et  con- 
servateur des  privilèges  apostoliques  de  l'université 
de  Caen  (1). 

(1)  Tout  ce  qui  précède  est  extrait  de  documents  authen- 
tiques publiés  :  1°  dans  l'ouvrage  de  M.  L.  du  Bois ,  qui  a 
pour  titre:  Histoire  de  Lisieux  (Ville  —  Diocèse  —  Arron- 
dissement); —  2°  dans  la  France  ecclésiastique  de  4789;  — 
■\°  dans  YAlmanach  de  Lisieux,  imprimé  en    1787,  avec 

c— 10 


246  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Lorsque  l'Assemblée  constituante  décida  que  le 
nombre  des  évêchés  serait  égal  à  celui  des  départe- 
ments, on  craignit  un  instant  que  le  siège  deLisieux 
ne  l'emportât  sur  celui  de  saint  Exupère.  Le  prési- 
dent Thouret  était  né  à  Pont-1'Évèque  ;  il  était  mem- 
bre du  comité  de  constitution  ,  et ,  dans  toutes  les 
questions  de  territoire ,  que  soulevait  la  nouvelle 
circonscription  ecclésiastique,  il  exerçait  une  grande 
influence.  Ce  fut  alors  que  parut  une  brochure  re- 
marquable ,  ayant  pour  titre  :  Observations  sur  le 
siège  épiscopal  du  département  du  Calvados  ; 
elle  sortait  de  la  plume  d'un  avocat  de  Bayeux, 
M.  Delauney,  député  du  tiers -état.  Négligeant  la 
question  d'antiquité ,  à  laquelle  les  représentants 
n'auraient  sans  doute  attaché  qu'une  médiocre  im- 
portance, il  rappela  que  la  ville  de  Lisieux  avait  des 
ressources  très-étendues  du  côté  du  commerce;  que 
l'activité  de  ses  fabriques  garantissait  la  position  de 
ses  habitants.  Bayeux  ,  au  contraire  ,  avait  toujours 
dû  «  son  unique  consistance  »  aux  richesses  que  la 
religion  y  avait  annexées.  Nulle  ville  en  France,  di- 
sait-il ,  n'offre  des  possessions  ecclésiastiques  «  en 

l'approbation  de  Msr  de  La  Ferronnays.  Donc,  notre  statistique 
reproduit  la  situation  du  diocèse ,  au  moment  où  il  fut  sup- 
primé. Dans  l'ouvrage  récemment  publié  par  M.  de  Formeville, 
sur  les  Évèques-comtes  de  Lisieux,  on  lit  que,  autrefois,  il  y 
avait  en  cette  ville  six  espèces  de  chanoines  :  1°  les  chanoines 
in  minoribus;  2°  les  distributifs;  3°  les  non-distributifs;  4° 
ceux  ad  effectum  possidendœ  dignitatis;  5°  les  honoraires; 
0°  les  onze  barons.  Aucune  mention  n'est  faite  de  ces  derniers 
ni  dans  la  France  ecclésiastique,  ni  dans  ÏAlmanach  de 
1787 f  où  nous  avons  puisé  nos  renseignements. 


DE   BAYEUX.  2i7 

proportion  pareille.  »  Déplus,  le  département  a 
vingt-six  lieues  de  longueur  ;  la  ville  de  Bayeux  est 
donc  plus  rapprochée  du  centre  que  celle  de  Lisieux. 
M.  de  Wimpffen,  député  de  la  noblesse,  appuya  for- 
tement les  réclamations  de  M.  Delauney  ;  elles  triom- 
phèrent après  une  lutte  opiniâtre. 

Après  le  décret  de  la  Constituante,  qui  supprimait 
le  siège  de  Lisieux  ,  Mgr  de  La  Ferronnays  fut  obligé 
de  se  retirer  à  Paris,  mais  il  n'en  continua  pas  moins 
d'éclairer  et  de  soutenir  le  clergé  de  son  diocèse, 
auquel  il  adressa  de  fréquentes  communications. 
Dans  sa  lettre  du  22  mars,  après  avoir  résumé  les 
conséquences  du  serment  et  les  erreurs  d'une  con- 
stitution qui  renversait  les  lois  de  l'Église,  il  s'adres- 
sait à  ceux  que  ces  erreurs  avaient  pu  séduire.  Il 
leur  prédisait  que  le  moment  n'était  pas  éloigné  où  la 
vérité  se  ferait  entendre  ;  il  les  engageait  à  rétracter 
un  serment  qui  avait  été  pour  eux  une  source  d'em- 
barras, de  perplexités  et  de  remords.  Ses  espérances 
ne  tardèrent  pas  à  se  réaliser.  Un  certain  nombre  de 
jureurs  qui  d'abord  avaient  cédé,  par  entraînement 
ou  par  faiblesse,  alla  rejoindre  en  exil  ceux  qui 
avaient  refusé  toute  espèce  de  serment. 

Avant  de  porter  un  jugement  sur  la  personnalité 
de  l'abbé  Fauchet,  nous  croyons  devoir  le  présenter 
lui-même  à  nos  lecteurs.  Ce  n'est  pas  que  nous 
nous  proposions  de  raconter,  ni  même  d'énumérer 
tous  les  actes  de  sa  vie  politique,  encore  moins  de 
passer  en  revue  tous  ses  écrits  révolutionnaires. 
Ceci  est  la  tâche  de  ses  biographes.  Pour  bien 
faire  comprendre  le  caractère  et  le  talent  de  cet 


Suppression 

de    l'évêché 
de   Lisieux. 


Antécédents 

de 

l'abbé  Fauchet. 


248  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

homme  si  étrange ,  il  suffit  de  distinguer  en  lui  le 
pamphlétaire  et  l'écrivain  politique  du  prédicateur 
et  de  l'écrivain  religieux.  Son  enfance  et  sa  jeunesse 
n'appartiennent  pas  à  l'histoire  du  diocèse.  Toutefois, 
comme  M.  Bisson  a  donné  sur  l'une  et  sur  l'autre  des 
détails  pleins  d'intérêt ,  on  en  trouvera  la  substance 
à  la  fin  de  ce  volume.  Claude  Fauchet  fut-il  vraiment, 
comme  on  l'a  écrit ,  «  le  vainqueur  de  la  Bastille?  » 
Il  somma  du  moins  le  gouverneur  de  lui  rendre  la 
forteresse,  en  s'exposant  par  trois  fois  au  feu  de  son 
artillerie  (1).  Président  du  comité  municipal,  il  était 
encore  procureur  général  du  cercle  social,  et,  en  cette 
qualité,  il  édita  la  Bouche  de  fer  (2).  Pour  achever 
de  le  faire  connaître  ,  il  nous  suffira  de  lui  laisser 
quelques  instants  la  parole.  Ce  qu'on  va  lire  est 
extrait  du  premier  numéro  du  Journal  des  Amis, 
qu'il  rédigea  vers  le  milieu  de  l'année  1 793,  quelques 
mois  avant  sa  mort.  L'article  a  pour  titre  :  Observa- 
tions sur  mes  principes  et  ma  conduite  révolu- 
tionnaire. L'abbé  Fauchet  y  raconte  que,  dès  l'an- 
née 1776, — il  avait  alors  trente-deux  ans,  —  devant 
une  assemblée  «  très-nombreuse  et  très-solennelle  » 
il  annonça  l'abolition  des  droits  féodaux  et  la  des- 
truction de  la  noblesse.  Son  discours,  on  le  devine, 
causa  un  grand  scandale.  Les  chambres  du  Parle- 
ment  s'assemblèrent   pour  le  décréter  ;  i'arche- 

(1)  Ce  fut  «  au  bout  d'une  perche,  par  dessus  les  murailles,  » 
que  Fauchet  présenta  la  sommation  [Manusc.  de  M.  Bisson]. 

(2)  Une  véritable  bouche  de  fer  ,  dit  M.  Bisson  ,  était 
placée  dans  l'appartement  où  se  rassemblait  la  société. 
Chacun  était  invité  à  y  déposer  ses  conceptions  politiques; 
de  temps  en  temps  on  en  faisait  l'ouverture. 


DE  BÀYEUX.  249 

vêque  de  Paris  était  sur  le  point  de  l'interdire  (1); 
tous  les  ministres  demandaient  au  roi  de  l'envoyer  à 
la  Bastille  ;  Turgot  seul  qui ,  sans  le  connaître , 
partageait  ses  idées,  prit  sa  défense  et  le  sauva. 

En  1780,  il  exposait  à  Versailles,  dans  un  discours 
sur  «  l'immoralité  de  nos  lois  »  la  nécessité  de  dé- 
truire cette  construction  sociale  qui  opprimait  les 
hommes.  Il  annonça  l'évangile  de  la  fraternité  et  de 
l'égalité.  Le  roi  et  la  reine,  dit-il,  l'écoutaient  comme 
un  hardi  rêveur  dont  les  attaques  se  dissiperaient 
en  fumée. 

En  1787,  faisant  le  panégyrique  de  saint  Louis 
devant  l'Académie  ,  il  annonça  le  règne  prochain  de 
la  liberté.  Après  l'avoir  entendu ,  Marmontel  et  La 
Harpe  lui  dirent  «  avec  attendrissement  »  que  si  l'on 
eût  toujours  parlé  comme  lui  de  la  religion  ,  les 
philosophes  ne  se  seraient  jamais  élevés  contre  elle. 
Voltaire  lui-même  se  serait  écrié  en  l'embrassant  : 
je  suis  chrétien. 

En  1788,  prêchant  à  Suresnes,  prés  Paris,  un  ser- 
mon sur  les  mœurs  rurales,  il  s'éleva  contre  les 
seigneurs  et  les  grands  propriétaires,  qu'il  dénonçait 
comme  le  fléau  des  campagnes  et  les  oppresseurs 
de  l'humanité.  Ce  discours,  dit  M.  Bisson  ,  avait  été 
composé  pour  la  fête  d'une  rosière.  Madame  la  com- 
tesse d'Artois  assistait  à  la  cérémonie. 

Nous  arrivons  à  l'œuvre  capitale  du  prêtre  révo- 
lutionnaire ,  à  son  livre  intitulé  :  De  la  Religion 

(1)  M.  Picot  (Biographie  universelle)  prétend  qu'il  fut 
interdit.  Fauchet  s'en  défend  avec  vivacité  dans  son  livre  : 
De  la  Religion  na tionale. 


250  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

nationale.  Fauchet  se  peint  tout  entier  dans  cet 
ouvrage  ;  essayons  d'en  donner  une  idée. 

La  première  section  développe  très-longuement  le 
principe  qu'il  adopte  pour  fondement  de  la  religion 
nationale.  —  La  société  a  besoin  de  la  religion  pour 
protéger  ses  lois  contre  l'indépendance  et  les  atta- 
ques des  passions  ;  voilà  pourquoi  il  n'est  pas  un 
gouvernement  dans  le  monde  qui  ne  soit  théocra- 
tique,  ou  qui  puisse  exister  sans  l'être.  Les  tyrans 
sont  institués  de  droit  divin,  comme  les  démons.  La 
religion  s'oppose  à  la  révolte  ;  elle  condamne  le 
tyrannicide  ;  mais  elle  ne  s'oppose  pas  à  la  réforme 
des  empires.  Dans  toute  réunion  d'hommes,  il  existe 
toujours  une  volonté  publique,  qui  finit  par  s'impo- 
ser; des  réclamations  progressives,  auxquelles  on 
fait  droit  quand  l'opinion  les  soutient.  La  doctrine 
des  Apôtres  est  conforme  à  ces  principes.  Ils  ont 
obéi  en  tout  ce  qui  n'était  pas  inique  ,  mais  ils 
n'ont  jamais  fléchi  sous  l'injustice  des  princes. 

Dans  la  deuxième  partie  de  son  livre  ,  il  étudie  la 
•combinaison  des  droits  de  l'Église  catholique  avec 
les  droits  de  la  puissance  temporelle.  Il  fixe  l'éten- 
due et  les  limites  de  l'autorité  ecclésiastique.  —  Le 
code  de  la  nature,  dit-il,  est  tracé  avec  toute  la  per- 
fection possible  dans  l'Évangile.  Le  moindre  des 
fidèles,  non-seulement  peut  mais  doit  refuser  sa 
soumission,  s'il  lui  est  évident  qu'on  s'en  écarte. 
Ensuite,  il  passe  en  revue  les  droits  des  évoques  et 
du  presbytère,  des  archidiacres,  des  fabriques  et  des 
officiaux.  Il  traite  des  abbayes  et  des  prieurés,  des 
séminaires,  des  facultés  de  théologie,  des  congréga- 


DE  BAYEUX.  251 

tions  sacerdotales.  Il  demande  l'abolition  du  concor- 
dat de  François  Ier  qui  n'a  pas,  dit-il,  le  caractère  de 
la  loi,  quoiqu'il  en  ait  eu  trop  longtemps  la  force.  La 
pragmatique-sanction,  rédigée  par  saint  Louis,  doit 
être  remise  en  vigueur.  Les  évêques  seraient  élus 
par  les  prêtres  et  les  fidèles  ;  et  dans  le  cas  où  le 
souverain  pontife  réclamerait  contre  cette  institu- 
tion, «  on  lui  écrirait  avec  déférence,  et  ensuite  on 
resterait  en  paix ,  dans  la  communion  inviolable  de 
l'Église  universelle  (1).  Rendons  hommage  en  pas- 
sant au  §  ix  de  la  seconde  section,  c'est-à-dire,  aux 
vérités  qu'il  renferme. L'auteur  y  démontre  les  avan- 
tages du  célibat  ecclésiastique.  Celui-là  est  un  vrai 
chef-d'œuvre;  il  y  a  quelque  chose  de  très-remar- 
quable dans  l'allure  décidée,  avec  laquelle  il  attaque 
et  pulvérise  toutes  les  objections. 

La  troisième  section  traite  des  rapports  de  la  re- 
ligion avec  les  lois  civiles,  relativement  aux  laïcs. 
Loi  de  la  tolérance ,  loi  agraire ,  loi  des  mariages, 
autorité  paternelle,  successions,  spectacles,  liberté 
de  la  presse,  repos  du  dimanche,  rien  n'est  oublié. 
On  y  trouve  un  mélange  incroyable  de  vérités  philo- 
sophiques, de  paradoxes,  de  sophismes  et  d'utopies 
qu'il  est  impossible  d'analyser.  A  propos  de  la  loi 
agraire ,  il  y  pose  en  principe  que  quiconque  a  cin- 
quante mille  livres  de  rentes,  en  fonds  de  terre,  ne 

(i)  On  retrouve  cette  phrase,  ainsi  que  plusieurs  autres 
du  môme  ouvrage,  soit  dans  la  lettre  de  communion  qu'il 
adressa  au  souverain  pontife,  après  son  élection,  le  20  février 
1791,  soit  dans  sa  première  lettre  pastorale.  Son  livre: 
«  De  la  Religion  nationale  >  était  donc  en  quelque  sorte  le 
programme  da  sa  doctrine. 


252  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

pourra  plus  acquérir  d'autres  biens  territoriaux. 

Transportons-nous  maintenant  au  commencement 
de  l'année  4793,  et  écoutons  Fauchet  rendre  compte 
de  son  livre  sur  la  Religion  nationale,  dans  le 
Journal  des  Amis:  «  En  4789,  dit-il,  avant  la  tenue 
des  États-généraux ,  j'avais  publié  un  volume  in-8° 
sur  ce  qui  convient  à  l'univers  libre,  et  spécialement 
à  la  nation  destinée  à  ouvrir  la  carrière  de  l'égalité 
au  genre  humain.  Les  principes  libérateurs  y  sont 
tous.  La  royauté,  qui  n'était  pas  encore  perdue  dans 
l'opinion  ,  je  la  réduisais  à  la  plus  complète  nullité 
d'action  positive.  Je  n'avais  pas  besoin  de  faire  en- 
tendre que  de  cette  nullité  à  la  suppression  totale,  il 
n'y  a  plus  qu'un  point  d'évidence.  »  Tel  est  l'ouvrage 
que  l'on  imprimait  en  1789,  avec  l'approbation  du 
censeur  royal,  sous  l'autorité  du  garde-des-sceaux  (1  ) . 

Nous  avons  indiqué  les  théories  réformistes  de 
l'évêque  du  Calvados.  L'application  qu'il  en  va  faire 
à  son  diocèse  ne  tardera  pas  à  porter  ses  fruits.  A  la 
fin  du  morceau  que  nous  venons  de  reproduire,  il 
s'emporte  avec  violence  contre  «  la  sottise  et  la  scé- 
lératesse »  des  prêtres  qui  voulaient  conserver  «  la 
rouille  infâme  »  dont  ils  avaient  «  encroûté  »  la  re- 
ligion. Voyons  donc  ce  que  va  mettre  à  la  place  te 
fougueux  tribun  qui  affichait  la  prétention  de  réformer 
l'ordre  religieux  en  même  temps  que  l'ordre  social. 
Pour  mener  à  bien  une  si  vaste  entreprise ,  il  n'aura 
pas  trop  de  toute  sa  philosophie  et  de  toute  son  élo- 

(1)  Le  Censeur,  l'abbé  Coupé ,  garde  des  Titres  et  Généa- 
logies de  la  bibliothèque  du  roi ,  déclare  «  qu'il  n'y  a  rien 
trouvé  qui  lui  ait  paru  devoir  en  empêcher  l'impression.  » 


DE  BAVEUX.  253 

quence.  Ou  plutôt  n'oublions  pas  que,  peu  de  temps 
après  avoir  écrit  ces  pages,  Claude  Fauchet,  évoque 
du  Calvados ,  portait  sa  tète  sur  l'échafaud  ;  qu'avant 
d'y  monter,  il  fut  réconcilié  avec  Dieu  et  avec  l'Église 
par  un  de  ces  prêtres  sots  et  scélérats  dont  la  supers- 
tition et  le  fanatisme  révoltaient  alors  l'apôtre  de 
l'égalité.  Fidèle  à  cette  pensée,  nous  tâcherons  de 
raconter,  sans  partialité  ni  colère,  les  scandales  dont 
il  affligea  le  diocèse  de  Bayeux. 
Dès  le  26  avril  1791,  l'abbé  Fauchet  avait  écrit  au       Lettre 

.•/•  i     .  .     '       i  i    •  !••         i        de  communion 

souverain  pontite  une  lettre  tres-hautaine  ,  dite  de  qu-ii  at]rPS,0 
communion,  dans  laquelle  il  lui  annonçait  qu'il  arri-  a"  Saint-pèrp- 
vait  à  l'épiscopat  sans  l'avoir  désiré,  et  que  l'évoque 
métropolitain  des  côtes  de  la  Manche  (Rouen)  lui 
avait  donné  l'institution  canonique;  puis,  après  avoir 
tracé,  défini  et  restreint  les  droits  du  pape,  auxquels  il 
opposaitle  droit  des  évêques,  il  ajoutait  que  le  moindre 
des  fidèles,  non-seulement  peut,  mais  doit  refuser  sa 
soumission,  s'il  lui  est  évident  qu'ON  s'écarte  du  code 
de  la  nature,  tracé  dans  l'Évangile.  Nous  avons  lu  cette 
phrase  plusieurs  fois  avant  d'oser  la  transcrire  ;  mais 
on  peut  se  convaincre,  en  la  relisant  après  nous, 
qu'elle  résume  la  pensée  de  l'auteur  sur  la  nature  du 
gouvernement  spirituel.  Fauchet  fut  sacré  le  1er  mai, 
en  qualité  d'évêque  du  Calvados ,  et  vint  prendre  pos- 
session de  son  siège  quelques  jours  après.  Arrivé  à 
Caen ,  il  fut  complimenté  par  le  clergé,  par  les  chefs 
de  la  garde  nationale,  qui  avait  pris  les  armes  pour  se 
trouver  à  sa  rencontre,  et  par  M.  Bonnet  de  Mautry, 
;i  la  tète  de  la  municipalité.  Ensuite ,  il  se  dirigea 
fers  l'église  Saint-Pierre,  où  M.  Gervais  de  la  Prise 


254  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

lui  présenta  le  clergé  de  la  paroisse.  Après  le  chant 
du  Te  Dewn,  le  nouveau  prélat  se  rendit  au  club  des 
Amis  de  la  constitution ,  et  y  fut  installé  à  la  droite 
du  président.  Sa  réponse  au  discours  qu'on  lui  adres- 
sa, commençait  par  ces  mots:  «  Frères  et  concitoyens, 
ma  sensibilité  est  sans  mesure  comme  mon  bon- 
heur^). »Les  sentiments  qu'il  exprime  dans  cette  ha- 
rangue, l'espèce  de  mysticité  dont  elle  est  emprein- 
te ,  sont  comme  le  programme  du  système  religieux 
qu'il  essaya  d'inaugurer  parmi  nous.  «  Il  consistait, 
dit  M.  F.  Vaultier  (2),  dans  la  prétention  d'organiser 
l'avenir  sur  les  principes  de  la  fraternité  universelle , 
en  faisant  amalgame  de  la  philanthropie  maçonnique 
et  de  la  charité  chrétienne,  et  en  fortifiant  la  première 
par  la  seconde.  »  Ces  principes  ne  s'étendirent  pas 
au-delà  du  club  dont  il  accepta  la  présidence  ;  mais  il 
est  certain  qu'ils  y  pénétrèrent  d'abord  avec  lui. 

Le  lendemain  de  son  arrivée ,  il  prêcha  un  sermon 
de  charité  dans  l'église  Saint-Pierre  de  Caen.  Il  insis- 
ta surtout  sur  le  précepte  de  l'aumône,  et  l'établit  dans 
toute  sa  rigueur.  Ce  discours,  qui  produisit  un  grand 
effet  sur  la  multitude ,  fit  dire  à  d'autres  que  Fauchet 
avait  prêché  la  loi  agraire,  et  qu'il  substituait  le  lan- 
gage de  la  révolution  à  celui  de  l'Évangile. 
p<isc  Le  dimanche  15  mai,  il  vint  à  Bayeux.  On  se  rap- 

de  possession.  ,,  _____    .         .        ,         ..  •,!-/>        i 

pelle  que  Mgr  de  Cheylus  lui  avait  défendu,  sous  peine 
d'excommunication,  d'exercer  dans  son  diocèse  au- 
cune fonction  épiscopale.  Un  huissier  apostolique  fut 


(1)  V.  Pièces  justificatives. 

(2)  Souvenirs  de  l'insurrection  normande 


DE  BAYEUX.  255 

chargé  de  lui  signifier  cette  ordonnance.  Fauchet,  vi- 
siblement ému,  la  reçut  de  ses  mains  à  la  porte  de  la 
Cathédrale;  un  instant  après,  le  schisme  était  consom- 
mé (1). 

A  son  arrivée  parmi  nous ,  Fauchet  était  accompa- 
gné de  deux  grands-vicaires  qui  ne  se  recommandaient 
ni  par  la  modération  de  leur  caractère,  ni  par  la  ré- 
gularité de  leurs  habitudes.  Ils  se  nommaient  Gasnier 
et  Chaix-d'Est-Ange.  Nous  ne  connaissons  le  premier 
que  par  deux  discours  qu'il  fit  imprimer  à  Bayeux , 
l'un,  à  l'occasion  du  renouvellement  de  la  municipa- 
lité, au  mois  de  décembre  4791,  l'autre,  pour  hono- 
rer la  mémoire  de  ceux  qui  avaient  péri  le  40  août 
1792,  en  attaquant  le  château  des  Tuileries.  La  vio- 
lence contre  le  gouvernement  du  roi,  la  haine  et  le 
mépris  des  catholiques,  le  découragement  et  la  crainte 
de  l'avenir:  tels  sont  les  caractères  qui  dominent  dans 
ces  deux  productions.  Quant  à  Chaix-d'Est-Ange  (2), 
c'était,  nous  disent  les  contemporains,  un  petit  prêtre 
gascon,  originaire  de  la  ville  d'Apt,  en  Provence,  qui 
maniait  habilement  la  parole ,  et  possédait  toute  la 


(1)  Cet  acte  de  vigueur  que  Msr  de  Cheylus  exerça  contre 
l'intrus,  est  rapporté  dans  les  Notes  rédigées  par  l'abbé  Hébert, 
curé  de  Saint-Gilles,  et  dont  le  manuscrit  autographe  se  trouve 
à  la  bibliothèque  de  Caen.  Nous  pouvons  encore  citer,  à  l'ap- 
pui, le  témoignage  de  M.  l'abbé  Le  Fournier,  ancien  prieur  de 
l'abbaye  du  Val  et  curé  de  Condé-sur-Noireau,  auquel  l'huis- 
sier dépositaire  de  la  sentence  l'avait  raconté  plusieurs  fois 
en  exil. 

(2)  On  dit  que  son  véritable  nom  était  Chaix-de-S'-Ange; 
mais  qu'il  l'avait,  comme  on  le  voit,  légèrement  modifié,  pour 
satisfaire  aux  exigences  du  calendrier  républicain. 


t>|iiscopaiiï 


256  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

confiance  de  son  évoque.  Il  se  fit  donner  la  cure  de 
Saint-Etienne  de  Caen ,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  de 
présider  à  Bayeux  une  association  politique,  aux  vio- 
lences de  laquelle  l'évêque  eut  plus  tard  le  malheur 
de  s'associer.  Chaix-d 'Est-Ange  se  maria  en  1799,  et 
il  est  mort  avocat  à  la  cour  royale  de  Paris,  le  28 
mars  1820. 
vicaires  Pendant  les  deux  années  qu'il  administra  l'évêché 
du  Calvados,  l'abbé  Fauchet  eut  un  assez  grand  nom- 
bre de  vicaires  épiscopaux.  On  cite  entre  autres:  Por- 
talier,  qu'il  fut  obligé  de  destituer  et  d'interdire  à 
cause  de  ses  désordres.  L'abbé  de  Jumilly,  curé  con- 
stitutionnel de  Saint-Jeande  Caen,  lui  ouvrit  les  portes 
de  son  église,  et  l'y  admit  sans  scrupule  à  exercer  ses 
fonctions,  malgré  les  réclamations  de  l'autorité  dio- 
césaine; —  Simien  des  Préaux.  Il  se  maria  devant 
l'officier  civil,  et  fut  nommé  en  1793  conservateur  de 
la  bibliothèque  de  Bayeux,  que  la  Convention  venait 
d'établir;  —  Michelet,  ordonné  prêtre  à  dix-huit  ans, 
marié  quelque  temps  après ,  et  qui  plus  tard  expia, 
dans  les  larmes  d'une  conversion  sincère,  les  scan- 
dales de  sa  jeunesse  (1);  —Hébert,  curé  de  Vaucelles 
de  Caen,  qui  faisait  publier  ses  pamphlets  par  la  so- 
ciété des  Amis  de  la  constitution,  et  procéda  brutale- 
ment a  l'expulsion  des  Eudistes;  —  Quatre  prêtres  de 
la  ville  épiscopale:  MM.  Moulland,  curé  de  Saint- 
Martin;  Lécuyer,  curé  de  Saint-Jean;  Biet ,  curé  de 
la  Madeleine;  Menand,  curé  de  Saint-Sauveur;  enfin, 
l'abbé  de  Croisilles,  ancien  secrétaire  de  l'archevêché 

(1)  V.  sa  Rétractation,  aux  Pièces  justificatives 


DE  BAYEUX.  257 

de  Cambrai,  qu'il  choisit  pour  grand-vicaire  à  son  ar- 
rivée. Sans  doute  il  est  loin  de  notre  pensée  de  justifier 
les  ecclésiastiques  qui  eurent  le  malheur  de  prêter 
leur  concours  à  l'évêque  du  Calvados.  Gardons-nous 
pourtant  de  les  confondre  tous  dans  la  même  répro- 
bation. La  corruption  ou  le  défaut  de  courage,  un 
orgueil  surexcité  jusqu'à  la  démence ,  les  écarts  du 
jugement  unis  quelquefois  à  une  piété  sincère  :  voilà 
les  traits  par  lesquels  on  les  distingue.  Ils  expliquent 
la  différence  de  leur  conduite  religieuse,  même  avant 
l'époque  où  devaient  tomber  leurs  dernières  illusions. 
Celles  de  M.  de  Croisilles  ne  tardèrent  pas  à  se  dissi- 
per, et  aussitôt  il  expia  glorieusement  sa  faiblesse. 
Dès  le  mois  d'août  1795,  il  avait  adressé  au  départe- 
ment, au  district  et  à  la  municipalité,  une  première 
rétractation,  qu'il  renouvela  quelques  jours  après, 
afin  de  la  rendre  encore  plus  explicite.  Pendant  l'in- 
trusion de  l'abbé  Fauchet,  il  administra  la  paroisse  de 
Septvents;  mais  sa  piété  et  sa  douceur  y  furent  tou- 
jours appréciées,  même  par  les  chrétiens  fidèles.  Il 
était  en  prison  avec  l'abbé  Moulland ,  quand  on  apprit 
la  chute  de  Robespierre. 
A  peine  l'évêque  du  Calvados  était- il  installé  à 

t.  .  Ses  rapports 

Bayeux ,  que  M.  Gervais  de  la  Prise  lui  adressa  un  avec 
mémoire,  dans  lequel  il  prouvait  aux  anciens  et  aux  M- d0  Ia  Pr,se- 
nouveaux  pasteurs  la  nécessité  de  prévenir  le  schis- 
me, et  leur  en  indiquait  les  moyens.  Le  principal , 
selon  lui,  était  la  convocation  d'un  concile  national. 
Il  le  demandait  pour  sanctionner  les  nouveaux  choix, 
et  valider  le  pouvoir  des  desservants  aussi  bien  que 
celui  des  évêques.  Quoique,  dans  l'application,  sa 

17 


258  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

théorie  fût  inconciliable  avec  le  dogme  catholique  (1), 
elle  ne  pouvait  séduire  l'abbé  Fauchet.  Il  répondit  à 
M.  de  la  Prise  que  l'Église  s'était  suffisamment  expli- 
quée; qu'il  avait  consulté  M.  Charrier  de  la  Roche, 
évêque  métropolitain  des  côtes  de  la  Manche,  et  qu'il 
était  d'accord  avec  lui  pour  reconnaître  l'inutilité 
d'un  concile.  L'Église  constitutionnelle ,  qui  venait  de 
rompre  avec  le  saint-siége,  se  trouvait  ainsi  frac- 
tionnée par  un  nouveau  schisme;  les  dissensions 
intestines  de  son  clergé,  amené  par  la  force  des 
choses  à  discuter  contradictoirement  les  points  les 
plus  essentiels,  mettaient  à  nu  l'esprit  d'erreur  qui 
planait  sur  ses  décisions. 
Leure  pagaie      £q  n'était  point  assez  pour  l'évêque  du  Calvados 

de  Fauchet.  *  *  ,  l 

de  rompre  avec  le  chef  de  l'Eglise;  poussé  par  un 
aveuglement  fatal,  il  osa,  dans  son  mandement  du  6 
juin  1791,  calomnier  l'Église  tout  entière.  Qu'on 
ouvre  le  concile  de  Trente,  et  dans  un  grand  nombre 
des  sessions  dont  il  se  compose  (2),  on  verra  les  évo- 
ques traiter  expressément  de  la  réforme  du  clergé , 
descendre  aux  moindres  détails  et  menacer  les  préva- 
ricateurs des  châtiments  spirituels.  N'importe,  Fauchet 
a  résolu  de  mettre  en  cause  tous  les  prélats  du  monde 
catholique.  «  Réunis  en  concile,  ils  n'ont  jamais  rien 
fait,  dit-il,  de  généreux  et  d'évangélique  pour  leur 

(1)  «  Une  nation,  dit  Bossuet,  qui  se  regarde  comme  un 
corps  entier,  est  une  nation  qui  se  détache  de  l'Église  univer- 
selle. »  (Hist.  des  variations,  liv.  vu.)  C'est  précisément  ce 
que  supposait,  ce  que  demandait  M.  de  la  Prise,  en  accordant 
à  un  concile  national  le  droit  de  résoudre  toutes  les  difficultés 
que  soulevait  la  constitution. 

(2)  Onze  sur  vingt-cinq. 


DE  BAYEUX.  259 

propre  réforme. — Il  a  été  impossible,  lors  même 
que  toutes  les  Églises  la  demandaient  dans  le  xvie 
siècle,  de  l'obtenir  au  concile  de  Trente.  Les  pontifes 
ont  mieux  aimé  livrer  au  schisme  les  Protestants, 
qu'ils  auraient  ramenés  de  leurs  erreurs  sur  le 
dogme,  si  une  réformation  conforme  à  l'esprit  de 
l'Évangile  eût  été  saintement  entreprise  et  courageu- 
sement consommée,  par  les  Pères  de  ce  synode  œcu- 
ménique.— Non,  jamais  le  régime  des  siècles  primitifs 
de  l'Évangile  n'eût  reparu  dans  la  catholicité,  si  la 
Providence  n'avait  pas  préparé,  dans  la  raison  publi- 
que et  dans  la  volonté  des  peuples ,  la  révolution  du 
sanctuaire  avec  celle  des  empires.  » 

Ainsi  donc  l'Église  tout  entière  avait  trahi  sa  mission 
dans  un  concile  œcuménique,  et  l'évêque  du  Calvados 
allait  entreprendre  de  la  régénérer,  en  la  rappelant  à 
son  origine.  Pour  y  parvenir,  il  comptait  sur  l'estime 
et  la  confiance  de  ceux  qui  l'avaient  élu.  «  Frères, 
leur  disait-il ,  votre  volonté  m'a  fait  monter  au  rang 
de  vos  premiers  pasteurs  ;  elle  m'en  fera  descendre, 
si  je  ne  remplis  pas  vos  intentions.  On  n'est  point 
pasteur  sans  être  reconnu  et  accepté  par  le  troupeau.  » 
Il  aurait  dû  songer,  en  écrivant  ces  paroles,  que,  sur 
une  population  de  cinq  cent  mille  habitants,  il  n'avait 
obtenu  que  cent  cinquante-deux  suffrages. 

En  tête  de  ce  mandement,  on  lisait  le  préambule 
suivant  :  «  Claude  Fauchet,  par  la  grâce  de  Dieu  et  la 
volonté  du  peuple,  dans  la  communion  du  saint-siége 
apostolique  et  dans  la  charité  du  genre  humain , 
évêque  du  Calvados ,  à  tous  les  ministres  du  culte 
nos  vénérables  coopérateurs,  et  à  tous  les  fidèles  du 


260  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

diocèse  ,  salut ,  fraternité  ,  liberté  ,  sainteté  ,  paix , 
union,  bonheur  et  bénédiction  éternelle  en  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ.  »  Cette  étrange  combinaison 
de  mots  et  d'idées  se  trouvait  reproduite  sur  son 
cachet ,  où  un  bonnet  de  la  liberté  est  associé  à  un 
chapeau  de  cardinal. 

Peu  de  temps  après  son  installation,  l'abbé  Fauchet 
commença  ses  visites  pastorales.  Nous  ne  le  suivrons 
pas  dans  ses  excursions  à  travers  les  villes  et  les 
campagnes  du  Calvados.  Il  nous  serait  trop  pénible 
d'y  scruter  journellement  le  détail  de  ses  actions. 
«  La  conduite  de  M.  Fauchet,  dit  un  de  ses  biographes, 
aux  lumières  et  à  la  sagesse  duquel  nous  nous  plai- 
sons à  rendre  hommage ,  ne  compromettait  en  rien 
sa  position;  il  n'est  pas  vrai  qu'il  prêchât  dans  les 
rues  (1).  »  Ce  n'est  pas  nous  qui  oserions  nous  in- 
scrire en  faux  contre  le  témoignage  de  l'honorable 
M.  F.  Vaultier;  seulement,  nous  ne  pouvons  omettre 
celui  de  l'abbé  de  Valmeron  (2),  lequel  nous  est 
confirmé  par  plusieurs  contemporains.  Or,  l'abbé  de 
pèlerinage  Valmeron  reproche  à  Fauchet  d'avoir  prêché  à  la 
Délivrande  par  la  fenêtre  d'un  cabaret,  et  même  sur 
des  tréteaux  à  côté  d'un  jongleur.  Il  est  vrai  qu'au  lieu 


(1)  Note  de  M.  F.  Vaultier,  citée  par  M.  Trébutien. 

(2)  L'abbé  Jarry  (Pierre-Francois-Théophile),  né  à  Saint- 
Pierre-sur-Dives  en  1764,  docteur  en  théologie  de  la  faculté 
de  Paris.  Retiré  d'abord  à  Jersey,  il  lança  plusieurs  pamphlets 
contre  l'abbé  Fauchet.  Ces  pamphlets  ont  pour  titre  :  Lettre  de 
l'abbé  de  Valmeron  h  M.  Claude  Fauchet.  Nous  avons  déjà 
parlé  de  M.  l'abbé  Jarry  à  l'occasion  de  l'assemblée  du  clergé 
au  bailliage  de  Caen.  Plus  tard,  M8'  Brault  lui  donna  des  lettres 
de  grand-vicaire. 


de  la  Délivrande. 


DE  BÀYEUX.  IZbl 

des  blasphèmes  qu'il  faisait  entendre  a  Paris,  six  mois 
auparavant ,  contre  la  femme  de  Joseph  et  le  sieur 
Jésus,  ci-devant  Seigneur,  son  style  s'était  revêtu 
tout-à-coup  des  images  bibliques  les  plus  gracieuses, 
pour  célébrer  la  Mère  de  Dieu.  Il  craignait  avec  raison 
la  colère  des  pêcheurs ,  dont  il  essuya  pourtant  les 
épigrammes  (1),  et  sur  la  place  de  la  Délivrande,  il 
ouvrit  indistinctement  aux  deux  sexes  les  bras  de  son 
«  universelle  charité.  » 

Il  parcourut  en  quelques  mois  toutes  les  villes  du  visite 
diocèse.  A  Lisieux,  on  le  vit  un  jour  sortir  en  surplis  à  Lisieui 
de  l'église  Saint-Jacques,  entouré  d'une  trentaine  de 
prêtres  qui  avaient  accepté  sa  juridiction.  Sans  autres 
insignes  que  la  mozette  épiscopale,  la  tête  couverte 
d'un  simple  bonnet  comme  les  autres  ecclésiastiques, 
il  portait  à  la  main  un  faisceau  de  branches  de  myrte, 
liées  ensemble  avec  un  ruban  tricolore.  La  garde 
nationale  formait  son  cortège,  à  la  tête  duquel  on 
portait  une  croix  de  procession.  C'était  ce  que  l'on 
appelait  alors  une  promenade  religieuse.  Au-dessus 
de  la  porte  d'un  café,  on  voyait  un  tableau  repré- 
sentant un  arbre,  sur  lequel  se  réfugiaient  les  prêtres 
réfractaires,  tandis  que  l'évêque,  armé  d'un  fauchet, 
sapait  l'arbre  par  ses  racines.  La  foule  applaudissait 
à  cette  grossière  allégorie. 

Nous  ne  connaissons  aucun  détail  digne  d'être      a  vire. 


(1)  Comme  il  sortait  de  la  Délivrande  pour  se  rendre  à 
Bernières,  le  sacristain  de  celte  paroisse  lui  offrit  une  branche 
de  laurier-cerise,  en  lui  disant:  Monseigneur,  a  faux  évêque, 
faux  laurier;  et  en  même  temps  ,  le  ménétrier  du  village  se 
mit  à  jouer  un  air  de  circonstance. 


262  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

rapporté,  dans  les  notes  qui  nous  sont  communiquées 
sur  son  passage  à  Vire,  le  8  juin  4794 .  Il  prêcha  dans 
l'église  Notre-Dame  un  sermon  de  charité,  au  milieu 
d'une  affluence  considérable  ;  le  soir,  il  se  promena 
dans  les  rues  de  la  ville  ;  les  vitres  des  maisons  qui 
n'étaient  pas  splendidement  illuminées,  furent  brisées 
à  coups  de  pierres  ;  les  gens  honnêtes  étaient  indi- 
gnés ;  mais  il  est  certain  que  sa  parole  électrisa 
les  masses,  et  lui  conquit  de  zélés  partisans.  Il  put 
ainsi  oublier  un  moment  l'échec  sérieux  qu'il  venait 
de  subir  à  Falaise. 
a  Falaise.  Docteur  en  théologie  de  la  faculté  de  Caen  et  doyen 
du  canton  de  Falaise,  M.  Godechal,  curé  de  Saint- 
Gervais,  avait  fait  partie  du  conseil  général  de  la 
commune.  Son  zèle,  sa  modération,  le  talent  remar- 
quable avec  lequel  dans  plusieurs  circonstances  il  avait 
défendu  les  intérêts  de  la  ville ,  lui  avaient  concilié 
toutes  les  sympathies.  Démissionnaire  pour  refus  de 
serment,  il  publia  sur  cette  matière  une  brochure  de 
trente-quatre  pages ,  signée  de  tous  ses  collègues , 
laquelle  résumait  avec  une  logique  inexorable  les 
principaux  arguments  qui  touchaient  à  la  question  (4). 
Son  successeur  fut  installé  le  29  mai  4794  ;  le  30, 
Fauchet  arrivait  à  Falaise. 

Le  soir  même ,  il  se  rendit  au  club  ;  la  foule  y  ac- 
courut pour  l'entendre ,  et  le  lendemain ,  quelques 

(])  Elle  a  pour  titre:  «  Exposé  des  motifs  qui  ont  déterminé 
les  curés,  vicaires  et  autres  ecclésiastiques,  fonctionnaires  de 
la  ville  de  Falaise,  à  ne  point  prêter  le  serment  exigé  par  le 
décret  du  27  novembre  1790.  »  C'est  sans  contredit  le  plus 
remarquable  des  nombreux  écrits  du  même  genre  que  nous 
ayons  entre  les  mains. 


DE  BÀYEUX.  263 

agitateurs  l'ayant  pressé  de  demander  à  M.  Godechal 
une  conférence  publique  sur  les  questions  qui  parta- 
geaient alors  le  clergé  de  France,  il  lui  écrivit  le  billet 
suivant  :  «  Le  peuple ,  Monsieur,  demande  que  nous 
ayons  ,  vous  et  moi,  une  conférence  en  sa  présence, 
sur  les  matières  qui  nous  divisent.  J'espère  que  vous 
voudrez  bien  vous  rendre  à  son  désir.  Je  vous  y 
invite  d'autant  plus  volontiers,  que  cela  me  procurera 
l'occasion  de  vous  connaître.  »  M.  Godechal  refusa 
d'abord,  en  faisant  observer  que  les  matières  reli- 
gieuses ne  se  traitaient  pas  dans  un  club  ;  que  ce 
n'était  pas  ainsi  qu'il  avait  coutume  d'instruire  ses 
paroissiens.  Mais  le  commandant  de  la  garde  natio- 
nale, accompagné  de  quelques  officiers,  étant  venu 
lui  intimer  l'ordre  d'obéir,  le  curé  de  Saint-Gervais , 
suivi  de  son  vicaire ,  se  rendit  avec  eux  à  l'hôtel  de 
ville  ;  une  foule  immense  en  couvrait  la  place  ;  pas 
un  cri  ne  se  fit  entendre.  Fauchet  était  à  table  avec 
plus  de  soixante  convives  ;  il  se  leva  pour  recevoir  le 
vénérable  confesseur,  et  lui  renouvela  de  vive  voix  la 
demandequ'il  lui  avaitadressée.  Accepter  sur-le-champ 
une  lutte  aussi  solennelle,  sans  y  être  autorisé  par  ses 
supérieurs,  c'eût  été,  de  la  part  du  curé  de  Saint-Ger- 
vais ,  un  acte  de  témérité.  Toutefois,  il  répondit  qu'il 
ne  craignait  pas  la  discussion ,  pourvu  qu'elle  eût  lieu 
devant  un  petit  nombre  de  personnes ,  choisies  de 
part  et  d'autre,  et  à  condition  que  le  débat  serait 
recueilli  par  trois  secrétaires.  Il  exigeait  qu'un  exem- 
plaire du  procès -verbal  fût  déposé  dans  un  lieu 
public;  le  deuxième  serait  remis  à  M.  Fauchet,  et  le 
troisième  resterait  à  la  disposition  de  son  adversaire, 


264  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

qui  le  ferait  imprimer,  dans  le  cas  où  ses  supérieurs  le 
jugeraient  convenable.  Cette  proposition  fut  accueillie 
avec  faveur.  Seul,  M.  Fauchet  en  parut  contrarié  ;  ses 
traits  s'altérèrent,  et  il  se  contenta  de  répondre  qu'une 
telle  conférence  serait  inutile,  et  que,  d'ailleurs,  il  ne 
pourrait  s'en  occuper  qu'en  négligeant  d'autres  fonc- 
tions. En  vain  M.  le  curé  de  Saint-Gervais  multiplia- 
t-il  ses  instances:  il  n'obtint  qu'un  refus  énergique, 
mais  il  fut  applaudi  par  toute  l'assemblée  (1). 

Les  quatre  curés  de  Falaise  refusèrent  le  serment. 
Sur  vingt- cinq  ecclésiastiques  qui  composaient  le 
clergé  de  la  ville ,  trois  seulement  le  prêtèrent  après 
le  départ  de  leurs  confrères.  Le  clergé  régulier  n'eut 
a  déplorer  qu'un  très-petit  nombre  de  défections  ; 
aucune  religieuse  ne  voulut  se  soumettre  au  régime 
révolutionnaire.  Les  Ursulines  surtout  se  signalèrent 
par  une  courageuse  résistance.  S'il  faut  en  croire 
l'abbé  Jarry,  quand  Fauchet,  à  la  tête  de  ses  satel- 
lites, eut  pénétré  dans  leur  monastère,  non  content 
de  violer  la  clôture,  il  leva  outrageusement  la  main 
sur  la  supérieure ,  et  fit  entrer  à  sa  suite  la  populace 
qui  l'accompagnait. 

(1)  Nous  reproduisons ,  en  les  abrégeant,  les  détails  rédigés 
sur  cette  entrevue  par  un  ecclésiastique  du  diocèse  de  Séez, 
contemporain  des  événements.  Ils  devaient  faire  partie  d'un 
travail  que  la  mort  ne  lui  permit  pas  d'achever. 


DE  BAYEUX.  265 


CHAPITRE  XX. 


Affiliation  de  Fauchet  aux  clubs  du  département.  —  Affaire  de 
la  place  Louis  XVI ,  à  Bayeux.  —  Mandement  de  l'évêque 
du  Calvados.  —  Il  est  dénoncé  à  l'assemblée  nationale.  — 
Messe  de  la  fédération. — Talents  oratoires  de  l'abbé  Fauchet. 
—  Lettre  pastorale  sur  le  divorce  et  sur  le  mariage  des 
prêtres.  —  Mort  de  Fauchet. 


C'est  uniquement  comme  évêque  du  Calvados  que 
l'abbé  Fauchet  est  ici  l'objet  de  nos  études.  Les  évé- 
nements politiques  auxquels  il  prit  part  en  qualité  de 
législateur,  sont  étrangers  au  cadre  de  notre  histoire; 
mais ,  comme  pasteur,  il  doit  compte  à  l'Église  de  ses 
violences  et  de  ses  scandales ,  et  il  faut  que  nous  le 
suivions  encore  dans  l'administration  du  diocèse , 
qu'il  avait  déjà  si  cruellement  affligé. 

L'affiliation  de  l'abbé  Fauchet  aux  sociétés  popu- 
laires datait,  nous  l'avons  vu,  de  sa  première  arrivée 


Affiliation 

de  Fauchet 

aux  clubs 

du 

département. 


266  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

dans  le  Calvados.  Ses  censeurs  les  plus  indulgents  la 
lui  ont  reprochée ,  comme  une  démarche  compro- 
mettante pour  sa  dignité.  A  Caen ,  il  se  rendait  au 
club  tous  les  quinze  jours,  et  tous  les  quinze  jours, 
les  habitants  de  la  rue  Neuve- Saint- Jean,  où  était 
situé  l'hôtel  de  l'évêché,  illuminaient  leurs  maisons  à 
l'heure  de  son  retour.  Il  nous  apprend  lui-même  (1) 
qu'il  avait  refusé  obstinément,  et  par  amour  de  l'éga- 
lité ,  la  présidence  honoraire  que  lui  offrirent  toutes 
les  sociétés  du  département.  Celle  de  Bayeux  avait 
mis  à  sa  tête  l'abbé  Chaix-d'Est-Ange,  un  des  vicaires 
épiscopaux.  Au  nombre  des  brochures  qu'elle  fit 
imprimer  et  distribuer  dans  la  ville  ,  on  cite  le 
sermon  sur  l' Accord  de  la  religion  et  de  la  liberté, 
prêché  a  Paris,  le  k  février  1791  ,  «  par  Claude 
Fauchet,  prédicateur  du  roi  et  procureur-général  du 
cercle  social.  »  On  a  souvent  répété  la  dernière  phrase 
de  ce  discours,  que  l'auteur  semblait  avoir  adoptée 
pour  devise  :  «  Que  tout  s'ébranle ,  que  tout  s'anime 
dans  les  deux  mondes,  d'un  pôle  à  l'autre,  sur  les 
trônes  et  dans  les  cabanes  :  l'heure  de  la  liberté 
sonne;  le  milieu  des  temps  est  arrivé;  les  tyrans 
sont  murs.  Amen.  Te  Deum  laudamus.  »  Le  club 
de  Bayeux,  à  l'unanimité,  applaudit  à  ce  cri  de  ré- 
volte ,  arrêta  que  le  sermon  était  mis  à  l'ordre  du 
jour,  qu'il  serait  lu  de  nouveau  en  séance  publique  le 
dimanche  suivant,  et  réimprimé  jusqu'à  concurrence 
de  douze  cents  exemplaires. 
«  Nous  étions  alors ,  dit  M.  F.  Vaultier,  à  cette 

(1)  Pétition  de  Claude  Fauchet ,  évêque  du  Calvados  ,  à 
l'assemblée  nationale. 


DE  BAYEUX.  267 

triste  époque  de  la  révolution  où  la  royauté  ,  succes- 
sivement dépouillée  de  toutes  ses  attributions ,  allait 
périr  incessamment,  pour  n'avoir  pas  su  vaincre  la 
défiance  des  peuples.— Notre  population,  préoccupée 
de  ces  débats,  s'était  partagée  sur  cet  objet  en  deux 
partis,  qui  ne  représentaient  pas  mal  pour  le  vulgaire 
les  sectataires  (sic)  et  les  adversaires  du  nouveau 
clergé  constitutionnel.  Fauchet,  par  sa  position  et  son 
titre,  se  trouvait  naturellement  à  la  tête  d'un  de  ces 
partis.  — ■  Le  moment  approchait  où  de  nouvelles 
élections  s'annonçaient  comme  devant  avoir  lieu  in- 
cessamment pour  la  formation  d'une  première  assem- 
blée législative.  Le  ministre  (1)  tenait  par-dessus 
toutes  choses  à  empêcher  que  M.  Fauchet  y  fût 
nommé.  Nos  royalistes  reçurent  leurs  instructions  à 
ce  sujet,  et  la  lutte  préliminaire  s'engagea  aussitôt. 
L'attaque  commença  par  une  adresse  de  la  munici- 
palité de  Bayeux  à  l'assemblée  nationale ,  contenant 
une  dénonciation  contre  l'évêque  Fauchet,  pour  plu- 
sieurs faits  d'infraction  aux  lois,  les  uns  ridiculement 
exagérés,  les  autres  tout-à-fait  imaginaires.  Le  but 
était  d'obtenir  l'autorisation  d'une  poursuite  judiciaire 
contre  lui,  tendant  à  amener  un  décret  de  prise  de 
corps,  qui,  dans  l'intention  des  plaignants,  devait  le 
frapper  d'inaptitude  à  figurer  aux  prochaines  élec- 
tions (2).  »  Une  lettre  de  Fauchet,  écrite  à  Caen  le  5 
septembre  et  publiée  par  l'abbé  Jarry  (de  Valmeron), 
confirme  quelques-uns  de  ces  détails.  Il  y  accuse 
positivement  «  les  scélérats  de  Bayeux  »  d'avoir  signifié 

(1)  M.  de  Lessart,  ministre  de  l'intérieur. 

(2)  Souvenirs  de  l'insurrection  normande. 


268  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

contre  lui  un  décret  de  prise  de  corps  au  moment  où 
les  électeurs  allaient  se  réunir. 

Disons-le  sans  détour,  parce  que  la  vérité  nous  y 
oblige,  il  nous  semble  que  M.  F.  Vaultier  ne  connais- 
sait qu'imparfaitement  les  circonstances  auxquelles  il 
fait  allusion,  ou  qu'il  s'est  trompé  en  les  appréciant; 
nous  allons  essayer  de  les  rétablir. 
Affaire  Au  moment  où  l'on  apprit  à  Bayeux  la  fuite  du  roi, 

de  ia  place     son  arrestation  à  Varennes  et  son  retour  à  Paris,  les 

Louis  XVI 

à  Bayeux.  Amis  de  la  constitution  étaient  réunis  sous  la  prési- 
dence de  l'évêque  du  Calvados.  Deux  jeunes  gens, 
ayant  brisé,  aux  angles  de  la  place  Louis  XVI,  les 
inscriptions  sur  lesquelles  était  gravé  le  nom  du  mo- 
narque ,  les  apportèrent  au  club.  Fauchet  blâma 
sévèrement  leur  conduite,  «  comme  un  attentat  à  la 
majesté  des  lois.  »  Les  officiers  municipaux  crurent 
que  cet  attentat  ne  pouvait  rester  impuni ,  et  l'ordre 
fut  donné  d'arrêter  les  coupables.  Cependant  la  foule 
s'émeut  et  murmure;  Chaix-d'Est-Ange  convoque  le 
club;  il  l'invite  à  délibérer  sur  le  sort  des  prévenus, 
«  odieusement  incarcérés,  disait-il,  à  l'occasion  des 
affiches  de  la  place  du  Parjure.  »  Il  était  évident 
que  le  grand -vicaire  faisait  appel  à  la  révolte.  Le 
procureur  de  la  commune  le  dénonça  au  conseil 
général,  et  il  fut  immédiatement  décrété  d'accusation. 
A  cette  nouvelle,  Fauchet  s'indigne;  il  compose  et  fait 
afficher  un  mandement  incendiaire,  dans  lequel  il 
prodiguait  aux  magistrats  le  mépris  et  l'outrage. 
«  Les  lâches,  disait-il,  ce  sont  ceux  qui  s'entourent 
de  soldats,  quand  rien  n'est  à  craindre;  qui  suppo- 
sent des  périls,  pour  régner  par  la  discorde  ;  qui 


DE  BAYEUX. 

essaient  en  tremblant  des  coups  mal  assurés,  pour 
voir  s'ils  intimideront  les  patriotes.  —  Les  présomp- 
tueux, les  ignorants,  les  esprits  en  délire,  ce  sont 
ceux  qui  ne  connaissent  pas  les  droits  qui  appar- 
tiennent aux  hommes  libres ,  qui  s'opposent  à  ce 
qu'on  appelle  parjure  le  parjure,  et  qui  voudraient 
imposer  silence  à  l'éternelle  vérité.  »  Il  est  à  remar- 
quer que,  parmi  les  curés  constitutionnels  de  la  ville 
de  Caen ,  un  seul  osa  lire  en  chaire  cet  audacieux 
manifeste. 
La  lutte  était  engagée.  Le  corps  municipal  mande     Mandement 

do  1 ûv£ouo 

le  prélat  à  l'hôtel  de  ville;  Fauchet  refuse  de  compa-  ducaivados. 
raître;  mais,  le  dimanche  23  juillet,  il  monte  en  chaire 
à  la  Cathédrale,  donne  lui-même  aux  fidèles  la  lecture 
de  son  mandement,  et  il  y  ajoute  un  commentaire 
injurieux  pour  le  pouvoir.  Quelques  jours  après,  deux 
députés  du  conseil  emportaient  à  Paris  une  dénon- 
ciation ,  qui  accusait  M.  Fauchet  de  braver  et  de 
compromettre  l'autorité  des  corps  administratifs.  De 
son  côté,  la  société  patriotique  des  Amis  de  la  consti- 
tution chargeait  M.  Moulland,  curé  de  Saint-Martin  de 
Bayeux ,  de  rédiger  une  adresse  à  l'assemblée  natio- 
nale, et  l'envoyait  à  toutes  les  sociétés  patriotiques 
du  royaume,  comme  un  témoignage  authentique  des 
sentiments  de  son  évêque  ;  elle  y  conjurait  les  repré- 
sentants de  ne  pas  faire  à  M.  Fauchet  «  l'outrage  de 
le  prendre  pour  un  républicain.  »  Le  moment  n'était 
pas  éloigné  où  l'évêque  du  Calvados  eût  protesté 
contre  un  pareil  langage. 

Le  rapport  de  M.  Vieillard  ,  auquel  l'assemblée 
confia  l'examen  de  cette  affaire,  contenait,   contre 


270  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

h  est  dénoncé  l'évêque  et  contre  son  vicaire,  les  inculpations  les 

à  l'assemblée         ,  .,  ,  .      .      ,,  .... 

nationale,  plus  graves  :  il  leur  reprochait  d  avoir  perverti  1  esprit 
public  à  Caen  et  à  Bayeux ,  et  ces  accusations  étaient 
appuyées  sur  la  pétition  dont  il  fit  la  lecture.  On  y 
rappelait  la  haine  qui  débordait  du  cœur  de  Fauchet 
contre  la  monarchie;  les  prétentions  de  son  orgueil, 
qui  écrasait  tous  les  pouvoirs  ;  l'esprit  de  désordre  et 
d'insubordination,  qu'il  propageait  parmi  ses  diocé- 
sains ;  les  prédications  qu'il  faisait  à  Caen  dans  les 
rues  (4);  la  fuite  de  plusieurs  fonctionnaires  obligés 
de  quitter  la  ville  pour  échapper  à  ses  dénonciations. 
En  présence  de  ces  griefs ,  le  rapporteur  concluait  au 
renvoi  de  Fauchet  devant  les  tribunaux. 

Ce  fut  sans  doute  à  cette  occasion  que  le  prélat , 
irrité  contre  les  habitants  de  Bayeux,  écrivit  plusieurs 
lettres  datées  de  YÉvêché  de  Caen.  Les  adminis- 
trateurs de  cette  ville  en  profitèrent  pour  demander 
la  translation  du  siège  épiscopal  ;  une  pétition ,  rédi- 
gée par  le  club  de  Caen  et  appuyée  par  ceux  de 
Falaise  et  d'Honfleur,  réclamait  la  même  mesure. 

Quoique  aveuglé  par  le  ressentiment,  l'accusé 
n'avait  pas  attendu  les  conclusions  du  rapport  pour 
se  repentir  de  son  imprudence.  Dès  le  45  août,  en 
présence  de  toutes  les  autorités  réunies  à  la  Cathé- 
drale à  l'occasion  du  vœu  de  Louis  XIII,  il  s'humilia 
du  haut  de  la  chaire,  et  fit  entendre  aux  autorités  des 
paroles  pleines  de  mansuétude  :  —  «  Pax  vobis  I  — 

(1)  Nous  avons  dit  plus  haut  que  ces  détails  étaient  contre- 
dits par  M.  F.  Vaultier.  Nous  nous  croyons  cependant  obligé 
de  les  reproduire  à  cause  du  caractère  officiel  de  ceux  dont  ils 
émanent. 


DE  BAYEUX.  271 

magistrats  du  peuple,  vous  voilà  tous  réunis;  je  vous 
salue  de  cette  parole  de  paix  ;  —  aucun  homme  n'est 
infaillible.  — Livrons-nous  aux  doux  sentiments  de  la 
concorde;  je  vous  respecte,  je  vous  aime,  je  vous 
honore.  »  —  Le  lendemain,  il  se  rendit  a  l'hôtel  de 
ville,  et  y  déposa  son  discours  entre  les  mains  de 
l'administration.  Celle-ci  répondit  par  un  arrêté  qui 
témoignait  de  ses  dispositions  pacifiques;  mais  l'assem- 
blée était  saisie  de  la  question.  Le  rapport  de  M.  Vieil- 
lard ,  qui  parut  quelques  jours  après ,  jeta  l'abbé 
Fauchet  dans  un  découragement  profond.  Un  de  ses 
collègues ,  l'abbé  Joubert ,  évêque  de  la  Charente- 
Inférieure  ,  demanda  qu'il  fût  mis  en  état  d'arres- 
tation. Le  conseil  municipal  pria  les  deux  députés  de 
Bayeux,  MM.  de  Wimpfïen  et  Delauney,  «  d'employer 
tous  les  moyens  »  pour  arrêter  les  poursuites,  et 
l'élection  de  M.  Fauchet  à  l'assemblée  législative  mit 
fin  à  ce  triste  épisode  :  malgré  les  influences  du  parti 
contraire,  il  fut  nommé  premier  député  du  dépar- 
tement le  4  septembre  4791 .  Les  ovations  lui  furent 
prodiguées  par  ses  amis  ;  des  salves  d'artillerie  , 
mêlées  au  son  des  cloches,  annoncèrent  son  triom- 
phe. On  lisait  dans  une  des  brochures  qui  en  propa- 
gèrent la  nouvelle  :  «  L'Être  suprême  partage  du  haut 
de  sa  gloire  la  satisfaction  générale  ;  le  Dieu  du 
Calvados  va  devenir  le  Dieu  de  la  France.  » 

Le  14  juillet  1791,  deux  ans  après  la  chute  de  la       Messe 
Bastille,  on  avait  célébré  à  Caen  dans  la  plaine  d'Ifs, 
et  a  Bayeux  sur  le  territoire  de  Saint-Exupère ,  l'an- 
niversaire de  la  fédération.  A  Bayeux,  la  cérémonie 
fut  présidée  par  Chaix-d'Est-Ange,  qui  fit  imprimer 


272  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

son  discours  ('\).  Mais,  quel  que  fût  l'éclat  de  son 
éloquence  révolutionnaire,  il  était  loin  d'atteindre  la 
fougueuse  énergie  et  l'âpre  véhémence  de  celle  de 
Fauchet.  Celui-ci,  ayant  refusé  l'invitation  des  magis- 
trats dans  la  ville  épiscopale,  alla  officier  à  Caen,  où 
l'attiraient  de  préférence  les  sympathies  de  la  multi- 
tude. Il  prit  pour  texte  cette  parole  de  saint  Luc,  par 
laquelle  le  Sauveur  nous  apprend  qu'il  est  venu  ap- 
porter sur  la  terre  le  feu  de  la  charité,  dont  il  désire 
que  l'Esprit-Saint  embrase  tous  les  cœurs;  et  aussitôt, 
détournant  ces  paroles  de  leur  acception  véritable,  il 
s'écrie  (2):  «  Il  est  incendiaire  aussi,  l'Évangile.  Le 
libérateur  du  genre  humain  voulut  étendre  à  toute 
la  terre  le  feu  sacré  de  la  fraternité  universelle  ;  il 
avait  en  horreur  les  despotes,  il  fut  leur  victime  ;  il 
aimait  les  peuples,  il  est  leur  sauveur  (3).  — Elle 
est  tombée  aujourd'hui ,  cette  forteresse  qui  était 
l'épouvantail  des  nations.  Mes  yeux  ont  vu  renverser 
les  créneaux  du  despotisme;  ma  voix,  forte  de  toute 
la  puissance  d'un  grand  peuple,  qui  m'avait  choisi 


(1)  La  fédération  des  départements  et  des  gardes  nationales, 
qui  eut  lieu  à  Paris  le  14  juillet  1790,  était  regardée  comme 
l'ère  officielle  de  la  liberté. 

(2)  Ignem  veni  mittere  in  terram,  et  quid  volo  nisi  ut  ac- 
cendatur! — V.,  sur  ces  paroles  tirées  de  saint  Luc,  ch.  xn, 
y  49,  le  commentaire  de  saint  Ambroise,  d'Origène  et  de  saint 
Grégoire. 

(3)  Est  il  besoin  de  faire  remarquer  que  Jésus-Christ  fut  la 
victime  du  peuple  dont  il  était  le  sauveur?  C'est  le  peuple 
qui,  par  ses  cris  tumultueux,  arracha  la  sentence  à  la  faiblesse 
du  magistrat  romain.  Non  hune  sed  Barabbam  —  Nolumus 
hune  regnare  super  nos. 


Talents 
oratoires 


DE    BAYEUX.  273 

pour  être  son  organe  ,  a  commandé  la  ruine  de  la 
Bastille  au  nom  de  la  loi ,  de  la  loi  véritable ,  de  la 
volonté  générale.  La  souveraineté  nationale  est  née 
en  ce  jour;  une  fois  née,  elle  est  immortelle  ;  à  son 
premier  moment,  elle  a  été  invincible.  »  Et  la  multi- 
tude, frémissant  de  colère,  applaudissait  aux  insultes 
et  aux  menaces  de  mort  qui  couronnaient  ces  décla- 
mations. 

Ici,  je  le  comprends,  une  question  se  présente,  et 
il  faut  la  résoudre:  Fauchet  était-il  vraiment  orateur?  rabbé  F6auchet. 
Si  l'on  en  jugeait  par  le  retentissement  de  sa  parole 
et  l'admiration  dont  elle  frappait  ceux  qui  s'empres- 
saient de  la  recueillir,  c'est  un  titre  qu'il  serait  difficile 
de  lui  contester.  Ce  n'était  pas  seulement  au  club  , 
sur  la  place  publique  et  dans  les  assemblées  popu- 
laires qu'il  exerçait  son  prestige ,  dès  qu'il  parut  en 
chaire  à  la  Cathédrale ,  la  ville  de  Bayeux  et  les  campa- 
gnes voisines  accoururent  pour  l'entendre  ;  dans  les 
églises  de  Caen,  il  excitait  le  même  enthousiasme. 
Sa  belle  taille,  son  regard  imposant,  l'art  avec  lequel 
il  coupait  ses  périodes ,  la  sonorité  de  sa  voix ,  la 
majesté  de  son  geste  frappaient  d'étonnement  ceux-là 
même  qui  réprouvaient  sa  doctrine.  Mais,  quand  on 
oublierait  ses  mensonges  historiques  et  la  légèreté 
avec  laquelle  il  traitait ,  à  une  certaine  époque ,  les 
dogmes  religieux ,  on  serait  encore  forcé  de  convenir 
que  la  fougue  de  son  caractère  l'entraînait  à  prodiguer 
les  effets  oratoires ,  et  que  l'abus  du  néologisme  se 
mêlait  dans  son  style  aux  emportements  de  la  décla- 
mation. Quelquefois  aussi ,  l'exagération  de  son  lan- 
gage allait  au-delà  de  sa  pensée.  Je  citerai ,  comme 

18 


274  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

exemple  ,  la  loi  agraire ,  qu'il  était  accusé  d'avoir 
préconisée  dans  un  de  ses  sermons ,  et  que ,  dans 
d'autres  circonstances,  il  avait  déclarée  impossible  et 
exécrable.  Ses  idées  pouvaient  séduire  par  leur  éclat 
et  leur  hardiesse  ;  mais ,  à  côté  de  ces  qualités ,  on  y 
rencontrait  trop  souvent  l'abus  du  pathétique ,  la  vio- 
lence et  l'hyperbole.  C'est  ainsi  que,  s'adressant  à 
ces  «  désorganisateurs  furibonds  et  implacables,  » 
qui  lui  reprochaient  de  n'avoir  pas  voté  la  mort  de 
Louis  XVI,  il  leur  montre  «  sa  plume  d'acier,  étince- 
lante  du  feu  sacré  de  la  liberté  qu'ils  ne  connaissent 
pas ,  »  et  les  menace  de  s'en  servir  pour  «  percer  et 
brûler  leurs  entrailles.  »  —  La  bassesse  et  la  trivialité 
de  ses  expressions,  inspirées  par  la  haine,  formaient 
trop  souvent  un  contraste  imprévu  avec  l'enflure  de 
ses  pensées.  A  l'Assemblée  législative,  répondant  aux 
deux  commissaires  qui  avaient  été  chargés  d'étudier 
la  question  religieuse  dans  certains  départements  de 
l'ouest  où  elle  excitait  des  troubles,  il  n'eut  pas  honte 
de  tourner  en  ridicule  les  paysans  bretons  qui  «  bour- 
sillaient  »  pour  les  prêtres  réfractaires ,  «  cette  ver- 
mine de  la  couronne ,  »  dont  sans  doute ,  ajoutait-il , 
le  roi  lui-même  ne  tardera  pas  à  se  débarrasser. 

Les  quarante  pamphlets ,  mandements  ou  discours 
prononcés  par  Fauchet  ou  publiés  par  lui  dans  l'espace 
de  dix-neuf  ans,  et  qui  nous  ont  passé  sous  les  yeux, 
justifient,  presque  tous,  les  reproches  que  la  critique 
lui  adresse.  Toutefois,  c'est  surtout  dans  les  dernières 
années  de  sa  vie  qu'il  faut  étudier  cet  homme  extraor- 
dinaire, si  l'on  veut  apprécier  la  nature  de  son  talent. 
Un  pamphlet  qu'il  adressa ,  le  27  septembre  1792,  à 


DE   BAYEUX.  275 

* 

ses  ennemis  politiques,  en  qualité  d'évêque  du  Calva- 
dos, nous  semble  résumer  ses  qualités  et  ses  défauts. 
Il  a  pour  titre  :  Claude  Fauchet  à  trente  Jacobins 
qui  s'intitulent  la  société.  En  voici  les  premiers 
mots  : 

«  Plats  tyrans,  qui,  sous  le  nom  d'amis  de  la  liber- 
té et  de  l'égalité ,  démontrez  chaque  jour  que  vous 
êtes  la  lie  de  l'humanité  et  l'opprobre  de  la  nature  , 
vous  m'avez  rendu  justice  en  m'expulsant  du  milieu 
de  vous.  Un  vrai  citoyen ,  un  honnête  homme  doit 
vous  être  odieux.  Vous  me  dénoncez  au  Calvados;  je 
vous  dénonce  à  toute  la  république  ;  je  sais  que  vous 
avez  des  poignards  a  vos  ordres ,  mais  vous  n'y  avez 
pas  la  renommée.  Vous  pouvez  m'égorger,  ou  com- 
mander à  vos  assassins  de  me  raccourcir  de  la  tête, 
pour  parler  votre  aimable  langage  ;  vous  ne  tuerez 
pas  ma  réputation  ;  elle  s'agrandira  de  vos  fureurs.  » 

Une  loi  nouvelle  permettait  le  divorce  et  autorisait  Lettre  pastorale 

sur  le  divorce 

le  mariage  des  prêtres.  Dans  sa  lettre  pastorale  ,  et  SUr  ie  mariage 
donnée  à  Paris,  le  28  novembre  1792,  Fauchet  eut  le 
courage  de  flétrir  cette  monstrueuse  doctrine.  Cette 
fois ,  il  se  retranche  derrière  l'autorité  du  concile  de 
Trente  qu'il  avait  décriée  dans  son  premier  mande- 
ment; il  décide  que  les  époux  séparés  ne  peuvent 
s'engager  dans  de  nouveaux  liens ,  tant  que  la  mort 
n'a  pas  rompu  les  premiers.  Il  enseigne  que,  dans 
toutes  les  Églises  catholiques ,  tant  en  Asie  qu'en 
Afrique  et  en  Europe ,  on  n'a  jamais  souffert  que  les 
ministres  déjà  élevés  au  sacerdoce  se  mariassent ,  ou 
que ,  mariés  illicitement  après  leur  ordination ,  ils 
pussent  continuer  l'exercice  de  leurs  fonctions.  H  part 


276„  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

de  là  pour  frapper  d'interdit  et  de  suspense  l'ecclé- 
siastique qui  oserait  contracter  un  mariage  devant 
l'officier  civil,  et  le  prêtre  qui  bénirait  cette  union. 
Il  prescrit  dans  chaque  paroisse  l'usage  de  trois  re- 
gistres où  seront  inscrits  les  baptêmes ,  les  mariages 
et  les  funérailles.  Ces  diptyques  religieux  seront 
conservés  en  double  exemplaire;  l'un  restera  dans 
les  archives  de  la  paroisse,  et  l'autre  sera  envoyé 
chaque  année  aux  archives  du  conseil  épiscopal. 

Sous  la  plume  de  Fauchet,  une  pareille  matière  était 
on  ne  peut  plus  délicate,  et  il  comprit  qu'il  ne  pou- 
vait l'aborder  sans  soulever  contre  lui  de  violentes 
récriminations.  Il  osa  donc  porter  un  défi  à  l'opinion 
publique  :  il  fit  à  ses  diocésains  ,  «  en  preuve  de  sa 
moralité,  »  l'incroyable  aveu  qu'on  va  lire.  Il  déclare, 
sans  ménagement ,  que  des  calomnies  odieuses  ont 
été  lancées  contre  lui.  Il  avoue  qu'une  amitié  de 
douze  années  sert  de  prétexte  à  ses  ennemis  pour 
insulter  ses  mœurs  ;  mais  il  ajoute  qu'on  ne  doit  pas 
confondre  avec  une  inclination  coupable  une  légi- 
time affection  (1).  Dès  le  31  juillet  1790 ,  neuf  mois 
avant  d'aspirer  à  l'épiscopat,  Fauchet,  répondant  à  une 
feuille  périodique  intitulée  les  Actes  des  Apôtres , 
avait  affiché  sa  honte  dans  le  Journal  de  Paris  (2)  ; 

(1)  Sur  une  liste  de  déportation  faite  cà  Paris  le  13  messidor 
an  II,  et  signée  par  les  membres  de  la  commission  populaire, 
on  lit  :  «  Hoquet ,  femme  Galon  —  femme  galante  —  cidevant 
maîtresse  de  l'abbé  Fauchet  —  elle  a  sans  cesse  intrigué  avec 
Legrand  et  les  ministres.  »  C'est  cette  femme  entre  les  mains 
de  laquelle  nous  avons  vu  plus  haut  que  M.  Emery  eut  le 
bonheur  de  trouver  la  relique  de  saint  Exupère. 

(2)  Il  y  soutient  que  ses  mœurs  sont  exactes ,  et  cependant. 


DE   BAYEUX.  277 

et  pourtant ,  les  électeurs  du  Calvados  avaient  passé 
outre;  ils  l'avaient,  comme  on  disait  alors ,  consacré 
par  leur  suffrage. 

Le  mandement  de  l'évêque  du  Calvados  produisit 
un  double  scandale.  Il  révolta  tous  ceux  qui  avaient 
conservé  au  fond  du  cœur  quelques  sentiments  hon- 
nêtes ;  mais  à  un  point  de  vue  tout  différent,  il  souleva 
contre  lui  les  hommes  les  plus  avancés  du  parti  révo- 
lutionnaire. Le  corps  municipal  de  la  commune  de 
Caen  ,  ouï  son  procureur- général ,  arrêta,  le  22 
décembre  4792,  que  défense  serait  faite  aux  curés 
de  publier  cette  lettre  ;  qu'elle  serait  déférée  à  la 
convention  nationale  comme  contenant  des  maximes 
attentatoires  aux  lois  de  la  république.  Un  prêtre  du 
Calvados,  le  curé  de  Champ-du-Bout ,  dénonça  pour 
son  propre  compte  le  mandement  à  la  convention  , 
et  se  plaignit  des  persécutions  que  l'évêque  du  Calva- 
dos lui  avait  fait  essuyer  à  l'occasion  de  son  mariage. 
Un  des  députés  demanda  que  l'on  renvoyât  la  dénon- 
ciation au  comité  de  sûreté  générale.  Un  autre  fit 
ressortir  du  haut  de  la  tribune  la  contradiction  qui 
existait  entre  la  conduite  de  l'abbé  Fauchet  et  les 
règles  qu'il  imposait  à  ses  prêtres;  tous  les  journaux 
se  répandirent  contre  lui  en  invectives  menaçantes , 
et  quelques  jours  avant  sa  mort,  quand  il  parut  devant 
le  tribunal  révolutionnaire  ,  le  président  lui  reprocha 

hardies  comme  son  caractère;  il  avoue  en  termes  que  nous  ne 
pouvons  répéter ,  son  inclination  pour  une  femme  à  laquelle 
il  déclare  qu'il  ne  sacrifierait  pas  sa  vertu ,  bien  qu'il  fût  prêt 
à  donner  sa  vie  pour  elle.  Cette  lettre  a  été  reproduite  in 
extenso  par  l'abbé  Jarry, 


278  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

d'avoir  écrit  cette  lettre  avec  l'intention  d'exciter  des  , 
troubles  dans  le  département.  Fauchet  eut  au  moins 
le  courage  de  répondre  qu'il  ne  croyait  pas  son  pou- 
voir assez  étendu  ,  pour  anéantir  la  discipline  univer- 
selle. 

En  apprenant  que  le  corps  municipal  de  la  ville  de 
Caen  avait  défendu  la  publication  de  sa  lettre  pasto- 
rale ,  l'évêque  du  Calvados  ne  se  contint  plus.  Sa 
colère  éclata  par  un  manifeste  adressé  aux  officiers 
municipaux  le  26  décembre  1792.  Quelle  que  soit 
dans  certaines  parties  la  violence  de  son  langage, 
nous  croyons  devoir  lui  laisser  la  parole.  A  côté  du 
tribun  qui  s'indigne  ,  on  y  trouve  aussi  le  chrétien 
dont  la  foi  se  réveille,  le  prêtre  qui  combat  pour  la 
liberté  des  âmes  et  dont  le  courage  défie  la  persécu- 
tion (1).  «  Citoyens  municipaux,  dit-il,  vous  avez  fait 
à  mon  égard  un  acte  de  despotisme  que  l'ancien  ré- 
gime ne  se  serait  pas  permis.  Vous  défendez  aux 
pasteurs  catholiques  de  lire  mes  lettres  pastorales; 
quelle  loi  vous  en  a  établis  juges?  Par  quelle  autorité 
arbitraire,  avant  toute  espèce  de  jugement,  avez-vous 
interdit  la  publication  de  mes  opinions  religieuses,  et 
violez-vous  sur  ce  point ,  pour  moi  seul ,  la  décla- 
ration des  droits?  Vous  dites  que  mes  maximes  sont 
attentatoires  aux  lois  ;  moi ,  je  dis  que  ce  sont  les 
vôtres,  et  que  votre  suprématie  en  matière  de  doc- 
trine est  un  attentat  contre  la  liberté  publique.  Quoi 

(1)  Cette  lettre ,  nous  le  croyons  du  moins  ,  ira  jamais 
été  imprimée.  Elle  porte  la  signature  autographe  de  l'abbé 
Fauchet.  Nous  en  devons  la  bienveillante  communication  à 
M.  l'archiviste  de  la  mairie  de  Caen. 


DE   B A YEUX.  279 

donc!  vous  n'oseriez  pas  défendre  la  publication  du 
journal  de  Marat ,  qui  provoque  l'assassinat  de  deux 
cent  mille  citoyens,  et  qui  annonce  un  chef  à  l'État 
comme  une  mesure  inévitable.  Vous  permettez  ,  au 
contraire ,  la  libre  circulation  de  ces  horreurs ,  et  il 
vous  plaît  d'attenter  en  la  personne  de  votre  évêque 
à  la  liberté  de  la  presse ,  à  la  communication  des 
pensées  en  matière  de  religion!  Vous  laissez  l'athéis- 
me et  l'immoralité  parler  hautement  leur  langage  ; 
vous  êtes  muets  sur  les  impiétés  et  sur  les  infamies. 
Le  catholicisme  seul  sera  forcé  de  se  taire  ,  et  la 
persécution  sera  réservée  aux  prédicateurs  de  la 
vertu  !  Magistrats  ,  quelle  est  la  loi  que  j'ai  engagé 
d'enfreindre  ?  Quelle  est  la  loi  dont  je  n'ai  pas  ,  au 
contraire  ,  recommandé  l'observation  fidèle  ?  Prenez- 
vous  les  permissions  de  la  loi  pour  des  ordres?  Parce 
que  la  loi  permet  de  se  faire  juif  ou  musulman ,  ne 
serait-il  plus  loisible  aux  pasteurs  de  détourner  les 
Catholiques  d'embrasser  ces  cultes  ?  Est-il  un  décret 
qui  défende  d'exhorter  les  hommes  à  tenir  les  libres 
engagements  qu'ils  ont  contractés  avec  la  religion  et 
avec  leur  conscience?  Quoique  la  loi  les  autorise  à  les 
violer,  s'ils  le  veulent,  le  ministre  de  la  religion  peut 
et  doit  leur  dire  de  ne  pas  le  vouloir;  il  peut  et  doit 
leur  déclarer  qu'ils  encourent  en  les  violant  la  cen- 
sure spirituelle ,  qu'ils  ne  sont  plus  dignes  d'exercer 
le  saint  ministère.  Donnez-leur  l'argent  de  la  répu- 
blique, si  cela  plaît  a  l'autorité  qui  le  dispense  ;  mais 
vous  ne  leur  donnerez  pas  la  direction  spirituelle  des 
âmes,  car  elle  ne  vous  appartient  pas.  — Je  brave 
tous  les  persécuteurs  et  tous  les  tyrans.  Je  serai  libre 


280  HISTOIRE  DU    DIOCÈSE 

citoyen ,  je  serai  libre  évêque ,  je  ne  redoute  ni  les 
insulteurs ,  ni  les  vexateurs,  ni  les  assassins;  je 
vivrai,  je  mourrai  pour  la  liberté  de  ma  religion,  pour 
la  liberté  de  ma  patrie  :  si  vous  n'êtes  pas  les  plus  vils 
et  les  plus  lâches  des  hommes,  ce  caractère  doit  vous 
convenir  (1).  » 
Mon  de  Fanchet.  Depuis  la  mort  de  Louis  XVI,  Fauchet  n'avait  cessé 
de  flétrir  le  régicide.  Il  en  parlait  souvent  comme 
d'une  mesure  atroce,  inique,  insensée,  et  par  là  il 
excitait  contre  lui  la  haine  de  la  Montagne.  Dès  le  15 
avril,  son  nom,  associé  à  celui  des  principaux  Giron- 
dins ,  fut  porté  sur  la  liste  des  vingt-un  députés 
que  les  sections  de  Paris  dénonçaient  comme  devant 
être  expulsés  de  la  convention.  Insensiblement  la 
lumière  se  faisait  dans  son  esprit,  et  le  spectacle  des 

(1)  Une  lettre  de  M.  Gervais  de  la  Prise  ,  curé  de  Saint- 
Pierre  de  Caen  ,  adressée  à  M.  Le  Goupil-Duclos  ,  maire  de  la 
ville ,  à  la  date  du  4  février  1793  ,  le  prie  de  consentir  taci- 
tement à  ce  qu'on  lise  au  prune  l'instruction  pastorale  de 
M.  Fauchet,  supprimée  par  l'autorité  civile  et  dénoncée  à  la 
convention.  Faisant  allusion  aux  paroles  qui  terminent  la 
lettre  écrite  à  cette  occasion,  le  26  décembre,  par  l'évêque  du 
Calvados  ,  aux  «  citoyens  municipaux ,  »  il  déplore  «  la  viva- 
cité »  de  son  langage,  mais  il  représente  qu'il  a  suffisamment 
expié  ses  torts  par  les  entraves  que  l'administration  civile 
apporte  à  la  lecture  de  son  mandement.  Il  insiste  pour  établir 
que  l'inauguration  des  registres  de  catholicité  ne  constitue  pas 
une  mesure  illégale.  C'est  aux  municipalités  qu'il  appartient, 
d'après  la  loi ,  de  constater  les  naissances  ,  les  mariages  et  les 
décès  ;  mais  à  côté  des  actes  de  l'état  civil ,  tenus  par  les 
magistrats  ,  l'évêque  peut ,  sans  violer  la  loi ,  ordonner  à  ses 
prêtres  de  rédiger  des  actes  religieux  à  l'occasion  du  baptême, 
du  mariage  et  de  l'inhumation  des  chrétiens.  Ces  actes  n'ayant 
point  de  caractère  légal  ,  les  curés  ne  pourront  jamais  en 
délivrer  d'extraits  ;  dès-lors  toute  difficulté  s'évanouit.  —  Les 
efforts  conciliants  de  M.  Gervais  demeurèrent  inutiles. 


DE  BAYEUX.  281 

abominations  dont  chaque  jour  augmentait  la  mesure , 
excitait  en  lui  le  repentir  de  ses  fautes.  Le  Journal 
des  Amis  fut  en  quelque  sorte  son  testament  poli- 
tique ;  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  les  adieux  qu'il  y 
adresse  aux  fidèles  de  son  diocèse:  «  Et  vous,  chers 
fidèles  ,  écoutez  ,  peut-être  pour  la  dernière  fois ,  la 
voix  d'un  pontife  qui  n'a  pas  eu  le  temps  de  vous 
marquer  tout  son  dévouement  et  tout  son  amour.  — 
N'abandonnez  pas  la  foi  de  vos  pères  —  les  impies  et 
les  méchants  sont  misérables  jusque  dans  leur  triom- 
phe ;  vous  serez  heureux  jusque  dans  les  persécutions 
et  les  angoisses  de  la  mort.  Je  la  vois  menaçant  ma 
tête,  ô  mes  frères,  ô  mes  amis  ;  je  l'attends,  non 
seulement  avec  fermeté,  mais  avec  une  véritable  joie. 
Ma  seule  crainte  ,  je  l'ai  manifestée  souvent  dans  ces 
temps  de  proscription  —  elle  est  au  fond  de  mon 
âme  —  ma  seule  crainte  est  de  n'être  pas  jugé  digne 
par  le  souverain  maître  de  nos  destinées  d'une  mort 
si  belle.  Mourir  pour  la  justice  ,  pour  la  vérité  ,  pour 
les  lois ,  pour  la  religion  ,  pour  le  bonheur  des  hom- 
mes ,  quelle  mort  heureuse!  Unie  à  celle  que  le  Dieu 
que  nous  adorons,  a  voulu  subir  pour  la  rédemption 
du  genre  humain ,  elle  expierait  toutes  les  fautes  de 
ma  vie  ;  elle  serait  utile  au  monde  ;  elle  réveillerait 
plus  efficacement  que  ne  pourraient  le  faire  mon  zèle 
et  mes  travaux,  le  goût  des  sublimes  vertus  dans  vos 
cœurs.  Je  suis  a  Dieu,  à  la  patrie  ;  je  suis  à  vous,  chers 
concitoyens  ,  chers  fidèles  ,  mais  j'y  serais  toujours  ; 
mon  sang  parlerait  mieux  que  ma  voix  ,  et  ma  mort 
servirait  plus  que  ma  vie.  Que  le  ciel  propice  exauce 
mes  vœux  !  qu'il  comble  envers  moi  par  cette  faveur 


282  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

suprême  la  mesure  de  ses  grâces  —  qu'il  verse  spécia- 
lement sur  ce  diocèse  qu'il  avait  confié  à  ma  sollici- 
tude, toutes  les  largesses  de  sa  miséricorde!  »  Il  y  a 
loin  de  ces  paroles  à  celles  que  Fauchet  avait  pronon- 
cées à  la  tribune  ,  le  jour  où  ,  s'inclinant  devant  un 
décret  de  l'assemblée ,  il  fit  hommage  à  la  nation  de 
sa  croix  épiscopale.  M.  Charles  Nodier  l'a  dit  avant 
nous,  ses  derniers  écrits  comme  ses  derniers  discours 
n'appartiennent  plus  à  la  politique  révolutionnaire  ; 
dans  les  jours  d'agonie  qui  précèdent  son  supplice  , 
il  ne  faut  plus  chercher  en  lui  que  l'orateur  chrétien. 
Au  mois  de  juillet  suivant ,  à  l'occasion  du  meurtre 
de  Marat ,  Fauchet  fut  accusé  d'avoir  conduit  M1Ie  de 
Corday  aux  tribunaux  de  la  convention;  il  déclara 
«  ne  l'avoir  jamais  vue  ;  »  mais ,  malgré  sa  protes- 
tation ,  il  fut  envoyé  aux  prisons  de  l'Abbaye. 

M.  Nodier,  dans  le  Dernier  banquet  des  Giron- 
dins, nous  a  peint  avec  toutes  les  magnificences  de 
son  style ,  les  derniers  moments  de  l'abbé  Fauchet. 
Il  suppose  qu'il  fut  réconcilié  avec  Dieu  par  l'abbé 
Emery,  supérieur  du  séminaire  de  Saint- Sulpice. 
M.  Nodier  n'avait  pu,  sans  doute,  vérifier  l'exactitude 
des  faits  qu'il  raconte  :  le  témoignage  de  M.  Emery 
va  nous  permettre  de  les  rétablir. 

Décrété  d'accusation  le  3  octobre  1793,  Fauchet 
avait  été  traduit  devant  le  tribunal  révolutionnaire 
avec  les  députés  de  la  Gironde.  Il  fut  alors  transféré 
de  l'Abbaye  à  la  Conciergerie,  et  placé  dans  la  même 
salle  que  M.  Emery.  Celui-ci  lui  fit  d'abord  quelques 
offres  de  service ,  auxquelles  l'abbé  Fauchet  répondit 
avec  politesse.  Le  lendemain,  M.  Emery  ayant  amené 


DE   BAYEUX.  283 

la  conversation  sur  le  schisme  constitutionnel ,  «  J'ai 
été  trompé,  lui  répondit  l'évêque  du  Calvados.  Je 
croyais  d'abord  qu'il  ne  s'agissait  que  de  quelques 
réformes  utiles  à  l'Église  ;  mais  je  vois  maintenant 
que  l'on  veut  détruire  la  religion.  Je  me  repens  très- 
sincèrement  d'avoir  donné  dans  un  pareil  parti  (1).  » 
A  ce  témoignage  de  l'abbé  Emery,  que  nous  trouvons 
dans  sa  Vie,  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  ajou- 
ter son  appréciation  personnelle.  Elle  est  consignée 
dans  un  rapport  qu'il  rédigea  en  1803,  et  qui  accom- 
pagnait l'envoi  de  la  relique  de  saint  Exupère  à 
Mgr  l'évêque  de  Bayeux.  On  lit  dans  ce  document, 
dont  nous  avons  déjà  parlé  (2),  que,  pendant  tout  le 
temps  de  sa  détention,  la  conduite  de  l'abbé  Fauchet 
«  fut  très-régulière  et  très- édifiante.  »  Quand  ses 
compagnons  de  captivité  lui  reprochaient  d'avoir  con- 
tribué aux  malheurs  de  l'Église  ,  il  répondait  «  qu'il 
n'avait  pas  cru  travailler  pour  des  scélérats.  »  Ce  fut 
alors  qu'il  fit  à  M.  Emery  la  pieuse  confidence  que 
nous  avons  racontée ,  et  dont  celui-ci  profita,  quand 
il  fut  rendu  à  la  liberté ,  pour  rechercher  la  relique 
de  saint  Exupère  ,  que  l'on  vénère  maintenant  à  la 
Cathédrale. 

La  franchise  de  ces  aveux ,  la  régularité  d'une  con- 
duite que  M.  Emery  n'a  pas  craint  de  signaler  comme 
très-édifiante,  lui  avaient  fait  concevoir  l'espérance 
d'amener  l'abbé  Fauchet  à  la  rétractation  de  ses 
erreurs.  Mais  tout-k-coup  le  malheureux  évêque  fut 

(1)  Vie  de  M.  Emery,  par  M.  Gûsselin  .  directeur  de  Saint- 
Sulpice. 

(2)  V.  Y  Histoire  de  la  relique  de  saint  Exupère,  page  151. 


284  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

enlevé  et  mis  au  secret  jusqu'au  moment  de  sa  mort. 
Quelque  temps  avant  sa  condamnation ,  tandis  qu'il 
traversait  la  cour  pour  se  rendre  au  tribunal ,  il  se 
détacha  des  gendarmes  qui  le  conduisaient,  vint  à 
M.  Emery,  et  lui  demanda  le  secours  de  ses  prières. 
Le  jour  où  il  fut  condamné ,  il  reçut  en  passant  sa 
bénédiction.  Ces  détails  sont  précis  ;  M.  Emery  les  a 
consignés  lui-même  dans  sa  lettre  à  Pie  VI ,  en  y 
racontant  la  conversion  de  l'abbé  Fauchet.  D'après 
son  témoignage ,  ils  n'eurent  pas  ensemble  d'autres 
rapports. 

Il  y  avait  alors  dans  le  diocèse  de  Paris  un  coura- 
geux ecclésiastique,  un  moment  séduit  par  les  erreurs 
de  la  révolution,  mais  qui  s'était,  peu  de  temps  après, 
réconcilié  avec  l'Église.  Il  se  nommait  l'abbé  Lothrin- 
ger.  Comme  son  abjuration  était  demeurée  secrète,  il 
put  rester  sur  place ,  sans  être  inquiété ,  et  il  admi- 
nistra les  secours  religieux  à  un  grand  nombre  de 
victimes.  Ce  fut  lui  qui  entendit  en  confession  l'évêque 
du  Calvados.  Par  une  lettre  du  1 1  mars  1797,  laquelle 
fut  imprimée  dans  le  tome  IVe  des  Annales  catho- 
liques ,  il  déclare  qu'avant  de  mourir,  Fauchet  révo- 
qua son  serment  et  son  intrusion  ;  qu'il  abjura  ses 
erreurs  sur  la  constitution  civile  ,  et  celles  qu'il  avait 
disséminées  dans  ses  écrits  ou  dans  ses  discours  ; 
qu'il  fit  une  profession  de  foi  catholique  dont  murmu- 
rèrent ses  gardiens  ,  et  qu'après  avoir  reçu  le  sacre- 
ment de  Pénitence ,  il  le  conféra  lui-même  à  Sillery, 
l'un  de  ses  compagnons  d'infortune. 

Fauchet  fut  condamné  à  mort  le  soir  du  30  octo- 
bre 1793.  Au  moment  où  Fouquier-Tinville  requérait 


DE  BAYEUX.  285 

contre  lui  la  peine  capitale  et  l'exécution  dans  les 
vingt-quatre  heures ,  il  joignit  les  mains  et  les  tint 
longtemps  élevées  vers  le  ciel  (1),  Après  sa  condam- 
nation, tandis  que  plusieurs  de  ses  compagnons  écla- 
taient en  murmures ,  il  demeura  calme  et  ne  parut 
plus  s'occuper  que  de  son  âme  ;  il  monta  sur  l'écha- 
faud  le  lendemain  ,  à  midi ,  à  l'âge  de  quarante-neuf 
ans.  Nous  savons ,  dit  M.  Emery,  que  sa  mort  fut 
«  très-chrétienne  et  très-catholique  (2).  »  Ces  deux 
mots  ont,  à  nos  yeux,  plus  de  poids  que  tous  les 
éloges. 

(1)  Georges  Duval  ,  Souvenirs  de  la  terreur, 

(2)  Procès-verbal  envoyé  à  Bayeux  par  M.  Emery,  avec  la 
relique  de  saint  Exupère. 


a^&jlt 


286  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 


CHAPITRE  XXI. 


Statistique  des  différents  partis.  —  Exil  des  prêtres  inconsti- 
tutionnels. —  Affaire  de  Port-en-Bessin.  —  Départ  de  Ber- 
nières-sur-Mer.  —  Comment  les  prêtres  français  furent 
accueillis  en  Angleterre.  —  Lettre  de  Msr  de  Cheylus.  — 
Accueil  fait  à  nos  prêtres  en  Allemagne.  —  Ce  qu'il  faut 
penser  de  l'émigration. 


statistique        Parmi  les  prêtres  inconstitutionnels  que  la  révo- 

des  différents 

partis.  lution  désignait  sous  le  nom  de  réfractaires ,  les  uns 
avaient  subi  l'exil ,  les  autres  s'étaient  cachés  dans  le 
diocèse  sous  divers  déguisements ,  et  administraient 
en  secret  les  sacrements  aux  fidèles  ;  quelques-uns 
moururent  martyrs,  Les  constitutionnels,  c'est-à- 
dire,  ceux  qui  avaient  prêté  serment  à  la  constitution, 
se  partageaient  aussi  en  plusieurs  classes.  Il  y  avait 
d'abord  les  intrus,  qui  avaient  déplacé  les  pasteurs 
légitimes,  et  que  l'on  ne  doit  pas  confondre  avec  ceux 
qui ,  sous  la  protection  du  serment,  étaient  restés  en 


DE  BAYEUX.  287 

possession  de  leurs  bénéfices;  il  y  avait  ensuite  les 
apostats.  Plusieurs  parmi  eux  renoncèrent  officiel- 
lement au  célibat  et  au  sacerdoce ,  en  déposant  leurs 
lettres  de  prêtrise  dans  les  assemblées  municipales. 
D'autres,  sans  cesser  de  remplir  les  devoirs  extérieurs 
du  ministère ,  affichaient  publiquement  la  corruption 
la  plus  scandaleuse;  enfin,  nous  en  avons  déjà  fait 
la  remarque,  il  y  avait  dans  le  parti  constitutionnel 
un  petit  nombre  d'ecclésiastiques  dont  les  mœurs 
rigides  et  la  piété  sincère  contrastaient  avec  ces 
déportements.  Les  éléments  de  cette  classification 
appartiennent  à  l'histoire  ,  et  nous  devions  les  re- 
cueillir. Ajoutons  toutefois  qu'il  arriva  un  moment 
où  le  schisme  lui-même  fut  emporté  par  la  révolu- 
tion. Lorsque  Fauchet  monta  sur  l'échafaud  ,  la 
confusion  était  partout  et  «  le  clergé  n'existait  plus  » 
dans  le  Calvados;  c'est  en  ces  termes  que  M.  F. 
Vaultier,  un  des  historiens  de  notre  pays ,  résume  à 
cette  époque  ses  impressions  et  ses  souvenirs  (1). 

Si  l'Église  constitutionnelle  avait  ses  ministres,  elle 
avait  aussi  ses  sectateurs.  Accueillant  avec  transport 
les  nouveautés  les  plus  téméraires  ,  séduits  par  les 
organes  de  la  révolution,  certains  partisans  du  schis- 
me constitutionnel  auraient  voulu,  de  leur  propre 
autorité  ,  transporter  dans  l'Église  tous  les  change- 
ments, toutes  les  réformes  inaugurées  dans  le  régime 
politique.  Ils  condamnaient,  sans  restriction,  tout  ce 
qui  dans  les  lois  édictées  par  les  conciles  contrariait 
leurs  utopies.  Ils  ne  tenaient  aucun  compte  de  l'auto- 
rité suprême  établie  par  Jésus-Christ  pour  présider 

(1)  Souvenirs  de  l'insurrection  normande. 


288  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

au  gouvernement  des  âmes  ;  ils  ne  pouvaient  souffrir 
qu'on  la  consultât. 

Plus  éclairés  et  plus  fermes  dans  leur  croyance, 
les  vrais  catholiques  ne  s'abusaient  pas  sur  les  projets 
de  la  révolution.  Ils  voyaient  avec  douleur  le  sanc- 
tuaire envahi ,  les  laïcs  usurper  l'administration  des 
choses  saintes ,  le  schisme  et  l'hérésie  se  substituer 
à  l'enseignement  traditionnel.  Sans  doute  ,  ils  ne 
confondaient  pas  les  mesures  prises  par  l'Assemblée 
contre  les  biens  du  clergé  avec  les  innovations  radi- 
cales qu'elle  voulait  introduire  dans  le  régime  spiri- 
tuel. Sans  approuver  les  premières,  ils  les  eussent 
peut-être  acceptées;  ils  auraient  dit,  avec  un  orateur 
de  la  droite:  «  Qu'importe  après  tout?  c'est  une  croix 
de  bois  qui  a  sauvé  le  monde  (1);  »  mais  ils  reje- 
taient les  autres  comme  subversives  de  la  foi  ;  ils 
admiraient  la  conduite  des  prêtres  fidèles ,  affron- 
taient les  plus  grands  périls  pour  profiter  de  leur 
parole  et  de  leur  ministère ,  et  quand  les  constitu- 
tionnels leur  objectaient  qu'il  fallait  obéir  aux  lois 
du  royaume ,  —  Nous  sommes  soumis  aux  lois  ,  di- 
saient-ils ,  sur  toutes  les  questions  de  l'ordre  civil  ;  mais 
les  puissances  du  siècle  n'ont  pas  le  droit  de  changer 
la  constitution  de  l'Église.  Les  apôtres  refusaient 
quelquefois  d'obéir  à  la  synagogue ,  et  pourtant  les 
apôtres  n'étaient  pas  des  rebelles.  » 

Entre  les  constitutionnels  et  les  vrais  catholiques  , 
on  distinguait  encore  le  parti  des  indifférents ,  que  le 

(1)  «  Si  l'on  ôte  aux  évoques  leur  croix  d'or,  ils  prendront 
une  croix  de  bois  ;  c'est  une  croix  de  bois  qui  a  sauvé  le 
monde.  »  (M.  de  Montlosier.) 


DE    BAYEUX.  289 

défaut  d'instruction,  ou  la  crainte  de  voir  troubler 
leur  paix,  retenait  en  dehors  de  toute  controverse. 
Comme ,  après  tout ,  rien  n'était  changé  dans  le  culte 
extérieur,  ils  se  montraient  faciles  sur  les  principes  , 
et  acceptaient ,  sans  réclamation ,  le  ministère  des 
prêtres  chargés  de  leur  procurer  les  secours  religieux. 
Enfin,  en  dehors  de  tous  ces  partis,  aux  points  les 
plus  divergents  de  l'opinion  ,  il  y  avait,  d'un  côté,  les 
politiques  ardents  qui  auraient  voulu  adosser  l'autel 
au  trône,  et  regardaient  presque  comme  un  sacrilège 
de  porter  la  main  sur  l'ancien  régime  ;  il  y  avait ,  de 
l'autre ,  quelques  esprits  faux  et  implacables ,  séduits 
par  ce  que  l'on  appelait  alors  la  secte  philosophique, 
et  qui  espéraient  profiter  de  ces  divisions  pour  écraser 
l'Église.  On  les  vit,  à  l'époque  de  la  Terreur,  organiser 
les  fêtes  de  l'Être  suprême  ,  briser  ou  profaner  les 
croix  et  les  images ,  attaquer  avec  fureur  tout  ce  qui 
se  rattachait  au  sacerdoce  ,  pervertir  le  peuple  par  les 
écrits  les  plus  violents.  Dans  notre  pays,  ces  derniers 
ne  furent  jamais  très-nombreux  (1).  Tels  étaient  les 
partis  qui  se  dessinaient  sur  tous  les  points  du  dio- 
cèse ,  durant  les  premières  -années  de  la  révolution  ; 
le  drame  fut  plein  d'émotions  ;  essayons  d'en  raconter 
quelques  épisodes. 

Un  décret  rendu  par  l'assemblée  nationale,  au  mois 
d'août  1792,  obligeait  tous  les  ecclésiastiques  qui 

(1)  On  nous  assure  qu'il  faudrait  encore  classer  à  part  un 
petit  nombre  d'hommes  qui  ,  sans  haine  ni  impiété ,  mais  par 
peur  ,  par  entraînement  ou  quelqu'autre  motif  semblable  , 
montrèrent  dans  leurs  discours  ou  dans  leurs  actes,  une  im- 
piété féroce  ,  et  qui  avertissaient  secrètement  leurs  victimes 
des  mesures  exécrables  auxquelles  ils  paraissaient  s'associer. 

19 


290  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

remplissaient  quelques  fonctions ,  à  prêter  le  serment 
constitutionnel;  ceux  qui  le  refusaient  devaient  quit- 
ter, clans  un  délai  de  huit  jours ,  le  département  où 
était  établie  leur  résidence,  et  le  territoire  français 
dans  la  quinzaine.  Au-delà  de  ce  terme,  tout  prêtre 
insermenté  qui  n'aurait  pas  pris  le  chemin  de  l'exil , 
Exil  des  prêtres  était  soumis  à  la  déportation.   Un  certain  nombre 

inconstitutionnels    ■,,»*...  .,       .    , 

d  ecclésiastiques  —  1  abbe  Barruel  le  porte  a  quatre- 
vingts  —  partis  de  Bayeux  et  des  environs,  attendaient 
donc  a  Port-en-Bessin ,  le  moment  de  s'embarquer 
pour  l'Angleterre.  L'intrus  de  la  paroisse  de  Vaucelles, 
près  Bayeux,  connu  dans  le  pays  sous  le  sobriquet  de 
Gorsas,  arrive  au  milieu  d'eux,  en  costume  militaire, 
escorté  de  six  fusiliers;  il  interroge  les  prêtres,  se 
fait  exhiber  les  passeports  ,  en  supprime  plusieurs , 
sous  prétexte  qu'ils  ont  été  donnés  sans  raison  légi- 
Affaire  de  Port-  Urne  ;  il  ne  voulait  que  gagner  du  temps.  Cependant 
le  tocsin  répandait  l'alarme  dans  les  campagnes  voi- 
sines. On  y  disait  que  trois  cents  Anglais  ,  débarqués 
à  Port,  allaient  le  réduire  en  cendres.  Les  paysans 
accourent,  de  toutes  parts  ,  armés  de  faulx  ,  de 
haches  et  de  fusils.  Gorsas  leur  montre  sur  la  côte  le 
bâtiment  qui  devait  porter  les  prêtres  en  exil,  il  le 
dénonce  comme  un  navire  anglais ,  ordre  est  donné 
aux  canonniers  de  le  couler  bas  ;  il  eut  à  peine  le 
temps  de  s'éloigner.  Irrités  par  la  présence  de  ces 
ennemis  imaginaires,  les  paysans  veulent  se  venger 
sur  les  prêtres  ,  qu'ils  supposent  leurs  complices  ; 
c'était  ce  qu'avait  prévu  Gorsas.  Déjà  les  sabres  ,  les 
haches  s'aiguisent  à  la  meule;  on  charge  les  fusils , 
chaque  compagnie  doit  emporter  pour  trophée  la  tête 


en-Bessin. 


DE   BAYEUX.  291 

d'une  victime.  Heureusement  la  nouvelle  de  cette 
émotion  était  parvenue  à  Bayeux.  Quatre  commis- 
saires, envoyés  par  l'administration,  arrivent  à  Port; 
mais  c'est  en  vain  qu'ils  s'efforcent  de  calmer  les 
esprits  ;  on  leur  répond  par  des  menaces  ,  ils  se 
voient  exposés  à  la  violence  de  la  multitude  ;  enfin , 
l'un  d'eux,  parvient  à  se  faire  écouter.  «  Laissez  vivre 
ces  prêtres,  disait-il,  leur  massacre  ne  peut  vous  être 
d'aucun  profit.  Il  y  a  pour  vous  quelque  chose  de 
mieux  a  faire.  L'argent  qu'ils  emportent,  exigez  qu'il 
vous  soit  livré  ;  que   celui  qui  en  aura  caché  la 
moindre  partie  soit  immolé  sans  miséricorde.  »  On 
accepta  ces  conditions  ;  l'argent  fut  déposé  ;  la  som- 
me s'élevait  a  vingt  mille  francs  ;  c'était  donc  deux 
cent  cinquante  francs  —  terme  moyen  —  que  chacun 
d'eux  emportait  en  exil,  et  que  se  disputèrent  un 
millier  de  spoliateurs.  Les  bagages,  les  portefeuilles 
et  les  vêtements  furent  visités  ;  on  déchira  jusqu'aux 
bandages  et  aux  ligatures  des  vieillards.  C'était  le 
prêtre-soldat  qui  présidait  à  ces  perquisitions.  Rendus 
a  la  liberté ,  les  exilés  n'obtinrent  pas  la  permission 
de  s'embarquer  à  Port;  quelques-uns  furent  ramenés 
à  Bayeux  ;  on  dirigea  les  autres  sur  Bernières ,  où  se 
réunissaient  de  toutes  parts  les  victimes  de  la  persé- 
cution (1). 
Parmi  toutes  les  paroisses  du  littoral  où  ces  infor- 


(1)  Tous  ces  détails  doivent  inspirer  au  lecteur  la  plus 
grande  confiance  ;  l'abbé  Barruel  les  avait  recueillis  de  la 
bouche  des  victimes  ;  il  les  a  consignés  dans  un  livre  aujour- 
d'hui fort  rare ,  qu'il  fit  imprimer  à  Londres  en  1797,  et  qui 
a  pour  titre:  Histoire  du  clergé  pendant  la  révolution  fran- 


292  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

lunés  trouvèrent  un  accueil  généreux,  celle  de  Ber- 
nières  doit  être  citée  au  premier  rang.  Là,  tous  les 
habitants  se  dévouèrent  pour  les  prêtres  déportés. 
Les  riches  ouvraient  leurs  maisons ,  les  marins  of- 
fraient leur  barque  ;  les  paysans  dressaient  des  lits 
dans  leurs  chaumières;  les  femmes  tricotaient  des 
bas,  préparaient  des  habits  et  du  linge  pour  ceux  que 
les  malfaiteurs  avaient  dépouillés.  Après  avoir  mis  en 
commun  la  plus  grande  partie  de  leurs  épargnes ,  ces 
braves  gens  allaient  dans  les  villages  voisins  quêter 
au  profit  de  leurs  hôtes.  Puis,  quand  le  moment  était 
venu  de  les  laisser  partir,  quand  le  bateau  où  ils  de- 
vaient monter  était  pourvu  d'abondantes  provisions , 
ils  les  accompagnaient  au  rivage,  ils  leur  demandaient 
pieusement  leur  bénédiction,  ils  exigeaient  pour  toute 
récompense  qu'une  fois  arrivés  en  Angleterre,  ils  leur 
fissent  part  du  succès  de  leur  voyage.  Voilà  ce  que 
nous  avons  entendu  raconter  cent  fois  ,  aux  victimes 
de  ce  grand  désastre ,  ce  que  raconte  l'abbé  Barruel 
qui,  en  1797,  exilé  comme  elles,  recueillait  leur 
témoignage  et  le  consignait  dans  l'histoire.  Nous 
lisons  à  peu  près  les  mêmes  détails  dans  un  précieux 
manuscrit  rédigé  à  Guildford,  au  mois  de  mai  1795, 
par  l'abbé  Allais,  curé  de  Sainte-Catherine  d'Honfleur. 
«  Quelle  ne  fut  pas  notre  surprise  ,  dit-il ,  de  voir  un 
peuple  nombreux  s'attendrir  sur  notre  sort  !  Au  lieu 

caise.  —  M.  Pezet  (Bayeux  a  la  fin  du  xvmc  siècle)  raconte 
ce  même  fait  avec  quelques  variantes.  Ainsi ,  il  suppose  que 
le  tocsin  sonna  «  au  milieu  de  la  nuit,  »  et  porte  à  «  plus  de 
deux:  mille  »  le  nombre  des  paysans  qui  accoururent  des 
environs 


DE   BAYEUX.  293 

de  ces  imprécations,  de  ces  calomnies,  de  ces  outra- 
ges lancés  contre  nous  dans  tant  d'autres  endroits , 
dans  celui-ci  —  Bernières  —  les  larmes  coulaient  des 
yeux ,  et  nous  n'entendions  que  des  bénédictions  , 
des  paroles  consolantes,  des  souhaits  ardents  d'un 
prochain  retour;  chacun  se  croyait  heureux  de  rendre 
service  aux  serviteurs  de  Jésus-Christ.  » 

Les  départs  commencèrent  le  7  septembre  1792,  et  Départ 
continuèrent  les  jours  suivants.  Les  listes  officielles, 
que  nous  avons  pu  consulter,  portent  à  près  de  neuf 
cents  le  nombre  des  ecclésiastiques  qui  trouvèrent 
sur  ce  rivage,  l'hospitalité,  des  secours,  des  moyens 
de  transport;  mais  nous  sommes  porté  à  croire  que 
la  série  de  ces  documents  n'est  pas  complète.  L'abbé 
Barruel  élève  à  plus  de  douze  cents  le  nombre  des 
passagers.  D'après  la  tradition  locale  ,  il  dépasserait 
deux  mille  (1).  Que  Dieu  protège  contre  les  périls  de 
la  mer  les  fils  et  les  petits-fils  de  cette  population 
généreuse  ;  notre  reconnaissance  n'égalera  jamais  les 
merveilles  de  son  dévouement. 


(1)  Le  maire  de  Bernières ,  M.  Guillemette,  dont  le  dévoue- 
ment éclairé  égalait  la  prudence,  et  qui  rédigea  les  listes  dont 
nous  parlons,  a  souvent  répété  devant  son  fils,  M.  Guillemette, 
curé  de  Fontaine-Étoupefour,  qu'il  avait  présidé  au  départ  de 
deux  mille  quatre  cents  ecclésiastiques  pendant  la  révolution. 
Ajoutons  seulement  que,  si  l'on  en  juge  par  les  listes  qui  nous 
ont  été  communiquées,  parmi  ces  ecclésiastiques,  tous  n'étaient 
pas  prêtres ,  et  qu'un  assez  grand  nombre  est  étranger  au 
diocèse  de  Bayeux.  Bernières ,  à  cette  époque ,  était  un  phare 
de  salut,  vers  lequel  accouraient  toutes  les  infortunes. 

Les  pêcheurs  de  Langrune  se  signalèrent  également  par 
leur  charité  envers  les  proscrits.  Les  faits  abondent  de  toute 
part;  nous  ne  pouvions  recueillir  que  les  plus  importants. 


294  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

comment         on  imaginerait  à  peine  l'empressement  généreux 

le  clergé  de  France  *  * 

fut  accueilli     avec  lequel  nos  prêtres  furent  accueillis  en  Angle- 

en  Àn°''l6 te  1*1*6 

terre.  Toutes  les  fois  qu'un  bâtiment  chargé  de 
prêtres  était  signalé  sur  la  côte ,  les  habitants  arri- 
vaient en  foule  pour  recevoir  les  exilés  ;  chacun 
s'empressait  de  leur  offrir  des  rafraîchissements ,  de 
les  aider  à  trouver  un  asile  ;  ceux  qui  ne  pouvaient 
se  faire  entendre  allaient  chercher  des  interprètes. 
Dans  les  villes  où  les  logements  n'auraient  pas  suffi,  on 
transformait  les  édifices  publics  en  hôtelleries.  Là ,  ils 
étaient  nourris ,  visités  ;  on  mettait  à  leur  disposition 
des  moyens  de  transport.  Souvent ,  sur  la  route ,  un 
seigneur,  une  dame,  un  bourgeois  payait  leur  dé- 
pense à  l'auberge;  on  les  retenait  dans  les  châteaux. 
Si  quelques-uns  d'entre  eux  refusaient  comme  super- 
flus les  secours  en  argent  que  leur  offrait  la  charité 
publique  :  prenez ,  leur  disait-on ,  ce  sera  pour  vos 
frères.  Le  détail  des  bienfaits ,  dit  l'abbé  Barruel , 
dont  nous  abrégeons  le  récit ,  égalerait  celui  de  nos 
malheurs.  De  son  côté  ,  le  curé  de  Sainte-Catherine  , 
M.  l'abbé  Allais,  signale  avec  éloges  la  bienveillante 
protection  du  gouvernement  et  des  magistrats ,  la  paix 
et  la  liberté  au  sein  de  laquelle  les  prêtres  français 
passèrent  le  temps  de  leur  exil.  Quelques  mois  après 
leur  arrivée  à  Gosporl ,  on  leur  prêcha  une  retraite 
dans  la  chapelle  catholique  ;  on  comptait  au  moins 
trois  cents  ecclésiastiques  français  dans  cette  petite 
ville;  chaque  jour,  ils  assistaient  à  la  messe  et  chacun 
d'eux  la  célébrait  à  son  tour.  Peu  de  temps  après  leur 
arrivée  ,  le  gouvernement  fit  distribuer  des  secours  à 
ceux  qui  étaient  dans  l'indigence;  une  souscription 


DE   BÀYEUX.  295 

était  ouverte  à  Londres  ,  et  chacun  ,  dit  M.  Allais , 
s'empressait  d'y  prendre  part.  Deux  châteaux  furent 
disposés  pour  «  loger,  nourrir  et  entretenir  gratui- 
tement les  plus  nécessiteux  -,  »  le  château  royal  de 
Winchester  et  la  maison  de  Forton ,  près  Gosport. 
Cette  dernière  reçut  d'abord  plus  de  deux  cents  ecclé- 
siastiques ;  ils  furent  transférés  plus  tard  au  château 
de  Winchester,  qui  en  contenait  alors  sept  à  huit  cents; 
deux  cents  logeaient  en  ville.  En  1799,  deux  ans  après 
la  mort  de  Mgr  de  Cheylus ,  les  prêtres  de  Bayeux 
obtinrent  d'un  libraire  de  Londres  qu'il  imprimât  une 
édition  de  leur  bréviaire.  On  assure  que  l'université 
d'Oxford  ne  fut  pas  étrangère  à  cette  publication. 

On  ne  sera  pas  surpris  d'apprendre  que  la  recon- 
naissance de  nos  confrères  se  soit  montrée  digne  de 
ces  bienfaits.  Les  écrits  qu'ils  publièrent ,  soit  en 
vers,  soit  en  prose  (l),  témoignent  de  la  vivacité  de 
leurs  sentiments.  Nous  leur  avons  souvent  entendu 
répéter,  dans  notre  enfance  ,  que  le  clergé  normand 
avait  contracté  envers  l'Angleterre  une  dette  sacrée  , 
et  que  Dieu  seul  pouvait  l'éteindre ,  en  rappelant  ce 
beau  pays  à  la  foi  de  ses  aïeux. 

Mgr  de  Cheylus  était  parti  pour  s'y  rendre ,  dès  le 
commencement  des  troubles  (1);  après  une  horrible 

(1)  V.  Pièces  recueillies  par  un  ecclésiastique  français , 
réfugié  au  château  royal  de  Winchester  —  VYinton,  ]793.  — 
Plusieurs  de  ces  pièces  sont  signées  par  des  prêtres  du  dio- 
cèse de  Bayeux. 

(1)  M.  Pezet  (Bayeux  a  la  fin  duxvmc  siècle)  fixe  le  départ 
de  Mgr  de  Cheylus  au  13  septembre  1792  ,  et  nous  avons  déjà 
cité  celte  date,  quoiqu'elle  nous  parût  suspecte;  nous  n'avions 
alors  aucun  moyen  de  la  contrôler.  Il  est  certain  que  Msr  de 


296  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

tempête ,  il  put  relâcher  a  Portsmoulh ,  et  séjourna 
dans  les  environs  avant  de  s'établir  à  Jersey.  Une 
Lett^!e"f de lettre  qu'il  écrivit  un  mois  après  son  arrivée,  con- 
firme nos  renseignements  et  les  complète.  «  Nous 
avons,  dit  le  prélat,  le  très-libre  exercice  de  noire 
religion.  Les  dimanches  et  fêtes,  on  chante  messe  et 
vêpres  comme  autrefois  a  Bayeux.  Depuis  le  matin 
six  heures,  on  dit  continuellement  des  messes  basses, 
les  jours  ouvriers ,  auxquelles  les  Anglais  catholiques 
et  les  prêtres  assistent  en  grand  nombre,  et  d'une 
manière  très-édifiante;  nous  ne  croyons  pas  être  dans 
un  pays  de  Protestants.  -— Mgr  l'évêque  de  Saint-Pol  de 
Léon  ,  résidant  à  Londres  ,  a  ouvert  une  souscription 
en  faveur  des  ecclésiastiques  français  et  nécessiteux  , 
à  laquelle  un  grand  nombre  de  personnes  envoient 
des  fonds,  qui  forment  une  masse  dont  on  prend 
pour  donner  aux  indigents  des  secours  pécuniaires. 
On  donne  à  chacun  ,  provisoirement ,  deux  guinées 
(cinquante  livres  huit  sous  de  France) ,  et  quand  ils 
n'en  ont  plus  ,  on  répète  le  bienfait.  —  On  dit  que 


Cheylus  ne  quitta  pas  Bayeux  immédiatement  après  l'arrivée 
de  l'abbé  Fauchet.  Il  resta  quelque  temps  chez  Mme  la  baronne 
de  Wimpfen.  Y  resta-t-il  l'espace  de  seize  mois?  Une  lettre  , 
que  nous  avons  trouvée  aux  archives  de  la  mairie  de  Caen  , 
fait  cesser  toute  incertitude.  Cette  lettre .  écrite  par  le  sieur 
Dumoulin  ,  fondé  de  pouvoirs  de  Msr  de  Cheylus ,  et  adressée 
au  ministre  de  l'intérieur,  porte  la  date  du  15  décembre  1792. 
Or,  on  y  déclare  que  «  le  citoyen  Cheylus  s'est  retiré  a  l'île 
de  Jersey,  il  y  a  un  an ,  et  qu'il  y  est  encore.  »  Cette  indi- 
cation ne  précise  pas ,  il  est  vrai ,  l'époque  de  son  départ , 
mais  elle  rend  impossible  la  date  indiquée  dans  l'ouvrage  de 
M.  Pezet.  Évidemment  il  faut  admettre  -que  Mgr  de  Cheylus 
avait  quitté  Baveux  en  1791. 


DE   BAVEUX.  297 

le  prince  de  Galles  a  mis  k  cette  masse  mille  guinées 
(environ  vingt-sept  mille  livres,  argent  de  France). — 
Le  gouvernement  nous  protège  d'une  manière  parti- 
culière. Il  a  fait  meubler  et  arranger  à  ses  frais,  k 
une  demi-lieue  d'ici ,  une  vaste  maison  commune , 
où  ceux  qui  le  voudront,  seront  logés  gratuitement 
et  nourris  k  peu  de  frais ,  môme  gratis  ,  pour  ceux 
qui  n'auraient  aucune  ressource.  —  Le  roi  d'Angle- 
terre a  fait  deux  proclamations.  Par  la  première  , 
entre  autres  choses  ,  il  nous  appelle  les  illustres 
persécutés ,  et  enjoint  k  ses  sujets  d'avoir  pour 
nous  beaucoup  d'égards.  Par  la  seconde ,  il  nous 
avertit  que  si  nous  voulons  aller  a  Ostende  ,  il  nous 
y  fera  passer  k  ses  frais  ,  en  nous  rendant  k  Londres 
ou  k  Douvres.  Plusieurs  ont  profité  de  cette  faveur  ; 
pour  moi,  je  n'ai  pas  ce  dessein.  — JNous  vivons  tous 
ici  en  société  de  deux,  quatre,  cinq  ou  six  personnes. 
Nous  sommes  cinq ,  dont  deux  messieurs  vicaires 
veulent  bien  aller  chercher  les  provisions  et  faire  la 
cuisine.  Nous  sommes  en  chambre  garnie  ,  chez  une 
personne  honnête ,  qui  est  aux  petits  soins  k  notre 
égard.  Nous  lui  donnons  trente-trois  sous  par  se- 
maine pour  le  logement,  meubles,  linge,  lits  et  autres 
petites  choses.  Nous  nous  fournissons  nos  vivres , 
notre  chauffe  et  notre  chandelle.  Je  paie  par  semaine 
douze  sous  plus  que  les  autres  ,  parce  que  je  couche 
dans  un  appartement  où  il  y  a  toujours  du  feu.  » 

S'il  faut  en  croire  M.  l'abbé  Hébert  (1)  que  M?f  de 
Cheylus ,  en  quittant  le  diocèse,  avait  nommé  un  de 

(1)  Curé  de  Saint-Gilles  de  Caen  après  la  révolution. 


298  HISTOIRE   DL    DIOCÈSE 

ses  vicaires-généraux,  l'évêque  de  Bayeux  emporta 
en  exil  cent  mille  francs  ,  c'est-à-dire  ,  une  année  de 
son  revenu.  Il  les  employa,  nous  dit  M.  Hébert,  à 
soulager  autour  de  lui  ceux  de  ses  prêtres  dont  la 
misère  lui  était  signalée.  On  peut  se  convaincre,  par 
les  détails  qui  précèdent,  qu'il  acceptait  comme  eux 
les  privations  de  l'exil ,  où  sa  fermeté  ne  se  démentit 
pas  un  seul  instant. 
\ccueii  fait  à  nos     \\  nous  serait  difficile  de  suivre  les  ecclésiastiques 

prêtres 

en  Allemagne,  du  diocèse  de  Bayeux  dans  les  différentes  contrées  où 
les  conduisit  la  Providence.  Nous  savons  qu'un  certain 
nombre  se  dirigea  vers  les  Pays-Bas  et  vers  l'Alle- 
magne. Là,  des  savants,  des  professeurs  distingués 
échangèrent  l'étude  des  lettres  et  des  sciences  contre 
l'outil  des  plus  humbles  professions.  Ils  croyaient  se 
relever  à  leurs  propres  yeux,  et  mériter  l'estime  de  leurs 
hôtes,  en  n'acceptant  l'aumône  qu'à  titre  de  salaire. 
Nous  n'avons  jamais  entendu  dire  qu'aucun  d'entre 
eux,  même  dans  les  pays  protestants ,  ait  manqué  du 
nécessaire.  Partout  les  populations  les  plus  pauvres 
les  abritaient  sous  leur  toit. 
c,  (1.i'ii  faut        Tout  a  été  dit  pour  et  contre  l'émigration  des  prêtres 

de  l'émfjration.  français,  et  nous  nous  garderons  bien  de  réveiller  cette 
controverse.  Frappés  par  la  loi  qui  les  condamnait  à 
l'exil ,  persuadés  que  s'ils  n'abandonnaient  le  sol  de 
la  patrie  ,  ils  périraient  infailliblement ,  sans  profit 
pour  leur  cause ,  la  plupart,  comme  saint  Paul  et  saint 
Barnabe ,  quittèrent  un  pays  où  leur  vie  était  mena- 
cée ,  pour  aller  chercher  ailleurs  le  droit  d'adorer 
Jésus-Christ  et  d'enseigner  sa  doctrine.  Qui  oserait 
dire  qu'ils  étaient  tenus  de  s'exposer  inutilement  à  la 


DE   BAVEUX.  299 

rage  des  bourreaux?  D'autres,  qui  les  suivirent, 
étaient  persuadés  que  les  éclats  de  la  tempête  ne 
feraient  que  passer  sur  la  Fiance.  Ils  n'emportaient 
avec  eux  qu'un  volume  de  leur  bréviaire  ;  on  eut  dit 
qu'ils  entreprenaient  un  voyage  de  quelques  jours. 
Ce  qui  les  préoccupait ,  c'était  moins  leur  sûreté 
personnelle  que  les  besoins  de  l'Église,  pour  laquelle 
ils  voulaient  se  tenir  en  réserve.  Quand  ils  virent  que 
la  durée  du  fléau  trompait  leurs  prévisions  ,  quelques- 
uns  ne  tardèrent  pas  à  revenir  sur  la  brèche ,  et  leur 
zèle  y  accomplit  des  prodiges. 

D'un  autre  côté,  en  permettant  que  ces  martyrs  de 
l'exil  se  conservassent  pour  réparer  plus  tard  les  ruines 
du  sanctuaire,  la  Providence  ne  cessait  pas  de  veiller 
sur  nous.  Le  départ  des  uns  rendit  plus  profitable  le 
dévouement  des  autres.  Dès  qu'ils  se  sentirent  proté- 
gés par  leur  petit  nombre,  ceux-ci  comprirent  aussitôt 
qu'il  leur  était  plus  facile  d'échapper  à  l'attention  des 
méchants,  et  ils  embrassèrent  avec  courage  la  tâche 
qui  leur  était  imposée.  Convaincus  que,  si  le  prêtre 
doit  faire  face  à  l'ennemi,  c'est  surtout  lorsque  la  foi 
est  en  péril,  ils  la  défendirent  par  la  parole  et  par 
l'exemple  ,  au  prix  des  plus  grands  sacrifices.  Nous 
aurons  à  raconter  dans  un  instant  leurs  travaux  et 
leurs  souffrances  ;  mais  il  faut  nous  occuper  d'abord 
de  ceux  qui  leur  succédèrent,  et  montrer  comment 
ils  avaient  appliqué  au  diocèse  de  Bayeux  l'organi- 
sation décrétée  par  l'assemblée  nationale. 


300  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 


CHAPITRE  XXII. 


Suppression  définitive  des  chapitres  de  Bayeux  et  de  Lisieux.  — 
Culte  officiel.  —  Organisation  du  diocèse  du  Calvados.  — 
Nouvelle  démarcation  des  paroisses.  —  Servitude  du  clergé 
constitutionnel.  —  Désordres  du  clergé  constitutionnel.  — 
Suppression  des  séminaires  de  Caen  —  de  Bayeux  —  de  la 
Délivrande.  —  Séminaire  constitutionnel.  —  Temple  protes- 
tant à  Caen.  —  Fin  du  Palinod. 


suppression        Pendant  quelques  mois,  le  chapitre  de  Bayeux  et 

définitive  -  .    .  .  .  * 

•les  chapitres  celui  de  Lisieux  ,  supprimes  par  la  loi  du  12  juillet 
etdeLUirax.  1790,  avaient  survécu  à  l'arrêt  qui  les  frappait.  Celui 
de  Bayeux  ,  avons  nous  dit ,  ne  fut  expulsé  de  la 
Cathédrale  que  le  \\  décembre  de  la  même  année. 
Dans  l'intervalle  qui  s'écoula  entre  cet  événement  et 
l'arrivée  de  l'évêque  constitutionnel,  le  bas-chœur, 
dont  tous  les  membres  ,  à  l'exception  d'un  seul , 
avaient  prêté  le  serment ,  continua  quelque  temps 
encore  à  chanter  l'office;  quant  aux  chanoines,  on 
leur  laissa  la  faculté  de  célébrer  les  saints  mystères 


DE    BAYEUX.  301 

aux  autels  de  leur  église  ;  mais  ils  n'en  profitèrent 
pas ,  et  se  retirèrent  dans  la  chapelle  de  l'évêché.  Le 
24  décembre  1790,  le  district  de  Bayeux  leur  interdit 
toute  espèce  de  réunion  (1).  De  son  côté ,  le  chapitre 
de  Lisieux  ne  se  soumit  pas  tout  d'abord  aux  injonc- 
tions de  la  loi.  Une  plainte  avait  été  portée  contre  lui 
par  le  conseil  de  la  commune ,  le  20  octobre  1790  ; 
on  la  renouvela  le  14  novembre.  Enfin ,  des  commis- 
saires, nommés  par  le  directoire  du  département,  appo- 
sèrent les  scellés  sur  les  portes  du  chœur  et  sur  tous 
les  lieux  capitulaires.  Toutefois,  les  chanoines  obtin- 
rent la  permission  de  dire  la  messe  dans  les  chapelles 
de  la  Cathédrale  ,  a  condition  qu'ils  n'y  paraîtraient 
pas  en  costume  canonial.  Cette  faveur  humiliante  ne 
fut  pas  de  longue  durée  ;  la  Cathédrale  remplaça 
comme  paroisse  l'église  de  Saint-Germain  ,  le  12 
janvier  1792. 

Les  anciens  diocèses  de  Bayeux ,  de  Lisieux  ,  de  organisation 
'  Séez  et  de  Coutances  avaient  concouru  à  former  celui  .iuVhwXs. 
du  Calvados.  Dès  que  le  nouvel  évêque  en  eut  pris 
possession,  il  essaya  d'y  organiser  le  service  religieux. 
Aux  termes  de  la  constitution,  quand  il  se  trouvait 
dans  une  ville  épiscopale  des  curés  dont  les  paroisses 
étaient  supprimées,  pour  être  réunies  à  la  Cathédrale, 
ils  devaient  être ,  sur  leur  demande  ,  choisis  «  de 
plein  droit  »  pour  vicaires  épiscopaux.  A  Bayeux  ,  il 
s'en  trouva  quatre  qui  prétendirent  à  cette  distinction  : 
M.  Lécuyer,  curé  de  Saint-Jean  ;  M.  Biet,  curé  de  la 
Madeleine;  M.  Le  Menand,  curé  de  Saint-Sauveur  ; 

(1)  Cette  date  ,  que  nous  avons  trouvée  depuis  l'impression 
de  la  page  219,  fait  cesser  toute  incertitude. 


302  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

M.  Moulland,  curé  de  Saint-Martin.  L'évêque  en  fut 
contrarié  ;  il  objecta  que  cette  combinaison  était 
incompatible  avec  le  service  des  paroisses  ,  qu'elle 
restreignait  la  liberté  dont  il  entendait  user  pour  le 
choix  de  ses  vicaires ,  et  après  une  lutte  assez  vive  , 
les  quatre  curés  se  retirèrent  dans  leurs  paroisses 
jusqu'à  ce  qu'elles  fussent  supprimées;  cette  conduite 
de  l'évêque  choqua  vivement  les  administrateurs. 

Il  y  aura ,  disait  la  constitution  ,  seize  vicaires 
épiscopaux  dans  les  villes  qui  comprendront  plus  de 
dix  mille  âmes.  M.  Fauchet  partagea  donc  son  admi- 
nistration entre  seize  vicaires.  C'est  au  moins  ce  que 
nous  apprennent  les  mémoires  du  temps  (1).  Nous 
avons  mentionné  ceux  dont  le  nom  figure  dans  les 
actes  officiels  qui  nous  ont  passé  sous  les  yeux  ;  s'il 
faut  en  croire  la  tradition  ,  il  serait  facile  d'en  citer 
un  plus  grand  nombre,  et  il  y  aurait  eu  parmi  eux  de 
fréquentes  mutations.  Au  témoignage  de  M.  Bisson  , 
évêque  du  Calvados  ,  la  plupart  étaient  des  gens 
d'esprit  ;  mais  il  ajoute  que  l'esprit  par  lequel  ils 
brillaient,  n'était  pas  précisément  l'esprit  ecclésias- 
tique ;  presque  tous  étaient  étrangers  au  diocèse. 
L'abbé  Bajot,  qui  tenait  le  premier  rang  parmi  ses 
collègues  ,  abandonna  ses  fonctions  à  la  mort  de 
l'abbé  Fauchet  ;  d'autres  contractèrent  sans  pudeur 
des  mariages  civils. 

Le  24  janvier  1 792 ,  le  conseil  municipal  de  Bayeux, 

(1)  La  ville  de  Bayeux  pouvait  compter  à  cette  époque  de 
dix  mille  deux  cents  à  dix  mille  cinq  cents  habitants.  —  Note 
communiquée  par  M.  Gardin  de  Villers ,  adjoint  h  la  mairie 
de  Bayeux. 


DE    BAYEUX.  303 

sur  la  demande  de  MM.  Bajot  et  Simien-Despréaux  , 
vicaires  de  M.  Fauchet,  arrêta  que  tous  les  prêtres , 
quelles  que  fessent  leurs  opinions,  seraient  admis  à 
célébrer  la  messe  dans  la  ville  épiscopale  ,  sur  la 
simple  exhibition  de  leurs  lettres  de  prêtrise.  Ce 
qu'on  se  proposait  par  cette  «  mesure  de  paix  ,  » 
c'était ,  disait-on  ,  de  tranquilliser  les  esprits  et  de 
garantir  la  liberté  de  conscience.  Nous  donnons  acte 
aux  uns  et  aux  autres  de  ces  bonnes  intentions. 

Lorsque  le  serment  eut  éloigné  des  paroisses  ceux 
qui  refusaient  de  prendre  position  dans  l'Église  consti- 
tutionnelle, on  reconnut  bientôt  que  le  clergé  de  cette 
Église  était  plus  qu'insuffisant  pour  les  besoins  du 
culte.  Nous  dirons  tout-a-1'heure  à  quels  tristes  expé- 
dients l'évêque  n'eut  pas  honte  d'avoir  recours  pour 
combler  les  vides.  En  attendant  qu'il  pût  les  remplir, 
il  ne  craignit  pas  d'appeler  aux  fonctions  du  ministère 
des  moines  dissolus  qui  avaient  secoué  avec  empres- 
sement le  joug  de  la  règle  ,  il  releva  des  censures 
ecclésiastiques  les  prêtres  qui  les  avaient  encourues  ,  . 
et  les  rétablit  en  fonctions.  Malgré  ces  mesures  déplo- 
rables, la  pénurie  continua  de  se  faire  sentir.  Le  6 
avril  1793,  le  citoyen  Bajot,  vicaire  épiscopal ,  fut 
autorisé  à  placer  dans  les  paroisses  où  l'on  manquait 
de  desservants,  les  vicaires  qui  n'étaient  pas  indis- 
pensables à  leur  poste;  en  cas  de  refus,  ceux-ci 
devaient  perdre  leur  traitement. 

Un  décret  rendu  par  l'assemblée  nationale  au  mois      x'nivt11' 

démarcation 

d'août  1790,  arrêtait  en  principe  que  les  paroisses    «^p^ 
seraient  soumises  à  une  nouvelle  circonscription  et 
posait  les  bases  de  ce  travail.  Le  comité  ecclésias- 


ISS.'<. 


304  HISTOIRE    DU    DIOCÈSE 

tique  devait  d'abord  étudier,  et  prendre  pour  point 
de  départ,  les  rapports  des  assemblées  de  district  et 
de  département.  Ces  assemblées  avaient  pour  s'éclai- 
rer elles-mêmes  les  renseignements  qu'elles  deman- 
daient aux  communes,  les  pétitions  qui  leur  étaient 
adressées  par  les  sections  d'une  même  ville  ou  par 
de  simples  particuliers.  Toutes  ces  pièces  ,  formant 
dossier,  étaient  expédiées  au  comité  ecclésiastique 
qui  préparait  les  décrets  concernant  chaque  paroisse  ; 
puis,  quand  le  décret  avait  été  rendu  par  l'assemblée, 
on  le  soumettait  à  la  sanction  du  roi.  —  La  ville 
épiscopale ,  qui  avait  compté  à  une  certaine  époque 
jusqu'à  dix-sept  paroisses,  ne  fut  organisée  qu'après 
divers  tâtonnements.    Le   1er  septembre  4  791  ,   le 
nombre  des  paroisses  avait  été  réduit  à  cinq.  Plus 
tard,  ce  titre  ne  fut  plus  attaché  qu'à  deux  églises. 
Enfin,  le  11  mai  1793,  parut  un  décret  de  la  con- 
vention ,  qui  ne  conservait  à  Bayeux  «  qu'une  seule 
paroisse,  »  l'église  Cathédrale,  et  lui  donnait  pour 
succursales  les  églises  de  Saint-Patrice  ,  de  Saint- 
Vigor,  autrefois  comprise  dans  le  doyenné  de  Creully, 
et  celle  de  Saint-Loup.  L'église  de  Saint-Exupère  et 
celle  de  Vaucelles  y  étaient  annexées  avec  le  titre 
d'oratoires.   Des  treize  paroisses  de  Caen  ,   quatre 
furent  supprimées  :  Saint-Georges-du-Château  ,  Saint- 
Martin  ,  Saint-Nicolas  et  Saint- Julien.  Sept  furent 
conservées  avec  le  titre  curial  :  Saint-Jean ,  Saint- 
Gilles  ,   Saint-Pierre  ,    Notre-Dame  ,  Saint-Sauveur, 
Saint-Étienne  et  Saint- Michel  de  Vaucelles.  —  Les 
paroisses  de  Sainte-Paix  et  de  Saint-Ouen  prirent  le 
titre  de  succursales  et  furent  réunies  l'une  à  Saint- 


DE   BAYEUX.  305 

Michel  de  Vaucelles,  l'autre  à  Saint-Etienne  (1).  Les 
changements  introduits  dans  la  démarcation  des 
paroisses  amenèrent  quelques  substitutions  dans  les 
églises.  On  substitua ,  par  exemple ,  en  qualité  de 
paroisse,  l'église  de  l'abbaye  de  Saint-Etienne  a  celle 
de  Saint-Étienne-le-Vieux.On  ferma  l'église  de  Saint- 
Sauveur,  située  sur  la  place  du  Marché;  le  titre  de 
Saint-Sauveur  fut  transféré  à  Notre-Dame-de-Froide- 
Rue,  et  celui  de  Notre-Dame  à  l'église  des  Jésuites. 
Le  district  aurait  voulu  réduire  à  six  le  nombre  des 
paroisses  de  Caen  (2).  La  municipalité  insista  pour 
en  obtenir  sept.  L'ordonnance  rendue  par  Louis  XVJ, 
le  12  juillet  1791  ,  sanctionna  le  projet  municipal. 
A  la  même  date ,  l'assemblée  nationale  déclarait  que, 
«  conformément  à  l'avis  de  Claude  Fauchet ,  évêque 
du  département ,  il  y  aurait  pour  la  ville  de  Falaise 
et  les  campagnes  environnantes  trois  paroisses  (3), 
qui  seraient  desservies  sous  le  nom  et  dans  les 


(1)  Saint-Germain-de-la-Blanche-Herbe,  qui  jusque-là  avait 
fait  partie  du  doyenné  de  Maltot,  fut  aussi  rattaché,  avec  le 
titre  de  succursale  ,  à  Saint-Étienne  de  Caen.  —  Dans  Je 
projet  municipal  ,  l'église  des  Jacobins  avait  été  annexée 
comme  oratoire  à  la  paroisse  Saint-Jean  ;  cette  combinaison 
fut  rejetée  par  le  conseil  général  du  département. 

(2)  Les  paroisses  que  le  district  avait  proposées  étaient  : 
Saint-Michel  de  Vaucelles  ,  Saint-Gilles  ,  Saint-Pierre  ,  Saint- 
Jean  ,  Saint-Luc  (église  des  Cordeliers} ,  Sainte-Marie  (église 
de  Saint-Étienne). 

(3)  On  nous  assure  que  l'ordonnance  ne  fut  pas  exécutée  : 
que  Falaise  conserva  ses  quatre  paroisses ,  celles  que  l'on  y 
compte  encore  aujourd'hui.  Il  est  au  moins  certain  que,  le  16 
octobre  1792 ,  un  an  après  l'ordonnance  de  Louis  XVI ,  l'abbé 
Legros,  curé  de  Saint-Laurent,  signait  encore,  en  cette  qualité, 
les  registres  de  la  paroisse. 

20 


306  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

églises  de  la  Trinité,  de  Saint-Gervais  et  deGuibray.  » 
A  Lisieux  ,  on  ferma  l'église  de  Saint-Germain  ,  qui 
fut  remplacée  par  la  Cathédrale.  A  Honfleur,  on  di- 
visa la  ville  en  deux  paroisses,  Sainte-Catherine  et 
Saint-Léonard.  Les  deux  églises  de  Notre-Dame  et  de 
Saint-Étienne ,  depuis  longtemps  considérées  comme 
annexes  ,  étaient  desservies  par  des  vicaires  ;  le 
culte  y  fut  entièrement  supprimé.  La  ville  de  Vire 
conserva  la  paroisse  Notre-Dame. 
servitude         Depuis  l'inauguration  du  nouveau  régime ,  le  pou- 

da  clergé  .         .  . 

constitutionnel,  voir  civil  semblait  avoir  pris  pour  tâche  d'absorber  à 
son  profit  le  pouvoir  spirituel ,  et  cette  tendance 
s'était  révélée  dès  les  premiers  jours.  Le  clergé  avait 
pourtant  donné  à  ses  adversaires  l'exemple  de  la 
modération.  Tant  que  la  foi  ne  fut  pas  en  cause  ,  il 
multiplia  les  concessions  ;  jusqu'au  jour  où  la  consti- 
tution fut  votée ,  il  ne  recula  devant  aucun  sacrifice. 
A  l'époque  où  le  temporel  de  l'Église  était  seul  me- 
nacé, Mgr  de  La  Feronnaye,  évêque  de  Lisieux,  avait 
fait  le  serment  civique  à  la  nation  ,  à  la  loi  et  au  roi. 
Mgr  de  Cheylus  fit  plus  encore  :  il  se  laissa  nommer 
maire  de  Bayeux  (1);  on  n'a  pas  oublié  le  discours 
qu'il  voulut  adresser  à  la  garde  nationale  avant  de 
bénir  ses  drapeaux,  ni  la  franchise  avec  laquelle  il  ac- 

(1)  On  peut  lire  dans  les  registres  municipaux  un  procès- 
verbal,  en  date  du  3  février  1790,  signé  :  f  Jos.,  En.  et  Maire 
de  Bayeux,  constatant  que  M*r  l'évêque  et  MM.  de  la  munici- 
palité ,  s'étant  rendus  sur  la  place  Louis  XVI ,  y  ont  prêté  le 
serment  de  maintenir,  de  tout  leur  pouvoir,  la  constitution  du 
royaume;  d'être  fidèles  à  la  nation,  à  la  loi  et  au  roi.  A 
cette  époque ,  M8r  de  Cheylus  est  appelé  dans  certains  actes 
le  prélat-citoyen. 


DE   BAYEUX.  307 

ceptait  les  tendances  patriotiques  derrière  lesquelles 
se  cachait  la  révolution.  D'accord  avec  lui,  le  chapitre, 
par  un  acte  authentique,  avait  sacrifié  ses  immunités 
et  ses  privilèges  (1).  Le  même  esprit  animait  le  clergé 
de  Lisieux.  En  1789,  on  bénit  aussi  a  la  Cathédrale 
les  drapeaux  de  la  garde  bourgeoise.  Quatre  cha- 
noines ,  députés  par  le  chapitre ,  la  reçurent  à  la 
porte  de  l'église  et  la  conduisirent  au  chœur.  L'abbé 
?sTaudin  ,  chevecier  (2)  et  vicaire-général ,  bénit  les 
drapeaux ,  les  remit  à  M.  le  maire  et  au  colonel  de  la 
légion,  en  leur  donnant  le  baiser  fraternel.  Quelque 
temps  après ,  il  s'agissait  dans  la  même  ville  de  la 
perception  des  droits  d'octroi  ;  Mgr  l'évêque  permit 
qu'un  commissaire  «  nommé  par  le  roi ,  »  montât 
dans  la  chaire  de  la  Cathédrale  pour  y  prononcer  un 
discours.  Il  était  assisté  du  procureur  de  la  com- 
mune. Tant  de  concessions  devaient  être  inutiles.  A 
mesure  que  l'usurpation  grandissait ,  les  administra- 
tions locales  exerçaient  sur  le  clergé  un  pouvoir  de  plus 
en  plus  despotique.  Il  est  impossible  de  parcourir  les 
arrêtés  pris  par  les  directoires  et  les  conseils  des  dis- 
tricts ou  du  département  (3),  sans  déplorer  la  servi- 
tude à  laquelle  était  réduit  le  clergé  diocésain.  L'abbé 
Fauchet,  il  faut  bien  le  reconnaître,  avait  ouvert  la 
porte  à  ces  abus  ;  dans  le  temps  où  ses  admirateurs 
l'appelaient  le  Dieu  du  Calvados ,  il  avait  chargé  le 
maire  de  Caen  de  pourvoir  provisoirement  à  la  nomi- 


(1)  V.  p.  214. 

(2)  V.  p.  243. 

(3)  On  trouvera  le  mécanisme  de  ces  différentes  adminis- 
trations expliqué  dans  une  note  à  la  fin  du  volume. 


308  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

nation  du  curé  de  Saint-Étienne.  Ce  fut  bientôt  un 
envahissement  général.  Le  21  juin  1791,  le  directoire 
du  district  de  Bayeux  citait  devant  lui  les  quatre 
chapelains  de  Saint-Malo  ,  accusés  par  les  habitants 
de  ne  plus  acquitter  les  fondations  depuis  l'arrivée 
du  curé  constitutionnel  ;  il  les  obligeait  d'abdiquer 
leurs  fonctions.  Dès  le  temps  de  M°r  de  Cheylus  ,  les 
conseillers  de  la  commune  de  Vire  avaient  demandé 
à  l'évêque  des  pouvoirs  pour  trois  ecclésiastiques 
«  désignés  par  eux  ,  »  en  qualité  de  desservants  après 
la  mort  de  M.  le  curé.  Plus  tard ,  le  conseil  général 
du  Calvados  ferme  des  églises ,  destitue  des  curés , 
leur  nomme  des  successeurs ,  transporte  d'une  pa- 
roisse à  l'autre  le  siège  de  l'administration  spiri- 
tuelle, sous  la  réserve  que  le  curé  de  la  paroisse  qu'il 
désigne  «  se  retirera  vers  le  conseil  épiscopal  »  pour 
obtenir  des  pouvoirs  ;  ceci  se  passait  en  1792.  L'année 
suivante,  le  district  de  Bayeux  établit  un  hôpital  mili- 
taire dans  les  bâtiments  du  séminaire  diocésain  ,  et 
transfère  les  élèves  à  la  maison  des  Cordeliers.  Qu'on 
lise  la  délibération  :  il  n'y  est  question  ni  de  con- 
sulter ni  de  prévenir  l'évêque.  C'était  ainsi  que  la 
révolution  traitait  ses  pontifes;  on  se  tromperait  fort, 
si  l'on  croyait  qu'elle  songeât ,  du  moins  ,  à  leur  faire 
une  position  splendide,  Aux  termes  de  la  constitution, 
dans  les  villes  dont  la  population  était  inférieure  à 
cinquante  mille  âmes,  le  traitement  des  évoques  avait 
été  fixé  à  douze  mille  livres  ;  l'abbé  Fauchetne  recevait 
que  le  quart  de  cette  somme  :  c'est  ce  qu'on  lit  dans 
une  délibération  ,  prise  le  9  novembre  1792  par 
le  directoire  du  district  de  Bayeux  ;  on  proposait  d'y 


DE   BAYEUX.  309 

ajouter,  pour  le  logement,  une  indemnité  de  douze 
cents  livres.  L'administration  ayant  envahi  le  palais 
de  Mgr  de  Cheylus,  l'abbé  Fauchet  avait  acheté  l'hôtel 
qu'occupait  auparavant  le  doyen  du  chapitre.  A  sa 
mort,  la  nation  s'en  empara;  plus  tard,  il  fut  rendu 
à  ses  héritiers  (1).  Promesses  trompeuses;  oubli  de 
toutes  les  convenances  ;  oppression  de  tous  les  droits, 
tel  était  donc,  à  tous  les  points  de  vue,  le  bilan  de  la 
révolution. 

On  distinguait  ça  et  là,  dans  les  rangs  du  clergé 
constitutionnel ,  des  hommes  sincèrement  vertueux , 
d'une  piété  exemplaire,  d'une  moralité  irréprochable. 
Ce  témoignage  ,  que  nous  sommes  heureux  d'enre- 
gistrer ici ,  leur  était  rendu  par  les  fidèles  les  plus 
attachés  à  la  vraie  doctrine  (2).  Pourquoi  sommes-      Désordres 

du  clergé 

nous  contraints  d'ajouter  que,  dans  les  rangs  de  ce  constitutionnel. 
même  clergé ,  le  plus  grand  nombre  ne  méritait  pas 
ces  éloges.  Les  faits  abondent  de  tous  côtés  ;  nous 
serons  sobre  de  détails  ;  il  en  est  toutefois  que  nous 
ne  pouvons  omettre.  Plusieurs  n'avaient  pas  attendu 
la  loi  sur  le  mariage  des  prêtres  pour  violer  leurs 
engagements;  mais,  quand  cette  loi  parut,  les  scan- 
dales se  multiplièrent.  Citons  entre  autres  le  curé  de 
Champ-du-Boult  et  le  prieur  de  Beaumesnil,  qui  se 
marièrent  réciproquement ,  après  avoir  eux-mêmes 

(1)  Depuis  1802  ,  il  est  devenu  la  résidence  de  Tévêque 
diocésain. 

(2)  Ce  détail ,  ainsi  que  plusieurs  autres,  que  nous  consi- 
gnerons à  leur  place  ,  est  indiqué  dans  les  réponses  faites  par 
les  Conférences  du  diocèse  de  Bayeux,  aux  questions  que  leur 
adressa  M8r  Robin  ,  quand  il  daigna  nous  charger  d'écrire  cette 
histoire. 


310  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

publié  leurs  bans.  Un  des  grands-vicaires  de  l'abbé 
Fauchet,  Simien-Despréaux ,  se  présenta  un  jour  au 
club,  tenant  par  la  main  celle  qu'il  appelait  son  épouse; 
elle  y  chanta  une  chanson  patriotique  ,  qui  lui  valut 
l'accolade  du  président.  Ajoutons  que,  partout  où  ces 
scandales  se  produisirent ,  le  bon  sens  des  popu- 
lations en  fit  justice.  Le  5  nivôse  an  VIII,  la  commune 
de  Vire  délibérait  sur  le  prochain  mariage  d'un  ci- 
devant  génovéfin.  On  le  dispensa  de  le  faire  célébrer 
à  la  séance  décadaire.  On  craignait  «  d'apprêter  à 
rire  aux  ennemis  du  nouvel  ordre  de  choses  qui  ne 
manqueraient  pas  de  s'y  rencontrer.  »  Ces  désordres, 
quelque  lamentables  qu'ils  fussent  ,  n'étaient  pas 
encore  le  dernier  mot  de  l'impiété.  Un  jour,  à  la 
Cathédrale  ,  un  prêtre  ,  dont  le  nom  figure  sur  les 
registres  du  club  ,  profana  les  vases  sacrés  dans  une 
orgie ,  monta  en  chaire ,  une  coupe  à  la  main  ;  puis 
s'adressant  au  christ  placé  entre  le  chœur  et  la  nef  : 
«  A  ta  santé,  Carabot,  »  lui  dit-il  (4). 

Parmi  les  membres  du  clergé  constitutionnel ,  il  y 
eut  pourtant  un  homme  qui  osa  protester  contre  ces 
attentats.  Au  commencement  de  l'année  1793,  une 
grande  assemblée  se  réunit  à  la  Cathédrale  ;  le  but 
de  la  réunion  était  le  recrutement  de  l'armée.  Les 

(1)  Le  fait  est  certain.  M.  G.  Mancel  nomme  le  prêtre  qui  , 
d'après  certaine  tradition,  s'en  serait  rendu  coupable  (Souve- 
nirs de  l'insurrection  normande,  p.  136).  Nous  avons  quelques 
raisons  de  penser  qu'on  a  tort  de  l'attribuer  à  Coquille-Deslong- 
champs.  —  Dans  notre  pays,  le  titre  de  Carabot  correspondait 
à  celui  de  Sans-Culottes.  C'était  une  épithète  dédaigneuse  qui 
avait  été  donnée  par  l'aristocratie  aux  émeutiers ,  aux  coureurs 
de  révolte ,  et  par  extension  ,  aux  patriotes  les  plus  ardents. 


DE   BAYEUX.  311 

vicaires  épiscopaux  n'avaient  pu  refuser  leur  consen- 
tement ;  on  n'avait  pas  daigné  les  prévenir.  Alors 
commença  une  scène  lugubre.  L'autel  sur  lequel 
reposait  le  Saint-Sacrement  fut  profané  par  des  ani- 
maux ;  les  assistants  le  souillèrent  d'exécrables  or- 
dures. M.  Moulland  ,  curé  de  Saint-Martin  ,  était 
présent;  il  essaya  d'élever  la  voix  ;  on  lui  répondit 
par  des  outrages.  Une  lettre  véhémente  qu'il  publia 
quelques  jours  après,  ne  fut  pas  mieux  accueillie  ; 
nous  la  citerons  comme  un  témoignage  de  sa  foi  ;  on 
la  dirait  écrite  avec  la  plume  de  saint  Jérôme  (1). 

Enfin ,  la  défection  scandaleuse  de  quelques  apos- 
tats vint  ajouter  encore  aux  douleurs  de  l'Église.  11 
y  eut  des  prêtres  qui  renoncèrent  publiquement  à 
leurs  fonctions  ;  il  y  en  eut  qui  s'accusèrent  de  les 
avoir  exercées  par  hypocrisie.  La  plume  se  refuse  à 
transcrire  le  cynisme  de  leurs  aveux.  A  Caen ,  un 
docteur  en  théologie,  non  content  d'abdiquer  pour 
son  propre  compte ,  déposa  sur  le  bureau  la  lettre 
sacerdotale  de  son  frère,  qui  l'avait  précédé  dans  la 
tombe  ;  il  ne  craignit  pas  de  l'associer  à  son  parjure. 
Il  osa  dire  que  «  s'il  restait  aux  morts  quelque  senti- 
ment, »  il  était  certain  que  son  frère  applaudissait  à 
sa  démarche.  A  Caen  ,  on  ressuscitait  les  morts  pour 
grossir  le  nombre  des  apostats;  à  Bayeux,  on  ne  se 
faisait  pas  scrupule  de  calomnier  les  vivants.  A  celte 
époque  néfaste  ,  quand  on  voulait  sauver  un  prêtre  , 
on  disait,  ou  on  lui  faisait  dire,  qu'il  avait  renoncé  au 
sacerdoce.  Le  courageux  abbé  Moulland  fut  mis  en 
demeure  de  s'expliquer  sur  ce  point. 

(1)  V.  aux  Pièces  justificatives. 


312  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

Il  était  en  prison  a  Bayeux  le  15  février  1794  , 
c'est-a-dire  ,  pendant  le  règne  de  la  Terreur.  Son 
crime,  il  nous  l'apprend  lui-même  dans  la  lettre  qu'il 
adressa  aux  représentants  du  peuple  ,  était  d'avoir 
écrit  «  sur  papier  libre  »  le  nom  des  enfants  qu'on 
lui  présentait  au  baptême  ;  il  terminait  cette  lettre 
en  demandant  à  ses  juges  «  son  élargissement  ou  la 
mort.  »  Un  mois  plus  tard ,  on  lui  offrit  la  liberté  en 
échange  de  l'apostasie,  et  Moulland  répondit:  «  Qu'on 
me  laisse  dans  mon  cachot;  j'y  veux  mourir.  »  Le  19 
novembre  1794,  Moulland  sort  de  prison;  il  apprend 
qu'il  est  inscrit  au  nombre  des  prêtres  qui  ont  apos- 
tasie; aussitôt  il  s'adresse  au  conseil  général  de  la 
commune.  «  On  me  prête  un  courage  que  je  n'ai  pas 
eu  ,  lui  dit-il  ;  —  c'est  un  service  qu'on  a  voulu  me 
rendre  sans  doute  ;  je  loue  les  motifs  de  ceux  qui  ont 
eu  cette  idée,  mais  je  ne  puis  m'empêcher  de  blâmer 
leur  action.  —Mes  collègues  ont  fait  seuls  le  sacrifice 
de  leurs  lettres ,  je  leur  en  laisse  toute  la  gloire  ;  » 
et  l'abbé  Moulland  se  laissa  reconduire  en  prison. 
L'ironie  de  ces  dernières  paroles  prouve  que ,  dans 
cette  circonstance ,  la  peur  avait  glacé  les  courages  ; 
mais  du  moins  nous  pouvons  ajouter  que  les  re- 
mords ne  tardèrent  pas  à  se  faire  sentir.  Dès  l'année 
1795,  un  représentant  du  peuple,  en  mission  dans 
le  Calvados ,  autorisait  le  district  de  Bayeux  à  rendre 
aux  prêtres  catholiques  qui ,  s'étaient  soumis  aux 
lois  ,  les  lettres  de  prêtrise  qui  leur  auraient  été 
arrachées  par  la  tyrannie  ,  et  à  biffer  les  déclara- 
tions consignées ,  à  cette  occasion  ,  sur  les  registres 
municipaux.  Pour  compléter  cette  esquisse  ,  disons 


DE   BAYEUX.  313 

encore  qu'à  l'époque  où  mourut  l'abbé  Fauchet ,  un 
grand  nombre  d'intrus  abandonnaient  les  églises  dont 
ils  s'étaient  emparés.  L'enthousiasme  qu'ils  avaient 
d'abord  excité  fut  très-court.  Pendant  quelques  mois, 
on  suivit  leurs  prédications  avec  curiosité;  mais  on 
peut  dire  qu'en  général  ce  n'était  ni  par  attachement 
pour  leur  doctrine,  ni  par  estime  pour  leur  personne. 
L'esprit  d'opposition  aux  prêtres  catholiques,  tel  était 
presque  toujours  le  mobile  de  cet  entraînement. 
Bientôt  après,  la  réaction  se  fit  sentir.  Quelques-uns 
furent  chassés  par  leurs  paroissiens  ,  auxquels  ils 
n'avaient  pu  réussir  à  faire  agréer  leur  ministère;  les 
autres  disparurent,  parce  que  le  régime  de  la  Terreur, 
confondant  les  schismatiques  avec  les  orthodoxes  , 
ies  enveloppait  tous  dans  la  même  proscription. 

Quelle  fut ,  par  suite  de  cette  tourmente ,  la  des- 
tinée de  nos  différents  séminaires  ?  Quels  moyens 
employa  le  clergé  constitutionnel  pour  se  perpétuer 
dans  le  diocèse  et  y  implanter  sa  doctrine?  Avant  de 
répondre  à  cette  question  ,  qu'il  nous  soit  permis  de 
retourner  en  arrière  et  de  dire  un  dernier  adieu  à  nos 
pieuses  congrégations. 

La  congrégation  des  Eudistes ,  qui  s'était  affermie  et  suppression 
étendue  pendant  le  xvme  siècle  ,  avait  eu  le  bonheur  séminaires. 
de  conserver  son  esprit  primitif.  Entièrement  dévouée 
aux  évêques  ,  dit  l'historien  du  P.  Eudes  ,  elle  vivait 
en  paix  avec  le  reste  du  clergé.  Étrangère  aux  que- 
relles de.  parti  ,  invariablement  attachée  à  la  saine 
doctrine  ,  elle  faisait  le  bien  ,  sans  rechercher  l'éclat 
ni  les  louanges.  Le  séminaire  de  Caen  ,  fondé  en 
1643  par  le  P.  Eudes,  était  le  chef-lieu  de  la  congre- 


314  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

gation  et  la  résidence  ordinaire  du  supérieur-général. 
Le  dernier  fut  élu  en  1771  ;  il  se  nommait  Pierre 
Dumont.  C'était ,  s'il  faut  en  croire  ses  contempo- 
rains ,  un  homme  d'une  grande  vertu  et  d'une  haute 
capacité.  Il  possédait  la  confiance  de  tous  les  évêques 
dont  les  séminaires  étaient  confiés  à  sa  direction  ;  tous 
lui  avaient  donné  des  lettres  de  grand-vicaire.  Sous 
son  administration  ,  un  habitant  de  Caen  ,  M.  Bougy, 
fit  présent  au  séminaire  d'une  somme  de  trente 
mille  francs,  pour  y  fonder  une  retraite  «  annuelle  et 
gratuite  »  en  faveur  des  prêtres  occupés  dans  le  saint 
ministère.  Cette  retraite  eut  lieu  pour  la  première  fois 
en  1783  ;  elle  devait  durer  six  jours.  Quelque  temps 
avant  la  révolution  ,  les  infirmités  de  M.  Dumont 
l'avaient  forcé  de  demander  un  coadjuteur;  M.  Hébert, 
supérieur  de  la  maison  de  Paris  ,  lui  fut  adjoint  sans 
quitter  son  poste.  On  distinguait  alors  chez  les  Eu- 
distes  le  séminaire  des  théologiens  et  le  petit  sémi- 
naire ,  dirigés  l'un  et  l'autre  par  un  supérieur  distinct. 
M.  Delaporle  ,  supérieur  des  théologiens ,  était  en 
grande  vénération  dans  la  ville;  M.  Le  Coquiére  diri- 
geait le  second  établissement;  il  avait  en  outre  le 
titre  d'assistant  de  la  congrégation.  Le  20  mai  1790, 
on  dressa  la  liste  officielle  des  Eudistes  de  la  maison 
de  Caen  ;  ils  étaient  quinze ,  sans  compter  le  supé- 
rieur-général. Cinq  d'entre  eux  étaient  chargés  des 
missions  diocésaines. 

Une  pièce,  sans  date  et  sans  signature,  ayant  pour 
titre  :  «  Mémoire  pour  le  séminaire  de  Caen  ,  »  et 
qu'il  faut  probablement  rapporter  aux  premiers  mois 
de  l'année  1790,  nous  montre  que,  dès  cette  époque, 


DE  BAYEUX.  315 

l'existence  du  séminaire  était  menacée.  Les  Eudistes 
y  exposent  que  leur  congrégation  est  purement  sécu- 
lière ;  qu'ils  ne  sont  liés  par  aucun  espèce  de  vœu; 
qu'ils  sont  sous  la  dépendance  immédiate  des  évoques 
dans  les  diocèses  desquels  ils  sont  employés.  Ils  rap- 
pellent que,  depuis  1760,  ils  ont  disposé  d'une  partie 
de  leur  maison  pour  les  élèves  de  la  faculté  des  arts; 
en  sorte  que  leur  établissement,  pris  dans  son  ensem- 
ble, est  moins  un  séminaire  qu'une  «  maison  d'institu- 
tion »  faisant  partie  de  l'université.  Les  ordinands  que 
l'on  y  reçoit ,  continue  le  mémoire  ,  n'appartiennent 
pas  seulement  au  diocèse  de  Bayeux  ;  les  portes  en 
sont  ouvertes  à  tous  ceux  de  la  province.  Il  est  donc 
permis  de  ranger  le  séminaire  de  Caen  parmi  «  les 
maisons  d'institution  »  que  l'assemblée  nationale  a  ex- 
ceptées du  décret  qui  fixe  «  l'état  et  le  lieu  »  de  chaque 
séminaire  diocésain.  Deux  cents  étrangers  environ 
peuvent  y  être  admis.  La  ville  a  donc  un  grand  inté- 
rêt à  le  conserver.  Passant  à  un  autre  ordre  d'idées  , 
les  Eudistes  ajoutent  que  le  séminaire  de  Caen  n'est 
pas ,  à  proprement  parler,  dans  la  classe  des  biens 
ecclésiastiques.  La  place  a  été  achetée  et  les  bâtiments 
ont  été  construits  par  des  prêtres  qui ,  n'étant  liés 
par  aucun  vœu,  rentraient  dans  la  classe  des  autres 
citoyens  et  jouissaient  des  droits  de  propriété.  Aucun 
bénéfice  n'a  été  réuni  au  séminaire ,  aucune  portion 
de  biens  ecclésiastiques  n'a  été  appliquée  à  sa  dota- 
tion. 

Ces  arguments  étaient  précis  :  mais  le  séminaire  était 
admirablement  situe;  les  constructions  en  étaient  re- 
marquables ,  et  déjà,  on  le  disait  sans  détour,  il 


316  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

n'était  guères  possible  d'installer  plus  commodément 
les  bureaux  de  l'administration.  La  question  était 
donc  à  peu  près  résolue ,  lorsque  le  serment  fut  dé- 
crété par  l'assemblée.  M.  Hébert  le  refusa;  sa  congré- 
gation fut  dissoute,  et  il  mourut  martyr  au  couvent 
des  Carmes,  le  2  septembre  1792.  Les  infirmités  de 
M.  Dumont,  plus  encore  que  son  grand  âge,  le  déro- 
bèrent à  la  persécution.  On  nous  assure  qu'il  mourut 
à  Caen  ,  avant  la  fin  des  troubles.  Son  premier 
assistant ,  nommé  M.  Le  Bourgeois  ,  vieillard  plus 
qu'octogénaire  ,  lui  servait  d'interprète  au  moment 
de  la  catastrophe.  Ils  avaient  mis  en  commun  leurs 
réclamations  pour  obtenir  qu'on  leur  permit  d'occu- 
per jusqu'à  leur  mort ,  le  moindre  réduit  dans  la 
maison  bâtie  par  le  P.  Eudes  ;  l'administration  fut 
inexorable.  Déjà  la  commune  s'était  fait  adjuger  pour 
cent  cinquante  mille  francs  tous  les  biens  de  la  congré- 
gation ,  les  Eudistes  attaquèrent  cette  vente  comme 
frauduleuse  et  faite  à  vil  prix  ;  l'administration  des 
domaines  finit  par  consacrer  la  spoliation.  Ce  fut  au 
mois  d'avril  1792  que  le  corps  municipal  établit  ses 
séances  dans  la  maison  du  «  ci-devant  séminaire.  » 
Après  avoir  fermé  l'église  ,  on  en  fit  disparaître  exté- 
rieurement les  symboles  religieux,  et  on  les  remplaça 
par  le  faisceau  de  la  liberté. 

Le  séminaire  de  Bayeux  était  dirigé  par  les  Laza- 
ristes. Nous  ne  connaissons  aucun  détail  particulier 
qui  se  rattache  à  leur  expulsion.  Quoiqu'ils  eussent 
refusé  le  serment,  il  étaient  encore  au  séminaire  au 
mois  de  mai  1791  ;  on  y  comptait  cinq  prêtres  et  trois 
frères  servants.  Les  finances  y  étaient  dans  un  grand 


DE   BAYEUX.  317 

désordre  ;  on  fit  droit  aux  réclamations  des  directeurs, 
en  leur  accordant  une  indemnité  et  des  traitements 
provisoires  jusqu'à  leur  remplacement  définitif;  ils 
quittèrent  Bayeux  quelque  temps  après. 

Il  y  avait  déjà  longtemps ,  comme  nous  l'avons  dit 
plus  haut  (1),  que  les  études  avaient  cessé  au  sémi- 
naire de  la  Délivrande.  Cependant  la  maison  continua 
d'être  habitée  par  les  Lazaristes  (2).  A  l'époque  de  la 
révolution  ,  il  ne  s'y  trouvait  plus  qu'un  prêtre  et  deux 
frères  servants.  Le  premier,  qui  était  désigné  sous  le 
titre  de  supérieur  (3),  confessait  les  fidèles  dans  la 
chapelle  de  l'établissement.  Quatre  chapelains  desser- 
vaient celle  du  pèlerinage.  Malgré  leur  petit  nombre , 
les  Lazaristes  célébraient  chaque  année  la  fête  de 
saint  Vincent  de  Paul  ;  tous  les  dimanches ,  leur 
chapelle  était  ouverte  au  public ,  excepté  le  premier 
dimanche  de  chaque  mois  ;  ce  jour-là,  MM.  les  chape- 
lains chantaient  l'office  dans  leur  église.  Il  résulte  de 
plusieurs  documents  consignés  sur  les  registres  de  la 
commune  de  Douvres ,  que  le  supérieur  et  les  deux 
frères  continuèrent  d'habiter  la  maison,  après  qu'elle 
eut  été  déclarée  propriété  nationale.  Le  9  mai  1792, 
un  détachement  des  volontaires  de  l'Eure  stationnait 
à  la  Délivrande.  La  municipalité  de  Douvres  arrête 
qu'il  sera  fait  une  adresse  au  département  pour  obtej 
nir  qu'on  loge  dans  les  bâtiments  du  séminaire  — 

(1)  V.  p.  70. 

(2)  C'est  celle  qu'occupent  présentement  les  RR.  PP.  Mission- 
naires. 

(3)  La  tradition  que  nous  avons  eu  le  bonheur  de  recueillir 
confirme  sur  ce  point  le  témoignage  de  M.  Delamare. 

(V.  le  Pouillé.) 


318  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

lequel  est  à  la  disposition  de  la  nation  —  le  déta- 
chement de  l'Eure ,  ou  tout  autre  qui  pourrait  être 
envoyé.  Le  séminaire  ,  disent  les  délibérants ,  est  un 
bâtiment  propre  à  caserner  deux  cents  hommes ,  et 
n'est  occupé  que  par  trois  Lazaristes.  Le  M  du  même 
mois,  le  directoire  du  département  décide  que  les 
soldats  seront  casernes  «  dans  le  ci-devant  séminaire, 
et  ce,  sans  déplacer  les  Lazaristes,  »  qui  en  occupent 
une  partie.  Toutefois  ,  leur  expulsion  définitive  ne 
dut  pas  se  faire  attendre.  Une  lettre  écrite  au  district 
de  Caen  par  les  administrateurs  de  la  commune  de 
Douvres,  au  commencement  de  l'année  1794,  nous 
apprend  qu'à  cetie  époque,  le  dernier  supérieur  avait 
emporté ,  en  quittant  la  maison ,  ce  qui  était  à  son 
usage,  et  que  les  meubles  avaient  été  vendus.  On 
trouve  le  nom  de  ce  vieillard  sur  le  registre  des 
sépultures  de  Douvres  à  la  date  du  30  novembre 
1801.  Il  y  est  nommé  J.-B.  Henen;  il  était  âgé  de 
soixante-dix-sept  ans  (1).  La  propriété  des  Lazaristes 
ne  fut  aliénée  qu'en  1796. 
séminaire  De  ces  trois  séminaires ,  on  ne  conserva  donc  que 
celui  de  Bayeux.  Après  le  départ  des  Lazaristes  ,  il 
fut  dirigé  quelque  temps  par  M.  Hébert ,  curé  de 
Vaucelles  de  Caen,  vicaire  épiscopal  de  M.  Fauchet. 
Nous  avons  vu  plus  haut  que  ,  le  30  avril  1793,  le 
district  de  Bayeux  le  transféra  dans  la  maison  des 
Cordeliers.  Quel  était  alors  le  nombre  de  ses  élèves? 
Quelle  direction  était  donnée  à  leurs  études?  Nous 
manquons  de  renseignements  sur  ce  point.  Ce  qui 
nous  est  attesté  par  les  contemporains,  c'est  que  le 

(])  Son  nom  est  écrit  Helin  dans  les  registres  municipaux. 


constitutionnel . 


à  Caen. 


DE   BAYEUX.  319 

temps  des  études  fut  abrégé,  Des  lévites  qui  avaient 
été  rejetés  par  les  supérieurs  pour  leur  ignorance  , 
leur  inconduite  ou  la  témérité  de  leurs  opinions  , 
furent  appelés  brusquement  à  l'ordination  ;  de  là  une 
partie  des  scandales  que  nous  avons  déplorés  (1).  Le 
2  mai  1793,  le  vicaire  épiscopal,  supérieur  du  sémi- 
naire, demandait  au  directoire  de  vouloir  bien  régler 
le  prix  de  la  pension  ;  elle  fut  fixée  à  quarante  livres 
par  mois.  De  plus  ,  ordre  fut  donné  au  supérieur 
de  ne  conserver  que  deux  domestiques.  Comme  du 
temps  des  Lazaristes,  le  supérieur  se  plaint  des  avan- 
ces qu'il  était  obligé  de  faire  à  l'économe.  La  prospé- 
rité matérielle  n'était  donc  pas  en  progrès. 
Le  protestantisme  avait  cru  d'abord  que  la  révo-      TeraPle 

protestant 

lution  allait  inaugurer  pour  lui  une  ère  de  liberté,  et 
il  en  proclama  les  principes  avec  enthousiasme;  mais 
il  dut  bientôt  comprendre  que  les  sectateurs  d'une 
religion  qui  se  dit  révélée,  n'avaient  rien  de  commun 
avec  les  pontifes  de  l'Être  suprême.  Dès  le  mois 
de  mars  1792,  une  pétition  avait  été  adressée  au 
directoire  du  département  par  plusieurs  réformés  de 
la  ville  de  Caen  ;  ils  demandaient  qu'on  leur  accordât 
provisoirement  «  l'ancienne  église  de  la  paroisse 
Saint-Etienne  »  pour  y  faire  les  exercices  de  leur 
culte.  Cette  pétition  fut  renvoyée  au  directoire  du 
district.  Plus  tard,  à  la  date  du  U  janvier  1793,  nous 
trouvons  que  le  conseil  général  du  département,  ouï 
une  seconde  réclamation  «  des  religionnaires  Protes- 

(1)  On  envoya  dans  certaines  paroisses  des  intrus  dont 
l'ignorance,  en  fait  de  liturgie,  était  scandaleuse;  un  laïc 
les  assistait  et  les  dirigeait  à  l'autel. 


320  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

tants,  »  leur  accorde  provisoirement  pour  l'exercice  de 
leur  culte,  l'église  des  Carmélites ,  à  condition  qu'ils 
placeront  sur  la  porte  l'inscription  suivante  :  Paix 
et  liberté  ,  et  qu'ils  prendront  l'engagement  de  ne 
troubler  en  rien  l'ordre  public.  11  y  avait  alors  plus 
d'un  siècle  que  le  culte  protestant  avait  été  supprimé 
à  Caen ,  par  arrêt  du  parlement  de  Normandie.  11  fut 
.  bientôt  emporté  dans  la  proscription  générale. 
Fin  En  proscrivant  le  culte  chrétien,  la  révolution  ne 

du  Palinod. 

pouvait  épargner  une  institution  qui  en  eût  perpétué 
le  souvenir.  Nous  avons  déjà  raconté  l'origine  du 
palinod.  Nous  avons  dit,  ailleurs,  comment  fut  établi 
ce  concours,  dans  lequel  la  Normandie  chanta  pen- 
dant près  de  trois  siècles  le  dogme  de  l'Immaculée 
Conception.  Pour  comprendre  ce  qui  va  suivre  ,  il 
faut  savoir  que ,  dans  l'origine  ,  les  poètes  ,  qui  se 
disputaient  la  gloire  de  célébrer  la  Vierge  immaculée, 
avaient  fait  un  grand  usage  de  l'allégorie.  L'auteur 
du  «  premier  chant  royal ,  »  présenté  au  palinod  en 
1 527,  s'était  emparé  de  cette  pensée  de  la  sainte 
Écriture  :  Sapienlia  œdificavit  sibi  domum.    La 
sagesse  s'est  bâti  une  demeure;  cette  demeure ,  c'est 
la  vierge  Marie,  que  Dieu  a  daigné  se  choisir  pour 
temple.  Le  sujet  est  donc  traité  d'une  façon  allégo- 
rique. Essayons  d'en  donner  une  idée.  — L'université 
—  Aima  par  eus  —  est  l'emblème  de  la  vierge  Marie. 
Il  ne  se  trouve  en  elle  ni  macule  ni  indescence;  elle 
dispose  de  nombreux  privilèges.  Dieu  l'a  décorée 
d'un  immense  pouvoir.  Le  Fils  de  Dieu  est  le  Recteur 
auquel  tout  sens  repose;  le  Saint-Esprit  est  le  Conser- 
vateur de  ses  privilèges.  Le  Messager,  «  aux  habits 


DE   BAYEUX.  321 

diaprés  (1),  »  figure  l'archange  saint  Gabriel.  Enfin  , 
les  Docteurs  sont  la  crédence  de  l'Église  (2);  et  le 
poète  conclut  sa  sentence  par  ce  refrain  palinodique, 
qui  terminait  chacune  des  strophes  de  la  pièce  : 

«  Tel  onc  ne  fut  ne  sera  par  après.  » 

Plus  tard ,  une  ode  latine  ,  sur  le  modèle  de  la 
strophe  alcaïque  Odi  profanum  vulgus  et  arceo , 
fut  ajoutée  aux  pièces  du  concours  (3).  C'est  cette 
mesure  qu'avait  adoptée,  en  1768,  le  vénérable  abbé 
Bellenger,  dont  nos  contemporains  ont  recueilli  au 
commencement  du  siècle  les  dernières  leçons  (4).  Ce 
n'est  plus  dans  la  théologie  mais  dans  l'histoire ,  que 
le  poète  a  cherché  les  éléments  de  sa  composition. 
La  strophe  finale,  désignée  sous  le  titre  d'allusion, 
en  résume  et  en  précise  la  portée.  Il  suffisait  alors 
que  l'allusion  exprimât  ,  en  l'appliquant  au  sujet 
choisi  par  le  poète ,  l'idée  du  mystère  qui  était  le 
sujet  du  concours.  Ce  fut  ainsi  que  procéda  l'abbé 
Bellenger.  Après  avoir  raconté ,  dans  une  suite  de 
strophes  étincelantes  de  poésie ,  comment  Henri  IV, 
à  l'âge  de  quinze  ans,  avait  été  sauvé  des  flots  par  le 
dévouement  d'un  capitaine  de  marine  :  Vierge  imma- 


(1)  Il  n'y  avait  autrefois  si  petit  bourg  qui  n'eût  son  messa- 
ger royal  et  son  messager  de  l'université  [Dict.  de  Trévoux). 

(2)  Crédence:  table  sur  laquelle  on  place,  de  chaque  côté  de 
l'autel,  les  bassins,  burettes  et  autres  vaisseaux  qui  servent 
pour  le  Saint-Sacrifice  ;  —  par  extension  —  support. 

(3)  V.  le  volume  précédent,  p.  238. 

(4)  Mort  en  1824,  professeur  de  littérature  à  la  Faculté  des 
lettres  de  FAcadémie  de  Gaen. 

21 


322  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

culée,  s'écrie-t-il,  ce  sont  vos  triomphes  qu'a  chantés 
mon  allégorie , 

Tuum  involuto  carminé  reddidi , 
Virgo ,  triumphum. 

Puis  il  établit  un  rapprochement  délicat  entre  le 
prodige  qui  avait  sauvé  le  jeune  prince  de  la  fureur 
des  flots  et  celui  qui  avait  arraché  Marie  à  la  fureur 
de  l'enfer.  A  l'époque  dont  nous  écrivons  l'histoire  , 
la  pensée  religieuse  était  donc  renfermée  dans  la  der- 
nière strophe  :  supprimer  ['allusion,  c'était  supprimer 
le  palinod  tel  que  l'avaient  conçu  nos  pères. 

Les  compositions  de  l'époque  révolutionnaire  ne 
dérogèrent  point  d'abord  à  la  coutume.  En  1791,  le 
conseil  général  du  Calvados ,  qui  déjà  traitait  assez 
légèrement  cette  pieuse  solennité ,  daigna  pourtant 
lui  conserver  un  caractère  officiel.  «  Suivant  les  sta- 
tuts et  règlements  y  relatifs,  »  le  jeudi  8  décembre, 
fête  de  la  Conception ,  les  prix  de  poésie  latine  et 
française  furent  distribués  «  en  la  salle  ordinaire  de 
l'université;  »  et,  pour  rendre  plus  solennelle  cette 
cérémonie  «  civique  et  religieuse,  »  l'administration 
du  département  s'y  fit  représenter  par  une  députation. 
Aucune  modification  importante  ne  fut  introduite  dans 
le  programme,  en  1792.  Une  des  pièces  françaises  qui 
furent  publiées,  a  pour  titre  :  Ode  à  la  liberté ,  et 
pour  épigraphe ,  cette  sentence  de  Fauchet  :  «  Les 
tyrans  sont  mûrs  (1);  »  mais  l'allusion  était  signalée 

(1)  La  pièce  se  compose  de  dix  slrophes  ;  nous  en  citerons 
quelques-unes  à  la  fin  de  ce  volume. 


DE   BAYEUX.  323 

comme  une  entrave ,  et  l'on  demandait  à  grands  cris 
qu'on  la  fît  disparaître. 

Le  palinod  ne  fut  pas  célébré  en  1793.  Quelques 
pièces  pourtant  avaient  été  déposées  ;  une  assemblée 
de  l'université,  tenue  au  mois  de  novembre,  et  qui  se 
composait  du  président  et  d'un  seul  professeur,  fit  un 
projet  d'arrêté ,  qu'elle  soumit  à  la  sanction  du  direc- 
toire. Elle  proposait  avant  toutde  supprimer  l'allusion, 
«  cette  forme  dont  le  catholicisme  peut  s'applaudir, 
mais  dont  le  génie  s'indigne  ;  »  de  changer  l'organisa- 
tion du  concours,  en  substituant  à  certains  genres  de 
composition  qu'elle  prétendait  avoir  vieilli,  des  compo- 
sitions «  d'un  goût  plus  moderne  »  et  plus  en  rapport 
avec  «  l'esprit  public;  »  ensuite,  elle  demandait  que 
l'on  transférât  au  31  mai  1794,  la  distribution  des 
«  lauriers  palinodiques ,  »  pour  perpétuer  le  souvenir 
de  la  chute  des  Girondins.  Le  directoire  approuva  ce 
projet,  supprima  l'allusion,  attendu  qu'elle  «  rappelait 
le  fanatisme  et  enchaînait  le  génie  ,  »  régla  les  diffé- 
rents genres  dans  lesquels  les  concurrents  devraient 
s'exercer  (1),  et  transféra  la  distribution  des  prix  au 
jour  indiqué  plus  haut.  L'institution  allait  donc  dispa- 
raître. La  muse  révolutionnaire  repoussait  avec  dédain 
la  tradition  chrétienne;  mais,  l'inspiration  qu'elle  ne 
trouvait  plus  dans  les  dogmes  de  la  foi,  c'était  en  vain 
qu'elle  la  demandait  aux  théories  de  la  Montagne  ; 
esquissons  rapidement  ses  derniers  essais. 

(1)  De  ce  nombre  étaient  une  épître  en  vers  français  «  propre 
à  éclairer  l'opinion  »  et  une  idylle.  Par  ce  mot ,  le  directoire 
déclare  qu'il  entend  une  «  pièce  ingénue  tenant  à  la  nature  » 
conçue  «  pour  en  exprimer  et  en  transmettre  le  sentiment.  » 


324  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

L'année  suivante  [1794],  le  concours  annoncé  pour 
le  31  mai,  fut  fixé  par  un  second  ajournement  au  13 
messidor,  c'est-à-dire,  au  1er  juillet.  On  conserve  à 
Caen  les  deux  invitations  ;  l'une  d'elles  est  écrite 
en  vers  latins.  Sous  prétexte  de  rendre  hommage  à  la 
liberté,  l'auteur  repousse  avec  indignation  les  formes 
allégoriques  qui  comprimaient  l'essor  du  génie.  Aujour- 
d'hui ,  dit-il ,  le  champ  est  ouvert ,  il  peut  ouvrir  les 
ailes  et  s'élever  vers  les  cieux.  Nous  ne  saurions  dire 
si  le  génie  répondit  à  cet  appel.  La  seconde  pièce 
d'invitation  est  en  vers  français;  elle  a  pour  sujet: 
«  La  Révolution  du  31  mai  —  vieux  style  —  ou  le 
Triomphe  de  la  Montagne.  »  On  y  exalte  en  termes 
pompeux  le  terrible  Comité  qui  veille  au  salut  de 
la  patrie.  La  «  Montagne  »  y  étouffe  les  cris  de  la 
«  Vallée  ,  »  en  même  temps  qu'elle  dissipe  «  les 
vapeurs  »  du  «  Marais  (1).  »  Une  députation  des 
«  instituteurs  de  Caen  »  invita  l'administration  du 
département  à  la  cérémonie  de  la  distribution  des 
prix.  Le  directoire  ,  par  l'organe  de  son  président , 
désigna  un  de  ses  membres  pour  y  assister.  Cette 
séance  est  du  12  messidor;  l'invitation  est  faite  et 
acceptée  pour  le  lendemain  :  ce  fut  donc  le  1er  juillet 
1794  qu'eut  lieu  la  dernière  assemblée  du  palinod, 
dont  nous  ayons  pu  trouver  la  trace.  Deux  cent 
soixante-sept  ans  s'étaient  écoulés  depuis  qu'André 
Blondel,  chanoine  de  Missy,  en  l'église  Cathédrale  de 
Bayeux,  avait  été  couronné  au  début  de  ce  concours. 

(1)  La  Plaine,  la  Vallée  et  le  Marais  représentaient  alors 
les  partis  de  la  convention  opposés  à  la  Montagne. 


DE   BAVEUX.  325 


CHAPITRE  XXIII. 


Jugement  de  M.  de  Tocqueviile  sur  le  clergé  de  1789.  — 
Commencement  de  la  persécution.  — Affaire  du  5  novembre 
1791.  —  Prêtres  du  diocèse  de  Bayeux  massacrés  aux 
Carmes  —  exécutés  sur  l'échafaud. 


Dans  son  ouvrage  intitulé  :  V ancien  régime  et  la     jugement 
Révolution,  un  homme  dont  on  ne  contestera  ni  m.  de  Tocqueviile 
l'impartialité  éclairée  ni  les  aspirations  libérales  ,    ""JnwT 
M.  de  Tocqueviile,  de  l'Académie  française,  déclare 
qu'ayant  eu  la  patience  de  lire  les  rapports  rédigés  , 
en  4  787,  par  les  anciens  États  Provinciaux  ,  il  fut 
frappé  d'étonnement,  en  étudiant  les  idées  sagement 
réformatrices  ,  qu'y  développaient  les  sommités  du 
clergé.  A  part  quelques  déplorables  exceptions  ,  que 
nous  nous  empressons  de  constater  avec  lui ,  il  se 
demande  s'il  y  eut  jamais  dans  le  monde  un  clergé 
plus  vertueux,  plus  éclairé,  plus  national,  d'une  foi 


326  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

plus  sincère  que  le  clergé  catholique  de  France  ,  au 
moment  où  il  fut  surpris  par  la  révolution.  «  J'ai 
commencé,  dit-il,  l'étude  de  l'ancienne  société,  plein 
de  préjugés  contre  lui  ;  je  l'ai  finie ,  plein  de  respect.  » 
Qu'on  restreigne  au  clergé  de  notre  pays  ces  judi- 
cieuses appréciations  ,  et  on  reconnaîtra  qu'elles  lui 
sont  parfaitement  applicables.  La  persécution  ,  il  est 
vrai ,  mit  en  relief  les  vices  de  quelques-uns  de  ses 
membres;  mais  combien  n'en  est-il  pas  dont  elle  fit 
briller  la  vertu  et  le  courage  ;  combien  de  cœurs 
légers ,  en  qui  la  foi  n'était  pas  éteinte  et  dont  elle 
ranima  la  ferveur;  que  de  victimes  saintes,  à  qui  elle 
ouvrit  les  portes  du  ciel  !  Tout-à-1'heure ,  nos  vœux 
accompagnaient  les  proscrits;  nous  suivions  sur  les 
flots  le  vaisseau  qui  les  portait  en  exil  ;  il  est  temps 
de  nous  incliner  devant  la  tombe  des  martyrs. 
commencement  L'esprit  révolutionnaire  n'avait  pas  éclaté  le  même 
jour,  avec  la  même  violence  ,  sur  tous  les  points  du 
département.  On  a  pu  remarquer  qu'au  commen- 
cement de  4792  ,  le  conseil  municipal  de  Bayeux 
admettait  encore  les  prêtres  insermentés  à  célébrer 
la  messe  à  la  Cathédrale.  A  Caen  ,  au  contraire  , 
malgré  la  modération  et  la  prudence  qui  semblaient 
inspirer  les  principaux  administrateurs,  l'intimidation 
organisée  par  les  clubs  se  fit  sentir  beaucoup  plus  tôt. 
Depuis  le  départ  de  Mgr  de  Cheylus  jusqu'à  l'arrivée 
de  l'abbé  Fauchet  dans  le  diocèse  de  Bayeux  ,  la 
paroisse  de  Verson  ,  située  à  deux  lieues  de  Caen  , 
avait  repoussé  les  novateurs.  Deux  prêtres  respec- 
tables, qui  avaient  la  confiance  des  paroissiens,  conti- 
nuaient d'y  exercer  leur  ministère;  le  dimanche  et 


de  la 
persécution. 


DE   BAYEUX.  327 

les  jours  de  fête,  quelques  personnes  de  la  ville  s'y 
rendaient  pour  remplir  leurs  devoirs  religieux.  Le 
lundi  de  Pâques  1791  (1),  un  détachement  de  la  garde 
nationale  de  Caen  s'y  transporta  pendant  l'office  , 
précédé  de  deux  pièces  de  canon.  La  frayeur  fut 
grande;  l'assemblée  se  dispersa,  des  désordres  de 
plus  d'un  genre  furent  commis  ,  la  troupe  se  saisit 
d'un  prêtre  inoffensif,  M.  Adam,  professeur  de  philo- 
sophie à  l'université ,  et  le  ramena  enchaîné  derrière 
ses  canons.  Cette  expédition,  dirigée  par  le  club,  fut 
parmi  nous  le  prélude  de  la  persécution.  Quelque 
temps  après ,  l'abbé  Fauchet  assistait  aux  réunions 
du  directoire  et  y  faisait  adopter  contre  les  prêtres 
non-conformistes  les  mesures  les  plus  rigoureuses. 

Dès  le  29  juin  1791,  le  directoire  du  département 
partagea  en  deux  classes  les  ecclésiastiques  qui  refu- 
saient le  serment.  La  première  comprenait  tous  ceux 
qui ,  ayant  renoncé  aux  fonctions  publiques  du  saint 
ministère ,  continuaient  de  dire  la  messe  dans  leur 
ancienne  paroisse,  sans  qu'aucune  réclamation  s'éle- 
vât contre  eux;  ceux-là  ne  devaient  pas  être  inquiétés. 
On  rejetait  dans  l'autre  tous  les  prêtres,  quelle  que 
fût  leur  position,  dont  la  conduite  «  donnerait  lieu  à 
des  plaintes  ;  »  ceux-ci,  l'autorité  municipale  pouvait 
non-seulement  les  éloigner  de  leur  paroisse ,  mais 
encore  les  faire  arrêter.  Ce  pouvoir  discrétionnaire 
que  le  département  conférait  aux  municipalités  sur  la 
liberté  des  prêtres  fidèles ,  cette  inquisition  malveil- 

(1)  M.  Hébert,  curé  de  Saint-Gilles  de  Caen. 

(Notes  manuscrites.) 


328  HISTOIRE   DU    DIOCÈSE 

lante  qu'il  semblait  provoquer  contre  eux,  effrayèrent 
les  ecclésiastiques  de  la  campagne.  Un  certain  nombre 
d'entre  eux  vinrent  se  réfugier  à  Caen  ;  plusieurs  même, 
pour  échapper  à  l'attention  publique,  prirent  le  parti 
de  se  travestir;  ils  nouèrent  leurs  cheveux  et  échan- 
gèrent leur  soutane  contre  un  frac  de  couleur.  Le  40 
août,  la  municipalité  ordonna  aux  ecclésiastiques  de 
porter  «  les  cheveux  ronds ,  »  et  leur  défendit  toute 
espèce  de  travestissement  ;  en  même  temps  ,  elle 
recommandait  aux  citoyens  de  leur  procurer  sûreté 
et  protection  «  sous  la  sauvegarde  de  la  loi.  » 

Ce  n'était  pas  le  compte  des  clubistes.  Ils  eurent 
donc  recours  à  la  violence  et  à  l'émeute ,  pour  forcer 
la  main  aux  administrateurs.  Le  16  du  même  mois, 
l'abbaye  de  Saint-Étienne ,  où  l'autorité  départemen- 
tale tenait  ses  séances,  fut  envahie  par  la  foule.  Des 
propos  séditieux,  des  menaces  de  mort  y  retentirent 
contre  l'administration.  En  même  temps  ,  le  club 
faisait  arrêter  soixante  prêtres  dans  la  ville  ou  dans 
les  environs.  Le  lendemain,  le  Département,  «  déter- 
miné par  la  force  des  circonstances,  »  sanctionnait 
leur  arrestation,  qu'il  n'avait  point  ordonnée,  et  leur 
assignait  pour  prison  la  maison  des  ci-devant  Eu- 
distes.  Fier  de  sa  victoire,  le  club  y  vint  tenir  quelques 
séances.  Un  soir,  la  veille  de  la  fête  de  saint  Barthé- 
lémy —  c'est  M.  Hébert  qui  nous  le  raconte  ■ —  on 
l'entendit  vociférer  des  menaces  de  mort  contre  ses 
victimes. 

Le  directoire  du  département  n'ignorait  pas  que 
l'arrestation  de  ces  prêtres  était  illégale.  Il  se  crut 
donc  obligé  de  faire  une  adresse  à  l'assemblée  natio- 


DE   B A YEUX.  329 

nale,  pour  lui  demander  d'étendre  au  Calvados  les 
mesures  rigoureuses  décrétées  contre  les  réfractai res, 
dans  un  département  voisin .  Cependant  l'effervescence 
ne  se  calmait  pas  ,  et  la  municipalité,  qui  continuait 
de  faire  arrêter  les  prêtres,  refusait  de  communiquer 
au  Département  le  procès-verbal  de  ces  arrestations. 
Alors,  celui-ci  décida  qu'un  compte-rendu  de  la  situa- 
tion serait  transmis  à  l'assemblée  nationale.  Enfin,  le 
10  octobre  1791,  le  ministre  ordonna  que  tous  les 
prêtres  ,  ceux  qui  avaient  refusé  comme  ceux  qui 
avaient  prêté  le  serment ,  fussent  admis  partout  à 
célébrer  le  Saint-Sacrifice.  Malgré  cette  ordonnance  , 
certains  curés  constitutionnels  refusèrent  l'entrée  de 
leur  église  aux  prêtres  insermentés,  et  ceux-ci  durent 
recourir  aux  agents  de  la  force  publique  pour  s'en 
faire  ouvrir  les  portes. 

De  ce  qui  précède  comme  de  ce  qui  va  suivre ,  il 
résulte  clairement  pour  nous ,  que  la  municipalité  de 
la  ville  de  Caen  obéissait  à  la  pression  du  club.  Le 
Département,  au  contraire,  placé  dans  une  sphère 
plus  indépendante,  essayait  encore  de  maintenir  la 
légalité. 

De  jour  en  jour  les  esprits  s'échauffaient;  l'émeute 
grondait  sourdement;  l'explosion  était  imminente.  Le 
4  novembre  1791,  M.  Bunel,  curé  de  Saint-Jean  de 
Caen ,  profitant  de  la  liberté  que  lui  accordait  le 
ministre ,  vint  célébrer  la  messe  dans  son  ancienne 
église.  L'intrus  lui  en  fit  les  honneurs  avec  courtoisie  ; 
il  voulut  même  ,  malgré  l'opposition  de  quelques 
agitateurs,  que  l'on  sonnât  la  cloche  pour  appeler  les 
fidèles.  Ceux-ci  accoururent  en  grand  nombre  ;   le 


Affaire 

du  5  novembre 

1791. 


330  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

chœur  et  le  sanctuaire  se  trouvèrent  remplis  d'assis- 
tants; une  réunion  semblable  fut  annoncée  pour  le 
lendemain.  Le  club,  l'ayant  appris,  en  profita  pour 
répandre  des  bruits  sinistres.  De  tous  côtés  ,  on 
répétait  dans  la  ville  qu'une  conspiration  royaliste 
était  sur  le  point  d'éclater.  Aussitôt  le  conseil  général 
de  la  commune  invita  M.  Bunel  à  ne  pas  paraître  à 
l'autel  le  lendemain  5  novembre,  et,  dès  le  matin, 
le  curé  de  Saint -Jean  partit  pour  la  campagne. 
Cependant  les  fidèles  qui  comptaient  sur  sa  messe 
s'étaient  réunis  pour  l'entendre  ;  de  leur  côté  ,  les 
clubistes  étaient  à  leur  poste.  Bientôt  des  menaces 
sont  échangées  ;  une  querelle  s'engage  ;  un  instant 
après,  la  ville  était  en  feu.  Tandis  que  la  municipalité 
se  transportait  à  Saint-Jean,  on  proclamait  la  loi  mar- 
tiale; le  sang  coulait  dans  l'église  et  dans  la  rue.  Une 
partie  de  la  garde  nationale,  irritée  par  les  bruits  de 
conspiration  qui  circulaient  depuis  la  veille  ,  pour- 
suivait et  arrêtait  une  foule  de  citoyens  inoffensifs. 
L'agitation  dura  plusieurs  jours.  Enfermés  au  châ- 
teau de  Caen  ,  les  détenus  ,  au  nombre  de  quatre- 
vingt-quatre ,  n'en  sortirent  qu'à  la  fin  de  janvier 
4792  (1).  ■ 
Nous  supprimons  tous  les  détails,  mais  il  est  un 

(1)  Le  nombre  des  détenus  varie  de  quatre-vingt-deux  à 
quatre-vingt-cinq  ,  suivant  les  pièces  où  il  est  consigné. 
L'assemblée  nationale  ordonna  que  l'on  traduisît  l'un  d'entre 
eux  devant  la  haute-cour  d'Orléans  ;  qu'un  autre  fût  amené  à 
la  barre  de  l'assemblée ,  pour  y  être  interrogé  sur  les  faits 
résultant  contre  lui  des  pièces  saisies  le  5  novembre.  Les 
deux  prévenus  étaient  laïcs  ;  tous  les  autres  furent  rendus 
à  la  liberté. 


DE   BAYËUX.  331 

point  que  l'on  nous  permettra  de  constater.  Malgré 
les  insinuations  du  procès-verbal  de  la  commune,  qui 
confond  la  cause  des  prêtres  insermentés  avec  celle 
«  des  ci-devant  nobles  et  des  émigrants  ,  »  il  est 
certain  que  ni  l'abbé  Bunel  ni  aucun  de  ses  con- 
frères ne  furent  compromis  juridiquement  dans  les 
désordres  de  cette  journée  :  les  pièces  du  procès  en 
font  foi.  Cependant  le  conseil  général  de  la  commune 
déploya  contre  eux  des  rigueurs  excessives.  Le  soir  du 
5  novembre,  il  appela  près  de  lui  les  administrateurs 
du  district  et  ceux  du  département ,  ordonna  aux 
étrangers  de  se  présenter,  sous  vingt-quatre  heures, 
à  la  maison  commune  et  d'y  déposer  leurs  armes  ;  en 
même  temps,  il  proscrivait  en  masse  le  clergé  ortho- 
doxe, et  lui  défendait  de  célébrer  la  messe  dans  au- 
cune église  de  Caen,  jusqu'à  la  décision  de  l'assemblée 
législative.  Un  seul  membre  du  département  signa  cet 
arrêt ,  les  six  autres  demandèrent  qu'on  abandonnât 
aux  prêtres  insermentés  une  ou  plusieurs  églises  non 
paroissiales;  M.  Bayeux,  procureur-général-syndic, 
s'abstint  de  paraître  à  cette  séance;  le  club  demanda 
qu'on  le  mit  en  jugement  ;  il  fut  massacré  par  la 
populace  quelque  temps  après. 

Nous  n'aurions  pas  dit  toute  la  vérité  sur  cette 
malheureuse  affaire  ,  si  nous  n'ajoutions  pas  que 
l'évêque  du  Calvados  en  fut  le  premier  instigateur. 
Ses  ennemis  le  lui  reprochèrent,  et  ses  amis  eurent  le 
courage  de  l'en  féliciter.  Les  mécontents,  c'est-à-dire, 
les  royalistes  ,  étaient  accusés  par  le  club  d'avoir 
«  des  vues  »  sur  la  ville  de  Caen  ;  ils  devaient , 
disait-on ,  s'emparer  du  château  et  en  faire  une  place 


332  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

d'armes.  L'évêque,  qui,  de  près  comme  de  loin,  diri- 
geait le  club  de  Caen,  y  porta  ces  rumeurs;  il  dénonça 
la  ville  comme  le  point  central  de  la  contre-révo- 
lution, il  engagea  les  clubistes  à  demander  du  secours 
a  leurs  frères  des  autres  villes ,  pour  résister  aux 
chevaliers  p oi g nardins  —  c'était  ainsi  qu'il  désignait 
la  noblesse  —  et  aussitôt  les  clubistes  se  mirent  à 
l'œuvre.  Plus  tard ,  nous  lui  devons  cette  justice  , 
indigné  des  mauvais  traitements  dont  les  prisonniers 
de  la  tour  de  Caen  étaient  victimes ,  l'abbé  Fauchet 
réclama  deux  fois  en  leur  faveur,  à  la  tribune  de 
l'assemblée ,  et  demanda  qu'ils  pussent  être  visités 
par  leurs  parents. 

Depuis  le  jour  où  ils  avaient  refusé  le  serment,  la 
plupart  des  prêtres  inconstitutionnels  étaient  donc 
traités  comme  suspects,  et,  en  attendant  les  rigueurs 
de  la  loi ,  ils  étaient  soumis  au  bon  plaisir  des  admi- 
nistrations locales.  Au  mois  de  décembre  4791,  le 
conseil  municipal  de  la  ville  de  Yire  fut  informé  que 
plusieurs  citoyens,  séduits  par  les  ennemis  de  la  paix, 
s'étaient  portés  dans  l'église  Sainte-Anne,  et  voulaient 
qu'on  en  fermât  les  portes  aux  prêtres  non-confor- 
mistes; il  déclara  que  la  constitution  laissait  à  ces 
prêtres  le  droit  de  dire  la  messe  dans  toutes  les 
églises.  Le  5  août  1792,  le  District  en  désigne  un 
certain  nombre  pour  être  transportés  a  Caen  ;  il  inter- 
dit à  la  municipalité  le  droit  de  leur  donner  des 
passeports  ,  et  la  municipalité  proteste  contre  cette 
défense. 

Les  mêmes  rigueurs  se  faisaient  sentir  à  l'autre 
extrémité  du  Calvados.  Le  18  août  1792,  quatre- 


DE   BÂYEUX.  333 

vingt-quinze  ecclésiastiques  de  Lisieux  ou  des  envi- 
rons furent  conduits  à  Caen  sur  une  dénonciation  du 
District.  Dans  ce  nombre  figuraient  tous  les  Eudistes 
qui  avaient  dirigé  le  grand  et  le  petit  séminaire  , 
tous  les  Capucins  ,  plusieurs  chanoines  et  curés. 
Pendant  les  derniers  jours  du  mois  d'août,  toutes  les 
routes  étaient  sillonnées  par  des  convois  d'ecclésias- 
tiques que  l'on  amenait  dans  les  prisons  de  Caen. 
M.  Allais,  curé  de  Honfleur,  dont  nous  avons  raconté 
le  départ  pour  l'Angleterre  dans  un  précédent  cha- 
pitre ,  fut  amené  à  Caen  le  1er  septembre  ;  les  magis- 
trats le  mirent  en  liberté  lui  et  ses  confrères ,  en  leur 
ordonnant  de  sortir  du  royaume  dans  le  délai  fixé  par 
la  loi  (4).  Us  firent  plus;  ils  prièrent  les  gendarmes 
de  servir  d'escorte  à  leurs  prisonniers,  de  les  conduire 
où  ils  voudraient ,  de  les  protéger  contre  les  insultes 
de  la  populace.  «  Les  gendarmes,  continue  M.  Allais, 
furent  si  joyeux  de  cette  bonne  nouvelle  ,  qu'ils  nous 
embrassèrent  en  nous  l'apprenant  ;  nous  acceptâmes 
leur  proposition  avec  reconnaissance.  »  Ainsi  donc,  il 
est  vrai  de  dire  qu'à  cette  lugubre  époque  les  hommes 
du  pouvoir  se  sentaient  débordés  par  leur  propre 
parti.  La  plupart  maudissaient  en  secret  le  rôle  que 
leur  infligeaient  les  passions  de  la  multitude.  Ils 
commençaient  à  craindre  ses  violences  ;  mais  nul 
d'entre  eux  ne  soupçonnait  encore  les  ravages  qu'elle 
allait  bientôt  exercer. 

Les  prêtres  du  diocèse  de  Bayeux  qui ,  pendant  la 

(1)  La  loi  du  26  août  donnait  le  choix  aux  prêtres  insoumis 
entre  Vexil  et  la  déportation.  ïl  fallait  donc  préalablement  les 
mettre  en  liberté,  pour  qu'ils  pussent  choisir. 


334  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

Terreur,  furent  frappés  par  la  révolution  ,  peuvent 
être  rangés  en  plusieurs  catégories.  L'échafaud  en  fit 
périr  quelques-uns;  la  garde  territoriale  en  fusilla 
plusieurs  autres;  quelques  assassinats  grossirent  le 
nombre  des  victimes.  Rien  de  plus  difficile  que  d'arri- 
ver sur  ce  point  à  un  dénombrement  exact.  Il  en  est 
pour  lesquels  on  n'a  pas  rédigé  d'acte  de  décès.  Pour 
d'autres  ,  l'acte  mortuaire  ne  spécifie  pas  le  genre  de 
mort  qu'ils  ont  encouru.  Il  règne  une  grande  confu- 
sion dans  les  dates  ;  les  détails  fournis  par  la  tradition 
sont  souvent  contradictoires.  Plusieurs  sortent  de 
prison  après  la  Terreur ,  que  certains  biographes 
ont  fait  périr  à  une  date  précise  ,  et  dont  ils  ont 
raconté  la  mort.  Pourtant,  il  nous  eût  semblé  dési- 
rable de  glorifier  tous  ces  martyrs.  L'armée  a  ses 
tablettes  funèbres ,  où  sont  inscrits  les  noms  de  ceux 
qui  meurent  pour  la  patrie.  Pourquoi  la  milice  du 
sacerdoce  craindrait-elle  de  nommer  les  braves  qui 
se  laissèrent  égorger  pour  la  foi?  Dans  cette  pensée , 
nous  avons  remué  la  poussière  des  archives;  nous 
avons  fait  appel  au  clergé  du  diocèse  ;  nous  avons 
interrogé  les  vieillards.  Peut-être,  malgré  tous  nos 
soins ,  laisserons-nous  échapper  le  nom  de  quelques 
victimes.  Qu'importe  ,  après  tout ,  puisque  ce  livre 
doit  périr?  Il  en  est  un  autre  que  la  Sainte-Écriture 
appelle  le  livre  des  vivants  ;  celui-là  ,  on  ne  peut  lui 
reprocher  ni  erreur  ni  lacune  :  immortel  comme  ceux 
dont  le  nom  couvre  ses  pages,  il  est  toujours  présent 
à  la  pensée  divine  =  C'en  est  assez  pour  satisfaire  l'am- 
bition d'un  chrétien. 
En  tête  de  ce  nécrologe,  saluons  d'abord  les  ecclé- 


DE   BAYEUX.  335 

siastiques  qu'un  lien  quelconque  rattachait  au  diocèse 
de  Bayeux,  et  qui  furent  massacrés  à  Paris,  soit  dans 
le  jardin  des  Carmes ,  soit  au  séminaire  de  Saint- 
Firmin,  en  septembre  1792.  Le  premier  qui  se  pré- 
sente à  nous  est  M.  Hébert.  Nous  l'avons  vu  appelé 
à  Caen,  quelques  années  avant  la  révolution,  pour  y 
suppléer  le  supérieur-général  des  Eudistes  ;  mais  sa 
résidence  habituelle  était  à  Paris.  Détenu  le  2  sep- 
tembre 1792,  aux  Carmes-déchaussés ,  il  fut  frappé 
un  des  premiers  dans  l'oratoire  du  jardin.  L'abbé 
Barruel,  en  racontant  sa  mort,  parle  de  sa  charité, 
de  sa  modestie,  de  sa  rare  prudence.  Louis  XVI, 
dont  il  dirigeait  la  conscience  ,  lui  avait  écrit  au 
commencement  du  mois  d'août  :  «  Je  n'attends  plus 
rien  des  hommes ,  je  vous  prie  d'implorer  pour  moi 
les  consolations  du  ciel.  »—  Avec  lui  périt  M.  Lefranc, 
originaire  de  Vire,  membre  de  la  même  congrégation, 
supérieur  du  séminaire  de  Coutances  (1)  et  auteur  de 
plusieurs  ouvrages.  —  M.  Longuet  (Louis)  était  né  à 
Saint-Germain-Langot  (doyenné  de  Cinglais),  le  24 
février  1757.  Le  témoignage  de  sa  famille ,  d'accord 
avec  plusieurs  biographies,  le  met  au  rang  des  cha- 
noines de  Tours.  Très-versé  dans  la  science  ecclé- 
siastique, il  avait  prêché  une  retraite  d'ordination  peu 
de  temps  avant  les  troubles.  Le  jour  où  il  quitta  la 
province  pour  se  rendre  à  Paris ,  sa  mère  eut  le 
pressentiment  de  sa  mort.  «  Peut-être ,  lui  dit-elle  , 
seras-tu  bientôt  entre  les  mains  des  méchants  ;  si  ce 
malheur  arrivait,  ne  regarde  que  le  ciel,  mon  enfant, 

(1)  Certaines  listes  publiées  par  les  historiens  l'ont  fausse- 
ment désigné  comme  supérieur  du  séminaire  de  Caen. 


Prêtres 
du  diocèse 


336  HISTOIRE    DU    DIOCÈSE 

ne  regarde  plus  la  terre.  »  L'abbé  Longuet  se  montra 
digne  de  ces  pieux  encouragements;  il  fui  frappé  aux 
Carmes  à  côté  de  l'archevêque  d'Arles  ;  son  nom  est 
écrit  sur  les  murs  de  la  chapelle  (1).  —  Il  est  à  Caen 
de  notoriété  publique  que  M.  Sanson,  massacré  aux 
Carmes,  le  2  septembre,  appartenait  au  diocèse  de 
Bayeux  ,  et  qu'il  était  vicaire  de  Saint-Gilles.  Cette 
indication  est  certaine  ;  on  ne  doit  tenir  aucun  compte 
des  listes  qui  la  contredisent.  M.  Sanson  s'était  retiré 
à  Paris ,  avec  son  curé,  dans  la  maison  des  ci-devant 
Eudisles.  Lorsque  parut  la  loi  de  déportation  [26  août 
1792],  ils  songèrent  au  moyen  de  se  procurer  des 
passeports.  L'abbé  Sanson  se  rendit  à  la  section  de 
l'Observatoire  ,  en  demanda  un  pour  lui-même  ,  et 
ne  put  l'obtenir.  Il  fut  mis  en  arrestation  à  la  maison 
des  Carmes ,  où  il  périt  quelques  jours  après. 

Si  des  Carmes  nous  passons  au  séminaire  de  Saint- 
Firmin,  nous  y  trouverons  encore  deux  noms  à  re- 
cueillir. —  M.  Saint-James  (Pierre)  était  né  à  Saint- 
Ouen  de  Caen,  en  1742,  et  on  le  comptait  alors  parmi 
les  prêtres  desservant  l'hôpital  de  la  Pitié.  Aussi 
distingué  par  sa  science  ecclésiastique  que  par  ses 
talents  oratoires ,  il  était  docteur  de  Sorbonne  ,  et 
Mgr  l'archevêque  de  Paris  l'avait  élevé  au  canonicat. 

(])  Il  y  a  des  familles  qui  semblent  prédestinées  à  la  gloire 
du  martyre.  Le  frère  du  chanoine  de  Tours  ,  M.  Longuet 
(François),  prêtre  comme  lui,  s'était  exilé  en  Angleterre.  Il 
y  devint  pasteur  de  la  congrégation  de  Reading,  et  il  y  fut 
massacré,  «  en  haine  de  la  religion,  »  le  13  février  1817; 
c'est  le  témoignage  que  Mgr  l'Évêque  de  Londres  a  rendu  à  sa 
famille.  Il  appartenait  ,  comme  son  frère  .  au  diocèse  de 
Bayeux. 


DE  BAYEUX.  337 

Le  3  septembre  1792,  il  était  détenu  au  séminaire  de 
Saint-Firmin.  Il  y  fut  précipité  par  une  fenêtre  sur 
les  piques  des  sentinelles  qui  faisaient  la  garde  autour 
de  la  prison.  Un  de  ses  compatriotes  avait  été  témoin 
du  massacre  ;  de  retour  à  Caen  ,  il  en  raconta  les 
détails.  —  Au  nombre  des  victimes  qui  périrent  le  3 
septembre  au  séminaire  de  Saint-Firmin  ,  on  compte 
aussi  M.  Legrand,  professeur  de  philosophie  au  collè- 
ge qui  portait  à  Paris  le  nom  de  collège  de  Lisieux  ; 
il  ne  se  rattachait  donc  à  la  province  que  par  son 
titre,  et  nous  ne  le  citons  que  pour  mémoire. 

Les  exécutions  capitales  allaient  bientôt  commen- 
cer dans  toutes  les  provinces. 

Chassé  de  la  ville  en  1791 ,  par  un  ordre  émané  du  Prêtres  du  diocèse 
Département,  M.  l'abbé  Gombault,  curé  de  Saint-      LcE* 
Gilles  de  Caen,  s'était  retiré  à  Paris  chez  les  Eudistes.  sur  réchafau,L 
Après  la  mort  de  son  vicaire,  il  changea  de  domicile, 
sans  oser  sortir  de  la  capitale,  et  il  se  tint  caché 
«  pour  éviter  l'arrestation  (1).  »  On  a  prétendu  qu'il 
s'était  échappé  des  Carmes  ;  cette  supposition  est  dé- 
mentie par  les  actes  du  procès.  A  la  fin  du  mois  de 
mars  1793 ,  il  revint  en  Normandie ,  se  rendit  à  Caen 
et  de  là  au  village  de  Mathieu.  La  loi  de  proscription 
pesait  sur  lui.  Désirant  donc  quitter  le  territoire  de 
la  république ,  il  se  dirigeait  vers  la  Délivrande  ;  il 
espérait  y  trouver  le  moyen  de  se  faire  transporter 
en  exil. 

Quoi  qu'en  aient  dit  certains  biographes  ,  c'est  à 
Mathieu  et  non  pas  à  Caen  qu'il  fut  arrêté  ;  les  actes 
du  procès  en  témoignent.  Depuis  cette  époque,  long- 

(1)  V.  l'interrogatoire  de  M.  Gombault. 

22 


338  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

temps  encore  après  l'événement,  toutes  les  fois  qu'un 
groupe  de  villageois ,  se  rendant  à  la  Délivrande , 
traversaient  l'avenue  du  bois  de  Mathieu  ,  il  était  de 
tradition  parmi  eux  de  réciter  un  Pater  et  un  Ave , 
pour  le  repos  de  l'âme  de  M.  le  curé  de  Saint-Gilles. 
M.  Gombault  se  trouvait  donc  à  Mathieu ,  le  mardi  2 
avril  4793.  Quand  les  juges  lui  demandèrent  «  chez 
qui  il  avait  couché  la  veille  et  chez  qui  il  devait  cou- 
cher le  jour  de  son  arrestation  ,  »  il  déclara  qu'il  ne 
se  croyait  pas  obligé  de  répondre  ;  nous  sommes  en 
mesure  de  combler  cette  lacune.  Il  y  avait  alors  à 
Caen  une  famille  honorable  qui  possédait  à  Mathieu 
ce  qu'on  nomme  encore  aujourd'hui  le  Petit-Châ- 
teau. Le  chef  de  cette  famille,  M.  Le  Bourguignon  de 
Blamont,  ancien  trésorier  de  France,  renommé  dans 
tout  le  pays  pour  sa  piété  et  ses  bonnes  œuvres,  avait 
reçu  chez  lui  M.  Gombault  et  l'avait  emmené  à  sa 
campagne.  Bientôt  sa  maison  est  dénoncée  comme 
suspecte  ;  on  l'entoure  et  on  la  visite.  Le  bruit  se 
répand  que  le  prêtre  s'est  réfugié  dans  les  bois  ;  il  y 
est  bientôt  arrêté.  Aux  termes  de  la  loi,  le  directoire 
du  département  devait  payer  le  prix  du  sang;  un 
mandat  de  cent  livres ,  prises  sur  les  fonds  «  des- 
tinés aux  frais  du  culte,  »  fut  donc  délivré  aux  citoyens 
de  la  paroisse  de  Mathieu  ,  qui  avaient  concouru  à 
l'arrestation  (4). 

(1)  VHistoire  politique  et  religieuse  de  l'Eglise  métropo- 
litaine et  du  diocèse  de  Rouen,  par  M.  L.  Fallue,  contredit 
ces  détails.  L'auteur  a  reproduit  longuement  une  tradition 
qui  n'est  pas  exacte,  et  d'après  laquelle  M.  le  curé  de  Saint- 
Gilles,  s'étant  réfugié  chez  un  sieur  Le  Courtois,  dans  le 
village  de  Mathieu,  aurait  été  trahi  par  son  hôte.  On  assure,  il  est 


DE  BAYEUX.  339 

L'article  premier  du  décret  du  48  mars  1793  dis- 
posait que,  huitaine  après  la  publication,  tout  citoyen 
serait  tenu  de  faire  arrêter  les  émigrés  et  les  prêtres 
soumis  à  la  déportation ,  qu'il  saurait  être  sur  le 
territoire  de  la  république  ;  l'article  second  ajoutait 
que  tous  les  individus  arrêtés  en  vertu  de  l'article 
premier,  seraient  conduits  dans  la  prison  du  district, 
jugés  par  un  jury  militaire  et  punis  de  mort  dans  les 
vingt-quatre  heures.  Cette  loi,  dit  M.  Hébert  (1),  était 
arrivée  au  département ,  mais  elle  n'avait  pas  encore 
été  promulguée  :  ce  fut  elle  que  les  juges  invoquèrent 
contre  le  proscrit.  Il  parut  donc  devant  le  tribunal 
criminel  du  jury  militaire  du  département  du  Calva- 
dos, le  4  avril  1793  (2).  Le  conseil  de  guerre,  désigné 
par  l'état-major  de  la  légion,  sur  un  ordre  du  direc- 
toire ,  était  présidé  par  l'adjudant-général.  Celui-ci 
avait  pour  assesseurs  le  secrétaire-général  de  la  légion, 
un  chef  de  bataillon,  un  adjudant-major,  un  capitaine 
et  un  sergent.  L'arrêt  est  signé  de  tous  les  juges;  nous 

vrai,  que  le  nommé  Le  Courtois,  auquel  M.  Gombault  avait 
rendu  quelques  services,  était  effectivement  à  la  tête  de  ceux 
qui  l'arrêtèrent;  mais  ce  n'était  pas  chez  lui  que  M.  Gombault 
s'était  caché  en  se  rendant  à  la  Délivrande.  Les  descendants 
de  M.  de  Blamont  confirment  sur  ce  point  le  témoignage  très- 
explicite  de  M.  Hébert,  curé  de  Saint-Gilles.  Il  ne  peut  rester 
aucun  doute  à  cet  égard. 

(1)  Notes  manuscrites  de  M.  l'abbé  Hébert,  curé  de  Saint- 
Gilles  de  Caen. 

(2)  Le  texte  du  jugement  cite  en  toutes  lettres  la  date  du 
quatrième  jour  d'avril  1793  ;  mais  il  rapporte  cette  date  à  la 
deuxième  année  de  la  république.  La  vérité  est  qu'elle  corres- 
pond au  15  germinal  an  Ier.  De  là  sans  doute  les  contradictions 
et  les  erreurs  des  biographes ,  qui  diffèrent  entre  eux  sur  le 
mois  et  l'année  où  ils  placent  la  condamnation. 


340  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

passerons  leurs  noms  sous  silence.  Que  Dieu  leur 
pardonne  le  sang  qu'ils  ont  versé. 

La  première  question  que  les  juges  adressèrent  à 
M.  Gombault  fut  relative  à  la  loi  du  26  août  1792, 
qui  le  condamnait  à  la  déportation.  On  lui  demanda 
s'il  la  connaissait  et  s'il  y  avait  obéi.  Il  répondit  que, 
loin  de  chercher  à  s'y  soustraire ,  il  désirait  y  obéir. 
C'était  dans  ce  but  qu'étant  à  Paris ,  le  dimanche  2 
septembre,  il  avait  envoyé  son  vicaire  à  la  section  de 
l'Observatoire.  Il  voulait  savoir  ce  qu'il  avait  à  faire 
pour  se  procurer  un  passeport;  mais,  ajoutait-il ,  la 
mort  de  M.  Sanson  l'avait  frappé  de  terreur,  et  depuis 
le  2  septembre ,  il  s'était  caché  pour  éviter  le  même 
sort.  Un  peu  plus  loin,  il  déclara  positivement  que  le 
jour  où  on  l'avait  arrêté,  il  se  rendait  à  la  Délivrande 
avec  l'intention  de  se  faire  déporter.  On  a  prétendu  , 
nous  ne  l'ignorons  pas  ,  que  les  juges  lui  offrirent  de 
racheter  sa  vie  par  le  serment,  et  qu'il  eut  le  courage 
de  s'y  refuser.  Cette  supposition  est  démentie  par  le 
texte  même  de  la  loi,  et  rien  dans  les  actes  du  procès 
ne  la  justifie.  Quand  le  président  demanda  au  curé  de 
Saint-Gilles  pourquoi  il  n'avait  pas  obéi  à  la  loi  du 
serment ,  il  se  contenta  de  répondre  que  c'était  pour 
obéir  a  celle  de  sa  conscience.  L'interrogatoire  étant 
terminé,  le  président  condamna  le  nommé  Gombault 
(Toussaint-Jean-Marin),  âgé  de  quarante-trois  ans,  a 
subir  la  peine  de  mort  «  sous  les  vingt-quatre  heures.  » 
Aucun  défenseur  ne  fut  appelé  à  prendre  la  parole. 

Nous  ne  chercherons  pas  à  dissimuler  qu'en  «  appre- 
nant sa  sentence,  le  condamné  montra  quelques  ins- 
tants d'impression  sensible,  inséparable  de  la  faiblesse 


DE  MYEUX.  344 

humaine.  »  —  Ces  paroles  sont  de  M.  Hébert.—  Pour 
que  rien  ne  manquât  au  sacrifice  de  M.  Gombault , 
Dieu  permit  que  la  tentation  ne  lui  fût  pas  épargnée; 
elle  ne  servit  qu'à  mieux  faire  éclater  son  courage  (1). 

Le  lendemain ,  5  avril,  à  sept  heures  du  matin,  on 
battit  la  générale.  A  dix  heures,  la  garde  nationale 
tout  entière  était  «  rangée  en  bataille  »  sur  la  place 
Saint-Sauveur,  depuis  la  prison  jusqu'à  la  ci-devant 
église.  La  gendarmerie  nationale  occupait  le  centre 
de  la  place.  A  onze  heures  et  demie ,  l'officier  minis- 
tériel fit  sortir  le  prêtre  de  la  prison.  Amené  sur  la 
place ,  il  y  fut  exécuté  au  milieu  d'un  profond  si- 
lence (2). 

M.  Gombault  mourut  comme  les  premiers  chrétiens. 
M.  Hébert,  qui  était  à  Caen  le  jour  de  l'exécution, 
raconte  qu'elle  produisit  une  salutaire  impression  sur 
plusieurs  de  ceux  qui  en  furent  témoins.  Il  voyait 
souvent  à  cette  époque  un  de  ces  incrédules  qui 
s'imaginent  qu'en  présence  de  la  mort ,  l'homme  ne 
saurait  se  montrer  courageux.  Celui-ci  choisit  donc 
sur  la  place  Saint-Sauveur  un  appartement  d'où  il  pût 
contempler  à  son  aise  les  derniers  tressaillements  de 
la  victime,  et  quand  il  revint  trouver  M.  Hébert,  il 
était  transporté  d'admiration.  C'est,  qu'en  effet,  l'atti- 
tude du  condamné  était  admirable.  Le  calme  qui 
rayonnait  sur  son  front ,  la  dignité  de  son  maintien  , 

(1)  Ces  détails  intimes  fuient  transmis  à  M.  Hébert,  par 
M.  l'abbé  Sicot.  alors  sous-diacre  ,  plus  tard  curé  de  Fontaine- 
Étoupefour.  Il  était  à  cette  époque  détenu  dans  la  même  prison 
que  M.  Gombault. 

(2)  Extrait  du  procès-verbal  du  registre  de  la  légion  de 
Caen. 


342  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

le  recueillement  de  sa  démarche  avaient  frappé  tous 
les  assistants. 

A  peine  le  sang  du  juste  avait-il  arrosé  l'échafaud , 
qu'une  vive  agitation  éclata  parmi  le  peuple.  «  Puis- 
qu'on sacrifie  les  honnêtes  gens ,  criait-on  de  toutes 
parts,  les  scélérats  vont  y  passer  (1).  »  Il  y  avait  alors 
à  la  prison  de  Caen  quatre  détenus  condamnés  à  mort, 
par  jugement  de  différents  tribunaux,  pour  vols  et 
assassinats.  Ils  se  nommaient  Paris  dit  Cadence  , 
Gros  dit  Drabon ,  Pillet  et  Cosne  (2).  Le  peuple  les  fit 
sortir,  les  remit  aux  mains  du  bourreau,  et  le  somma 
de  les  exécuter.  Pendant  ce  temps -là  ,  une  foule 
considérable  ,  dans  laquelle  on  comptait  un  grand 
nombre  de  villageois,  amenait  sur  la  place  le  nommé 
Aiais ,  condamné  à  dix-huit  ans  de  fers ,  et  détenu  à 
Bicêtre  comme  complice  de  Cadence.  Le  bourreau  fut 
rappelé  ;  l'intervention  des  magistrats  ne  fit  qu'aug- 
menter le  trouble ,  et  le  couteau  de  la  guillotine  se 
leva  pour  la  sixième  fois. 

Alors,  dit  le  procès-verbal ,  «  le  calme  se  rétablit,  » 
et  M.  Hébert  ajoute  que  les  criminels  exécutés  par  la 
vindicte  populaire  furent  inhumés  avec  M.  le  curé  de 
Saint-Gilles,  dans  la  même  fosse. 

Le  24  décembre  de  la  même  année  [4  nivôse  an  II], 
la  ville  d'Alençon  fut  témoin  du  même  spectacle  (3). 

M.  Le  Chevrel  ,  né  au  village  de  la  Lande-Patry  — 

(1)  V.  les  notes  manuscrites  de  M.  Hébert. 

(2)  Procès-verbal  du  registre  de  la  légion  de  Caen. 

(3)  Richard  Séguin  rapporte  la  condamnation  de  M.  Le 
Chevrel  à  l'année  1794.  Nous  avions  pris  cette  date  quand 
nous  publiâmes  notre  Martyrologe  dans  la  Semaine  religieuse. 
Depuis  cette  époque  ,  nous  avons  reçu  d'Alençon  des  docu- 


DE   BAYEUX.  343 

doyenné  de  Condé-sur-Noireau  —  vicaire  du  Pré- 
d'Auge  (exemption  de  Cambremer),  avait  quitté  sa 
paroisse  au  commencement  de  la  persécution ,  et 
s'était  retiré  dans  sa  famille.  Signalé  aux  agents  de  la 
commune  de  Fiers  et  arrêté  par  eux,  il  fut  quelques 
jours  après  conduit  k  Alençon  et  condamné  à  mort 
par  le  tribunal  criminel.  Les  juges  lui  demandèrent 
s'il  avait  prêté  serment:  «  Oui,  répondit-il,  j'ai  prêté 
serment  de  prendre  soin  des  âmes  qui  me  sont  con- 
fiées, de  travailler  de  toutes  mes  forces  à  les  conduire 
au  ciel.  »  Il  chantait  le  Gloria  in  excelsis  en  montant 
à  l'échafaud  ;  sa  tête  ne  tomba  qu'au  troisième  coup  ; 
le  tribunal  ordonna  que  deux  chapelets  trouvés  sur 
lui  fussent  brûlés  par  l'exécuteur. 

L'année  suivante ,  la  proscription  étendit  ses  ra- 
vages. La  loi  frappait  également  le  prêtre  insermenté 
et  ceux  qui  lui  donnaient  asile.  M.  Riblier  ,  vicaire 
de  Saint-Martin  ,  près  Carrouges  (diocèse  de  Séez)  et 
Mlle  Desacres-Guesdon  ,  marchande  de  fil  à  Falaise , 
chez  laquelle  il  s'était  réfugié,  furent  amenés  à  Caen 
et  condamnés  à  mort  le  41  août  1794.  En  vain  le 
président  du  tribunal  essaya-t-il  d'amener  M1,e  Guesdon 
k  déclarer  qu'elle  avait  violé  la  loi  sans  la  connaître  ; 
elle  lui  répondit  qu'elle  connaissait  la  loi ,  que  cette 
loi  était  injuste  et  qu'elle  avait  voulu  l'enfreindre. 
Avant  de  se  livrer  aux  exécuteurs  ,  M.  Riblier  lui 
exprima  le  regret  d'être  cause  de  sa  mort.  «  Réjouis- 

ments  officiels  ,  qui  fixent  l'exécution  aux  derniers  jours  de 
l'année  1793.  Il  en  sera  de  même  d'un  très-petit  nombre  de 
détails  que  nous  avons  publiés  en  1865 ,  et  que  de  nouvelles 
communications  nous  ont  permis  de  rectifier. 


344  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

sez-vous  plutôt  de  notre  commun  triomphe ,  »  lui 
répondit-elle,  et  elle  le  devança  sur  l'échal'aud  (1). 

La  crainte  ferme  souvent  les  cœurs  a  la  pitié.  M.  de 
Saint-Agnan,  chanoine  de  Séez,  s'était  retiré  à  Caen 
à  l'époque  de  la  Terreur,  chez  des  amis  qui  le  cachè- 
rent pendant  quelque  temps,  Après  la  mort  de 
M.  Riblier,  M.  de  Saint-Agnan  fut  obligé  de  chercher 
un  autre  asile ,  et  la  Providence  lui  ouvrit  les  portes 
du  ciel.  Il  fut  condamné  le  26  août  4794. 

Le  procès  de  M.  Gombault  n'est  pas  le  seul  dans 
notre  département  où  l'autorité  militaire  ait  pris  la 
place  des  tribunaux  civils.  Quatre  ans  plus  tard,  le 
troisième  jour  complémentaire  de  l'an  VI  [19  sep- 
tembre 4798],  le  commandant  de  la  place  et  du 
château  de  Caen  écrivait  aux  officiers  municipaux 
pour  les  informer  que  le  conseil  de  guerre  de  la  qua- 
torzième division  militaire  et  une  commission  spécia- 
lement désignée ,  venaient  de  condamner  à  mort  le 
nommé  Desromes  (2),  prêtre,  convaincu  d'émigration. 
Nous  ne  saurions  dire  à  quel  diocèse  appartenait 
M.  Desromes ,  quelles  fonctions  il  avait  remplies  ,  ni 

(1)  M.  A.  Guillon,  qui  a  consacré  un  article  de  son  Martyro- 
loge à  M.  Riblier,  et  un  autre  à  MHe  Desacres,  semble  ignorer 
les  circonstances  qui  les  rapprochèrent.  Il  suppose  que  le 
premier  fut  condamné  par  le  tribunal  d'A  lençon,  et  c'est  là 
qu'il  le  fait  mourir.  Quant  à  Mlle  Desacres-Guesdon  (Marie- 
Jeanne),  il  l'appelle:  Delaire  (Mârie-ieanne-Guesdon),  veuve, 
et  pourtant  il  rappelle  exactement  sa  profession ,  la  ville  où 
elle  était  domiciliée.  La  date  à  laquelle  il  rapporte  le  martyre 
de  l'un  et  de  l'autre  est  bien  la  date  officielle.  Nous  le  disons 
à  regret ,  cette  erreur  n'est  pas  la  seule  du  même  genre  que 
nous  ayons  constatée  dans  l'ouvrage  de  M.  Guillon. 

(2)  Son  nom  est  écrit  Déromé  sur  le  registre  d'écrou  de  la 
maison  d'arrêt, 


DE  BAYEUX.  345 

dans  quelle  classe  de  proscrits  le  rangeaient  ses 
opinions.  La  lettre  du  commandant  de  place  et  le 
registre  d'écrou  de  la  maison  d'arrêt  le  désignent 
simplement  comme  étant  «  convaincu  d'émigration.  » 
La  liberté  des  cultes  était  proclamée  depuis  le  21 
janvier  1795;  mais  le  pouvoir  n'en  continuait  pas 
moins  d'appliquer  aux  proscrits  les  mesures  rigou- 
reuses qui  n'avaient  pas  encore  été  révoquées. 

Un  seul  prêtre  fut  exécuté  à  Rouen  pendant  la 
révolution.  Originaire  de  Vire,  il  se  nommait  Michel- 
Georges-François  d'Anfernet  de  Bures.  Il  avait 
parcouru  pendant  dix-huit  mois  soixante  communes 
du  pays  de  Caux ,  sous  le  nom  de  Pierre  Turpin  , 
marchand  de  fil.  Un  registre  dans  lequel  il  consignait 
les  noms  de  ceux  auxquels  il  administrait  le  baptême 
ou  le  mariage ,  un  calice  dont  il  se  servait  de  temps 
en  temps  pour  célébrer  la  messe,  le  dénoncèrent  aux 
persécuteurs;  il  fut  mis  à  mort  le  7  septembre  1794. 

Tous  les  prêtres  insermentés  de  l'ancien  et  du 
nouveau  diocèse  de  Bayeux ,  qui  ont  été  condamnés 
à  mort  pendant  la  révolution  ,  ne  furent  pas  jugés 
dans  le  ressort  de  leur  département. 

Il  en  est  un  dont  la  Liste  officielle  des  condamnés 
rapporte  le  dernier  domicile  à  la  paroisse  des  Loges 
—  district  de  Falaise  —  tandis  qu'en  réalité  il  était 
curé  de  Sainte-Marguerite-des-Loges ,  au  diocèse  de 
Lisieux.  Il  se  nommait  Bénard  (Pierre-Gabriel).  Son 
jugement  porte  la  date  du  1er  juillet  1794.  Il  était 
resté  dans  sa  paroisse  après  avoir  refusé  le  serment. 
Une  correspondance  religieuse  qu'il  entretenait  avec 
les  supérieurs  légitimes  le  signala  aux  persécuteurs. 


346  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

Il  fut  conduit  à  Paris  et  mis  à  mort  comme  «  contre- 
révolutionnaire  (1).  » 

Le  P.  Queudeville,  de  l'Oratoire,  était  originaire 
de  Caen.  Il  avait  enseigné  la  philosophie  et  la  théolo- 
gie avec  une  rare  distinction  dans  les  différents  postes 
que  lui  confièrent  ses  supérieurs.  Plus  tard  ,  il  rem- 
plit le  ministère  pastoral  dans  le  diocèse  du  Mans.  A 
la  fin  de  1793  ,  un  de  ses  anciens  élèves  ,  député  de 
la  Sarthe,  auquel  il  avait  eu  l'imprudence  de  deman- 
der des  conseils ,  le  fit  arrêter  pendant  la  nuit.  —  Il 
fut  condamné  à  Paris,  le  22  messidor  an  II  [10  juillet 
1794],  à  l'âge  de  soixante-deux  ans.  Ces  derniers 
renseignements  ont  été  puisés  à  Caen ,  aux  archives 
municipales. 

Une  sentence  du  même  tribunal ,  en  date  du  13 
mai  1794,  avait  envoyé  à  l'échafaud  D.  Mauger,  ex- 
curé de  Wiz ,  c'est  ainsi  qu'on  le  désigne  dans  la  Liste 
des  condamnés ,  et  auparavant  membre  de  l'abbaye 
de  Saint-Étienne  de  Caen.  Ce  n'est  pas  comme  prêtre 
réfractaire ,  mais  comme  «  conspirateur  »  que  D. 
Mauger  est  inscrit  au  nombre  des  victimes.  Après 
s'être  distingué  dans  l'enseignement  par  sa  haute 
capacité ,  il  servit  à  Caen  la  cause  du  général  de 
Wimpfen  ,  prit  part  à  l'insurrection  normande  du 
fédéralisme,  et  partagea  le  sort  des  vaincus.  Il  ne 
doit  pas  être  confondu  avec  ceux  qui  précèdent;  ce- 

(1)  La  tradition  raconte  qu'un  autre  ecclésiastique,  M.  Le- 
françois  ,  après  avoir  desservi  quelque  temps  la  paroisse  de 
Sainte-Marguerite-des-Loges  ,  fut  assassiné  dans  le  bois  de  la 
llaitre,  à  huit  kilomètres  de  Lisieux;  mais  sur  ce  point  les 
renseignements  sont  assez  vagues,  et  l'individualité  de  M.  Le- 
francois  reste  au  moins  indécise, 


DE  BAYEUX.  347 

pendant  nous  croyons  pouvoir  affirmer  qu'il  est  mort 
dans  la  foi  de  l'Église  catholique. 

On  ne  peut  en  dire  autant  de  M.  Bellœil  ,  curé 
de  Colleville-sur-Mer.  On  s'est  trompé,  évidemment, 
en  le  mettant  au  nombre  des  martyrs.  M.  Bellœil 
avait  été  interdit  par  Mgr  de  Cheylus  de  toute  fonc- 
tion curiale.  Réintégré  par  M.  Fauchet,  qui  fit  à  cette 
occasion  le  voyage  de  Colleville,  il  fut  condamné  à 
mort  comme  «  contre-révolutionnaire.  »  Il  avait  écrit 
plusieurs  brochures  contre  ses  paroissiens.  A  l'en 
croire ,  ses  adversaires  sont  des  aristocrates ,  et  lui- 
même  ,  un  patriote  calomnié.  —  Ceci  se  passait  en 
1793. 

Quelque  longue  que  soit  cette  liste  funèbre,  il  nous 
serait  facile  de  la  grossir.  Si  nous  voulions  grouper 
ici  tous  les  ecclésiastiques  que  leur  naissance ,  ou  un 
séjour  plus  ou  moins  prolongé,  rattachait  au  diocèse, 
de  Bayeux  et  qui  allèrent  porter  ailleurs  leur  tête  sur 
l'échafaud  ,  nous  pourrions  encore  citer  quelques 
noms.  Mais  pour  ceux-là  les  renseignements  de  pre- 
mière source  nous  manquent;  nous  nous  exposerions 
à  copier  des  erreurs.  Il  faudrait  surtout  connaître  le 
véritable  motif  pour  lequel  ils  furent  mis  à  mort  ; 
autrement ,  nous  venons  d'en  donner  la  preuve  ,  on 
s'expose  à  confondre  les  martyrs  avec  les  ennemis 
de  la  foi.  Quand  on  parcourt  la  Liste  générale  des 
condamnés ,  on  peut  se  convaincre  que  la  même 
qualification  —  celle  de  conspirateur  ou  de  contre- 
révolutionnaire  —  est  quelquefois  appliquée  à  des 
individus  dont  il  n'est  permis  de  confondre  ni  les 
opinions  politiques  ni  les  croyances  religieuses.  Voilà 


348  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

pourquoi  nous  avons  cru  devoir  circonscrire  nos  re- 
cherches, et  ne  nous  occuper  que  des  ecclésiastiques 
sur  la  vie  et  la  mort  desquels  on  ne  peut  élever  aucun 
soupçon. 

Enfin,  l'ouvrage  qui  a  pour  titre  :  Les  Martyrs  de  la 
foi  pendant  la  révolution  française  (1),  cite  comme 
ayant  porté  leur  tête  sur  l'échafaud,  M.  Mondet,  curé 
de  Saint-Jean-des-Bois  ,  au  doyenné  de  Condé-sur- 
Noireau,  et  M.  Gallot,  chanoine  prébende  de  se- 
conde classe  dans  la  cathédrale  de  Lisieux.  Le  premier 
aurait  été  condamné  par  le  tribunal  criminel  de  Caen, 
le  17  pluviôse  an  II  [5  février  4794]  ;  l'autre ,  le  6 
germinal  [26  mars]  de  la  même  année.  Tous  les  deux, 
s'il  faut  en  croire  les  biographes,  subirent  l'exécution 
vingt-quatre  heures  après  le  jugement.  Une  exquise 
bienveillance  nous  a  permis  de  contrôler  ces  détails 
aux  archives  de  la  cour  impériale  de  Caen,  et  de  réta- 
blir la  vérité  sur  ce  point.  Acquitté  le  23  novembre 
1792,  mais  retenu  par  mesure  d'ordre,  M.  Gallot  fut 
enfin  condamné  à  la  réclusion  le  6  germinal  an  II. 
M.  Mondet ,  curé  réfractaire  de  Saint-Jean-des-Bois  , 
fut  condamné  à  la  réclusion  le  17  pluviôse  an  II,  et 
enfermé  à  Caen,  dans  l'ancien  couvent  des  Carmes. 
Assez  de  sang  précieux  a  coulé  sur  l'échafaud  ;  nous 
sommes  en  garde  contre  les  omissions  ;  nous  craignons 
encore  plus  les  erreurs. 

(1)  Par  M.  l'abbé  A.  Guillon. 


DE  BAYEUX.  349 

«"YYYY  YYYY7T~5  Y  YY YYYYYYYYYYYY YY  YYYY  YYY* 


CHAPITRE  XXIV. 


Suite  de  la  persécution.  —  Prêtres  du  diocèse  de  Bayeux  mis 
à  mort  par  la  garde  territoriale  — assassinés  par  des  malfai- 
teurs.—Prêtres  constitutionnels  victimes  de  la  réaction.  — 
Rigueurs  de  la  détention.—  Prêtres  détenus  à  Rochefort  ; — 
dans  l'île  de  Ré. 


Pendant  plusieurs  années,  de  petites  troupes  de 
soldats  appelées  tantôt  «  colonnes  mobiles ,  »  tantôt 
«  gardes  territoriales,  »  sillonnèrent  le  pays.  Ces 
troupes  ,  dont  la  résidence  était  au  district ,  ran- 
çonnaient et  pillaient  les  habitants.  Conduites  par  un 
officier  républicain,  elles  tuaient  sans  jugement  ceux 
qui  leur  étaient  dénoncés,  ou  les  faisaient  condamner 
par  une  commission  militaire.  Plusieurs  ecclésiasti- 
ques, surpris  ainsi  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions 
ou  arrachés  de  leur  retraite,  furent  immédiatement 
mis  a  mort.  Quelquefois  une  troupe  d'assassins,  sans 
aucune  autorité  légale,  s'emparait  d'un  prêtre  et  le 
massacrait. 


350  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

prêtres  Après  la  dispersion  des  ordres  religieux,  un  moine 

mis  à  mort  x  ° 

par  les  colonnes  de  l'abbaye  de  Barbery,  s'était  réfugié  à  Fontenay-le- 

mobiles 

ou  assassinés    Marmion ,  dans  une  ferme  qui  dépendait  autrefois  de 

par 

des  malfaiteurs,  son  monastère  ;  il  s'appelait  D.  Granderye.  De  temps 
en  temps  le  fermier,  qui  avait  bien  voulu  lui  donner 
asile ,  lui  permettait  de  célébrer  la  messe  dans  un 
petit  oratoire  ;  on  y  convoquait  discrètement  les  per- 
sonnes pieuses  des  environs  ;  plus  d'un  nouveau-né  y 
reçut  le  saint  baptême.  Revêtu  de  l'habit  de  son  ordre, 
qu'il  n'avait  pas  voulu  quitter,  D.  Granderye  resta 
donc  caché  dans  les  combles  de  la  métairie  jusqu'au 
mois  d'août  1794.  Cependant  le  bruit  s'était  répandu 
aux  environs,  que  la  ferme  donnait  asile  à  un  moine 
de  Barbery.  Les  républicains  des  paroisses  voisines  y 
arrivèrent,  un  dimanche  matin,  au  nombre  de  vingt- 
un.  Le  fermier  était  absent,  l'épouvante  avait  dispersé 
les  domestiques  ;  le  moine  fut  bientôt  découvert.  On 
imaginerait  difficilement  la  cruauté  avec  laquelle  le 
traitèrent  ses  bourreaux.  Après  l'avoir  blessé  à  la 
jambe  d'un  coup  de  fusil,  ils  le  saisirent;  le  jetèrent 
hors  de  la  crèche,  dans  laquelle  ils  le  trouvèrent  caché 
sous  la  paille  ;  l'un  d'eux  lui  fracassa  l'épaule  avec  la 
crosse  de  son  arme  ;  puis  ils  le  suspendirent  dans  la 
cheminée  de  la  cuisine,  allumèrent  du  bois  dans  le 
foyer,  et  y  mêlèrent  de  la  paille,  afin  de  produire  une 
fumée  plus  épaisse.  La  douce  sérénité  avec  laquelle 
D .  Granderye  supportait  ces  tortures  ne  se  démentit  pas 
un  seul  instant.  On  l'entendit  plusieurs  fois  s'écrier  : 
«  SaintBernard,  priez  pour  moi  ;  »  ce  fut  la  seule  plainte 
que  lui  arracha  la  douleur.  Tandis  que  la  victime  ago- 
nisait, les  brigands  s'étaient  mis  à  table,  et  célébraient 


DE   BAYEUX.  351 

leur  triomphe  par  une  orgie.  Avant  de  quitter  la  ferme, 
ils  détachèrent  le  cadavre ,  et  le  jetèrent  en  passant 
dans  la  grange  des  dixmes  :  cette  scène  dura  une  demi- 
heure  environ.  Cependant  les  malfaiteurs  s'étaient 
éloignés.  L'un  d'eux  aperçoit  à  quelque  distance  une 
petite  statue  de  la  très-sainte  Vierge  ,  placée  dans  le 
creux  d'un  orme  ;  c'était  celui  qui ,  d'un  coup  de 
crosse ,  avait  cassé  le  bras  de  la  victime.  Il  ajuste 
l'image  et  tire  ;  le  fusil  lui  éclate  dans  la  main  ;  six 
jours  après ,  il  était  mort.  Son  frère  ,  l'un  des  assas- 
sins ,  se  convertit  ;  il  raconta  tout  ce  qui  précède  à 
l'auteur  du  récit  que  nous  venons  d'abréger,  et  celui-ci 
«  le  relata  sous  sa  dictée.  » 

D.  Granderye  ne  fut  point  inhumé  dans  le  cime- 
tière de  la  paroisse.  Le  fermier  le  déposa  dans  le 
jardin  de  sa  métairie.  On  a  vu  souvent  celui  des  bour- 
reaux que  le  repentir  avait  touché,  venir  y  prier  sur 
sa  tombe  (1). 

A  ce  drame  émouvant  vont  succéder  quelques 
renseignements  plus  concis.  Quelques-uns  des  ecclé- 
siastiques dont  il  nous  faudrait  maintenant  raconter 
la  mort ,  l'ont  subie  sans  appareil ,  la  plupart  sans 
autres  témoins  que  leurs  bourreaux,  et  pour  plusieurs 
d'entre  eux  il  est  même  impossible  d'en  préciser  l'épo- 

(1)  L'auteur  de  ce  récit  met  l'assassinat  de  D.  Granderye 
sur  le  compte  des  chouans  ;  mais  tout  le  monde  sait  que  les 
chouans  ne  brûlaient  pas  les  prêtres  catholiques.  Ce  qui  est 
moins  connu  ,  c'est  qu'à  une  certaine  époque  ,  le  titre  de 
chouan  et  celui  de  chauffeur  devinrent  le  nom  générique  sous 
lequel  on  désignait  dans  les  villages  de  la  Basse-Normandie, 
tous  ceux  qui  avaient  inquiété  le  pays  durant  les  troubles  , 
quelle  que  fût  la  couleur  de  leur  drapeau. 


352  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

que.  Il  faut  donc  nous  borner  à  une  simple  nomencla- 
ture ;  la  vérité  suffit  à  nos  lecteurs. 

M.  Piquenard,  originaire  de  Tallevende  — doyenné 
du  Val-de-Vire;  autrefois,  diocèse  de  Coutances.  —  La 
tradition  nous  apprend  qu'il  était  engagé  dans  les 
ordres ,  mais  qu'il  n'avait  pas  encore  reçu  le  sacer- 
doce. Surpris  dans  la  paroisse  de  Saint-Manvieu  , 
tandis  qu'il  travaillait  aux  champs ,  il  fut  conduit  à 
Vire,  et  fusillé,  en  1795,  sur  la  place  du  Château  (1). 
Il  chantait  en  allant  au  supplice ,  les  litanies  de  la 
très-sainte  Vierge. 

Au  mois  de  novembre  de  la  même  année,  M.  Vallée, 
curé  de  Rully  —  doyenné  de  Vire  —  est  assassiné  dans 
sa  paroisse,  où  son  dévouement  avait  fait  des  pro- 
diges. Les  malfaiteurs  avaient  à  leur  tête  un  prêtre 
apostat,  à  l'éducation  duquel  M.  Vallée  avait  concouru 
par  ses  bienfaits.  L'intrépide  M.  Le  Herquer,  curé  de 
Claire-Fougère ,  dont  nous  raconterons  bientôt  les 
travaux  et  les  dangers ,  vint  pendant  la  nuit  réciter 
l'office  des  morts  auprès  de  son  cadavre. 

M.  Angot  ,  demeurant  à  Loucelles  —  doyenné  de 
Fontenay  —  était  par  ses  bienfaits  la  providence  du 
pays.  Ce  n'est  pas ,  comme  on  l'a  dit  ailleurs ,  «  une 
colonne  mobile  »  qui  le  mit  à  mort.  Des  assassins, 
dont  le  nom  est  maudit  dans  toute  la  contrée,  l'arra- 
chèrent de  sa  demeure  en  1795,  et  l'entraînèrent 
jusqu'à  Ducy-Sainte-Marguerite  ,  où  il  tomba  sous 

(1)  Histoire  de  la  chouannerie,  par  Richard  Seguin.  — 
M.  Seguin  a  recueilli  sur  cette  triste  époque  beaucoup  de 
faits  intéressants.  Quand  nous  ne  le  suivons  pas  pour  les 
dates,  c'est  qu'il  se  trouve  contredit  par  des  pièces  officielles. 


DE  BAYEUX.  353 

leurs  coups.  Les  habitants  de  Loucelles  allèrent 
à  Ducy-Sainte-Marguerite  chercher  le  cadavre  de 
M.  Angot,  et  l'inhumèrent  clans  leur  église. 

Au  mois  de  mai  1795,  un  prêtre,  que  l'on  nous 
désigne  sous  le  nom  de  M.  Dumesnil,  offrait  secrè- 
tement le  saint  sacrifice  dans  la  paroisse  de  Fontenay- 
le-Marmion.  Une  troupe  de  républicains  se  présente, 
le  prêtre  obtient  d'eux  qu'ils  lui  laissent  le  temps  de 
communier.  La  messe  terminée,  ils  l'emmènent  au- 
delà  d'Étavaux  ,  le  percent  de  leurs  balles,  sur  les 
bords  de  l'Orne ,  et  jettent  son  cadavre  dans  la  ri- 
vière. De  retour  à  Fontenay,  ils  détruisirent  le  cal- 
vaire, et  firent  un  feu  de  joie  avec  ses  débris. 

Nous  arrivons  à  l'année  1796.  Le  règne  de  la 
Terreur  est  passé  ,  et  pourtant ,  autour  de  nous ,  le 
nombre  des  victimes  ne  diminue  pas. 

M.  Tablet,  curé  de  la  Lande Tatry  —  doyenné  de 
Condé-sur-Noireau  —  était  allé  purifier  le  cimetière 
de  sa  paroisse  ,  où  les  chouans  et  les  républicains 
s'étaient  rencontrés.  11  fut  surpris  par  la  colonne 
mobile  de  Domfront ,  dont  le  chef  le  fit  mettre  à 
mort  [1796].  La  même  année  ,  M.  Oblin,  de  la 
paroisse  de  Lassy  —  doyenné  de  Vire  —  est  éventré 
à  coups  de  baïonnettes ,  au  moment  où  il  venait  de 
célébrer  un  mariage. 

Depuis  le  commencement  de  la  persécution , 
M. Vallée,  curé  de  Saint-Quentin-des-Chardonnetles 
— doyenné  de  Condé-sur-Noireau  —avait  administré 
les  secours  religieux  dans  sa  paroisse  et  aux  envi- 
rons. Le  13  avril  1796,  il  fut  surpris  et  fusillé  dans 
le  cimetière  de  Moncy,  par  la  garde  mobile.  Avec 

23 


354  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

lui  périrent,  le  même  jour,  M.  Dumont,  curé  de 
Cambremer,  que  l'on  fusilla  sur  son  cadavre ,  et 
M.LEPETiT,ordinand,  originaire,  comme  M.  Dumont, 
de  la  paroisse  de  Saint-Quentin. 

M.  Malherbe  avait  été  vicaire  de  Saint-Clair-de- 
Halouze — doyenné  de  Condé-sur-Noireau. — Richard 
Seguin  fixe  sa  mort  au  mois  de  mai  1796.  Les  débris 
de  son  corps,  lacéré  a  coups  de  sabre  et  de  baïon- 
nettes, furent  pieusement  recueillis  par  sa  sœur,  et 
inhumés  dans  le  cimetière  de  !a  Lande-Patry.  On  n'a 
pu  recueillir  aucun  détail  sur  ses  derniers  moments. 

Nous  avons  quelques  raisons1  de  rapporter  à  peu 
près  à  la  même  époque  la  mort  de  M.  Guezet,  de 
Saint-Aubin-des-Bois ,  mais  nous  manquons  à  cet 
égard  de  date  précise.  Il  fut  mis  à  mort  par  la  garde 
mobile ,  comme  il  traversait  la  paroisse  de  Sept- 
Frères  pour  se  rendre  auprès  d'un  mourant.  Il 
en  est  de  même  de  M.  Moulin  ,  ancien  vicaire  du 
Fresne — doyenné  de  Condé-sur-Noireau.— Un  jour 
qu'il  rentrait  chez  lui,  après  avoir  porté  à  un  malade 
les  secours  de  la  religion  ,  il  confessa  la  foi ,  et  fut 
tué  par  des  soldats ,  auprès  d'un  bourbier  dans 
lequel  ils  plongèrent  son  cadavre. 

Enfin ,  il  y  eut  des  prêtres  qui  confessèrent  la  foi 
au  péril  de  leur  vie,  et  ne  durent  leur  salut  qu'à  des 
circonstances  indépendantes  de  leur  volonté.  Parmi 
eux,  on  nous  signale  M.  Roulland,  curé  de  Bau- 
quay  —  doyenné  d'Évrecy.  —  Retiré  à  Carville,  il 
s'était  caché  dans  le  bois  de  la  Malherbière  ;  de  là, 
il  se  rendait  secrètement  à  une  chapelle  située  dans 
les  environs,  les  jours  où  il  croyait  pouvoir  célébrer 


DE   BAYEUX.  355 

le  saint  sacrifice.  On  le  surprend  ,  on  l'arrête ,  on  le 
conduit  à  Carville  ;  le  tocsin  convoque  la  foule  ;  le 
prêtre  comprend  qu'il  va  mourir.  Pendant  qu'il  se 
confessait  au  curé  constitutionnel ,  survint  un  autre 
prêtre  assermenté,  originaire  de  Carville,  et  attaché 
en  qualité  de  vicaire  à  une  paroisse  de  la  Manche. 
A  sa  prière,  on  consentit  à  différer  l'exécution.  Alors, 
pour  que  rien  ne  manquât  à  cette  scène  païenne,  on 
conduisit  le  patient  dans  un  lieu  de  prostitution  ,  et 
on  l'y  tint  enfermé  pendant  la  nuit.  Le  lendemain,  il 
fut  transféré  à  Vire,  où  les  magistrats  le  firent  mettre 
en  liberté. 
Plusieurs  prêtres  constitutionnels   furent,  dans       Prêtres 

constitutionnels 

notre  pays,  victimes  de  la  réaction  ;  des  deux  côtés,       victimes 

i  •  i  rn  u        11  île  la  réactiou. 

on  commit  des  crimes.  La  mort  de  Stofflet  et  celle  de 
Charrette, — qui  succombèrent  l'un  et  l'autre  au  com- 
mencement de  l'année  1796, — avaient  terminé  la 
guerre  de  la  Vendée;  mais  la  pacification  des  esprits 
devait  longtemps  se  faire  attendre.  Les  chouans 
continuaient  la  lutte,  et  les  prêtres  qui  avaient  donné 
des  gages  à  la  révolution  leur  étaient  particulière- 
ment odieux.  Le  lundi  de  Pâques  [1796],  M.  l'abbé 
Hébert,  prêtre  constitutionnel,  vicaire  du  Tronquay, 
remplissait  à  l'église  les  fonctions  de  son  ministère. 
11  était  accusé,  par  le  bruit  public,  d'avoir  dénoncé 
un  émigré  en  rupture  de  ban  ,  c'est-à-dire,  de  l'avoir 
envoyé  à  l'échafaud.  Les  chouans,  s'étant  emparés 
de  sa  personne,  le  conduisirent  sous  l'if  du  cime- 
tière, où  il  fut  mis  à  mort.  Quelques  jours  après,  on 
arrêta  la  bande  ;  elle  fut  amenée  à  Bayeux ,  où  le 
général  Darbazan  la  fit  passer  par  les  armes. 


356  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Viennent  ensuite  : 

M.  Denis,  curé  de  la  deuxième  portion  de  Saint- 
Georges-d'Àunay  ;  M.  Dubosq,  curé  de  la  première 
portion  —  même  paroisse. —  M.  Denis  était  allé  pas- 
ser la  nuit  chez  son  collègue.  Ces  deux  ecclésiasti- 
ques, qui  avaient  prêté  serment  à  la  constitution, 
devaient,  le  lendemain,  se  rendre  à  Bayeux  pour  le 
rétracter.  Vers  onze  heures  du  soir,  les  assassins 
envahirent  le  presbytère  ,  emmenèrent  les  deux 
prêtres  sur  la  route  de  Villers-Bocage ,  et  les  mirent 
à  mort.  M.  Denis  fut  tué  d'un  coup  de  fusil  ;  M.  Du- 
bosq avait  reçu  sept  coups  de  sabre  [1796]. 

Citons  encore  M.  Marais,  curé  constitutionnel  de 

Saint-Jean  de  Livet ,  arraché  de  son  domicile,  dans 

la  nuit  du  24  février  1795,  et  conduit  dans  le  bois 

de  la  Haître,  où  les  chouans  le  fusillèrent. 

Rigueurs  II  ne  fau t  pas  oublier  qu'à  une  certaine  époque, 

de  la  détention       ,  ,        ,        „    .  ,  ,       .  .  , 

dans  îe calvados,  les  tortures  de  la  faim  n  étaient  pas  moins  redou- 
tables pour  les  détenus  que  le  glaive  du  bourreau, 
ou  les  balles  des  colonnes  mobiles. 

Une  partie  des  prêtres  que  la  loi  exemptait  de  la 
déportation ,  à  raison  de  leur  âge  ou  de  leurs  infir- 
mités, étaient  reclus  à  Caen  au  couvent  des  Carmes. 
Deux  fois  le  concierge  leur  avait  déclaré  qu'il  lui  était 
impossible  de  les  nourrir.  Le  24  avril  1796,  dix-huit 
détenus  exposèrent  leur  situation  aux  administrateurs 
du  Calvados,  leur  demandant  «  des  vivres  ou  des 
passeports.»  Le  21  août  de  la  même  année,  deux 
vieillards  presque  octogénaires,  l'abbé  FERAYetlVibbé 
Renoue,  adressent  leurs  plaintes  à  l'administration 
municipale;  ils  font  appel  à  sa  v<  sensibilité;  »  ils  lui 


DE   BAYEUX.  357 

apprennent  que,  «  depuis  plusieurs  jours,  »  la  ration 
de  pain  qui  les  nourrit  ne  leur  a  pas  été  délivrée.  — 
Veut-on  savoir  ce  que  l'on  opposait  à  ces  détails 
navrants?  On  reconnaissait  en  principe  que  «  l'huma- 
nité »  faisait  un  devoir  de  ne  pas  laisser  souffrir  la 
vieillesse  ;  mais  les  différentes  administrations  se  récu- 
saient, et  le  ministre  se  contentait  de  défendre  que, 
le  concierge  fût  chargé  de  la  nourriture  des  prêtres 
reclus. 
La  loi  du  26  août  1792  condamnait  à  la  dépor-      Première 

déportation. 

tation  tous  les  ecclésiastiques  insermentés  qui,  dans 
le  délai  de  quinze  jours ,  n'auraient  pas  quitté  la 
France.  Ce  délai  une  fois  expiré,  le  directoire  de 
chaque  district  devait  les  faire  arrêter  et  conduire, 
de  brigade  en  brigade ,  aux  ports  de  mer  les  plus 
voisins.  Pour  différentes  raisons,  dont  nous  n'avons 
pas  à  nous  occuper,  le  décret  du  26  août  ne  fut  pas 
immédiatement  exécuté.  Quelques-uns  de  ceux  aux- 
quels il  était  applicable  échappèrent  d'abord  aux 
poursuites,  et  cherchèrent  les  moyens  d'exercer  se- 
crètement les  fonctions  du  saint  ministère  ;  d'autres 
furent  détenus  jusqu'au  moment  de  leur  déportation. 
Cependant,  le  18  mars,  le  23  avril  et  le  21  octobre 
1793,  de  nouvelles  lois,  plus  cruelles  les  unes  que 
les  autres ,  étaient  venues  grossir  le  -nombre  des 
proscrits;  et,  dans  l'hiver  qui  suivit,  les  départs 
commencèrent.  Les  prêtres  normands  furent  dirigés 
vers  Rochefort,  et  de  là  entassés  sur  les  vaisseaux 
de  l'État,  ou  dans  les  citadelles  voisines:  à  l'île 
d'Aix,  à  Port-des-Barques ,  à  l'île  Madame.  Nous  ne 
rappellerons  pas  les  traitements  rigoureux  auxquels 


358  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

les  détenus  furent  condamnés  sur  les  pontons  ;  ces 
détails  appartiennent  à  l'histoire  générale.  Disons 
seulement  qu'au  bout  de  six  mois,  cinq  cents  environ 
avaient  succombé  (1).  Tous  les  jours,  trois  ou  quatre 
d'entre  eux  étaient  inhumés  à  l'île  d'Aix  par  leurs 
confrères ,  sans  aucun  appareil  ;  toute  espèce  de 
prière  était  interdite  ;  les  soldats  maltraitaient  qui- 
conque osait  désobéir.  Après  le  9  thermidor,  les 
bourreaux  se  relâchèrent  de  leur  cruauté.  Un  pro- 
consul, envoyé  à  la  Rochelle  par  le  gouvernement, 
reçut  la  requête  des  victimes,  le  20  décembre  4  794. 
On  les  mit  en  liberté  dans  les  premiers  jours  de 
février  1795. 
seconde  Deux  ans  s'étaient  écoulés;  les  haines  semblaient 

déportation.  .  .  . 

assoupies,  et  1  on  commençait  a  concevoir  de  vagues 
espérances.  La  crise  politique  qui  éclata  le  18  fruc- 
tidor les  fit  évanouir.  Le  lendemain ,  5  septembre 
1797,  une  loi  autorisa  le  Directoire  à  déporter  les 
prêtres  qui  troubleraient  la  tranquillité  publique. 
Sous  ce  prétexte,  les  tribunaux  s'empressèrent  d'en- 
voyer à  Rochefort  tous  les  ecclésiastiques  dénoncés 
comme  suspects.  De  là,  ils  devaient  être  transportés 
à  la  Guyane,  Cependant,  les  Anglais  ayant  capturé 
sur  l'océan  plusieurs  des  vaisseaux  qui  emmenaient 
les  proscrits  ,  le  Directoire  suspendit  la  déporta- 
tion. L'île  de  Ré  et  l'île  d'Oléron  reçurent  provisoi- 
rement le  surplus  des  condamnés.  On  pense  main- 
tenant à  la  Rochelle  que  le  nombre  des  prêtres 

(1)  c  Qu'on  prenne  quatre  cents  chiens,  disait  un  médecin 
après  avoir  visité  ces  cloaques,  qu'on  les  enferme  ici  pendant 
une  nuit,  on  les  trouvera  morts  ou  atteints  de  la  rage,  » 


DE  BAYEUX.  359 

déportés,  depuis  1794  jusqu'en  1801,  s'élèverait 
environ  à  trois  mille. 

Est-il  possible  d'établir  une  liste  exacte  et  com- 
plète de  tous  les  ecclésiastiques  qui  furent  atteints 
par  la  loi  de  déportation?  M.  l'abbé  Manseau  ,  curé 
de  Saint-Nazaire  et  de  l'île  Madame ,  s'est  senti  le 
courage  de  l'entreprendre.  En  ce  qui  concerne  le 
diocèse  de  Baveux ,  il  a  divisé  sa  liste  en  trois  par- 
ties. La  première  comprend  les  prêtres  qui  mou- 
rurent sur  les  pontons  et  furent  inhumés  soit  à  l'île 
d'Aix,  soit  à  l'île  Madame,  en  1794  et  1795.  Viennent 
ensuite  les  prêtres  détenus  à  l'île  de  Ré  ,  en  1797, 
et  dont  une  partie  fut,  l'année  suivante,  transférée 
à  Cayenne;  en  tout  vingt-cinq  victimes  (1). 

Ici ,  il  faut  bien  en  convenir,  l'exactitude  mathé- 
matique est  un  point  idéal  auquel  nul  ne  saurait 
atteindre.  A  l'époque  où  furent  recueillies  les  pre- 
mières listes ,  les  noms  de  lieu  et  de  personnes 
étaient  relevés  trop  légèrement  pour  qu'il  ne  s'y 
soit  pas  glisse  quelques  erreurs.  Tel  y  est  désigné 
comme  ayant  subi  la  déportation  ,  qui  fut  assassiné 
au  moment  de  quitter  la  France.  Un  prêtre  français, 
qui  s'était  marié  en  Angleterre  ,  se  trouvait  à  Paris 
quand  son  nom  parut  dans  un  de  ces  catalogues  ;  et 
il  fut  très-étonné  de  s'y  voir  inscrit  au  rang  des  mar- 
tyrs. En  un  mot,  les  renseignements  sont  quelque- 
fois inexacts ,  plus  souvent  encore  douteux,  vagues, 
incomplets.  Ouvriers  de  la  dernière  heure,  nous 
sera-t-il  permis  d'arriver  au  but,  à  travers  tant  d'ob- 

(1)  Voir  la  Semaine  religieuse  du  diocèse  de  Bayeux ,  26 
septembre  1869. 


Liste 
des  déportés. 


360  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

stades?  Nous  faisons  les  vœux  les  plus  ardents  pour 
que  M.  le  curé  de  Saint- Nazaire  réussisse  à  les 
écarter. 

Noire  tâche,  à  nous,  était  moins  périlleuse  ;  les 
ressources  du  moins  ne  nous  ont  pas  manqué.  Les 
archives  de  la  préfecture  du  Calvados,  où  nous  avons 
puisé,  grâce  au  concours  de  M.  l'archiviste,  de  pré- 
cieux renseignements  ;  le  registre  d'écrou  de  la  prison 
de  Caen,  les  archives  du  Tribunal  criminel,  que  M.  le 
premier  Président  a  bien  voulu  nous  ouvrir;  un  re- 
gistre de  J'évêché  de  Bayeux,  rédigé  peu  de  temps 
après  la  restauration  du  culte  ;  les  indications  que 
nous  a  fournies ,  avec  un  zèle  vraiment  fraternel ,  le 
clergé  du  diocèse,  nous  n'avons  rien  négligé,  et 
cependant,  hâtons-nous  de  le  dire,  le  succès  n'a 
pas  toujours  répondu  à  nos  efforts. 

Depuis  l'an  1794  [an  II]  jusqu'à  l'an  1797  [an  VI], 
on  trouve,  dans  les  archives  du  Tribunal  criminel  de 
Caen,  six  ecclésiastiques  condamnés  à  la  déportation. 
Cette  liste  embrasse  donc  les  deux  époques  que  nous 
avons  esquissées  plus  haut.  La  première  comprend  : 

Courbin  (Etienne),  ci- devant  curé  d'Éterville  — 
doyenné  de  Maltot  —  âgé  de  37  ans ,  condamné 
comme  réfractaire,  le  5  germinal  an  II. 

Ruelle  (Pierre-Gabriel),  prêtre  réfractaire,  origi- 
naire de  Montchamp,  près  Vire,  âgé  de  37  ans,  con- 
damné le  1G  pluviôse  an  II. 

Si  nous  consultons  la  liste  de  M.  l'abbé  Manseau , 
nous  verrons  qu'effectivement  ces  deux  prêtres  ont 
subi  la  condamnation  prononcée  contre  eux.  Le 
premier  mourut  au  Fort-Vaseux  à  l'âge  de  37  ans  ; 


DE    BAYEUX.  361 

—  on  n'indique  point  la  date  de  sa  mort.  — Le  second 
mourut  à  Saintes,  le  6  mars  1795,  âgé  de  40  ans. 

Dans  la  seconde  série  il  faut  placer  : 

Collette  (Jean-Baptiste),  ex-curé  d'Amayé-sur- 
Seulles  —  doyenné  de  Maltot,  —  65  ans. 

Carrel  (Guillaume),  ex-curé  des  Loges — doyenné 
de  Villers.— Nous  n'avons  pas  trouvé  son  âge. 

Hue  (Nicolas-Cyprien),  diacre,  d'Amayé-sur-Seulles 

—  31  ans. 

Richehomme  (Richard) ,  ex-curé  de  Bazenville  — 
doyenné  de  Creully, —  65  ans. 

Ceux-ci  furent  condamnés  à  la  déportation  le  6 
vendémiaire  an  VI  [1797]. 

Que  sont  devenus  ces  ecclésiastiques  après  l'arrêt 
qui  les  frappa?  On  les  chercherait  en  vain  sur  les 
listes  de  la  Rochelle  ;  mais  nous  les  trouvons  inscrits 
dans  le  registre  de  l'évêché  de  Bayeux  (État  du  clergé 
en  1805),  et  celui-ci  lève  toute  incertitude.  A  cette 
époque ,  ils  étaient  revenus  d'Angleterre  ,  où  ils 
trouvèrent  l'hospitalité  pendant  les  mauvais  jours; 
M.  Richehomme  et  M.  Carrel  reprirent  l'un  et  l'autre 
dans  le  diocèse  la  paroisse  qu'ils  desservaient  avant 
la  révolution  (1).  Donc,  il  faut  choisir  :  ou  bien  ils 
figuraient  parmi  les  déportés  envoyés  à  Cayenne, 
qui  furent  délivrés  par  une  flotte  anglaise  ;  ou  bien, 
s'élanl  fait  exempter,  par  un  moyen  quelconque,  de  la 
déportation,  ils  avaient  cherché  leur  salut  dans  l'exil. 

(1)  On  lit  dans  le  Registre  de  l'évêché  de  Bayeux  qu'ils  se 
sont  déportés  (et  non  exilés),  ceux-ci  en  Angleterre,  d'autres 
en  Allemagne,  d'autres  en  Italie.  Cette  façon  de  parler,  qui 
n'est  pas  exacte,  avait  prévalu  à  l'époque  de  la  Terreur. 


362  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Quelque  opinion  que  l'on  adopte  ,  il  est  deux 
points  que  nous  croyons  devoir  établir. 

Tous  ceux  qui  ont  été  condamnés  à  la  déportation, 
ne  l'ont  pas  subie.  Réciproquement,  il  en  est  qui 
l'ont  subie,  sans  passer  par  les  formalités  de  la  pro- 
cédure criminelle. 

Un  conflit  de  juridiction,  dont  il  est  impossible  de 
préciser  ladurée,  s'étaitélevé  à  Caen,  entre  leTribunal 
criminel  et  le  Directoire  du  Calvados. Un  certain  nombre 
de  prêtres ,  détenus  soit  aux  Carmes ,  soit  au  Bon- 
Sauveur,  avaient  adressé  au  Directoire  des  certificats, 
en  vue  d'établir  que  la  loi  concernant  la  déportation 
ne  leur  était  pas  applicable.  Le  5  septembre  1794, 
l'administration  départementale  nommadeux officiers 
de  santé  pour  contrôler  l'exactitude  des  certificats. 
Les  réclamants  étaient  au  nombre  de  dix-sept.  Après 
la  visite ,  le  Directoire  en  exempta  trois,  et  renvoya 
les  autres  devant  le  Tribunal  criminel ,  auquel  il 
enjoignait,  en  même  temps,  de  les  expédier  sur 
Rochefort  (I).  On  serait  bien,  tenté,  sans  aucun 
doute,  de  regarder  cette  injonction  comme  défini- 
tive, et  pourtant  on  commettrait  une  erreur.  Le 
premier  sur  la  liste,  M.  àmiaud,  chanoine  de  Bayeux, 
réussit  à  se  faire  exempter.  Pour  lui,  la  déportation 
fut  changée  en  réclusion  ,  le  9  brumaire  an  III 
[1794].  Nous  pourrions  en  citer  d'autres  qui  obtin- 
rent la  même  faveur. 

En  l'année  1801,  le  général  Dugua,  préfet  du 

(1)  V.  aux  Pièces  justificatives,  p.  55:  Prêtres  déportés, 
une  note  très-curieuse  sur  les  rapports  du  Directoire  avec  le 
Tribunal  criminel ,  à  propos  de  la  déportation. 


DE   BAYEUX.  363 

Calvados,  résumant  d'un  seul  mot  les  tiraillements 
de  cette  douloureuse  époque ,  partageait  en  deux 
classes  les  ecclésiastiques  qui  étaient  encore  sujets  a 
la  déportation.  «  Les  uns,  écrivait-il  (1),  ne  l'ont  pas 
subie,  parce  qu'ils  ont  trouvé  le  moyen  de  s'y  sous- 
traire; d'autres,  parce  qu'on  ne  les  a  pas  crus  capa- 
bles de  la  supporter.  »  —  Donc  ,  il  ne  suffit  pas  de 
citer  les  jugements  qui  les  condamnent ,  il  faudrait 
encore  savoir  si  l'on  n'a  point  eu  quelque  motif  pour 
y  déroger. 

Réciproquement,  disions-nous  tout  à  l'heure,  il  est 
des  prêtres  qui  ont  subi  la  déportation  ,  sans  avoir 
passé  par  les  formalités  de  la  procédure  criminelle. 

M.  Hébert,  curé  de  Saint-Gilles  de  Caen,  raconte, 
dans  ses  Notes  manuscrites,  que  M.  l'abbé  Jenvrin, 
ordonné  prêtre  en  1795,  fut  arrêté  à  Caen  et  mis  en 
prison  au  mois  de  septembre  1797.  Après  une  déten- 
tion dont  nous  ignorons  la  durée  ,  on  lui  annonça 
qu'il  allait  être  déporté  a  la  Guyane,  et  qu'il  fallait 
partir  à  l'heure  même.  Il  ne  comparut  devant  aucun 
tribunal.  L'inspecteur  de  la  prison  ,  qui  lui  signifia 
son  départ,  lui  refusa  le  temps  nécessaire  pour 
prendre  chez  un  correspondant  l'argent  que  lui  en- 
voyait sa  famille.  On  lui  avait  fait  craindre  les  déserts 
de  la  Guyane ,  mais  ce  fut  à  l'île  de  Ré  qu'on  le  dé- 
porta (2).  Logé  sous  les  combles ,  dans  la  citadelle 

(1)  Lettre  du  général  Dugua  au  sous-préfet  de  Falaise  ;  14 
février  1801. 

(2)  Ces  détails  sont  extraits  d'une  lettre  écrite  le  3  décem- 
bre 1829,  par  M.  Jenvrin,  curé  de  Bretteville-la-Pavée,  à 
M.  l'abbé  Hébert,  alors  curé  de  Saint-Gilles  de  Caen. 


364  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

de  Saint-Martin  ,  dévoré  par  la  vermine ,  il  y  con- 
tracta des  infirmités  dont  il  souffrit  jusqu'à  la  mort. 

Qu'elle  était  édifiante  la  vie  de  ces  saints  prêtres, 
qui  pouvaient  dire  comme  saint  Paul  :  «  Je  meurs 
tous  les  jours.  »  Les  rigueurs  qu'ils  enduraient  ne 
lassèrent  jamais  leur  patience.  Quand  ils  cessaient 
de  prier ,  c'était  pour  s'entretenir  des  sciences 
ecclésiastiques.  Les  plus  instruits  faisaient  à  leurs 
confrères  des  conférences  sur  l'Écriture  sainte; 
quelques-uns  leur  prêchaient  des  retraites.  Ils  eurent 
même  la  joie  de  voir  rentrer  dans  le  sein  de  l'Église 
quelques  prêtres  schismatiques,  auxquels  la  révolu- 
tion avait  fait  partager  leur  sort.  Cet  état  de  choses 
se  prolongea  jusqu'à  la  chute  du  Directoire. 

On  a  trop  longtemps  oublié  ces  prêtres  vénérables; 
s'ils  n'ont  pas,  comme  tant  d'autres  ,  «  résisté  jus- 
qu'au sang,  »  ils  ont  rendu  à  leur  croyance  le  même 
témoignage.  Les  précieux  ossements  d'un  grand 
nombre  d'entre  eux  gisaient  sans  honneur  à  l'em- 
bouchure de  la  Charente  ;  c'est  à  peine  si  un  pli  de 
terrain  indiquait  leur  sépulture  à  la  piété  du  voya- 
geur. Nous  apprenons  avec  joie  qu'on  leur  construit 
un  modeste  sanctuaire,  à  l'ombre  duquel  ils  repose- 
ront un  jour. 


Les  droits  de  la  vérité  sont  imprescriptibles  ;  dès 
qu'on  la  découvre,  elle  s'impose;  malheureusement, 
elle  se  dérobe  aussi  quelquefois.  Assez  longtemps 
nous  avions  fait  appel  à  tous  ceux  qui  la  cherchent, 
et  en  particulier  à  ceux  qu'intéresse  l'histoire  locale. 


DE  BAYEUX.  3G5 

De  toute  part,  on  nous  pressait  d'en  iinir;  aujour- 
d'hui ,  on  nous  reprochera  peut-être  d'avoir  voulu 
finir  trop  tôt.  La  question  sur  laquelle  nous  sommes 
en  défaut,  est  une  de  celles  que  nous  avons  le  plus 
étudiée  ;  notre  martyrologe  est  incomplet.  Nous 
avons  omis  deux  victimes,  deux  frères,  prêtres  l'un 
et  l'autre,  qui  périrent  aux  Carmes  en  1792.  Ils  se 
nommaient  Olivier  Le  Febvre  et  Pierre-Paul  Le    p^re-Paui  et 

Olivier  Le  Febvre, 

Febvbe.  Le  catalogue  de  M.  Guillon  désigne  le  pre-       mai>lJis 

aux  Carmes. 

mier  comme  appartenant  au  diocèse  de  Paris  ;  le 
second  y  est  passé  sous  silence  ;  nous  ne  connais- 
sons aucun  nécrologe  qui  ait  rectifié  cette  erreur. 

Aujourd'hui,  nous  savons  qu'Olivier  et  Pierre-Paul 
Le  Febvre  appartenaient  à  une  famille  normande , 
dont  le  père  demeurait  àSoliers  —  officialité  de  Caen 
—  doyenné  de  Vaucelles.  —  La  famille  se  composait 
de  huit  enfants.  Cinq  d'entre  eux  s'étaient  voués  au 
sacerdoce  ;  une  de  leurs  sœurs  était  religieuse.  L'aîné 
mourut  empoisonné  par  accident  au  séminaire  des 
Eudistes.  Après  lui,  venaient  Pierre-Paul  et  Olivier; 
le  premier,  curé  de  Vacognes ,  dans  le  diocèse  de 
Bayeux  ;  le  second,  directeur  du  monastère  des  dames 
de  la  Miséricorde  ,  à  Paris.  Un  autre  ,  appelé  Jean- 
Baptiste,  chapelain  de  l'hospice  des  Incurables,  se 
trouvait  aux  Carmes,  le  jour  du  massacre,  avec  ses 
deux  frères,  Pierre-Paul  et  Olivier.  Après  avoir  reçu 
leurs  adieux  ,  il  prit  la  fuite  et  vint  à  Caen  annoncer 
à  son  frère  Jean-François  qu'ils  avaient  dans  le  ciel 
deux  nouveaux  protecteurs.  Bientôt  après,  il  s'exila 
lui-même  et  mourut  à  Klagenfurt,  en  Carinthie. 

Dépositaire  de  cette  sainte  tradition,  Jean-François 


366  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Le  Febvre  la  recueillit  avec  respect  et  ne  l'a  pas  lais- 
sée périr.  Il  l'a  communiquée  a  sa  nièce,  la  fille  de 
sa  sœur  Françoise ,  et  c'est  par  elle  que  le  souvenir 
des  deux  victimes  s'est  perpétué  dans  la  paroisse  de 
Soliers,  où  il  est  encore  vivant  (1  ). 

A  l'époque  où  Mgr  l'archevêque  de  Paris  fit  inscrire 
le  nom  des  martyrs  du  2  septembre  dans  l'église  des 
Carmes,  celui  de  Pierre-Paul  fut.  rejeté  ;  la  preuve 
testimoniale  parut  insuffisante  ;  on  lui  opposa  le 
silence  de  Yécrozt.  Ce  système  est  discuté  dans 
nos  Pièces  justificatives  ;  nous  en  appelons  à  nos 
lecteurs  (2). 

(1)  V.  Pièces  justificatives,  Note  xxvm  ,  des  détails  précis 
sur  la  manière  dont  cette  tradition  s'est  conservée. 

(2)  M.  Lidehard  .  propriétaire  à  Soliers,  et  que  des  souve- 
nirs précieux  rattachent  à  la  famille  Le  Febvre,  a  obtenu  de 
Msr  Hugonin,  évoque  de  Bayeux ,  la  permission  de  placer, 
dans  le  sanctuaire  de  l'église  paroissiale,  le  nom  de  ces  héros 
de  la  foi.  On  lit  au  pied  de  la  plaque  commémorative  : 

MARTYRIBUS  POSUIT  LIDEHARD  VOTUMQUE  REPEND1T. 
1870. 

Désormais  ,  le  monument  appuiera  la  légende  ;  c'est  une 
pensée  à  laquelle  on  ne  peut  trop  applaudir. 


DE   BAYEUX.  367 


CHAPTIRE  XXV. 


Culte  de  la  Raison  et  de  l'Être  suprême  dans  les  différentes 
villes  du  département. —  Discours  du  représentant  Laplan- 
che,  dans  l'église  Notre-Dame  de  Caen.  —  Culte  pseudo- 
catholique à  Falaise.  —  On  dépouille  toutes  les  églises.  — 
Indifférence  des  populations  pour  les  fêtes  décadaires.  — 
Hôpitaux.  —  Bureaux  de  charité.  —  Comités  de  bienfai- 
sance.—  Les  séculières  remplacent  les  religieuses. 


La  Convention  avait  déclaré,  le  7  novembre  4793,        cuite 

de  la  Raison. 

que  le  culte  de  la  Raison  serait  désormais  la  religion 
nationale,  et  l'on  s'empressa  de  l'inaugurer  dans  les 
départements.  Au  mois  de  mars  1794,  la  cathédrale 
de  Bayeux  fut  choisie  pour  temple  de  la  Raison. 
La  statue  de  la  Foi,  que  l'on  voit  encore  aujourd'hui 
sur  le  couronnement  de  la  chaire  ,  reçut  un  bonnet 
rouge,  orné  de  la  cocarde  nationale.  A  la  croix,  qu'elle 
tenait  dans  sa  main ,  on  substitua  une  pique,  à  l'ex- 
trémité de  laquelle  était  suspendue  une  longue 
flamme  tricolore.  On  érigea  un  autel  dans  la  nef, 


368  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

contre  l'ancien  jubé.  Jean-Jacques  Rousseau  ,  cou- 
ronné de  lierre ,  entouré  d'orangers,  Le  Pelletier  de 
Saint-Fargeau,  Brutus  et  Marat  prirent  la  place  des 
saints,  autour  de  l'autel.  Quelque  temps  après,  un 
immense  cortège  se  déployait  dans  les  rues  de  la  cité. 
A  la  suite  de  la  garde  nationale  et  des  sociétés  po- 
pulaires, on  vit  paraître  plusieurs  groupes  allégori- 
ques qui  représentaient  les  différents  âges  de  la  vie; 
des  jeunes  gens,  portant  des  arbres  auxquels  étaient 
suspendus  des  rubans  et  des  fleurs  ;  des  vieillards, 
choisis  parmi  ceux  dont  la  chevelure  et  le  visage  de- 
vaient inspirer  le  respect  ;  des  soldats  en  convales- 
cence, qui  promettaient  de  se  sacrifier  encore  pour 
la  patrie.  Un  char  mythologique  traînait  la  déesse. 
Drapée  dans  un  manteau  bleu  ,  armée  d'une  pique, 
et  coiffée  d'un  bonnet  phrygien,  elle  foulait  sous  ses 
pieds  la  croix  ,  l'ostensoir,  une  mitre  épiscopale  ,  le 
sceptre  et  la  main  de  justice.  Des  enfants,  travestis 
en  génies,  lui  présentaient  des  fleurs  ou  en  jetaient 
sous  ses  pas;  à  sa  suite  venait  une  charme,  traînée 
par  des  bœufs  ;  les  autorités  fermaient  la  marche. 
La  déesse  se  dirigea  vers  la  cathédrale  ,  et  fut  enfin 
placée  sur  l'autel.  A  l'entour,  on  déposa  respectueu- 
sement des  pierres  recueillies  a  Paris  ,  après  la  dé- 
molition de  la  Bastille,  et  sur  lesquelles  on  avait  fait 
graver  les  Droits  de  V homme. 

La  Raison  avait  donc  détrôné  la  Foi.  Ce  qu'elle 
inaugura  dans  son  délire  se  conçoit  à  peine.  Du 
temps  où  la  cathédrale  était  encore  desservie  par- 
le clergé  constitutionnel ,  des  orgies  scandaleuses 
avaient  déjà  souillé  l'église  :  on  avait  abattu  les  sta- 


DE  BAYEUX.  369 

tues ,  déchiré  les  tableaux ,  insulté  le  crucifix  ;  on 
avait  ignominieusement  mutilé  sa  face  à  coups  de  ta- 
lons de  bottes  ;  mais  ces  atrocités  pouvaient  en- 
core être  mises  sur  le  compte  de  quelques  individus 
que  l'impiété  avait  rendus  furieux.  A  partir  du  mo- 
ment où  le  culte  chrétien  fut  banni  de  la  maison  de 
Dieu ,  la  multitude  y  commit  légalement  toute  sorte 
d'excès.  On  y  exécuta  des  rondes ,  au  chant  de  la 
Carmagnole  ;  un  bal  y  fut  donné,  en  plein  jour,  avec 
une  grande  solennité  ;  on  y  appela  des  comédiens,  et 
l'on  y  joua  des  pièces  de  circonstance ,  sur  la  de- 
mande de  la  société  populaire.  Enfin ,  ajoutons  que, 
de  temps  en  temps,  les  lois  y  étaient  promulguées  ; 
on  montait  au  jubé  pour  la  célébration  des  mariages; 
quelquefois  on  y  prononçait  des  discours. 

Robespierre  méprisait  ces  odieuses  saturnales.  En  cuitederit 
mai  1794,  il  proclama  l'existence  de  Dieu  et  l'immor-  t^y™*. 
talité  de  l'âme.  Les  sections  de  Paris  vinrent  tour  à 
tour  à  la  barre  de  la  Convention ,  remercier  la  Mon- 
tagne «  d'avoir  contraint  le  monstre  de  l'athéisme  à 
rentrer  dans  les  ténèbres.  »  Le  nom  de  FÊtre-Su- 
prême  remplaça  donc  sur  les  portes  de  la  cathédrale 
celui  de  la  Raison  ;  une  fête  y  fut  célébrée,  dans  la- 
quelle on  préconisa  les  vertus  de  Robespierre. Toute- 
fois, gardons-nous  de  penser  que  le  régime  commen- 
çât à  s'adoucir.  Il  est  vrai  qu'en  mai  1794  la  liberté 
des  cultes  avait  été  maintenue  par  la  Convention  ; 
mais,  au  mépris  de  ces  déclarations,  le  sang  le  plus 
pur  coulait  à  grands  flots,  et  on  touchait  au  paroxis- 
me  de  la  Terreur. 

Le  temple  de  la  Raison  fut  inauguré  à  Caen,  le  30 

24 


IV- 


Culte 
de  la  Raison. 


Culte  de  l'Etre- 

Suprême, 

à  Caen. 


370  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

pluviôse  an  II  [18  février  1794]  ;  on  se  réunit  dans 
l'église  de  Saint-Pierre.  Le  jour  de  l'inauguration  ,  la 
société  populaire  y  célébra  la  mort  de  Louis  XVI.  Le 
président  prononça  un  long  discours ,  dans  lequel  il 
établissait  que  les  prêtres  sont  la  personnification  des 
sept  péchés  capitaux.  Comme  à  Bayeux,  comme  ail- 
leurs ,  l'idolâtrie  s'assit  sur  l'autel ,  représentée  par 
une  Déesse.  Écrivons  donc  pour  la  dernière  fois  ce 
nom  que  nous  voudrions  effacer  de  notre  histoire. 
Nous  savons  qu'il  a  causé  des  regrets  immenses 
à  quelques-unes  des  infortunées  auxquelles  il  fut 
infligé.  Au  mois  de  mars  de  la  même  année ,  on 
enleva,  pour  les  besoins  de  l'État,  les  plombs  de 
l'église  de  Saint-Pierre  ,  on  vendit  le  mobilier  et 
on  ferma  l'édifice.  L'église  des  Bénédictins  (Saint- 
Étienne)  était  devenue  le  temple  de  l'Éternel.  Un  maî- 
tre de  pension  y  fit  chanter  par  ses  élèves,  dans  une 
cérémonie  publique,  ce  qu'on  appelait  alors  «  des 
couplets  »  en  l'honneur  de  l'Être-Suprême  ;  Dieu  du 
moins  n'y  est  pas  outragé  [20  prairial  an  II].  Le  21 
janvier  1795,  on  y  fêtait  «  la  juste  punition  du  der- 
nier des  tyrans.  »  Enfin ,  quelques  mois  plus  tard , 
l'église  des  Bénédictins  fut  enlevée  à  la  commune  par 
le  département,  et  ouverte  à  tous  les  cultes  ,  sur  la 
demande  des  habitants  (1). 


(1)  L'église  de  Notre-Dame  (la  Gloriette)  a  servi  plusieurs 
fois  pour  les  fêtes  décadaires  ,  mais  simplement  comme 
lieu  de  réunion.  C'est  ce  qui  explique  comment  elle  a  pu  re- 
cevoir l'inscription  par  laquelle  on  proclamait  l'existence  de 
Dieu  et  l'immortalité  de  l'âme ,  inscription  que  l'on  nous  dit 
avoir  été  trouvée  dans  le  mobilier  de  l'église.  On  n'y  a  jamais 
convoqué  les  réunions  officielles  pour  les  fêtes  de  la  Raison  ni 


Caen. 


DE  BAYEUX.  371 

Un  discours  du  représentant  Laplanche  avait  pré-  du  °is^0su™tant 
cédé  et  préparé  tous  ces  scandales.  Le  10  frimaire  de  La/J?n*cnhe' 
la  IIme  année  républicaine  [30  novembre  1793],  La- 
planche «  député  près  les  côtes  de  Cherbourg ,  »  se 
rendit  à  Caen ,  convoqua  les  autorités  du  départe- 
ment, du  district  et  de  la  commune,  les  troupes  de 
toute  arme,  et  exécuta  dans  la  ville  «  une  promenade 
civique  »  au  milieu  d'un  concours  immense  de  ci- 
toyens. On  s'arrêta  dans  l'église  des  Jésuites ,  c'était 
son  enceinte  que  le  Département  avait  désignée  pour 
la  séance.  Là,  au  milieu  du  silence  le  plus  profond  , 
Laplanche  fît  entendre  les  paroles  qu'on  va  lire: 

«  Républicains,  dans  les  réformes  utiles  que  je 
me  propose  de  faire,  les  hochets  du  fanatisme  ne  se- 
ront pas  oubliés  ;  le  règne  de  la  vérité  commence  , 
et  la  superstition  s'éclipse  devant  la  raison.  Que  les 
cloches  importunes  de  Caen  descendent  donc,  comme 
partout  ailleurs,  de  leurs  voûtes  aériennes  et  qu'elles 
se  transforment  soudain  en  foudres  de  guerre  ;  la 
république  en  a  besoin  pour  écraser  les  tyrans.  Une 
seule  restera  pour  indiquer  les  heures,  pour  annon- 
cer les  incendies,  les  alarmes,  je  ne  dirai  pas  les 
émeutes  populaires  :  les  Calvadociens  devenus  libres 
et  républicains  ne  s'en  permettront  jamais.  » 

«  Citoyens,  puisque  je  viens  de  supprimer  les  clo- 
ches, il  est  juste  aussi  de  supprimer  ceux  qui  les 
sonnent.  » 

pour  celles  de  l'Être-Suprême.  Ces  réunions  se  tinrent  d'abord 
à  Saint-Pierre,  plus  tard  à  Saint-Etienne.  Quelques  fêtes  ré- 
publicaines furent  célébrées  sur  le  Cours  ,  au  milieu  des  ar- 
bres, ou  dans  la  Prairie,  qui  s'appelait  alors  «  le  Temple  de 
la  Nature.  » 


372  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

«  Je  supprime  toutes  les  paroisses,  à  l'exception 
d'une  seule,  qui  sera  commune  k  tous  les  cultes.  Là, 
le  musulman  à  côté  du  catholique ,  le  hottentot  au- 
près du  protestant,  le  juif  à  côté  du  gymnosophiste 
de  l'Inde,  pourront  adresser  leurs  hommages  à  l'au- 
teur de  la  nature  et  au  génie  de  la  liberté  ;  ce  temple 
sera  celui  de  la  Raison  et  de  la  Vérité.  » 

«  Quant  aux  ministres  du  culte  salarié ,  dont  les 
fonctions  viennent  d'être  supprimées,  la  loi  a  pourvu 
à  leur  sort,  puisque  dans  sa  bienfaisance  elle  leur 
accorde  1,200  livres  pour  ne  rien  faire.  J'invite  ex- 
pressément toutes  les  administrations  à  les  surveiller 
de  bien  près  ;  car  nous  ne  saurions  nous  dissimuler 
que  ce  sont  des  prêtres  sanguinaires  qui  sont  la  cause 
principale  de  nos  désastres.  Après  les  rois,  les  prêtres 
sont  les  plus  terribles  fléaux  du  genre  humain.  » 

«  Les  prêtres  n'existent  plus  ;  les  ornements ,  les 
vases,  les  hochets ,  les  ustensiles  de  la  superstition 
deviennent  inutiles.  La  République  en  fera  un  meil- 
leur usage.  Je  requiers  donc  que  tous  les  vases,  or- 
nements, etc.,  soient  envoyés  k  la  Convention,  et  si 
quelque  prêtre  osait  souiller  ses  mains  par  quelque 
spoliation  ou  par  quelque  larcin,  je  le  préviens  qu'il 
sera  puni  de  mort,  comme  voleur  des  deniers  pu- 
blics. » 

Laplanche  fut  reconduit  k  sa  demeure  au  milieu 
des  applaudissements.  Les  fenêtres  étaient  illuminées; 
le  peuple,  dit  le  procès-verbal ,  n#  se  lassait  pas  de 
considérer,  d'examiner  son  père  et  son  ami  ! 

S'il  fallait  apprécier  ce  discours,  les  réflexions  se 
présenteraient  en  foule.  Contentons-nous  de  remar- 


DE   BAYEUX.  373 

quer  que  «  les  ministres  du  culte  salarié  »  y  sont 
confondus  avec  les  prêtres  catholiques,  et  signalés 
comme  eux  au  mépris  et  à  la  haine.  «  Douze  cents 
livres  pour  ne  rien  faire ,  »  ce  n'était  pas  aux  prêtres 
catholiques  que  le  représentant  adressait  cette  injure. 
Il  y  avait  deux  ans  qu'ils  étaient  exilés  ,  emprisonnés 
ou  mis  à  mort.  Les  prêtres  constitutionnels  durent 
donc  commencer  à  comprendre  que  leur  tour  était 
arrivé,  et  que  la  révolution  dévorait  tous  ses  enfants. 

A  Lisieux  et  à  Vire,  les  officiers  municipaux  firent  cnite 
aussi  leur  proclamation  pour  inviter  les  bons  patriotes  reVâSux|r 
à  célébrer  dignement  la  fête  de  la  Raison.  A  Lisieux, 
ce  fut  dans  la  ci-devant  cathédrale  que  les  autorités 
se  réunirent  le  30  décembre  4793.  Précédemment 
on  avait  démoli  le  jubé  et  la  chaire  épiscopale  ;  les 
statues  des  saints  avaient  été  brisées  par  un  détache- 
ment de  hussards  qui  traversait  la  ville  ;  un  peu  plus 
tard,  on  ouvrit  les  tombes  des  évêques  ;  le  plomb 
des  cercueils  servit  à  faire  des  balles  ;  les  corps  fu- 
rent portés  au  cimetière  commun.  Le  dimanche  8 
juin  4794,  jour  de  la  Pentecôte ,  on  célébra  dans  la 
même  église  la  fête  de  l'Être-Suprême.  Le  chœur  fut 
séparé  de  la  nef  par  un  rideau  tricolore,  orné  de  guir- 
landes de  verdure  ;  les  piliers  étaient  également  en- 
tourés de  guirlandes  et  d'étoffes  aux  trois  couleurs. 
Au  milieu  du  rideau  était  suspendue  la  déclaration 
des  droits  de  l'homme  ;  au-dessus  on  lisait  l'inscrip- 
tion suivante ,  en  lettres  tracées  avec  des  fleurs  :  A 
l'Etre-Suprême.  Sous  la  rotonde  s'élevait  un  autel , 
dont  les  gradins  étaient  chargés  de  fleurs  et  de  pro- 
duits agricoles  ;  cet  autel  était  dédié  à  la  Nature. 


374  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

Quelques  jours  avant  le  décret  qui  instituait  le  culte 
de  la  Raison,  on  célébrait  encore  à  Saint-Pierre  les 
cérémonies  du  culte  constitutionnel.  A  partir  de  ce 
moment,  elles  furent  interrompues  dans  toutes  les 
églises  de  Lisieux  jusqu'au  44  octobre  1796. 
cuite  Les  intrus  n'abandonnèrent  l'église  Notre-Dame  de 

révolutionnaire,  .  ,„.,         _.  .,        ,  ., 

à  vire.  Vire  que  le  12  mars  1794.  Ce  jour-la  ,  le  conseil  ar- 
rêta que  le  moment  était  venu  «  où  le  culte  de  la 
vérité  et  de  la  morale  devait  succéder  à  celui  de  la 
superstition  et  du  mensonge.  »  Dès-lors  les  bâtiments 
qui  portaient  la  qualification  d'église ,  devaient  être 
clos  et  fermés.  Pendant  quelque  temps ,  les  intrus 
célébrèrent  leurs  offices  dans  l'église  de  l'Hôpital- 
général.  Quand  le  club  s'y  réunissait,  ils  portaient  le 
Saint-Sacrement  dans  l'intérieur  de  l'hospice.  Bien- 
tôt après,  l'ordre  est  donné  de  fermer  toutes  les 
églises.  On  les  dépouille  de  leurs  ornements ,  «  on 
enlève ,  on  efface ,  on  détruit  »  tous  les  signes  exté- 
rieurs du  christianisme.  Le  conseil  municipal  de  Vire 
n'avait  pas  attendu  ce  moment  pour  célébrer,  à  Notre- 
Dame,  le  culte  de  la  Raison.  Il  s'y  était  fait  repré- 
senter par  une  députation,  dès  le  29  janvier  1794, 
et  avait  consigné  sur  ses  registres  le  regret  de  ne  pou- 
voir y  assister  en  corps.  Le  3  juin  de  la  même  année, 
le  culte  de  l'Être-Suprême  venait  de  remplacer  celui 
de  la  Raison,  et  la  municipalité  applaudissait  au  nou- 
veau programme  que  lui  soumettait  la  société  mon- 
tagnarde; c'est  ainsi  qu'elle  est  qualifiée  dans  les  re- 
gistres du  conseil. 

Sur  ces  entrefaites,  un  fonctionnaire  commissionné 
pour  la  fabrication  du  salpêtre ,  s'établit  dans  la  ville 


DE  BAYEUX.  375 

et  commença  des  fouilles  dans  l'église  Notre-Dame. 
Des  sépultures  encore  récentes  furent  indignement 
profanées  ;  les  magistrats  écrivirent  au  comité  de 
salut-public,  et  lui  représentèrent  les  dangers  qui  en 
résultaient  pour  la  santé  des  habitants.  «  Il  est  dans 
nos  cœurs  républicains ,  s'écriaient-ils ,  que  toute  la 
terre,  s'il  était  possible,  fût  réduite  en  salpêtre  pour 
foudroyer  les  esclaves  et  les  despotes  »,  mais  ils  ajou- 
taient que  l'église  Notre-Dame  était  le  seul  monu- 
ment que  l'on  pût  dédier  à  l'Ètre-Suprême,  et  consé- 
quemment  ils  avaient  ordonné  que  l'on  suspendît  les 
travaux.  Les  réclamations  ne  furent  probablement  pas 
accueillies,  car  on  fit  enlever  de  l'Hôpital-général  tout 
ce  qui  pouvait  se  trouver  en  dépôt  dans  l'église,  et  le 
8  juin  1794,  on  y  célébrait  avec  pompe  la  fête  de 
l'Etre-Suprême.  A  Vire,  comme  dans  les  autres  villes 
du  département,  une  minorité  oppressive  faisait  la 
loi ,  et  comprimait  les  manifestations  de  l'esprit  pu- 
blic ;  mais  la  foi  chrétienne  n'était  pas  éteinte  dans 
le  cœur  des  Yirois  ;  les  registres  municipaux  nous  en 
fourniront  bientôt  la  preuve. 

Les  décrets  des  proconsuls  qui ,  malgré  les  décla-  Transformation 
rations  formelles  de  la  loi ,  proscrivaient  en  même  constitutionnel 
temps  le  culte  constitutionnel  et  le  culte  catholique,     àFalaise- 
semblaient  avoir  épargné  la  ville  de  Falaise.  Le  jour 
de  Pâques  1796  on  y  faisait  encore  l'office  dans  toutes 
les  paroisses,  et,  jusqu'à  cette  époque,  l'église  de  la 
Trinité  servit  tout  à  la  fois  de  lieu  de  réunion  pour 
les  cérémonies  du  culte  constitutionnel ,  et  de  tem- 
ple pour  les  fêtes  de  la  révolution.  C'est  ce  que  nous 
lisons  dans  un  rapport  envoyé  a  l'administration  cen- 


376  HIST3TRE  DU   DIOCÈSE 

traie  du  Calvados  par  les  municipaux  de  la  ville  de 
Falaise,  le  46  juillet  1796  (1).  L'année  précédente, 
le  jeudi  27  août  1795,  jour  où  la  république  célé- 
brait la  première  décade  de  fructidor,  le  directoire  du 
district  avait  adressé  des  reproches  à  la  municipalité 
qui  refusait  de  se  transporter  à  l'église  de  Sainte- 
Trinité  pour  y  faire  la  publication  des  lois.  Les  lois, 
répondirent  les  municipaux,  sont  suffisamment  pro- 
mulguées sur  la  place  publique  ;  peu  de  personnes 
assistent  aux  décades  ;  l'église  a  été  réclamée  par  les 
habitants  ;  ils  en  ont  obtenu  la  jouissance  et,  dans  ce 
moment  même ,  le  culte  y  est  exercé  ;  l'interruption 
de  l'office  pourrait  amener  des  troubles,  si  l'adminis- 
tration y  paraissait  pour  promulguer  les  lois.  Le  jeu- 
di 27  août  1795,  correspondait,  disons-nous,  au  10 
fructidor,  et  ce  jour-la,  les  prêtres  schismatiques  de 
Falaise  chantaient  leur  office.  La  date  sur  laquelle 
nous  insistons,  prouve  donc  qu'ils  étaient  du  nombre 
de  ceux  qui  fêtaient  la  décade ,  ou  si  Ton  veut ,  qui 


(1)  «  Quant  à  la  ci-devant  église  de  la  Trinité ,  située  sur  la 
place  de  la  Révolution,  cet  édifice,  d'une  architecture  ancienne, 
a  servi  tout  à  la  fois  jusqu'au  7  germinal  dernier  [27  mars 
1796] ,  à  l'exercice  du  culte  catholique  des  habitants  de  la 
section  de  la  Révolution,  à  la  célébration  des  fêtes  décadaires, 
et  aux  autres  fêtes  de  la  république  ;  et  sous  ce  second  rap- 
port, cet  édifice  fut  nommé  le  Temple  de  la  Raison  ;  mais  le 
dit  jour,  7  germinal,  les  catholiques  qui  célébraient  la  fête  de 
Pâques,  ayant  été  troublés  dans  l'exercice  de  leur  culte,  ont 
cessé  depuis  cette  époque  de  faire  leurs  cérémonies  religieuses 
dans  cet  édifice ,  en  sorte  qu'il  ne  sert  maintenant  que  pour 
célébrer  les  fêtes  républicaines.  »  {Rapport  de  V administra- 
tion municipale  de  la  commune  de  Falaise,  a  l'administra- 
tion centrale  du  Calvados.  —  28  messidor  an  IV.) 


DE  BÀYEUX.  377 

avaient  transporté  du  septième  au  dixième  jour,  l'of- 
fice du  dimanche.  Cette  coupable  condescendance 
contre  laquelle  se  prononcèrent  un  grand  nombre 
d'évêques  constitutionnels,  était  un  schisme  dans  un 
schisme.  On  aurait  tort  de  s'en  étonner.  La  pierre 
angulaire  était  brisée ,  il  fallait  bien  que  Ton  des- 
cendît jusqu'aux  abîmes. 

Les  choses,  disons-nous,  restèrent  en  cet  état  jus- 
qu'au dimanche  de  Pâques,  —  27  mars  1796.  —  Il 
paraît  que,  dans  cette  grande  solennité ,  on  avait  dé- 
rogé au  calendrier  républicain ,  et  que  l'on  chantait 
la  messe  à  Sainte-Trinité  ;  c'est  au  moins  ce  que  nous 
lisons  dans  le  rapport  municipal.  Mais,  le  susdit  jour, 
les  grenadiers  et  les  chasseurs  de  la  garde  nationale 
sédentaire  ayant  troublé  l'exercice  du  culte,  et  même 
«  insulté  »  les  fidèles ,  ceux-ci  abandonnèrent  leur 
église,  et  se  retirèrent ,  nous  le  croyons  du  moins, 
dans  l'église  de  l'Hôtel-Dieu  qui  en  était  voisine.  Les 
autres  paroisses  ne  furent  pas  inquiétées ,  elles  con- 
tinuèrent de  chanter  leur  office,  et  en  1796,  à  l'épo- 
que où  fut  rédigée  la  pièce  que  nous  analysons,  elles 
étaient  desservies  par  des  prêtres  qui  s'étaient  con- 
formés aux  lois  de  la  république. 

A  partir  de  cette  époque,  l'église  de  Sainte-Trinité       coite 
fut  donc  affectée  exclusivement  au  culte  républicain.  "àîS" 
Le  chœur  fut  entouré  d'estrades,  et  on  y  publia  les 
lois  ;  les  orgues  furent  brûlées  sur  la  place  publique. 

Durant  cette  époque  de  désastres ,  la  ville  de  Hon- 
fleur  ne  se  rattache  à  l'histoire  du  diocèse  par  aucun 
fait  bien  saillant,  et  nous  l'en  félicitons.  Elle  avait 
d'abord  exprimé  le  désir  de  n'être  point  comprise 


Situation 

religieuse 

de  la  ville 

de  Honfleur. 


378  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

dans  le  département  du  Calvados ,  mais  bien  dans 
celui  de  l'Eure,  auquel  la  rattachaient  sa  position 
géographique ,  à  l'embouchure  de  la  Seine ,  et  ses 
relations  avec  la  haute  Normandie  ;  sa  demande  fut 
écartée.  Sur  quatre  paroisses  qu'elle  possédait  autre- 
fois, Saint-Etienne  et  Notre-Dame  se  trouvaient  sup- 
primées. L'administration  municipale  en  réclama  les 
églises  pour  remplacer  la  halle  aux  blés,  où  l'on  man- 
quait d'espace,  et  la  prison,  dont  l'état  ruineux  don- 
nait lieu  à  de  fréquentes  évasions.  Ses  instances  sur 
ce  point  ne  furent  pas  mieux  accueillies.  En  1791, 
une  douzaine  de  prêtres  formaient  le  clergé  de  Saint- 
Étienne  auquel  était  déjà  réunie  Sainte-Catherine  ; 
M.  Allais,  curé  des  deux  paroisses,  raconte  dans 
ses  mémoires  que  le  plus  jeune  d'entre  eux  prêta 
seul  le  serment.  A  Honfleur  comme  dans  les  autres 
villes,  il  y  eut  par  intervalle  des  mouvements  popu- 
laires. A  l'époque  de  l'arrestation  du  roi,  des  mena- 
ces retentirent  contre  les  prêtres  insermentés  ;  toute- 
fois la  grande  majorité  resta  calme  ,  elle  accepta 
sans  trop  de  contrainte  les  membres  du  nouveau 
clergé  ;  mais  elle  ne  vit  pas  s'éloigner  sans  douleur, 
ceux  qui  l'avaient  constamment  édifiée.  M.  Allais 
parle  avec  reconnaissance  des  égards  et  des  bons 
procédés  dont  l'entoura  l'administration  le  jour  où  il 
partit  pour  l'exil. 

L'anniversaire  de  la  prise  de  la  Bastille  avait  été 
célébré  a  Honfleur  par  une  cérémonie  religieuse  en 
1792  ;  on  dit  la  messe  sur  la  place  d'Armes.  Bientôt 
après,  on  vit  avec  stupeur  fermer  les  temples  du  vrai 
Dieu,   c'est  ainsi  que  s'exprime  un  de  ses  histo- 


DE   BAYEUX.  379 

riens  (1).  On  célébra  d'abord  la  décade  k  Notre-Dame; 
puis,  après  la  vente  de  cette  église,  à  Sainte-Catherine, 
où  l'on  avait  auparavant  établi  un  atelier  de  sal- 
pêtre. Les  sépultures  furent  profanées  ;  les  ossements 
gisaient  épars  sur  le  sol ,  pendant  qu'on  lessivait  les 
terres.  La  république  semblait  prendre  plaisir  à  frois- 
ser le  sentiment  religieux  des  populations. 
En  supprimant  le  culte  chrétien,  la  Convention    on  désunie 

,  .,  l  •  i  •  -i  '         »    i*  s^  i  toutes  les 

s  appropria  le  mobilier  des  églises.  On  trouve  dans  églises. 
le  Bulletin  des  Lois  un  décret,  en  date  du  23  février 
1793,  lequel  autorise  la  commune  de  Lisieux  et  tou- 
tes les  communes  de  France  k  fondre  une  partie  de 
leurs  cloches  pour  les  convertir  en  canons.  Ce  fut, 
en  effet,  la  commune  de  Lisieux  qui  prit  l'initiative 
de  cette  mesure ,  que  la  Convention  s'empressa  d'a- 
dopter. Bientôt  après,  elle  s'étendit  k  toutes  les  égli- 
ses; on  n'y  conserva  qu'une  seule  cloche  pour  avertir 
en  cas  d'alarme.  Celles  qui  ne  furent  pas  transfor- 
mées en  canons,  étaient  envoyées  k  la  monnaie. 
Les  grilles  en  fer  furent  arrachées ,  on  enleva  le 
plomb  des  couvertures.  Partout  on  dressait  l'in- 
ventaire de  l'argenterie  pour  en  faire  hommage  k  la 
nation.  Parcourez  les  registres  de  l'administration 
centrale,  et  l'idée  qui  vous  frappe  aussitôt  est  celle 
d'une  contrée  ravagée  par  l'ennemi.  Partout  les  égli- 
ses sont  traitées  avec  la  même  rigueur  que  les  villes 
prises  d'assaut.  Le  49  ventôse  an  II,  le  directoire 
du  département  arrêta  que  les  directoires  des  dis- 
tricts seraient  tenus  de  remettre  k  la  disposition  des 
agents  toutes  les  matières  métalliques  dont  ils  pou- 

(1)  M.  P.-P.-U.  Thomas,  Histoire  de  la  ville  a*e  Honfleur. 


380  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

vaient  disposer.  Quand  Montgommery ,  à  l'époque 
des  guerres  de  religion,  dévasta  Notre-Dame  de  Vire, 
il  défendit  de  détruire  les  vitraux  du  chœur  :  il  aurait 
craint  d'irriter  les  nobles  familles  dont  ces  vitraux 
portaient  les  écussons.  Les  iconoclastes  de  la 
révolution  n'y  mirent  pas  tant  de  procédés;  non- 
seulement  ils  brisèrent  les  vitraux  de  Notre-Dame , 
mais  les  bancs  et  les  autels  furent  démontés  ou 
brûlés  ;  les  confessionnaux  transformés  en  guérites , 
pour  les  besoins  du  service  militaire  ;  on  arrachait 
les  fils  d'or  ou  d'argent  de  l'étoffe  des  ornements; 
on  livra  au  creuset,  un  magnifique  lutrin  en  bronze  , 
dont  on  fit  des  canons.  Au  commencement  d'octobre 
1793,  le  conseil  général  de  la  commune  de  Vire  en- 
voie à  la  Convention  ,  quatre-vingt-onze  marcs  deux 
gros  d'argenterie  religieuse.  «  Assez  et  trop  longtemps, 
dit-il ,  les  riches  ornements  des  temples  ont  annoncé 
le  faste  orgueilleux  des  officiers  de  l'Église  ;  il  est 
temps  que  ce  métal  soit  converti  en  monnaie  ;  il  ser- 
vira mieux  à  glorifier  l'auteur  de  la  nature.  » 

Pourtant,  nous  en  pourrions  donner  la  preuve, 
parmi  les  objets  frappés  de  proscription ,  quelques- 
uns  furent  sauvés,  grâce  au  concours  de  certains  ad- 
ministrateurs qui,  dans  leurs  délibérations,  les  con- 
damnaient a  périr.  A  Bayeux,  la  croix  et  les  magni- 
fiques chandeliers  du  maître-autel  de  la  Cathédrale  , 
le  calice  de  Mgr  de  Nesmond  ,  la  chasuble  de  saint 
Regnobert  et  le  riche  coffret  d'ivoire  qui  la  renferme, 
un  siège  antique  sur  lequel  s'asseoit  l'évêque  les 
jours  de  fête  pontificale,  tandis  qu'on  le  revêt  de  ses 
ornements,  plusieurs  autres  meubles  précieux,  tant 


DE  BAYEUX.  381 

de  l'église  que  de  la  sacristie,  ont  été  retrouvés  a 
différentes  époques.  La  plupart  furent  recueillis  par 
la  Commission  des  arts,  et  rendus  à  leur  destination. 
Le  15  juin  1794,  le  clubdeBayeux  nomma  une  com- 
mission chargée  de  faire  enlever  les  trois  croix  qui 
dominaient  les  tours  de  la  Cathédrale,  et  de  prendre 
les  moyens  nécessaires  pour  que  les  airs  religieux  du 
carrillon  de  l'horloge  fussent  «  convertis  en  airs  pa- 
triotiques. »  La  première  entreprise  était  pleine  de 
dangers.  Il  se  rencontra  pourtant  un  homme  d'une 
impiété  assez  audacieuse  pour  offrir  ses  services  à  la 
municipalité.  Fournier,  dit  Barbare,  était  un  soldat 
du  bataillon  du  Morbihan,  alors  en  garnison  à  Bayeux; 
on  lui  promit  que  chaque  expédition  lui  serait  payée 
cinq  cents  livres  en  assignats  ;  il  se  mit  a  l'œuvre, 
et  bientôt  après,  il  ne  restait  plus  dans  la  ville  épis- 
copale  aucun  symbole  du  christianisme  (1). 

Le  club  de  Bayeux  essaya  d'organiser  la  propaga- 
tion de  ses  doctrines.  On  résolut  de  choisir  des 
Apôtres  de  la  vérité,  qui  seraient  chargés  de  porter 
la  parole  dans  chaque  réunion  décadaire  ;  mais,  dit 
M.  Pezet,  «  la  création  de  cet  apostolat  subit  de  gra- 
ves difficultés.  On  ne  s'entendait  ni  sur  le  nom  des 
apôtres,  ni  sur  les  doctrines.  Les  uns  voulaient  que 
le  nom  de  Dieu  ne  fût  même  pas  prononcé  dans  ces 
patriotiques  instructions.  D'autres  disaient  que  le 
nom  de  l'Ètre-Suprême  était  inutile  à  proclamer  de- 
vant le  peuple,  parce  qu'il  n'y  avait  personne  qui 
ignorât  qu'il  y  en  eût  un.  Un  ancien  prêtre ,  clubiste 

(1)  On  peut  voir  dans  l'ouvrage  de  M.  Pezet,  sur  Bayeux  à 
la  fin  du  xvme  siècle,  le  récit  de  ce  drame  émouvant. 


Les  presbytères 

déclarés 

propriétés 

nationales. 


382  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

fougueux ,  voulait  bien  qu'on  ne  s'occupât  ni  de 
dogme  ni  de  religion  ,  mais  proposait  que,  à  chaque 
décade,  on  fût  tenu  de  prêter  serment  àl'Être-Suprême. 
Enfin,  la  société  décida,  après  de  longs  débats,  que 
dans  les  discours  décadaires  il  serait  permis  de  parler 
de  tout,  excepté  de  religion,  de  fanatisme  et  de  su- 
perstition. »  Ces  manifestations  impies  ,  continue 
M.  Pezet,  loin  de  servir  la  révolution,  compromettaient 
sa  cause  aux  yeux  des  populations.  On  lui  reprochait 
avec  raison  de  n'être  qu'une  orgie  de  fous ,  révoltés 
contre  Dieu  même. 

Le  directoire  du  district  de  Bayeux  nous  apprend, 
à  la  date  du  28  floréal  an  II  [17  mai  1794],  que  toutes 
les  communes  de  cette  circonscription  avaient  enlevé 
de  leur  église  «  les  hochets  du  fanatisme  »  ;  il  paraît 
que  cette  expression ,  employée  par  Laplanche,  était 
alors  consacrée  dans  le  langage  officiel.  Le  directoire 
ajoutait  que  la  plupart  des  ci-devant  curés  avaient 
remis  leurs  lettres  de  prêtrise  ;  que  tous  avaient  cessé 
leurs  fonctions ,  qu'un  grand  nombre  d'entre  eux 
avaient  pris  le  sage  parti  de  quitter  leur  presbytère, 
et  d'abandonner  une  commune  où,  d'après  leurs  pro- 
pres principes,  ils  seraient  déplacés.  Comme  donc  il 
y  avait  lieu  de  croire  que  la  totalité  suivrait  bientôt 
cet  exemple,  le  conseil  arrêtait  qu'il  serait  incessam- 
ment procédé  à  la  vente  de  tous  les  presbytères ,  et 
des  bâtiments  où  logeaient  les  personnes  ci-devant 
employées  au  service  des  églises  ;  que  toutes  ces  ha- 
bitations devaient  être  considérées  comme  propriétés 
nationales,  que  ces  maisons  ou  leur  produit  seraient 
destinées  soit  à  l'instruction  publique,  soit  au  soula- 


décadaires. 


DE   BAYEUX.  383 

gement  de  l'humanité  souffrante.  C'est-à-dire  qu'a- 
près avoir  dépouillé  les  vrais  titulaires ,  on  chassait 
sans  façon  ceux, que  l'on  avait  mis  à  leur  place,  ou 
du  moins,  on  leur  faisait  entendre  que  le  moment 
était  venu  où  ils  devaient  disparaître. 
Malgré  la  frayeur  qu'inspirait  en  province  l'autorité    indifférence 

-,  -,  ,  ,  ,,    .       des  populations 

des  proconsuls,  le  peuple  témoignait  quelquefois  polies fêtes 
son  indignation  en  les  voyant  fouler  aux  pieds,  avec 
tant  de  mépris,  la  foi  de  ses  aïeux.  On  éludait  par 
tous  les  moyens  possibles  les  décrets  de  leur  omni- 
potence. A  Caen  ,  le  maire  de  la  ville  montrait  si 
peu  de  zèle  pour  la  célébration  des  décades,  qu'il 
eut  à  se  défendre  contre  «  l'odieux  projet  »  de  vouloir 
les  supprimer.  Le  16  novembre  1794,  il  conjure  les 
maîtres  d'ateliers  et  de  manufactures  de  suspendre  le 
travail  les  jours  de  décade  ;  il  engage  les  citoyens  à 
rompre  avec  leurs  «  vieilles  habitudes  »  à  tenir  leurs 
boutiques  ouvertes,  les  ci-devant  dimanches  et  fêtes. 
Il  gourmande  les  citoyennes  qui  affectaient  de  pa- 
raître en  ces  jours  dans  les  promenades  publiques, 
avec  une  toilette  recherchée.  Des  injonctions  analo- 
gues avaient  été  affichées  à  Lisieux  ,  le  8  janvier 
4794. 

Il  paraît  qu'à  Vire,  par  esprit  d'opposition  au  nou- 
veau code  religieux,  on  choisissait  les  jours  décadaires 
pour  exécuter  en  public ,  chacun  devant  sa  maison , 
les  travaux  auxquels  on  se  livrait  dans  l'intérieur  les 
autres  jours  de  la  semaine  ;  et  les  citoyens  «  rete- 
nus par  un  sot  préjugé  »  s'abstenaient  de  paraître 
aux  réunions.  L'administration  ,  comme  on  le  voit , 
ne  leur  ménageait  pas  les  réprimandes. 


384  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

Par  ordre  des  représentants  Bouret  et  Frémenger , 
les  églises  de  Bayeux  ne  devaient  plus  s'ouvrir  que  le 
jour  où  l'on  y  fêterait  la  décade.  Un  autre  proconsul, 
en  mission  dans  cette  ville,  y  avait  menacé  de  sa  co- 
lère «  les  Muscadins  et  les  Muscadines  (1)  du  diman- 
che. »  Et  cependant  le  septième  jour  y  était  observé. 
Paré  de  ses  habits  de  fête ,  le  peuple  cessait  ses  tra- 
vaux; il  semblait  défier  la  prison  et  l'amende.  Les 
réunions  décadaires  n'étaient  fréquentées  que  par 
les  fonctionnaires  et  les  clubistes.  Disons-le  donc  à 
la  gloire  de  nos  pères  :  dans  le  Calvados,  la  décade 
ne  fut  jamais  en  honneur  (2). 
influence  En  dépouillant  le  clergé  de  ses  domaines ,  la  révo- 
lution n'avait  pas  supprimé  la  misère,  et  il  lui  fallut 
songer  aux  moyens  de  la  secourir.  Le  13  décembre 
1790,  le  directoire  du  district  de  Bayeux,  dans  une 

(1)  Les  terroristes  avaient  enrichi  la  langue.  Le  mot  Mus- 
cadin fut  d'abord  appliqué  par  eux  aux  milices  bourgeoises 
dont  la  tenue  propre  donnait  à  penser  qu'elles  faisaient  usage 
du  musc;  plus  tard  on  retendit  aux  deux  sexes. 

(2)  On  trouve,  à  la  fin  du  calendrier  rural,  cinq  fêtes  désignées 
sous  le  nom  de  sans-culottides ,  et  que  l'on  rapportait  aux 
cinq  derniers  jours  de  l'année.  Ce  sont  les  fêtes  de  la  Vertu  , 
du  Génie,  du  Travail,  de  l'Opinion  et  des  Récompenses.  Le  24 
août  1795,  la  Convention  décida  que  les  cinq  derniers  jours 
de  l'année  perdraient  leur  désignation  pour  prendre  celle  de 
jours  complémentaires.  En  octobre  de  la  même  année,  elle 
institua  sept  nouvelles  fêtes.  La  première  avait  pour  objet  la 
fondation  de  la  République  ;  la  deuxième  s'appelait  la  fête  de 
la  Jeunesse  ;  la  troisième  celle  des  Époux.  Venaient  ensuite  la 
fête  de  la  Reconnaissance  ,  celle  de  l'Agriculture  ,  celle  de  la 
Liberté ,  et  enfin  celle  de  la  Vieillesse.  Le  culte  décadaire 
continua  jusqu'à  la  fin  du  siècle,  et  ne  fut  abrogé  que  par  le 
concordat.  Le  calendrier  républicain  ne  fut  supprimé  que  le 
1er  janvier  1806.  Il  avait  duré  13  ans. 


du  nouveau 

régime 

sur  le  sort  des 

pauvres. 


DE   BAYEUX.  385 

adresse  au  directoire  du  département,  demandait  que 
l'Assemblée  nationale  lui  allouât  30,000  livres,  pour 
faire  face  aux  nécessités  que  créaient  les  changements 
de  régime.  «  Autrefois,  avait  dit  le  procureur-syndic, 
les  pauvres  de  la  ville  recevaient  des  secours  abon- 
dants, tant  du  chapitre  et  de  l'évêque  que  des  âmes 
bienfaisantes.  Ceux  des  campagnes  n'en  recevaient 
pas  moins  des  maisons  religieuses  situées  dans  diffé- 
rents endroits;  aujourd'hui  cette  source  est  absolu- 
ment tarie.  La  détresse  et  la  misère  affligent  de  toute 
part  une  infinité  de  maisons.  »  —  «  Une  grande  partie 
des  dîmes  et  de  nombreuses  possessions  territo- 
riales ,  reprenaient  les  membres  du  conseil ,  étant 
ci-devant  attachées  à  des  corps  religieux ,  ou  à  des 
titulaires  particuliers  autres  que  les  curés,  ces  déci- 
mateurs  laissaient  pour  les  pauvres,  dans  chaque  pa- 
roisse, une  portion  plus  ou  moins  forte  des  revenus 
.qu'ils  retiraient;  les  abbayes  établies  dans  les  campa- 
gnes vivifiaient  tout  leur  voisinage  ;  elle  se  faisaient 
un  devoir  d'y  répandre  des  secours  en  aliments ,  en 
vêtements,  en  médicaments.  Ces  sources  fécondes 
sont  taries.  —  Sans  parler  de  l'évêque  et  du  chapitre 
en  corps  qui  fournissaient  de  nombreux  secours ,  des 
titulaires  particuliers  faisaient  encore  de  larges  au- 
mônes, et  y  versaient  la  presque  totalité  de  leurs  re- 
venus. Voilà  pourquoi,  continuent  les  membres  du 
conseil,  nous  avons  arrêté  de  prier  MM.  les  adminis- 
trateurs du  département  du  Calvados  de  faire  enten- 
dre à  l'Assembée  nationale  les  justes  plaintes  des 
pauvres ,  et  les  alarmes  trop  bien  fondées  que  leur 
état  nous  inspire.  » 

25 


Bureaux 
de  charité. 


386  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Quelle  que  fût  la  gravité  de  ces  plaintes  et  de  ces 
alarmes,  l'année  1791  s'écoula  sans  que  l'administra- 
tion centrale  entreprît  de  les  apaiser.  Enfin  le  16 
novembre  1792,  l'affaire  fut  traitée  au  Département 
dans  le  bureau  «  des  travaux  et  secours  publics.  » 
Peut-être  nous  saura-t-on  gré  de  reproduire  ici  les 
conclusions  du  rapporteur.  Il  était  d'avis  qu'on  préle- 
vât sur  les  sols  additionnels  de  1791  et  1792  (1),  la 
somme  de  80,000  livres,  et  qu'on  l'employât  à  dé- 
truire la  mendicité.  La  somme  devait  être  partagée 
en  deux  portions  égales ,  l'une  destinée  aux  pauvres 
invalides,  l'autre  employée  aux  travaux  de  secours , 
suivant  les  localités,  et  particulièrement  à  l'améliora- 
tion des  chemins  vicinaux.  Quant  à  la  répartition  de 
ces  80,000  livres,  il  demandait  que  20,000  fussent 
attribuées  au  district  de  Caen,  9,000  au  district  de 
Bayeux  ,  14,000  au  district  de  Falaise,  14,000  au 
district  de  Lisieux ,  11,000  à  celui  de  Vire,  et  enfin 
12,000  à  celui  de  Pont-1'Évêque.  Gomme  on  le  voit, 
Bayeux  et  Vire  n'étaient  pas  privilégiés.  Le  rappor- 
teur en  donnait  pour  raison  qu'à  Vire  les  manu- 
factures ne  manquaient  pas  de  travail  ;  Bayeux, 
ajoutait-il,  a  60,000  livres  à  employer  à  la  Fosse- 
du-Souci;  ces  travaux  suffisent  pour  occuper  tous 
les  pauvres  de  la  contrée  ;  le  pays  est  fertile ,  et  les 
indigents  n'y  sont  pas  nombreux. 

Les  conclusions  de  ce  rapport  une  fois  admises, 
un  arrêté  du  conseil  prescrivit  l'établissement  d'un 
bureau  de  charité  dans  chaque  ville  et  dans  chaque 

(1)  Impôt  extraordinaire  dont  une  partie  était  affectée  à  la 
charité  publique. 


DE   BAYEUX.  387 

commune,  pour  la  distribution  des  secours  ;  et  bientôt 
après,  le  conseil  de  la  municipalité  de  Caen  en 
établit  un  dans  chaque  paroisse  de  la  ville.  Cependant 
la  misère  croissait  tous  les  jours  ;  la  ville  de  Bayeux, 
malgré  les  60,000  livres  affectées  aux  travaux  de  la 
Fosse-du-Souci,  ne  suffisait  plus  à  nourrir  ses  pauvres. 
Le  21  mars  1793,  le  conseil  général  de  la  commune 
jeta  un  cri  d'alarme,  et  ordonna  qu'il  retentît  dans  la 
chaire  de  toutes  les  églises.  «  Près  de  deux  mille  né- 
cessiteux, disait-il,  existent  dans  nos  murs.  Ce  sont 
des  vieillards,  des  infirmes,  des  pères  de  famille  très- 
nombreux  ,  des  enfants  trop  faibles  encore  pour  le 
travail.  La  plupart  de  ces  malheureux  sont  nus ,  dé- 
nués de  tout,  n'ont  que  rarement  la  subsistance  d'un 
jour,  et  ne  sont  jamais  assurés  de  celle  du  lendemain. 
Un  magasin  de  blé  que  la  prévoyance  de  l'adminis- 
tration tenait  en  réserve,  a  permis  de  leur  faire  quel- 
ques distributions  gratuites,  ou  de  réduire  pour  eux 
le  prix  du  pain,  mais  cette  réserve  est  épuisée.  Des 
commissaires* vont  donc  se  présenter  au  domicile  des 
citoyens,  pour  recevoir  leurs  offrandes  ;  les  dons  en 
nature  seront  acceptés  comme  les  dons  en  argent; 
l'humanité  et  la  religion  les  réclament.  »  On  se  de- 
mandera sans  doute,  en  lisant  ce  manifeste,  ce  que 
faisait  à  Bayeux ,  le  bureau  de  charité  si  pompeuse- 
ment organisé  quelques  mois  plus  tôt. 

Au  mois  de  décembre  de  la  même  année ,  Laplan- 
che,  représentant  du  peuple  dans  le  département  du 
Calvados,  s'adressant  à  son  tour  à  ses  concitoyens  de 
la  commune  de  Caen,  leur  tenait  le  même  langage. 
«  Une  grande  tâche,  disait-il,  se  présente  à  remplir. 


388  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

—  J'ai  conçu  le  projet  d'établir  dans  vos  murs  une 
caisse  de  bienfaisance.  —  La  société  populaire  s'est 
empressée  de  concourir  à  mon  plan ,  —  mais  le  bien 
que  j'ai  en  vue  demeurerait  stérile,  mes  désirs  seraient 
impuissants,  si  les  citoyens  de  Caen  s'isolaient  de  cet 
établissement  utile.  —  Républicains  de  Caen,  le  repré- 
sentant du  peuple  compte  sur  vos  largesses.  S'il  dote 
cet  établissement  d'une  somme  de  20,000  livres, 
c'est  moins  pour  provoquer  l'abondance  de  vos  of- 
frandes patriotiques  que  pour  assurer  les  premiers 
comité      fonds  de  votre  caisse  de  bienfaisance.  »  Ici  le  pro- 

de  bienfaisance.  ,  ,  if  .  •  n  • ,  «■  1 

consul  ordonne  la  formation  d  un  comité  central , 
composé  de  dix  membres  désignés  par  lui-même;  — 
un  recensement  des  familles  indigentes  des  défenseurs 
de  la  patrie  ,  des  vieillards  et  des  enfants  ;  —  l'éta- 
blissement d'une  caisse  unique  dont  les  fonds  de- 
vaient être  employés  à  les  secourir  ;—  l'établissement 
d'ateliers  nationaux,  dans  lesquels  les  pauvres«  ouvra- 
geront  »  les  matières  premières  fournies  par  l'admi- 
nistration; —  l'établissement  d'un  four*pour  cuire  le 
pain  des  pauvres.  — Laplanche  avait  porté  plus  loin 
sa  sollicitude.  Le  même  arrêté  exprimait  le  désir 
qu'une  soupe  commune  fût  distribuée  aux  indigents. 
L'embarras  était  de  trouver  quelqu'un  qui  acceptât  la 
charge  de  ce  ministère.  Mgr  de  Nesmond  avait  recruté, 
dans  les  rangs  de  la  plus  haute  aristocratie ,  des 
dames  charitables  qui  fournissaient ,  préparaient  et 
distribuaient  elles-mêmes  les  aliments  des  pauvres. 
Laplanche  crut  pouvoir  aussi  s'adresser  «  au  sexe 
humain  et  sensible  »  dont  il  s'efforça  d'exciter  la  pi- 
tié. Son  désir  ne  fut  pas  compris.  Le  25  janvier  1794, 


DE  BAYEUX.  3S9 

le  citoyen  Scipion  Besson,  président  du  comité  de 
bienfaisance,  stimulait  en  vain  l'ardeur  des  bonnes 
citoyennes  auxquelles  on  désirait  que  cette  tâche  fût 
dévolue.  Les  autres  œuvres  fondées  par  Laplanche, 
au  chef-lieu  du  département,  n'obtinrent  pas  plus  de 
succès.  Au  commencement  de  l'année  4794,  les  ate- 
liers nationaux  n'étaient  encore  ni  installés,  ni  même 
organisés.  Les  matières  premières  n'arrivaient  pas, 
ou  si  quelques-unes  étaient  offertes  par  les  citoyens, 
leur  mauvaise  qualité  ne  permettait  pas  qu'on  les 
mît  en  œuvre. 

Le  représentant  Lozeau  avait  succédé  à  Laplanche. 
Le  12  mars  1795  ,  il  invita  les  membres  du  comité  à 
dresser  l'état  des  familles  les  plus  nécessiteuses.  Le 
comité  obéit  ;  mais  les  mesures  prises  en  son 
nom  n'étaient  pas  en  rapport  avec  le  but  que  l'on 
voulait  atteindre. On  croit  rêver  quand  on  lit  que  le  27 
ventôse,  le  Comité  de  bienfaisance  a  ordonné  «  à  tous 
les  vieillards  infirmes  et  malades  de  se  réunir  dans 
leur  section  pour  justifier  de  leurs  besoins  ,  et  du 
genre  de  travail  qui  leur  est  propre.  »  On  ne  trouva 
dans  la  ville  que  quatre  mille  pauvres.  Un  grand 
nombre  s'étaient  persuadés  qu'en  se  faisant  inscrire, 
ils  s'exposaient  à  perdre  leur  liberté  ;  d'autres  tenaient 
à  ne  point  divulguer  le  secret  de  leur  indigence  ;  c'est 
au  président  du  comité  que  nous  devons  ces  détails. 
Si  les  pauvres  dédaignaient  les  secours  qu'on  leur  of- 
frait au  nom  de  l'État,  on  ne  manquait  pas  de  ma- 
raudeurs, qui  s'emparaient  des  récoltes  mises  en  ré- 
serve par  le  comité,  ou  y  laissaient  fourrager  leurs 
bestiaux.  Les  familles  des  défenseurs  de  la  patrie  ne 


et  des 
enfants. 


390  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

recevaient  pas  les  subsides  que  leur  accordait  la  répu- 
blique ,  parce  que  les  formalités  exigées  par  l'admi- 
nistration étaient  si  nombreuses  qu'on  ne  pouvait 
venir  à  bout  de  les  remplir.  Enfin,  le  29  fructidor  an 
III,  le  comité  de  bienfaisance ,  s'adressant  au  maire  , 
se  plaignait  d'être  sans  ressources  et  sans  adminis- 
trateurs. 
son  On  est  donc  obligé  de  le  reconnaître  :  dans  notre 

des  hôpitaux.       ,  .    _  r  ,  . 

_  département  la  révolution  créa  beaucoup  de  misères, 
def  vieukrds  mais  elle  manqua  de  puissance  ou  de  volonté  pour  les 
secourir.  L'administration,  qui  pourtant  disposait  de  la 
fortune  publique,  n'inspirait  aucune  confiance,  même 
aux  plus  nécessiteux  ;  on  ne  pouvait  leur  arracher 
l'aveu  de  leurs  besoins;  et  cependant  les  proclama- 
tions, les  discours ,  les  rapports  se  succédaient.  Les 
municipalités  se  plaignaient  au  pouvoir  central ,  qui 
souvent  leur  renvoyait  le  fardeau  ou  s'abstenait  de 
leur  répondre.  En  fait  d'aumônes  et  d'œuvres  chari- 
tables, la  révolution  —  on  vient  de  l'entendre  —  ren- 
dait  quelquefois  justice  à  l'Église ,  mais  elle  ne  la 
remplaçait  pas. 

Non -seulement  la  révolution  ne  trouva  pas  le 
moyen  de  secourir  les  pauvres ,  mais  encore  elle 
ruina  la  plupart  des  hôpitaux.  Les  causes  de  cette 
ruine  furent  complexes  ;  nous  ne  saurions  nous  y 
étendre.  Contentons-nous  de  rappeler  que  l'Assem- 
blée constituante,  malgré  sa  promesse,  négligea  de 
régler,  par  une  loi,  le  sort  des  pauvres  ;  que  l'extrême 
cherté  des  vivres ,  la  rareté  du  numéraire ,  la  dépré- 
ciation des  assignats  ,  pesèrent  tour  à  tour  sur  les 
maisons  qui  leur  servaient  d'asile.  Indépendamment 


DE   BAYEUX.  391 

de  ces  fléaux  qui  ruinaient  les  familles ,  les  hospices 
étaient  aux  prises  avec  des  difficultés  spéciales,  et 
voyaient  à  chaque  instant  augmenter  leurs  embarras. 
Ce  fut  d'abord  la  suppression  des  dîmes,  des  octrois, 
des  deniers  à  Dieu ,  des  droits  sur  les  boissons  qui 
formaient  la  majeure  partie  de  leurs  revenus.  Vint 
ensuite  la  confiscation  de  leurs  propriétés  envahies 
par  l'État,  sous  le  titre  de  biens  nationaux.  Il  est  vrai 
qu'une  indemnité  leur  était  accordée;  mais  l'État  ne 
la  payait  pas  régulièrement;  de  temps  en  temps  il 
versait  des  secours;  on  vivait  de  ces  ressources  et  on 
y  ajoutait  des  emprunts.  Enfin,  les  dilapidations  scan- 
daleuses des  administrateurs  et  des  employés  mirent 
le  comble  à  tous  ces  maux.  Que  si  l'on  était  tenté 
de  révoquer  en  doute  l'exactitude  de  ces  apprécia- 
tions ,  on  pourrait  avoir  recours  aux  documents 
officiels  ;  leur  langage  est  plus  sévère  encore. 
•  Depuis  plus  d'un  siècle,  l'hôpital  Saint-Louis  à 
Caen ,  l'hôpital  de  Lisieux  (section  d' en-haut) ,  le 
Bon-Pasteur  de  Lisieux  (maison  de  refuge) ,  et  l'hô- 
pital des  pauvres  à  Vire,  faisaient  bénir  parmi  nous 
le  nom  de  M1,e  de  Saint-Simon  et  du  P.  Le  Valois  (1). 
Au  commencement  des  troubles ,  le  District  de  Vire  à  vire, 
avait  d'abord  promis  aux  sœurs  de  l'hôpital  que  l'on 
n'aurait  garde  de  porter  atteinte  à  la  liberté  de  leurs 
opinions  ;  on  leur  avait  môme  permis  de  recevoir  les 
prêtres  insermentés,  qui  désiraient  célébrer  la  messe 
dans  leur  chapelle.  Il  s'en  présenta  un  certain  nom- 
bre, et  les  pauvres  s'empressèrent  de  la  leur  servir. 
Mais,  quand  le  chapelain  constitutionnel  voulut  à  son 
(1)  Voyez  volume  précédent,  p.  138. 


392  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

tour  paraître  a  l'autel,  il  lui  fut  impossible  de  trouver 
un  répondant.  Le  procureur  de  la  commune  accom- 
pagné de  quelques  municipaux,  se  rendit  à  l'hôpital , 
interrogea  les  enfants,  et  tous,  même  les  plus  jeu- 
nes, lui  déclarèrent  qu'ils  ne  serviraient  pas  la  messe 
du  nouveau  chapelain,  «  qu'ils  avaient  leur  opinion 
libre.  »  Gens  de  tout  âge  et  de  tout  sexe  lui  tinrent 
le  même  langage.  Il  eut  mille  peines  à  trouver  un  en- 
fant qui  consentît  à  remplir  les  fonctions  de  sacris- 
tain, à  condition  qu'on  le  protégerait  contre  la  vin- 
dicte de  ses  camarades.  Ce  trait  de  mœurs  locales 
nous  a  paru  digne  de  figurer  dans  l'histoire.  Les  dé- 
légués de  l'autorité  municipale  remirent  à  la  supé- 
rieure un  règlement  de  police  intérieure  qu'ils  firent 
en  même  temps  afficher  dans  l'église.  Les  religieuses 
déclarèrent  que  si  ce  règlement  leur  était  imposé, 
elles  ne  se  croiraient  plus  libres  et  que,  dans  ce  cas, 
elles  demanderaient  à  se  retirer.  On  vérifia  leurs 
comptes  ;  on  fit  l'inventaire  du  mobilier  ;  tout  était  en 
règle.  Elles  reçurent  leur  congé  le  14  apût  1 791  ; 
deux  ans  plus  tard ,  le  25  avril  1793,  le  conseil  mu- 
nicipal déclarait  que  l'administration  de  ces  religieu- 
ses avait  été  irréprochable,  et  qu'elles  avaient  droit  à 
une  pension. 
â  Lisieux.  Les  religieuses  de  Notre-Dame-de~Charité  dirigeaient 
en  même  temps  l'Hôpital-général  de  Lisieux,  et  la 
maison  du  Bon-Pasteur  (1).  Cette  communauté  avait 
eu,  au  commencement  du  xvme  siècle,  Ml,e  de  La  Cou- 
draye  pour  première  supérieure  ;  et  comme  cette 
pieuse  fondatrice  avait  passé  une  année  a  Caen  sous 

(1)  V.  p.  245. 


DE   BAYEUX.  393 

la  conduite  de  Mlle  de  Saint-Simon,  pour  s'y  former 
au  gouvernement  des  âmes ,  l'opinion  publique  ai- 
mait à  rattacher  la  congrégation  qu'elle  avait  fondée 
à  celle  du  P.  Le  Valois.  Les  sœurs  de  l'hôpital  à' en- 
haut  —  c'est  ainsi  qu'on  les  appelait  à  Lisieux  —  ne 
furent  point  expulsées  pendant  la  révolution  ;  mais 
il  leur  fallut  faire  le  sacrifice  de  leur  costume.  Ce 
qu'elles  refusèrent  énergiquement,  ce  fut  le  serment 
qu'on  exigeait  d'elles.  Ce  refus  devint  la  cause  d'a- 
lertes continuelles;  k  chaque  instant  on  cherchait  à 
les  effrayer  par  des  menaces.  Tantôt  on  allait  les 
chasser;  et  elles  étaient  réduites,  pour  ne  pas  courir 
les  chances  d'un  dénûment  complet,  à  porter  sur 
elles  tous  les  vêtements  à  leur  usage  ;  tantôt  on  al- 
lait les  enfermer  au  Bon-Pasteur,  où  l'on  incarcérait 
les  femmes  de  mauvaise  vie  ,  et  quelques-unes  fu- 
rent en  effet  privées  de  leur  liberté.  La  direction  de 
l'hospice  avait  été  confiée  par  la  commune  à  une  su- 
périeure laïque;  la  comptabilité  fut  bientôt  en  dé- 
sordre, et. les  fonds  de  l'administration  disparurent. 
Nous  passons  sous  silence  l'hôpital  ft en-bas  ;  il 
était  administré  par  des  religieux  connus  sous  le  nom 
de  Mathurins  et  par  des  filles  du  tiers-ordre  des  Tri- 
nitaires  ;  nous  ignorons  quel  fut  leur  sort. 

L'hospice  Saint-Louis,  à  Caen ,  avait  pris  le  nom  àCaen. 
d'hospice  de  l'Égalité.  Les  sœurs  y  restèrent  jusqu'au 
1er  février  1793.  Elles  avaient  demandé  l'autorisation 
de  se  retirer,  dès  le  mois  d'octobre  1792  ;  mais  une 
députation  des  notables  de  la  ville,  conduite  par  le 
maire,  les  ayant  engagées  à  continuer  leurs  fonctions, 
elles  différèrent  quelque  temps  leur  départ.  La  supé- 


394  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

rieure  y  mit  pour  condition  qu'une  garde  serait  laissée 
à  l'hôpital ,  et  veillerait  à  la  sûreté  des  religieuses. 
Les  nouveaux  administrateurs  ne  purent  s'empêcher 
de  leur  rendre  justice.  Les  plus  ardents  furent  aussi 
les  plus  empressés  à  louer  le  bon  ordre  qui  régnait 
dans  tous  les  emplois.  Les  comptes  qu'elles  rendirent 
furent  reconnus  pour  exacts.  On  leur  permit  d'enle- 
ver le  linge  et  les  meubles  à  leur  usage,  et  comme  à 
Vire,  elles  emportèrent  les  regrets  de  la  population. 
HoSpice  a  Falaise,  les  sœurs  de  l'hôpital  et  celles  de  l'Hôtel- 

et  Hotel-Dieu  '  r 

de FakiSe.  Dieu  restèrent  à  leur  poste  pendant  la  révolution.  On 
n'a  jamais  demandé  de  serment  aux  religieuses  de 
l'hôpital.  A  l'époque  où  fut  proclamé  le  culte  de 
l'Être-Suprême,  celles  de  i'Hôtel-Dieu  furent  un  mo- 
ment emprisonnées.  Etait-ce  pour  refus  de  serment? 
On  l'ignore.  Dans  tous  les  cas,  on  s'aperçut  bien  vite 
de  leur  absence ,  et  on  s'empressa  de  les  rétablir. 
Une  grande  épidémie  régnait  à  Falaise.  Les  deux  hos- 
pices étaient  remplis  de  malades,  et  les  religieuses  se 
dévouèrent  pour  les  soulager.  Il  faut  sans  doute  rap- 
porter à  cette  époque  une  délibération  que  l'on  trouve 
sous  une  date  à  peu  près  illisible,  dans  les  registres 
de  la  commune.  «  Une  motion  est  faite  en  faveur  des 
dames  charitables  des  hôpitaux,  pour  les  grands  ser- 
vices qu'elles  ont  rendus  dans  le  district.  »  La  con- 
grégation que  formaient  alors  les  sœurs  hospitalières 
de  Falaise,  ne  se  rattachait  à  aucun  ordre  religieux. 
Hôpitai-générai  Le  24  octobre  1791,  le  conseil  général  du  district 
deBayeu*.  ^e  Bayeux ,  délibérait  sur  la  situation  des  hospices. 
Toute  la  France,  disait  le  rapporteur,  «  connaît  et  ad- 
mire le  pieux  dévouement  des  filles  de  Vincent  de 


DE   BAYEUX.  395 

Paul  »  qui  dirigent  le  Grand-Bureau  (1).  Cette  maison, 
destinée  aux  orphelins  pauvres ,  aux  enfants  aban- 
donnés ,  aux  vieillards  des  deux  sexes  et  aux  insen- 
sés, est  dans  un  état  déplorable.  Pendant  plusieurs 
mois  les  pauvres  ont  bu  de  l'eau;  on  manque  de  pro- 
visions, l'établissement  ne  possède  ni  lit,  ni  linge,  ni 
vêtements.  Il  doit  toute  la  viande  dépensée  en  1 791 
et  une  partie  de  1790,  aussi  bien  que  le  fil  à  dentelle 
fourni  aux  ouvrières.  —  Sans  doute,  ce  n'est  pas  la 
première  épreuve  qu'ait  traversée  l'hôpital  depuis  sa 
fondation;  —  mais  alors  la  charité  était  prévoyante. 
Un  évêque  et  un  clergé  opulents  y  versaient  d'abon- 
dantes aumônes  ;  un  membre  du  chapitre,  qui  a  voulu 
rester  inconnu,  a  donné  seul,  en  1789,  environ  quinze 
cent  quatre-vingts  livres  (2) .  Ainsi  s'exprimait  le  rappor- 
teur. Quelques  jours  plus  tard,  le  procureur-syndic, 
rappelant  a  son  tour  les  libéralités  de  l'ancien  clergé, 
semblait  vouloir  enchérir  encore.  Autrefois,  disait-il, 
les  pauvres  des  campagnes  obtenaient  des  secours  de 
différentes  communautés,  du  chapitre,  surtout  dans 
les  paroisses  où  il  possédait  les  dîmes  ;  ils  en  obte- 


(1)  L'Hôpital-général. 

(2)  On  trouve  les  mêmes  aveux  dans  un  discours  du  procu- 
reur-syndic à  la  date  du  ]2  décembre  1792.  De  plus,  on  y  lit 
«  que  les  pauvres  de  l'hôpital  sont  créanciers  sur  les  biens  qui 
composaient  la  mense  épiscopale ,  en  une  redevance  de  dix- 
huit  boisseaux  de  froment ,  chaque  semaine ,  dont  il  leur  est 
du  des  arrérages,  accumulés  depuis  l'introduction  d'un  procès 
qui  dure  encore.  »  Pour  être  exact,  il  aurait  fallu  dire  que 
plusieurs  évêques  avaient  reconnu  le  droit  des  pauvres  et 
acquitté  la  prestation.  D'autres,  sans  reconnaître  la  redevance, 
la  payaient  en  aumônes.  (V.,  p.  123,  124  et  125.)  La  révo- 
lution survint  avant  que  le  procès  fût  jugé. 


396  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

naient  aussi  de  leurs  pasleurs.  Aujourd'hui  ces  mal- 
heureux sont  dénués  de  tout;  il  est  donc  à  propos  de 
procurer  de  l'ouvrage  aux  valides,  des  secours  aux 
impotents.  —  On  trouvera  peut-être  que  nous  insis- 
tons longuement  sur  ces  aveux.  Nous  savons  qu'en 
les  méritant,  le  clergé  accomplissait  un  devoir;  mais 
alors  pourquoi  ceux  qui  l'avaient  dépouillé  ne  se 
crurent-ils  pas  obligés  de  suivre  ses  exemples?  C'eût 
été  de  leur  part  et  plus  consciencieux  et  plus  habile. 
Les  sœurs  grises  étaient  encore  à  l'hôpital  de  Bayeux 
le  2  décembre  1792.  La  municipalité  y  avait  placé  un 
économe  et  s'occupait  d'un  nouveau  plan  d'organi- 
sation. La  loi  du  3  octobre  4793  remplaça  les 
religieuses  par  des  femmes  à  gages.  C'est  donc  entre 
ces  deux  dates  qu'il  faut  placer  le  départ  des  sœurs 
de  Saint-Vincent-de-Paul  ;  en  quittant  l'hospice  de 
Bayeux ,  elles  furent  conduites  à  la  maison  d'arrêt. 
On  transféra  les  pauvres  à  l'Hôtel-Dieu ,  et  les  bâti- 
ments furent  convertis  en  magasins. 
Hotei-Dieu  Quoique  les  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  eussent 
refusé  le  serment ,  elles  ne  se  hâtèrent  pas  d'abdi- 
quer leurs  fonctions.  La  révolution  les  toléra  quel- 
que temps  comme  un  mal  nécessaire  ;  mais  elle  les 
dépouilla  de  leur  costume,  et  leur  imposa  la  cocarde 
tricolore.  Le  12  décembre  1792,  le  procureur  de  la 
commune  disait ,  en  parlant  de  l'Hôtel-Dieu  :  «  Il  est 
desservi  par  des  ci-devant  religieuses  qui  ont  con- 
servé la  vie  commune  ;  leurs  opinions  sont  suspectes 
et  exigent  la  plus  grande  surveillance.  Cette  maison 
n'a  reçu  que  des  secours  légers ,  et  ses  pertes  sont 
considérables.  »  On  leur  permit  donc  de  soigner  les 


de  Baveux. 


DE   BAYEUX.  397 

malades  jusqu'au  25  mars  1794  (1).  A  cette  époque 
on  crut  pouvoir  se  passer  de  leurs  soins,  et  on  les 
priva  de  leur  liberté.  Elles  subirent  une  détention 
qui  dura  dix  mois. 

Si  nous  prenons  pour  base  les  chiffres  qui  figurent 
dans  le  rapport  déjà  cité,  du  24  octobre  1791,  trois 
cents  pauvres  recevaient  chaque  année  des  soins  à 
l'Hôtel-Dieu  ;  il  y  en  avait  cent-soixante  à  l'Hôpital- 
général.  Après  la  suppression  de  ce  dernier  établis- 
sement, l'Hôtel-Dieu  se  trouva  donc  chargé  de  près 
de  cinq  cents  personnes ,  malades ,  infirmes  et  vieil- 
lards, dont  le  soin  fut  confié  a  des  séculières.  La 
plupart  de  ces  femmes  dépouillèrent  sans  honte  la 
maison  qu'elles  devaient  servir.  Le  linge ,  dont 
l'hôpital  était  abondamment  pourvu ,  disparut  en 
grande  partie,  et  les  provisions  faites  pour  les  mala- 
des, n'étaient  pas  toujours  consommées  par  eux.  En 
•1795,  un  an  après  le  départ  des  religieuses,  la  situa- 
tion était  devenue  tellement  critique,  que  l'adminis- 
tration municipale  écrivait  au  ministre  des  finances  : 
«  Si,  dans  une  décade,  nous  ne  recevons  pas  des 
secours ,  nous  ouvrirons  les  portes  et  nous  impri- 
merons notre  correspondance,  afin  d'instruire  nos 
concitoyens  des  motifs  qui  ont  déterminé  cette 
épouvantable  mesure.  Le  silence  du  gouvernement 
et  l'abandon  total  dans  lequel  il  nous  laisse,  nous 
réduisent  aux  dernières  extrémités.  » 

Les  hôpitaux  de  la  ville  de  Caen  ne  furent  pas 
mieux  traités  que  ceux  de  la  ville  épiscopale.  Le  13      situation 
mars  1 792,  le  conseil  municipal  récapitulant  les  pertes    dMdehJ£" 

(1)  Histoire  manuscrite  de  la  communauté. 


398  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

qu'ils  avaient  déjà  subies,  élevait  celles  de  l'Hôtel- 
Dieu  à  quatorze  mille  sept  cent  neuf  livres  et  celles 
de  l'hôpital  Saint-Louis  à  vingt-cinq  mille  huit  cents 
livres.  Le  14  février  1795,  on  manquait  d'argent 
pour  payer  les  nourrices  des  enfants  exposés.  Six 
mille  livres  avaient  été  empruntées  le  mois  pré- 
cédent pour  subvenir  à  cette  dépense.  De  mois  en 
mois ,  les  emprunts  se  succédaient ,  et  la  Convention 
n'envoyait  pas  les  secours  que  l'on  réclamait  d'elle. 
Le  18  juin  de  la  même  année,  le  représentant  Porcher 
constatait  que  l'hôpital  de  l'Humanité  (l'ancien  Hôtel- 
Dieu)  manquait  des  denrées  les  plus  essentielles.  Le 
13  février  1797,  les  administrateurs  de  l'hospice  dé- 
clarent au  conseil  municipal  qu'ils  vont  résigner  leurs 
fonctions,  s'ils  ne  sont  pas  efficacement  secourus.  Le 
11  juin  1799,  les  administrateurs  du  département 
annoncent  au  conseil  des  Cinq-Cents  que  si  la  situa- 
tion se  prolonge  et  que  les  secours  n'arrivent  pas ,  il 
faudra  faire  évacuer  les  hospices.  Dès  l'année  1796, 
le  substitut  du  procureur  de  la  commune,  s'adressant 
aux  officiers  municipaux,  leur  dénonçait  le  vol  de 
cinq  cents  livres  d'étain  ,  en  plats  et  assiettes  , 
commis  par  des  serviteurs  au  préjudice  de  l'Hôtel- 
Dieu  ;  le  bois,  le  cidre,  les  denrées  de  première  né- 
cessité manquaient;  mais,  en  1799,  le  dénûment 
était  complet.  On  comptait  alors,  dans  les  trois 
hospices:  l'Hôtel-Dieu,  l'Hôpital  et  les  Petits-Ren- 
fermés, six  cents  malades  ou  indigents,  et  voici  quel 
était,  le  12  juin  1799,  l'approvisionnement  des  trois 
maisons  :  «  Pour  tout  linge ,  quelques  lambeaux  — 
deux  sacs  de  blé  consommés  dans  le  jour  —  pas  une 


DE  BAYEUX.  399 

bûche  ni  un  fagot  — huit  livres  de  beurre  emprunté 
le  matin  —  deux  à  trois  livres  de  graisse  de  mauvaise 
qualité  —  quatre  boisseaux  de  pois  verts  —  pas  un 
pot  de  cidre  —  pas  un  centime  dans  la  caisse  —  aucun 
moyen  d'en  recouvrer  pour  le  moment  —  des  titres 
et  des  registres  incertains  (1).  » 
Les  religieuses  de  l'Hôtel-Dieu  de  Caen  furent  congé-    Religieuses 

■  .  .  de  l'Hôtel-Dieu 

diées  à  la  fin  de  décembre  1794  ;  elles  avaient  refusé      decaen. 

le  serment.  Après  avoir  brûlé  leurs  habits  religieux 

aux  applaudissements  des  malades,  on  les  conduisit 

en  prison.  Les  chanoines  de  l'Hôtel-Dieu  avaient  été     chanoines 

r  de  l'Hôtel-Dieu. 

sommés  de  quitter  leurs  appartements,  logements  et 
jardins,  dès  le  26  avril  1792. 

Les  salles  de  l'Hôtel-Dieu  de  Vire  étaient  remplies 
de  malades  ,  militaires  et  matelots  ;  aussi  l'adminis- 
tration hésitait-elle  à  exiger  des  religieuses  le  serment 
civique;  sa  tolérance  fut  dénoncée,  et  les  religieuses     Religieuses 

,        ,    ,  .  ,        ,  .  ,        de  l'Hôtel-Dieu 

ayant  refuse  le  serment,  sortirent  de  leur  maison  le      de  vire. 
18  décembre  1793;  après  quelques  mois  de  déten- 
tion ,  elles  rentrèrent  successivement  dans  leurs  fa- 
milles. 

On  a  remarqué ,  sans  doute ,  que  dans  toutes  les 
villes  du  département,  les  administrateurs  hésitèrent 


(1)  Ces  détails  navrants  sont  extraits  d'une  proclamation 
adressée  en  messidor  an  VII ,  aux  habitants  de  la  ville  de 
Caen,  sous  la  siguature  de  M.  Daigremont-Saint-Manvieux, 
maire  de  la  ville,  et  de  ses  trois  adjoints.-  Voir  à  l'appui  un 
rapport  de  vingt  pages  in-4°,  adressé  en  messidor  an  Vil,  par 
le  citoyen  Denecey-Lachallerie,  au  ministre  de  l'intérieur.  Ce 
travail  est  un  acte  d'accusation  contre  les  administrateurs  des 
hospices  qui  étaient  fournisseurs  et  approvisionneurs  ;  «  sin- 
geant »  les  formalités  ,  mais,  en  réalité ,  n'en  observant  aucune. 


400  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

longtemps  à  congédier  les  religieuses  des  hôpitaux  ; 
ils  se  demandaient  avec  inquiétude  comment  on  rem- 
placerait leur  intelligence ,  leur  dévouement  et  leur 
courage  ;  mais  les  administrations  avaient  derrière 
elles  les  sociétés  populaires ,  auxquelles  elles  étaient 
Remplacement  S0UYent  forcées  d'obéir.  La  municipalité  de  Caen  écri- 

des  religieuses  r 

pardessécuiières.  vjt  au  c]ub }  el  iui  demancia  de  vouloir  bien  indiquer 
une  quantité  suffisante  de  femmes  républicaines  pour 
soigner  les  pauvres  malades  de  l'Hôtel-Dieu  ;  on  en 
désigna  douze,  et  Ton  peut  se  convaincre  en  parcou- 
rant les  registres  que  tous  les  choix  ne  furent  pas 
heureux.  On  eut  recours  à  la  même  mesure  pour  l'hô- 
pital Saint-Louis,  et  dans  les  autres  villes  pour  les 
différents  hôpitaux  d'où  l'on  avait  expulsé  les  sœurs. 
A  Vire,  la  municipalité,  en  invitant  les  femmes  et  les 
filles  à  se  charger  du  service  des  hôpitaux,  leur  pro- 
diguait les  titres  élogieux.  C'étaient  «  les  citoyennes 
vertueuses  et  amies  de  l'humanité  ,  »  c'étaient  «  les 
filles  intelligentes  et  sages  »  que  la  patrie  appelait 
à  son  secours  ;  elle  leur  promettait  que  la  postérité 
chérirait  leur  mémoire.  Pour  remplacer  le  dévoue- 
ment qu'inspire  la  vertu  chrétienne,  on  faisait  appel 
aux  sentiments  de  la  nature;  mais  on  put  se  con- 
vaincre une  fois  de  plus  que  la  nature  ne  produit  pas 
cette  sorte  de  courage,  il  vient  de  plus  haut,  et  voilà, 
pourquoi  il  mène  plus  loin. 


~Së&*~ 


DE  BAYEUX.  401 

"ïtt  3  -kit  'GirfvinnnrTrTs  tfTtvTirins'iïTnnnrinrirvTns'iï* 


CHAPITRE  XXVI. 


Débets  que  soulevèrent  les  serments  demandés  au  clergé 
catholique  pendant  la  révolution.  —  Dispositions  de  M8r  de 
Gheylus.—  Règlement  qu'il  adresse  au  clergé  de  Bayeux.— 
Conduite  de  MM.  les  vicaires-généraux  —  avant  et  après  — 
la  mort  de  M8'  de  Cheylus. 


Les  nombreux  serments  que  le  pouvoir  civil  exigea  serments  deman- 

-  ,  .  dés  au  clergé 

des  prêtres  pendant  la  révolution ,  furent  une  des  pendant  u  révo. 
grandes  calamités  de  cette  époque.  Veut-on  appré- 
cier sagement  les  embarras  et  les  périls  qui  en  résul- 
tèrent pour  le  clergé  fidèle,  il  faut  d'abord  se  faire 
une  idée  exacte  de  tous  ces  serments ,  connaître  le 
jugement  que  porta  sur  quelques-uns  d'entr'eux  le 
souverain  pontife  ;  l'opinion  qu'embrassèrent  nos 
évêques ,  principalement  ceux  qui  étaient  restés  en 
France  ;  enfin  l'attitude  qu'avait  prise  Mgr  de  Cheylus, 
et  que  gardèrent  après  sa  mort  les  vicaires  capitu- 
lâmes, administrateurs  du  diocèse  de  Bayeux, 
I.  Au  commencement  de  février  1790,  Louis  XVI 

26 


402  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

se  rendit  à  l'Asssemblée  constituante,  et,  après  s'être 
engagé  à  consolider,  par  les  actes  de  son  gouverne- 
ment, la  nouvelle  organisation  du  royaume,  il  fit  appel 
au  concours  de  tous  les  bons  citoyens.  Un  député 
proposa  de  prêter,  séance  tenante,  le  serment  civique, 
et  la  formule  suivante  fut  immédiatement  adoptée  : 
«  Je  jure  d'être  fidèle  a  la  nation,  à  la  loi  et  au  roi  ; 
de  maintenir  de  tout  mon  pouvoir  la  constitution 
décrétée  par  l'Assemblée  nationale  et  acceptée  par 
le  roi.  »  La  constitution  n'était  pas  encore  termi- 
née ;  jusque-là  on  n'avait  à  lui  reprocher  aucun  em- 
piétement direct  sur  le  spirituel  ;  les  évêques  et  les 
autres  membres  du  clergé  crurent  donc  pouvoir 
s'associer  à  cette  manifestation.  Mgr  de  La  Ferronnays, 
évêque  de  Lisieux,  prêta  le  serment  civique  au  mois 
de  mars  1790,  et  Mgr  de  Cheylus  l'avait  prêté  au  mois 
de  février  de  la  même  année,  le  jour  où  il  fut  installé 
en  qualité  de  maire  de  Baveux. 

II.  La  nation,  la  loi  et  le  roi,  la  constitution,  dont 
une  partie  était  encore  inconnue,  tels  furent  les  objets 
qu'embrassait  le  premier  serment.  Il  fut  répété  à  l'é- 
poque de  la  fédération,  c'est-à-dire,  le  44  juillet  1790  ; 
mais  déjà  la  situation  n'était  plus  la  même.  La  cons- 
titution du  clergé  était  rédigée.  Il  est  vrai  que,  pour 
avoir  force  de  loi ,  il  fallait  qu'elle  obtînt  la  sanction 
royale,  et  l'on  espérait  encore  qu'elle  ne  l'obtiendrait 
pas.  L'horizon  était  donc  chargé  de  nuages.  Quel- 
ques jours  avant  la  fête  de  la  fédération ,  l'évêque 
de  Clermont,  député  à  l'Assemblée  nationale,  prit 
la  parole  ,  et  déclara  qu'il  entendait  restreindre 
son  serment  à  l'ordre  civil  et  politique;   qu'il   en 


DE  BAYEUX.  403 

exceptait  très-expressément  tous  les  points  qui  tou- 
chaient à  l'ordre  spirituel.  Tout  le  côté  droit  se  leva 
en  signe  d'adhésion,  et  l'Assemblée  ne  réclama  pas. 
III.  Le  temps  marchait,  et  les  événements  se  suc- 
cédaient. La  constitution  du  clergé  était  acceptée  par 
le  roi,  et  promulguée  d'après  ses  ordres.  Quoique 
conçu  dans  les  mêmes  termes  que  le  précédent,  le 
serment  que  l'on  demandait  alors  à  tous  les  prêtres 
(novembre  1790),  ne  pouvait  plus  être  interprété  de 
la  même  manière.  En  vain,  cette  fois  encore,  l'é- 
vêque  de  Glermont  voulut-il  séparer  l'ordre  religieux 
de  l'ordre  politique,  l'Assemblée  rejeta  cette  proposi- 
tion. Par  contre,  un  assez  grand  nombre  d'ecclésias- 
tiques, en  jurant  de  maintenir  la  constitution  fran- 
çaise, avaient  ajouté  :  «  et  notamment  les  décrets 
relatifs  à  la  constitution  du  clergé.  »  Il  fallait  donc 
qu'on  s'expliquât.  Sur  ces  entrefaites,  les  évêques 
députés  à  l'Assemblée  nationale,  publièrent  leur  pro- 
fession de  foi.  Elle  a  pour  titre  :  Exposition  des 
principes  sur  la  constitution  du  clergé.  La  juridic- 
tion épiscopale,  absorbée  par  l'autorité  civile  et  sup- 
primée par  elle  dans  cinquante-deux  diocèses  ;  le 
choix  des  évêques  et  des  curés ,  confié  à  des  laïcs 
de  toutes  les  communions  ;  l'institution  canonique 
des  évêques,"  enlevée  au  souverain  pontife,  et  attri- 
buée au  seul  métropolitain;  la  suppression  de  tous  les 
chapitres,  de  toutes  les  abbayes  :  tels  étaient  les  prin- 
cipaux griefs  des  réclamants.  Ils  ne  rejetaient  pas  les 
changements  qui  pouvaient  être  légitimes  ;  mais  ils 
proposaient  la  convocation  d'un  concile  national,  et 
demandaient  qu'avant  de  toucher  à  l'ancien  ordre  de 


404  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

choses,  on  s'adressât  au  souverain  pontife,  sans 
lequel  rien  d'important  ne  doit  se  traiter  dans  l'Église, 
En  effet,  il  était  évident  pour  les  esprits  sages,  que 
l'autorité  ecclésiastique  pouvait  seule  sanctionner  de 
pareilles  innovations  :  «  C'est  un  schisme  que  vous 
constituez  ,  disait  à  la  tribune  le  conseiller  d'Épré- 
mesnil ,  si  vous  négligez  d'y  recourir.  »  Ainsi  que 
nous  l'avons  raconté  plus  haut,  le  serment  à  la  con- 
stitution civile  du  clergé  fut  condamné  par  le  souve- 
rain pontife. 

IV.  Après  la  journée  du  10  août  4792,  le  nom  du 
roi  fut  effacé  par  l'Assemblée  dans  la  formule  du  ser- 
ment. On  jura  «  de  maintenir  la  liberté  et  l'égalité, 
et  de  mourir  a  son  poste  pour  l'exécution  de  la  loi.» 
Sur  ce  troisième  serment,  les  catholiques  se  divisèrent. 
Parmi  les  prêtres  demeurés  fidèles  ,  les  uns  le 
condamnèrent  «  comme  une  impiété  et  une  perfidie  » 
parce  que  la  liberté  et  l'égalité,  qui  en  étaient  l'objet, 
leur  paraissaient  une  liberté  et  une  égalité  anti- 
sociales. Au  contraire ,  un  grand  nombre  d'ecclésia- 
stiques très-recommandables  le  prêtèrent,  et  soutin- 
rent qu'il  ne  fallait  voir  dans  ces  mots  :  liberté  et 
égalité,  que  le  contraire  du  despotisme  et  la  sup- 
pression des  privilèges.  A  la  tête  de  ces  derniers, 
nous  citerons  le  docte  M.  Émery,  supérieur  de  Saint- 
Sulpice.  Vivement  contredit  par  ses  adversaires,  il 
prit  le  parti  de  s'adresser  à  Gensonné,  député  de  la 
Gironde,  rapporteur  du  décret.  Il  lui  présenta  par 
écrit  un  commentaire  du  serment,  en  le  priant  d'exa- 
miner si  la  pensée  du  législateur  y  était  fidèlement 
reproduite. 


DE   BAYEUX.  405 

\.  «J'ai  envisagé,  dit-il,  et  j'envisage  ce  serment 
comme  renfermé  purement  dans  l'ordre  civil  et  poli- 
tique. 

2.  «  J'entends  par  liberté,  en  général  tout  ce  qui 
exclut  le  despotisme  d'un  côté  et  la  servitude  de 
l'autre  ;  et  plus  particulièrement  j'entends  par  liberté 
cet  état  où  l'on  est  gouverné  par  des  lois  et  non  par 
des  volontés  arbitraires. 

3.  «  J'entends  par  égalité  ,  premièrement  :  la  ré- 
partition des  impôts  entre  les  citoyens  ,  en  raison  de 
leurs  facultés,  sans  aucun  privilège  ;  secondement  : 
l'application  des  mêmes  peines  aux  mêmes  délits , 
sans  aucune  distinction  de  personnes  ;  troisièmement  : 
le  droit  pour  chaque  citoyen  d'aspirer  et  de  parvenir 
aux  dignités  et  aux  emplois  par  le  mérite  et  les  ser- 
vices, sans  qu'aucun  puisse  en  être  exclu  sous  le 
prétexte  de  l'obscurité  de  sa  naissance,  ou  de  la  mo- 
dicité de  sa  fortune. 

4.  «  J'entends  par  les  lois  dont  il  s'agit  dans  ce 
serment,  les  lois  qui  ont  pour  objet  de  maintenir  la 
liberté  et  l'égalité  ainsi  entendues  (1).  »  Gensonné 
répondit  qu'il  était  impossible  de  mieux  expliquer  ce 
serment,  et  ajouta  qu'il  s'étonnait  qu'on  y  donnât  un 
autre  sens.  Malgré  tout  ce  qu'on  a  pu  dire,  il  est 
certain  que  le  cardinal  Zélada ,  ministre  du  pape  , 
consulté  sur  cette  grave  question,  vers  le  milieu  du 
mois  de  mai  1793,  répondit  que  le  pape  ne  s'était 

(1)  Vie  de  M.  Émery,  supérieur  du  séminaire  et  de  la  com- 
pagnie de  Saint-Sulpice,  tome  Ier,  p.  331  ;  voir  l'intéressante 
discussion  à  laquelle  fut  entraîné  M,  Émery  par  les  exagéra- 
tions du  parti  contraire  (p.  312). 


406  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

pas  prononcé,  et  que,  si  le  serment  était  purement 
civique,  il  n'y  avait  pas  de  motif  pour  l'interdire. 
Plus  tard  [26  juillet  1794],  on  obtint  une  réponse 
de  la  cour  de  Rome.  Elle  renvoyait  à  leur  conscience 
ceux  qui  auraient  prêté  ce  serment  fcomulant  con- 
scientiœ  suœ) ,  attendu  qu'il  n'est  pas  permis  de 
jurer  dans  le  doute  ;  mais  on  ajoutait  :  «  Que  le 
saint-siége  n'ayant  point  prononcé  sur  le  serment 
lui-même,  aucune  loi  n'obligeait  à  la  rétractation.  » 
Cette  réponse  ne  termina  pas  la  controverse.  Les 
deux  opinions  cherchèrent  à  s'étayer  sur  elle.  L'une 
et  l'autre  comptaient  un  grand  nombre  d'adhérents 
parmi  les  évêques  de  France.  Il  est  même  impossible 
de  dire  aujourd'hui  de  quel  côté  se  rangea  la  majorité 
de  Tépiscopat  (1). 

V.  Le  30  mai  1795,  la  Convention  nationale  rendit 
aux  populations  l'usage  des  églises  non  aliénées , 
et  décida  que  tout  prêtre  qui  aurait  fait  devant  la 
municipalité  acte  de  «  soumission  aux  lois  de  la  ré- 
publique »  pourrait  exercer  dans  ces  églises  les  cé- 

(1)  Pour  tout  ce  qui  a  rapport  au  quatrième  serment,  on  ne 
peut  trop  se  tenir  en  garde  contre  certaines  appréciations. 
Par  exemple,  on  lit  dans  les  Martyrs  de  la  foi ,  que  Pie  VI 
«  réprouvait  ce  serment,  »  et  qu'il  «  le  regardait  comme  très- 
criminel.  »  Il  est  très-avéré  ,  dit  au  contraire  l'auteur  de  la 
Vie  de  M.  Émery,  que  le  pape  «  n'a  jamais  porté  de  jugement 
sur  le  serment  dont  il  s'agit.  »  Quant  à  M.  Émery ,  lorsqu'il 
le  prêta,  il  était  convaincu,  comme  un  grand  nombre  de  ses 
confrères,  que  ce  serment  «  n'avait  aucun  trait  à  la  religion  » 
et  qu'on  pouvait  entendre  les  mots  Liberté  et  Egalité  «  dans 
un  sens  très-légitime.  »  Il  eût  fallu  sur  ce  point ,  comme  le 
demandait  le  souverain  pontife  ,  abandonner  chacun  aux  in- 
spirations de  sa  conscience.  Consulant  conscientiœ  suœ. 


DE   BAYEUX.  407 

rémonies  du  culte  chrétien.  Craignant  que  l'intention 
qui  avait  dicté  ce  décret  ne  fût  pas  suffisamment  com- 
prise par  les  autorités  locales,  le  comité  de  législation 
adressa  le  17  juin  aux  administrateurs  une  circulaire 
pour  en  fixer  le  sens.  Ainsi,  il  leur  était  défendu  de 
faire  «  aucune  recherche  ou  examen  sur  la  conduite 
ou  sur  les  opinions  du  déclarant  ;  »  on  devait  se 
rappeler  que  la  «  constitution  civile  du  clergé  n'était 
plus  une  loi  de  la  république  ,  »  et  que  «  la  loi  en- 
tendait assurer  et  faciliter  de  plus  en  plus  le  libre 
exercice  des  cultes.  »  Cette  circulaire  fut  publiée 
dans  tous  les  journaux. 

Cependant ,  les  défiances  n'étaient  pas  apaisées , 
et  la  division  éclata  de  nouveau  parmi  les  catholiques. 
Tandis  que  certains  diocèses  repoussaient  la  déclara- 
tion, dans  d'autres  au  contraire,  et  notamment  à  Paris, 
il  était  reçu  qu'on  pouvait  et  qu'on  devait  la  faire. 
Un  grand  nombre  d'ecclésiastiques  qui  avaient  refusé 
les  autres  serments,  prirent  ce  dernier  parti.  «  La 
soumission  aux  lois  n'emporte  pas  l'approbation  de 
ces  lois,  écrivait  à  cette  occasion  M.  Émery  ;  elle 
n'emporte  pas  même  l'approbation  du  gouvernement 
auquel  on  est  soumis.  »  Le  5  juillet  4796  ,  un  bref 
de  Pie  VI,  tiré  en  grande  partie  du  Commentaire  de 
saint  Jean-Chrysostôme ,  sur  ces  paroles  de  l'apôtre , 
Non  est  potestas  nisi  a  Deo,  exposait  aux  catholi- 
ques de  France  la  doctrine  de  l'Écriture  et  de  la  tra- 
dition sur  la  soumission  que  doivent  les  chrétiens 
aux  puissances  établies  ;  il  leur  défendait  d'ajouter 
foi  aux  paroles  de  ceux  qui  répandraient  une  doctrine 
contraire,  comme  étant  émanée  du  saint-siége.  Que 


408  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

faut-il  penser  du  bref  de  Pie  VI  ?  Nous  ne  dissimule- 
rons pas  les  soupçons  qui  s'élevèrent  contre  son  au- 
thenticité. On  peut  voir  cette  question  traitée  avec 
toute  l'impartialité  désirable  dans  la  troisième  édition 
des  Mémoirespour  servirai' histoire  ecclésiastique, 
de  M.  Picot.  Il  nous  suffit  de  savoir  que  le  bref 
avait  été  imprimé  à  Rome,  à  l'imprimerie  apostolique  ; 
que  l'original  fut  présenté  à  M.  de  Dampierre,  vicaire- 
général  du  diocèse  de  Paris ,  et  qu'il  en  rendit  té- 
moignage ;  enfin  que,  malgré  l'émotion  produite  par 
ce  bref,  malgré  le  grand  nombre  de  ceux  qui  criaient 
à  l'imposture,  le  pape  se  renferma  dans  le  plus  pro- 
fond silence. 

VI.  La  teneur  du  serment  allait  encore  une  fois 
être  modifiée  par  la  Convention.  Le  7  vendémiaire 
an  IV  [29  septembre  1 795] ,  elle  substitua  aux  an- 
ciennes formules  la  déclaration  suivante  :  «  Je  re- 
connais que  l'universalité  des  citoyens  est  le  souverain, 
et  je  promets  soumission  et  obéissance  aux  lois  de 
la  république.  »  Sur  cette  déclaration ,  comme  sur 
la  précédente,  les  avis  furent  très-partages.  Était-ce 
en  droit  ou  en  fait  que  l'on  devait  reconnaître  la 
souveraineté  dans  l'universalité  des  citoyens  français  ? 
Quelle  était  la  conduite  à  tenir  dans  les  deux  hypo- 
thèses?Il  y  avait  là  matière  à  de  sérieuses  discussions . 
Cependant,  il  faut  le  reconnaître,  cette  fois,  de  part 
et  d'autre ,  on  y  mit  plus  de  réserve.  Une  grande 
partie  des  supérieurs  ecclésiastiques  condamna  le 
zèle  excessif  qui  s'insurgeait  contre  l'acte  de  sou- 
mission. On  pensa  généralement  qu'il  ne  fallait  pas 
inquiéter  ceux  qui  avaient  cru  pouvoir  le  souscrire. 


DE   BAYEUX.  409 

Telle  était  l'opinion  de  M.  Émery.  Le  bref  du  pape, 
dont  nous  avons  parlé  à  l'occasion  du  premier  ser- 
ment de  soumission ,  et  qui  est  en  effet  postérieur  à 
celui-ci,  fut  également  interprété  en  sa  faveur. 

Ces  discussions  étaient  déplorables  ;  mais  il  était 
impossible  qu'il  en  fût  autrement  dans  ces  temps 
malheureux.  L'absence  du  plus  grand  nombre  des 
évoques,  la  difficulté  de  faire  arriver  jusqu'à  eux  une 
connaissance  exacte  de  la  situation  ,  sans  cesse 
modifiée  par  les  événements  du  jour,  jetait  beaucoup 
d'indécision  dans  les  mesures  de  ceux  qui  représen- 
taient l'épiscopat,  et  laissait  la  plupart  des  ecclé- 
siastiques abandonnés  à  leurs  propres  inspirations. 
«  Chacun,  comme  l'écrivait  plus  tard  M.  deBeausset, 
évêque  d'Alais ,  obéissait ,  sans  s'en  douter ,  sans 
mauvaise  intention,  à  la  disposition  de  son  caractère, 
à  ses  préventions,  à  ses  scrupules,  enfin  à  la  crainte 
estimable  de  trop  faire,  ou  de  ne  pas  faire  assez  (1).  » 

VII.  Vers  le  milieu  de  l'année  1797  ,  il  y  eut  un 
moment  où  le  Corps  législatif  parut  incliner  à  la 
tolérance.  Le  28  août,  le  rapporteur  d'une  commis- 
sion avait  proposé  de  substituer  aux  anciens  serments 
une  déclaration  conçue  en  ces  termes  :  «  Je  déclare 
que  je  suis  soumis  au  gouvernement  de  la  République 
française.  »  11  était  dit  dans  un  article  du  projet  que 

(1)  On  se  ferait  difficilement  une  idée  de  la  quantité  pro- 
digieuse de  brochures  que  produisit  la  question  des  serments  ; 
de  l'ardeur,  de  la  subtilité  avec  laquelle  les  adversaires  se 
contredisaient.  On  pourra  lire  avec  fruit  sur  cette  question 
délicate,  les  ouvrages  de  M.  deBeausset,  évêque  d'Alais, 
(cardinal  en  1817)  ,  et  notamment  celui  qui  a  pour  titre  : 
Exposé  des  principes  sur  le  serment  de  Liberté  et  d'Egalité. 


440  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

la  nouvelle  déclaration  était  purement  civile ,  et  ne 
touchait  en  rien  a  la  conscience  du  déclarant.  Pie  VI, 
par  un  bref  qui  fut  adressé,  le  15  septembre  1797,  à 
l'archevêque  de  Rheims,  déclara  que  rien,  dans  cette 
formule,  ne  s'opposait  à  ce  qu'elle  fût  souscrite. 
Mais  le  coup  d'état  connu  sous  le  nom  de  4  8  fructidor 
amena  une  réaction  violente,  qui  exposa  de  nouveau 
les  prêtres  fidèles  à  toutes  les  rigueurs  du  pouvoir. 
VIII.  Non-seulement  on  révoqua  la  loi  qui  rappelait 
les  prêtres  déportés,  mais  on  infligea  la  déportation 
à  tous  ceux  qui  refuseraient  le  serment  de  «  Haine 
à  la  royauté  et  à  l'anarchie.  »  Pour  prévenir  l'oppo- 
sition que  devait  soulever  un  pareil  serment,  le  rap- 
porteur avait  déclaré,  au  nom  de  la  commission  tout 
entière,  qu'en  demandant  de  jurer  haine  à  la  royauté, 
on  faisait  abstraction  des  personnes  ;  on  ne  s'enga- 
geait même  pas  à  la  haine  de  la  royauté ,  considérée 
d'une  manière  abstraite  ,  mais  seulement  à  se  pro- 
noncer contre  les  efforts  que  Ton  pouvait  faire  pour 
la  rétablir  en  France,  où  elle  était  repoussée  par  la 
constitution  et  par  le  vœu  des  républicains.  A  Paris  , 
le  clergé  orthodoxe  prêta  le  serment  dans  le  sens  de 
ces  explications  ;  cette  conduite  fut  suivie  dans  plu- 
sieurs diocèses  avec  l'approbation  formelle  ou  tacite 
de  l'évêque  diocésain.  Ailleurs,  au  contraire,  on  mit 
à  la  combattre  une  extrême  vivacité.  Le  pape,  ayant 
appris  le  nouveau  dissentiment  qui  partageait  le 
clergé  de  France,  fit  examiner  la  question.  Les  car- 
dinaux pensèrent  que  le  serment  de  Haine  à  la  royauté 
répugnait  à  la  loi  divine  ;  que,  malgré  les  interpréta- 
tions qui  tendaient  a  l'adoucir ,  si  on  le  prenait  dans 


DE   BAYEUX.  411 

le  sens  naturel  qu'il  présentait  à  l'esprit,  il  était  sub- 
stantiellement mauvais.  Le  secrétaire  de  la  Congréga- 
tion ayant  fait  connaître  au  pape  l'avis  des  cardinaux, 
le  pape  décida  que  le  serment  était  illicite  ,  et  le  24 
septembre  1798,  le  délégué  apostolique  répondait  de 
Rome  que  ceux  qui  l'avaient  prêté  étaient  obligés  à 
réparer  le  scandale  le  mieux  qu'il  serait  possible  , 
«  en  tenant  compte  des  temps  et  des  lieux,  »  mais  on 
ajoutait  qu'il  n'avait  été  porté  contre  eux  aucune 
censure. 

Plus  tard  [30  janvier  1799] ,  ce  serment  ayant  été 
exigé  des  professeurs  de  l'université  romaine,  Pie  VI 
déclara  de  nouveau  que  ,  dans  les  termes  où  il  était 
rédigé,  on  ne  pouvait  permettre  de  le  souscrire.  Le 
gouvernement  français  exigeait  que  l'on  jurât  «  Haine 
à  la  royauté  et  à  l'anarchie,  attachement  et  fidélité  à 
la  république  et  à  la  constitution  de  l'an  III.  »  Voici 
de  quelle  manière  Pie  VI  avait  lui-même  modifié 
la  rédaction  :  «  Je  (N)  jure  que  je  ne  prendrai  part 
à  aucune  conjuration  ,  complot  ou  sédition  ,  ayant 
pour  objet  de  rétablir  la  monarchie  et  de  détruire  la 
république  qui  gouverne  actuellement.  Je  jure  haine 
à  l'anarchie,  fidélité  et  attachement  à  la  république  et 
à  la  constitution,  sauf  toutefois  les  droits  de  la  reli- 
gion catholique.  »  Le  pape  défendit  toute  contro- 
verse sur  ce  document.  Il  espérait,  disait-il,  que  tous 
les  ecclésiastiques,  aussi  bien  que  tous  les  professeurs, 
sauraient  unir  «  la  fidélité  et  la  soumission  envers  les 
magistrats  »  au  respect  qu'il  leur  demandait  «  pour 
la  loi  suprême  de  la  conscience.  »  Il  est  évident,  par 
ces  dernières  paroles ,  que  ,  si  le  pape  condamnait  le 


412  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

serment  de  Haine  à  la  royauté,  il  ne  condamnait  pas 
l'acte  de  Soumission  dont  nous  avons  parlé  plus 
haut(1). 

IX.  La  constitution  de  l'an  VIII  abrogea  le  serment 
de  Haine  à  la  royauté  et  le  remplaça  par  la  déclaration 
suivante  :  «  Je  promets  fidélité  à  la  constitution.  » 
Une  proclamation  des  consuls,  en  date  du  28  décembre 
1799,  annonça  dans  les  départements  que  la  liberté 
des  cultes  était  garantie  par  la  constitution  ;  qu'aucun 
magistrat  ne  pouvait  y  porter  atteinte.  Deux  jours 
après,  le  Moniteur,  qui  venait  d'être  déclaré  journal 
officiel,  exposait  que  la  formule  par  laquelle  on  pro- 
mettait fidélité  à  la  constitution ,  était  à  elle  seule 
«  une  garantie  parfaite  de  la  liberté  des  opinions  re- 
ligieuses, attendu  qu'elle  en  respectait  toutes  les  dé- 
licatesses. Ce  n'est  pas  un  serment,  continuait  la  dé- 
claration, c'est  un  engagement  purement  civil.  »  Le 
clergé  de  Paris  ,  encouragé  par  ces  explications,  fit 
sans  difficulté  la  promesse  demandée.  On  suivit  la 
même  conduite  dans  un  grand  nombre  de  diocèses  ; 
elle  fut  formellement  approuvée  par  vingt  évêques 
français  ;  plusieurs  même  écrivirent  pour  en  soutenir 
la  légitimité  (2).  Le  sentiment  contraire  fut  adopté  par 
la  plupart  des  évêques  que  l'émigration  avait  éloignés 
de  leur  patrie.  Ils  étaient  résolus  «  à  ne  point  séparer 

(1)  V.  dans  les  Mémoires  de  M.  Picot  (3e  éd.,  t.  VII,  p.  216), 
des  détails  pleins  d'intérêt  sur  la  prudence  et  la  fermeté  avec 
lesquelles  le  pape  conduisit  cette  affaire. 

(2)  Ce  sentiment  était  celui  des  sept  évêques  français  qui, 
n'ayant  point  émigré,  avaient  suivi  de  près  la  révolution  dans 
toutes  ses  phases.  Citons,  entre  autres  ,  M.  de  Maillé,  évêque 
de  Saint-Papoul,  M.  de  Beausset  et  M.  du  Belloy. 


DE   BAYEUX.  413 

leur  cause  de  celle  de  la  royauté  (1  )  »,  et  leur  attache- 
ment aux  princes  légitimes  s'effrayait  des  mesures 
prises  par  le  gouvernement  pour  consolider  sa  puis- 
sance. Nous  verrons  plus  tard  comment  cette  dispo- 
sition de  certains  esprits  prépara  la  révolte  contre  le 
concordat,  et  donna  naissance  à  de  graves  complica- 
tions. Le  pape,  consulté  de  toutes  parts  sur  la  pro- 
messe de  fidélité  à  la  constitution  de  l'an  VIII ,  ne  se 
pressa  pas  de  répondre.  Bientôt  des  négociations 
s'ouvrirent  entre  Sa  Sainteté  et  le  gouvernement 
français,  sur  le  moyen  de  reconstituer  l'Église  de 
France.  La  querelle  relative  à  «  la  promesse  »  conti- 
nuait encore  quand  Pie  VII  consentit  à  traiter  avec  le 
premier  consul. 

On  peut  donc  partager  en  trois  classes  les  neuf  ser- 
ments qui  furent  mis  à  l'ordre  du  jour  dans  l'espace 
de  dix  années  (2).— Les  deux  premiers  ne  furent  pas 
condamnés  par  le  saint-siége  ;  tout  le  clergé  français 
les  regarda  comme  permis;  toutefois  le  second  ne  fut 
prêté  qu'après  des  explications  et  avec  des  réserves. 

—  Le  souverain  pontife  condamna  explicitement  ce- 
lui par  lequel  fut  acceptée  la  constitution  civile  du 
clergé,  et  plus  tard  le  serment  de  Haine  à  la  royauté. 

—  Il  en  est  deux  autres  sur  lesquels  le  saint-siége 
ne  se  prononça  pas  :  celui  de  Liberté  et  d'Égalité  , 
ainsi  que  le  serment  par  lequel  fut  acceptée  la  con- 

(1)  Lettre  de  M8r  d'Argentré  ,  évêque  de  Séez  ,  à  ceux  des 
ecclésiastiques  de  son  diocèse  qui  résidaient  en  Allemagne. 

(2)  Nous  passons  sous  silence  un  dixième  serment  prescrit 
aux  ecclésiastiques  le  29  novembre  1791.  Le  décret  de  l'As- 
semblée ne  fut  pas  converti  en  loi ,  le  roi  ayant  refusé  sa 
sanction. 


414  HISTOIRE  DU   DIOCÈSE 

stitution  de  Tan  VIII.  —  Enfin ,  les  trois  autres  ser- 
ments qui  consistaient  dans  la  promesse  d'une  simple 
soumission  aux  lois  de  la  république  furent  permis 
par  le  saint-siége.  A  ceux  qui  conserveraient  des  doutes 
sur  l'authenticité  du  bref  de  Pie  VI  relatif  au  premier 
serment  de  soumission ,  nous  ferions  observer  que  le 
même  Pie  VI  approuva  la  soumission,  dans  son  bref 
à  l'archevêque  de  Rheims ,  dont  l'authenticité  est  in- 
contestable. De  plus,  voulant  donner  aux  fidèles  une 
règle  de  conduite,  le  pape  ne  se  contenta  pas  de  con- 
damner le  serment  de  Haine  a  la  royauté  ,  il  prit  la 
peine  d'en  modifier  la  formule  ,   et  substitua  aux 
termes  qu'il  réprouvait ,  ceux  de  fidélité  et  d'atta- 
chement  a  la  république.  Aujourd'hui  donc  la  lumière 
est  faite  autour  de  ces  questions  ;  on  est  obligé  de 
reconnaître  que  le  serment  de  soumission  n'a  jamais 
été  condamné  par  le  saint-siége.  Par  conséquent ,  il 
serait  injuste  d'infliger  sans  discernement  la  qualifi- 
cation de  jureur  à  quiconque  avait  prêté  tel  ou  tel  de 
ces  neuf  serments.  La  distinction  que  nous  venons 
d'établir  devient   la  base  d'une  appréciation  toute 
nouvelle  :  c'est  d'elle  qu'il  faut  partir  pour  apprécier 
équitablement  la  conduite  du  clergé. 
Dispositions        A  l'époque  dont  nous  parlons  ces  questions  étaient 
m^  d'cbeyiu- bêlantes ,  et  les  évêques  de  France  furent  loin  de 
s'entendre  sur  la  manière  de  les  résoudre.  Quoique 
l'autorité  du  saint-siége  fût  acceptée  en  principe  et 
invoquée  par  tous ,  tous  ne  montraient  pas  le  même 
empressement  a  s'y  soumettre.  Le  schisme  de  la 
petite  église  était  en  germe  au  fond  de  ces  tristes 
débats.  De  plus,  comme  nous  le  verrons  dans  un 


DE  BAYEUX.  415 

instant,  la  vérité  était  tellement  obscurcie  au  milieu 
des  bruits  contradictoires  qui  circulaient  de  bouche 
en  bouche,  qu'il  n'était  pas  toujours  possible  de  l'en 
dégager.  Il  se  formait  donc  déjà  deux  courants  d'opi- 
nion tout  à  fait  contraires,  auxquels  on  obéissait  de 
part  et  d'autre  avec  une  égale  conviction.  Les  sept 
évoques  catholiques  qui  étaient  restés  en  France , 
étudiaient  sur  place ,  et  quelques-uns  de  concert  avec 
M.  Émery ,  ces  difficultés  épineuses  ;  ils  se  tenaient 
en  garde  contre  les  opinions  et  les  mesures  ex- 
trêmes. L'oreille  toujours  ouverte  aux  décisions 
qui  leur  venaient  de  la  cour  de  Rome ,  ils  cherchaient 
dans  la  plus  saine  théologie  ,  les  principes  à  l'aide 
desquels  pourrait  s'établir  la  conciliation.  Telles  n'é- 
taient pas ,  à  beaucoup  près ,  les  dispositions  de  Mgr 
de  Cheylus.  Le  lointain  dans  lequel  il  apercevait  les 
événements  ,  ne  lui  permettait  pas  toujours  de  les 
bien  apprécier.  Les  idées  politiques  qu'il  caressait 
dans  son  exil,  et  dont  le  triomphe  lui  semblait  assuré, 
ne  le  disposaient  pas  a  l'indulgence.  L'Église  et 
l'ancienne  monarchie,  le  trône  et  l'autel ,  comme  on 
disait  alors,  lui  semblaient  inséparables.  Son  atta- 
chement aux  Princes  français  exilés  comme  lui ,  leur 
retour,  qu'il  regardait  comme  prochain ,  le  mettaient 
en  défiance  contre  tout  ce  qui  portait  atteinte  à 
leurs  droits  ;  il  rejetait  comme  une  félonie  toute 
espèce  de  soumission  $  une  autre  autorité  que  la 
leur.  Le  48  juin  1795  un  corps  d'émigrés  français 
rassemblés  à  Jersey  lui  faisait  bénir  ses  drapeaux. 
Le  discours  qu'il  leur  adressa  était  plein  d'espérances. 
«  Toutes    les  nations   s'intéressent  à  notre  sort, 


416  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

s'écriait-il  ;  déjà  leurs  légions  s'ébranlent.—  La  fin 
de  nos  disgrâces  approche.  —  Déjà  l'Anglais,  de 
rival  redoutable  devenu  protecteur  généreux ,  s'élève 
en  notre  faveur  avec  toute  sa  puissance ,  et  quelle 
puissance  I  Déjà  j'entends  les  cris  du  peuple  français, 
qui ,  las  de  ses  forfaits,  fatigué  de  ses  fureurs,  re- 
demande Louis  XVII  et  pleure  Louis  XVI.  Déjà  je 
vois  s'agiter  et  accourir  sur  toutes  les  plages,  sous 
ces  drapeaux  de  l'honneur ,  ces  fidèles  chevaliers 
français ,  ces  invincibles  Machabées  ,  qui  doivent  le 
conduire  au  pied  de  son  trône.  »  Hélas!  il  y  avait 
douze  jours  que  Louis  XVII  était  mort  [6  juin  1795], 
quand  ces  paroles  furent  prononcées.  Les  autres  es- 
pérances étaient  aussi  fragiles.  On  sait  que  cette  ex- 
pédition des  émigrés  français  aboutit  au  désastre  de 
Quiberon  [27  juin  1795]. 
Règlement        Vers  le  même  temps ,  Mgr  de  Cheylus  adressa  un 

adressé  au  clergé 

de  Bayeux.  «  Règlement  provisoire  à  tous  les  prêtres  du  diocèse 
de  Bayeux  sur  la  conduite  qu'ils  devaient  tenir  dans 
le  ministère  à  l'époque  de  leur  rentrée  en  France.  » 
Rédigé  en  1795,  vers  le  mois  de  juillet  ou  d'août,  il 
ne  fut  connu  dans  le  diocèse  que  sept  ou  huit  mois 
plus  tard.  L'évêque  en  fit  plusieurs  envois,  le  dernier 
sous  la  date  du  4  juillet  1796.  En  tête  de  ce  règlement 
on  lit  : 

«  Nul  ecclésiastique  ne  pourra  prêter  aucun  ser- 
ment ni  faire  aucune  déclaration  d'approuver  les  dé- 
crets des  assemblées  prétendues  de  la  nation ,  de 
reconnaître  la  république  ni  de  se  soumettre  à  ses 
lois  purement  civiles  ;  mais  chacun  doit  les  improu- 
ver, dans  tous  les  cas  où  le  ministère  l'exige,  comme 


DE   BAYEUX.  417 

destructives  de  la  monarchie  et  des  droits  du  clergé, 
de  la  noblesse  et  de  tous  les  citoyens.  Nous  décla- 
rons interdits,  ipso  facto,  tous  ceux  qui,  ayant  reçu 
des  pouvoirs  de  nous  ou  de  nos  vicaires-généraux, 
feraient  adhésion  à  ces  lois ,  devant  un  corps  d'ad- 
ministration,  verbalement  ou  par  écrit.  »  Un  peu 
plus  loin,  il  défendait  aux  prêtres  d'exercer  publi- 
quement leurs  fonctions  dans  aucune  paroisse  avant 
qu'elle  ne  fût  «  rentrée  sous  l'obéissance  du  roi.  » 
Ils  ne  devaient  pas  recevoir  les  clefs  de  l'église  de 
la  municipalité  républicaine ,  mais  attendre  qu'elles 
leur  fussent  remises  par  celle  «  qui  était  en  exercice 
avant  la  révolution  !  »  Évidemment ,  dans  la  pensée 
de  M&1'  de  Cheylus,  on  touchait  à  la  restauration  de 
l'ancien  ordre  de  choses,  et  la  restauration  religieuse 
allait  immédiatement  la  suivre. 
Qu'on  se  reporte  au  temps  dont  nous  écrivons      conduite 

......  .  .  .         de  MM.  les  vicaires 

1  histoire,  et  on  comprendra  sans  peine  la  surprise  généraux. 
et  l'émotion  du  clergé,  à  la  réception  de  ce  règle- 
ment; on  en  critiqua  les  dispositions,  l'authenticité 
même  en  fut  contestée.  Mis  en  demeure  de  s'expli- 
quer sur  ce  point,  MM.  les  grands-vicaires  le  firent 
avec  autant  de  fermeté  que  de  sagesse.  Sans  doute, 
ils  connaissaient  trop  bien  l'état  de  la  France  pour 
s'associer  aux  espérances  du  prélat  ;  mais  com- 
ment l'initier  à  tout  ce  qui  se  passait  autour  d'eux? 
Comment  lui  découvrir  le  trouble  et  la  confusion 
qui  régnaient  dans  les  esprits?  Les  communica- 
tions avec  Jersey  (1)  devenaient  chaque  jour  de  plus 

(1)  La  correspondance  qu'échangeaient  entre  eux  M8r  de 
Cheylus  et  ses  grands-vicaires,  était  ordinairement  confiée  à 

27 


418  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

en  plus  difficiles  ;  un  retard  pouvait  tout  compro- 
mettre, et  la  prudence  ne  permettait  pas  de  laisser 
le  clergé  sans  direction.  Ce  fut  donc  à  lui  qu'ils  s'a- 
dressèrent. Ils  passèrent  en  revue  les  principaux 
articles  du  Règlement  épiscopal  en  y  ajoutant  des 
Notes  explicatives  (1).  On  peut  en  résumer  ainsi 
le  sens  et  la  portée.  —  La  persécution ,  disaient 
MM.  les  grands-vicaires,  est  aujourd'hui  «  plus  vio- 
lente que  jamais.  Le  clergé  catholique  est  toujours 
placé  entre  l'exil  et  la  mort;  »  donc,  l'exécution 
du  Règlement,  considéré  dans  son  ensemble,  est 
présentement  chose  impossible.  Est-ce  une  raison 
pour  fermer  l'oreille  à  toutes  les  règles  de  conduite 
qu'il  nous  trace  ?  Un  grand  nombre  sont  «  plus 
ou  moins  »  applicables  à  la  situation  ;  appliquons- 
les  donc  avec  prudence,  et  demandons  à  Dieu  qu'il 
nous  éclaire.  —  Ils  partent  de  là  pour  fixer  l'inter- 
prétation des  articles  dont  le  sens  «  serait  dou- 
teux. »  Prises  à  la  lettre ,  certaines  décisions  ont 

M.  l'abbé  Guérin,  ancien  curé  d'Asnières,  et  plus  tard  curé 
de  Formigny.  Traqué  par  les  agents  du  pouvoir,  qui  surveil- 
laient les  côtes,  souvent  exposé  dans  une  barque  aux  dangers 
de  l'Océan,  il  eut  le  bonheur  d'échapper  à  tous  les  périls.  Il 
conduisit  en  Angleterre  l'abbé  Edgeworth ,  quand  celui-ci 
quitta  la  Normandie ,  après  un  assez  long  séjour.  (V.  IIIe 
vol.,  ch.  Ier.) 

(1)  Nous  avons  sous  les  yeux  ces  Notes  manuscrites,  ainsi 
que  le  Règlement  de  M8r  de  Cheylus  ,  et  l'Ordonnance  qui 
vint  ensuite.  Ces  actes  ne  portent  aucune  date,  aucune  si- 
gnature. Us  étaient  copiés  et  conservés  par  les  bons  prêtres 
auxquels  les  adressait  l'autorité  diocésaine.  On  nous  en  a 
communiqué  différentes  copies,  dont  nous  avons  constaté 
l'identité,  et  par  conséquent  l'exactitude. 


DE  BAYE UX.  419 

pu  causer  quelque  surprise.  11  faut  se  rappeler  qu'à 
l'époque  où  Monseigneur  les  a  formulées,  il  croyait 
que  son  exil  allait  finir.  Mgr  l'archevêque  de  Rouen 
et  M«r  l'évêque  de  Coutances  ont  envoyé  à  leur  cler- 
gé les  mêmes  prescriptions,  et  les  ont  ensuite  révo- 
quées (1). 

Les  conseils  que  nous  venons  de  reproduire ,  en 
les  abrégeant,  furent  accueillis  comme  ils  devaient 
l'être  par  la  très-grande  majorité.  Dieu  veillait  sur 
notre  Église.  Pendant  les  dix  années  qu'elle  fut  pri- 
vée de  son  premier  pasteur  [1791-1802],  MM.  les 
vicaires-généraux  se  montrèrent  constamment  à  la 
hauteur  de  leur  mission.  L'oreille  attentive  à  tous 
les  bruits  du  dehors  qui  étaient  propres  à  les  éclai- 
rer, ils  durent  quelquefois  étendre  ou  restreindre 
les  instructions  que  leur  évêque  les  chargeait  de 
transmettre  ;  mais  la  fermeté  de  leurs  principes  fut 
toujours  en  harmonie  avec  la  modération  de  leur 
langage. 

Après  avoir  étudié  leur  correspondance  avec  une 
curiosité  respectueuse,  nous  aurions  éprouvé  le  désir 
d'y  ajouter  leurs  noms.  Sur  ce  point ,  comme 
sur  plusieurs  autres,  le  clergé  du  diocèse  a  bien 
voulu  nous  venir  en  aide;  nous  dirons  dans  un 
instant  ce  que  nous  croyons  être  la  vérité.  —  Voyons 
d'abord  jusqu'à  quel  point  il  est  possible  de  la  dé- 
couvrir. 

Il  faut  avant  tout  distinguer  deux  époques  :  celle 

(1)  Il  s'agissait,  entre  autres  questions,  de  la  rétractation 
imposée  aux  prêtres  jureurs.  Nous  traiterons  cette  matière 
au  commencement  de  notre  IIIe  Volume. 


420  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

qui  précéda  le  bref  du  19  mars  1792  et  celle  qui  le 
suivit.  Mgr  de  Cheylus  quitta  son  diocèse  en  1794. 
Avant  son  départ,  il  avait  donné  personnellement  à 
quelques-uns  des  prêtres  qui  restaient  en  France 
des  pouvoirs  très-étendus.  Plusieurs,  dit  le  mémoire 
que  nous  citons,  «  s'étaient  attribué  une  puissance 
quasi-épiscopale  sur  toutes  sortes  de  matières,  »  et 
se  regardaient  comme  «  indépendants  »  des  vicaires 
généraux.  Ceux-ci  s'en  plaignirent  à  Mgr  de  Cheylus, 
qui  fit  droit  à  leurs  plaintes  par  une  ordonnance. 
Dans  la  lettre  qui  la  précède,  et  qui  est  écrite  à 
tout  le  clergé  ,  il  commence  par  dire  que  son  exil 
«  dure  depuis  cinq  ans  ;  »  elle  avait  donc  été  ré- 
digée en  1796,  c'est-à-dire,  peu  de  temps  avant 
sa  mort.  Quoiqu'il  en  soit  de  l'époque  où  elle  fut 
écrite ,  il  s'y  plaint  avec  sévérité  de  la  manière 
dont  certains  ecclésiastiques  avaient  «  interprété  » 
les  pouvoirs  qu'il  leur  avait  remis  avant  son  départ; 
de  l'extension  qu'ils  y  auraient  donnée.  «  Ces  pou- 
voirs, dit-il ,  étaient  tous  renfermés  dans  l'adminis- 
tration des  sacrements  de  pénitence;  ils  ne  pou- 
vaient s'étendre  au-delà  de  ceux  d'un  évêque.  »  Puis 
il  s'élève  vigoureusement  contre  l'esprit  «  d'indé- 
pendance »  qui  rendait  impossible  «  l'uniformité  » 
sans  laquelle  on  ne  pouvait  compter  sur  la  soumis- 
sion des  fidèles.  En  conséquence,  il  exigeait  que, 
dans  l'espace  d'un  mois,  à  partir  du  jour  où  son 
ordonnance  serait  connue  ,  tous  les  pouvoirs  ac- 
cordés par  lui  fussent  renouvelés  par  ses  grands- 
vicaires.  Il  leur  laissait  le  droit  de  les  étendre ,  de 
les  restreindre  et  môme  de  les  révoquer. 


DE  BAYEUX.  121 

Il  est  donc  vrai  que ,  depuis  le  commencement 
des  troubles,  un  zèle  inconsidéré  avait  égaré  plu- 
sieurs de  ceux  qui  prétendaient  avoir  reçu  de  Mgr  de 
Cheylus  des  pouvoirs  sans  limites.  L'indépendance 
qu'ils  s'attribuaient  créa  souvent  des  difficultés  sé- 
rieuses aux  véritables  administrateurs,  D'un  autre 
côté,  on  voyait  avec  surprise  l'autorité  diocésaine 
confier  des  pouvoirs  extraordinaires  à  des  hommes 
nouveaux,  qu'elle  avait  canoniquement  institués. 
Les  esprits  timides  en  furent  effrayés  ;  on  se  de- 
manda si  les  actes  qu'ils  accomplissaient  étaient 
«  valides.  »  Les  vicaires-généraux  firent  face  à  tous 
ces  périls.  Ils  protestèrent  contre  les  envahisseurs , 
et  en  même  temps  il  essayèrent  de  rassurer  les 
faibles.  C'est  qu'en  effet  les  uns  et  les  autres  sem- 
blaient oublier  ou  ne  pas  comprendre  le  bref  du 
19  mars  1792.  Les  vicaires-généraux  crurent  n'a- 
voir rien  de  mieux  à  faire  que  de  les  y  renvoyer. 
Examinons  donc  un  instant  avec  eux  ce  bref  à 
jamais  mémorable.  C'est  là  qu'il  faut  chercher  la 
source  des  pouvoirs  légitimement  exercés  par 
l'Église  de  France,  pendant  la  dispersion  du  clergé 
catholique. 

Au  commencement  de  l'année  1792,  ceux  de  nos  BrefdePievi. 
évêques  qui  n'avaient  point  émigré,  comprenant  source  ^pouvoirs 
qu'il  devenait  extrêmement  difficile  de  maintenir 
dans  leurs  diocèses  la  transmission  régulière  des 
pouvoirs  religieux,  prièrent  le  souverain  pontife  de 
leur  venir  en  aide,  en  modifiant  la  distribution  et 
l'exercice  de  ces  pouvoirs.  Le  19  mars  1792,  Pie  VI, 
pour  répondre  à  leur  désir,  conféra,  par  un  induit, 


4^2  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

le  titre  de  délégué  du  saint-siége  aux  archevêques , 
aux  évoques  et  aux  administrateurs  des  diocèses 
vacants.  De  plus,  il  leur  donna  le  droit  de  subdélé- 
guer à  de  simples  prêtres  ceux  de  leurs  pouvoirs 
qui  n'étaient  pas  réservés  à  l'épiscopat. 

Un  fait  aussi  capital  avait  dû  être  porté  dès  son 
origine  à  la  connaissance  de  tout  le  clergé  catho- 
lique ;  mais  enfin ,  pour  une  raison  dont  le  secret 
nous  échappe,  en  4796,  MM.  les  vicaires-généraux 
se  croyaient  obligés  d'y  renvoyer  les  mécontents.  Ils 
s'efforcèrent  donc  de  faire  comprendre  aux  uns  que 
les  pouvoirs  personnels  obtenus  par  eux  de  M^r  de 
Cheylus  étaient  implicitement  révoqués  par  le  bref; 
et  aux  autres ,  qu'il  n'y  avait  rien  d'étonnant  à  ce 
que  de  simples  prêtres ,  dont  on  connaissait  les 
lumières  et  la  prudence  ,  eussent  été  chargés  de 
pouvoirs  extraordinaires  ,  par  exemple ,  de  réhabi- 
liter les  jureurs. 
comment  Les  délégués ,  disons-nous ,  avaient  le  droit  de 
TtaSii""     subdéléguer  leurs  pouvoirs,  et  ils  les  transmettaient 

transmis?  en    ^j.    Qu    partje  ^     pQur    un     tempS    plUS  0U    niOmS 

long.  Ceci  va  jeter  une  grande  lumière  sur  la  ques- 
tion qui  nous  occupe.  Il  en  résulte,  en  effet,  qu'il 
serait  téméraire  de  vouloir  préciser  le  nombre  des 
subdélégués.  Emprunté  comme  l'autre  au  droit  ec- 
clésiastique, ce  terme  répugnait  au  langage  popu- 
laire. Délégués  ou  subdélégués,  le  peuple,  qui  ne 
connaissait  pas  la  valeur  de  ces  mots ,  saluait  indis- 
tinctement du  nom  de  grands-vicaires  tous  ceux  qui 
représentaient  à  ses  yeux  l'autorité  épiscopale,  quelle 
que  fût  l'origine ,  la  limite ,  la  durée  de  leurs  pou- 


DE  BAYEUX.  423 

voirs  ;  mais,  aujourd'hui,  on  ne  peut  plus  ignorer 
que,  en  dehors  de  ces  deux  groupes,  il  n'existait 
pas ,  dans  le  diocèse ,  un  seul  ecclésiastique  qui 
représentât  l'autorité  du  saint-siége ,  et ,  par  consé- 
quent, celle  de  Mgr  de  Cheylus. 

Ceci  posé,  il  est  certain  que,  durant  les  troubles  par  qui  ces 
révolutionnaires,  M.  d'Audibert  de  la  Villasse,  ES 
parent  de  Mgr  de  Cheylus,  et  qui  l'avait  d'abord 
conduit  à  Jersey ,  représentait  dans  notre  diocèse 
sa  personne  et  ses  pouvoirs.  On  doit  regarder  comme 
nul  et  non  avenu  tout  ce  qui  se  fit  en  dehors  de 
l'administration  dont  il  était  le  centre.  Il  est  vrai 
qu'il  ne  resta  pas  constamment  à  Bayeux.  On  le 
trouve  à  différentes  époques  dans  diverses  loca- 
lités. Cependant,  les  vicaires-généraux,  quand  ils 
s'adressent  au  clergé  du  diocèse,  parlent  toujours 
en  commun,  et  comme  s'ils  étaient  réunis.  Il  est  donc 
permis  de  croire  qu'ils  n'adoptèrent  jamais  aucune 
résolution  importante,  sans  que  M.  l'abbé  d'Audibert 
y  prit  part. 

Quels  étaient  les  principaux  membres  de  cette 
réunion?  quel  en  était  le  point  central?  Une  lettre 
de  M.  Ameline,  curé  d'Ifs  [12  octobre  1853],  nous 
permet  de  résoudre  la  première  question.  Elle  nous 
apprend  qu'avant  de  quitter  son  diocèse ,  Mgr  de 
Cheylus  «  avait  délégué  ses  pouvoirs  »  à  MM.  Re- 
nauld,  Maffré  et  d'Audibert.  Déplus,  ces  trois 
noms  sortirent  du  scrutin  par  lequel  le  chapitre  élut 
six  grands-vicaires  pendant  la  vacance  du  siège. 
Ceci  ne  confirme-t-il  pas  le  témoignage  que  nous 
citons?  En  second  lieu,  la  lettre  que  les  grands- 


424  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

vicaires ,  élus  par  le  chapitre ,  écrivirent  au  clergé , 
après  la  mort  de  Mgr  de  Cheylus  ,  est  datée  de 
Bayeux.  Enfin,  M.  Hébert,  que  nous  allons  faire 
connaître  tout  à  l'heure,  parle,  dans  ses  Notes  sur 
la  persécution,  «  des  grands-vicaires  qui  siégeaient 
à  Bayeux.  »  La  ville  épiscopale  était  donc  restée  le 
siège  de  l'administration  (1). 

ACaen,  l'administration  ecclésiastique  était  re- 
présentée par  M.  Hébert,  membre  de  la  société  des 
Eudistes,  et  plus  tard  curé  de  Saint-Gilles.  Il  raconte 
que,  se  trouvant  dans  cette  ville,  où  Mgr  de  Cheylus 
l'avait  chargé  «  des  pouvoirs  de  grand-vicaire,  »  une 
conférence  lui  fut  demandée ,  comme  à  l'un  des  re- 
présentants de  l'évêque  de  Bayeux,  par  un  des  chefs 
de  l'armée  vendéenne.  Il  s'agissait  d'obtenir  du 
clergé  qu'il  détournât  les  jeunes  gens  appelés  sous 
les  drapeaux  d'obéir  à  la  loi;  on  les  eût  expédiés 
sur  la  Vendée.  M.  Hébert  repoussa  cette  proposition 
par  un  refus  énergique.  Communiquée  k  Mgr  de 
Cheylus  et  à  MM,  les  grands-vicaires,  sa  réponse 
obtint  une  approbation  unanime. 

A  cette  occasion,  M.  Hébert  nous  apprend  qu'in- 
dépendamment des  grands-vicaires  qui  siégeaient  à 
Bayeux,  un  d'eux,  qu'il  ne  nomme  pas  plus  que  les 
autres ,  se  trouvait  dans  la  paroisse  d'Amayé-sur- 
Seulles,  près  de  Villers-Bocage.  Probablement,  celui 
dont  il  parle  était  M.  Godefroy  de  Boisjugan, 
membre  de  l'ancien  chapitre ,  mort  à  Caen ,  curé  de 
Saint-Etienne.  Longtemps,  en  effet,  il  fut  caché  dans 

(1)  Nous  croyons  connaître  la  maison  où  siégeaient  les 
proscrits;  elle  était  située  dans  la  rue  du  Petit-Rouen. 


DE  BAYEUX.  425 

le  village  d'Amayé-sur-Seulles,  chez  les  demoiselles 
de  La  Morinière.  Il  y  donna  y  le  15  mai  1795,  la  dis- 
pense nécessaire  pour  un  mariage;  il  y  est  désigné 
comme  «  vicaire-général  de  Mgr  l'évêque  de  Bayeux,  » 
Son  titre  est  donc  hors  de  contestation. 

Pendant  la  Terreur,  le  château  de  la  Morinière 
abrita  plus  d'un  proscrit.  Nous  y  trouvons  égale- 
ment l'abbé  Blondel  ,  curé  de  Saint -Pierre  de 
Lisieux,  après  la  révolution.  Il  était  connu  dans  le 
pays  sous  le  nom  de  M.  Delorme  ;  nous  verrons 
qu'il  y  déploya  le  plus  grand  courage.  A  quel  titre 
y  exerçait-il  le  saint  ministère?  Était-ce  comme 
délégué  ou  subdélégué?  On  nous  assure  de  différents 
côtés  qu'il  avait  les  pouvoirs  de  vicaire-général.  — 
Tandis  qu'il  était  caché  à  Épinay-sur-Odon,  M.  l'abbé 
Ronchamps  qui,  pendant  quelque  mois,  avait  quitté 
le  pays,  revint  sur  le  champ  de  bataille,  et  pria 
M.  Blondel  de  lui  assigner  un  poste.  Celui-ci  lui 
abandonna  les  paroisses  d'Épinay-sur-Odon,  de 
Landes,  de  Maisoncelles,  de  Parfouru  et  de  Long- 
villers,  et  alla  lui-même  s'établir  plus  loin  (1).  Ajou- 
tons que,  d'après  un  témoignage  infiniment  respec- 
table, celui  de  MgrPaysant,  évêque  d'Angers,  à  l'ar- 
rivée de  Mgr  Brault,  M.  Blondel  figurait  au  nombre 
des  grands-vicaires  qui  «  remirent  entre  ses  mains 
l'administration  du  diocèse.  »  Il  est  à  regretter  que 
le  biographe  de  M.  le  curé  de  Saint- Pierre  n'ait 
pas  consigné  ces  détails. 

Ici,  il  faut  que  l'on  nous  permette  de  nous  incli- 

(1)  Renseignements  fournis  par  M.  l'abbé  Ronchamps,  curé 
de  N.-D.  de  Courson ,  neveu  du  prêtre  sus-mentionné. 


426  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ner  devant  notre  pasteur  bien-aimé,  devant  celui 
qui  prit  soin  de  notre  enfance  et  nous  plaça  sur  le 
chemin  du  sacerdoce.  Le  vénérable  M.  Paris,  curé 
de  Saint-Jean  de  Caen  après  la  restauration  du  culte, 
avait  été  précédemment  curé  de  N.-D.  de  Vire.  Pour 
ce  qui  le  regarde,  nous  ne  sommes  pas  réduit  à  in- 
voquer la  tradition.  Nous  avons  sous  les  yeux  un 
acte  de  mariage,  écrit  tout  entier  de  sa  main  ,  dans 
lequel  il  prend  les  titres  suivants  :  «  Je  soussigné , 
Jean-Jacques  Paris ,  curé  de  Notre-Dame  de  Vire, 
Délégué  des  Administrateurs  des  diocèses  de 
Coutances  et  de  Bayeux  ,  pendant  la  vacance  des 
sièges  épiscopaux  de  ces  deux  diocèses.  »  Cet  acte 
est  daté  du  «  lundi,  onzième  jour  de  mars,  mil  sept 
cent  quatre-vingt  dix-neuf.  »  On  sait  que  Vire  se 
trouvait  autrefois  sur  les  confins  des  diocèses  de 
Coutances  et  de  Bayeux.  Il  n'est  donc  pas  étonnant 
que  les  pouvoirs  du  curé  de  Vire  se  soient  étendus 
au-delà  de  notre  territoire.  Remarquons  les  termes 
«  Délégué  des  Administrateurs  ;  »  les  pouvoirs 
de  M.  Paris  émanaient  donc  en  réalité  du  saint- 
siége,  dont  il  n'était  que  «  Subdélégué  ;  »  c'est,  en 
effet,  le  titre  qui  fut  inscrit  sur  son  acte  mortuaire; 
et  cependant ,  il  résulte  du  témoignage  de  ses  con- 
temporains que ,  dans  les  lieux  où  il  se  cachait ,  on 
avait  coutume  de  l'appeler  «  Monsieur  le  grand- 
vicaire  (1).  »  Ceci  concorde  parfaitement  avec  les 
explications  que  nous  avons  données  plus  haut. 
M.  l'abbé  de  Créqui  avait-il  reçu  de  Mgr  de  Cheylus 

(1)  Souvenirs  de  M.  Tirard  (mort  curé  de  N.-D.  de  Vire), 
alors  âgé  de  huit  ans. 


DE  BAVEUX.  427 

des  pouvoirs  de  grand-vicaire?  Personne,  à  Lisieux, 
ne  se  croit  en  état  de  répondre  à  cette  question.  Les 
uns  pensent  qu'ayant  toujours  été  très-opposé  à  la 
fusion  des  deux  diocèses,  il  eût  craint  d'accepter  un 
titre  qui  l'eût  en  quelque  sorte  préparée.  Les  autres 
affirment  que,  pendant  la  révolution ,  il  s'était  occu- 
pé de  l'exemption  de  Cambremer,  qui  était  une  en- 
clave de  notre  diocèse  dans  celui  de  Lisieux,  et  qu'il 
avait  reçu  à  cet  effet  des  pouvoirs  de  Mgrde  Cheylus. 
Nous  inclinons  vers  cette  seconde  hypothèse. 

Après  la  mort  de  M&r  de  Cheylus,  trois  de  MM.  les 
grands-vicaires ,  que  nous  venons  de  proclamer, 
furent  réélus  par  le  chapitre  ;  le  nombre  en  fut  porté 
à  six.  Nous  reviendrons  sur  les  circonstances  de 
cet  événement;  il  fut  capital,  et  fit  le  plus  grand 
honneur  au  diocèse  de  Bayeux. 


e/^Z^&É^^3 


428  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 


APPENDICE. 


LA  PRISON  DE  B  A  YEUX  PENDANT  LA  TERREUR. 


Souvenirs  extraits  d'un  manuscrit  rédigé  à  la  prison  de 
Bayeux,  depuis  le  9  octobre  1793  jusqu'au  13  octobre 
1794,  sur  la  demande  et  avec  le  concours  des  prisonniers, 
par  un  de  leurs  compagnons.—  L'auteur  de  ce  manuscrit  a 
gardé  l'anonyme ,  mais  les  allusions  qui  ont  trait  à  sa  famille 
sont  assez  transparentes  pour  que  le  lecteur  n'ait  aucune 
peine  à  la  deviner.  Mme  d'Albignac,  dont  il  parle  toujours 
avec  une  tendresse  respectueuse,  était,  nous  dit-il,  sa 
belle-sœur.  «  Cette  bonne  mère,  qui  pourrait  être  ma  fille 
par  la  distance  de  nos  âges  ,  se  partage  entre  ses  enfants 
et  moi,  depuis  neuf  ans  que  je  suis  auprès  d'elle.  Elle  est 
le  soutien  de  ma  vieillesse  et  la  gloire  de  mon  nom.  »  A 
n'en  pas  douter,  ce  manuscrit  a  donc  été  rédigé  par  M.  de 
Montai,  frère  aîné  de  M.  d'Albignac ,  originaire  du  pays 
des  vignes,  c'est-à-dire,  de  Milhau,  en  Rouergue.  Il  était 
resté  célibataire  et  avait  servi  dans  les  armées  de  Louis  XV. 
A  l'époque  de  sa  détention  ,  il  avait  soixante-cinq  ans. 
Son  manuscrit  nous  a  été  communiqué  à  une  époque  où 
notre  volume  touchait  à  sa  fin.   Le  propriétaire  actuel  a 


DE   BAYEUX.  429 

bien  voulu  nous  permettre  d'en  extraire  ce  qui  pourrait 
convenir  à  notre  histoire.  Il  est  rédigé,  partie  en  prose  et 
partie  en  vers.  Quant  aux  vers  qui ,  de  temps  en  temps , 
coupent  le  récit,  nous  les  passerons  sous  silence.  L'invo- 
cation est  adressée  à  Chapelle  et  à  Bachaumont;  mora- 
lement parlant,  c'est  dire  ce  qu'ils  valent.  Il  y  a  plus 
de  naïveté  que  de  repentir  dans  la  façon  dont  l'auteur 
s'accuse  lui-même  de  ses  faiblesses.  Nous  sommes  heureux 
de  pouvoir  ajouter  que,  malgré  les  écarts  de  son  imagi- 
nation, il  avait  conservé  la  foi,  et  qu'une  fin  très-chré- 
tienne a  couronné  sa  vie.  —  Nous  allons  donc  lui  faire 
quelques  emprunts. 


A  l'époque  où  s'accomplirent  à  Bayeux  les  événe-       Arrivée 

des  détenus. 

ments  que  M.  de  Montai  va  nous  raconter,  le  cou- 
vent de  la  Charité  (1  )  était  devenu  une  maison  d'arrêt. 
Transportons-nous  par  la  pensée  dans  les  salles  du 
monastère,  le  9  octobre  4793,  un  peu  avant  midi , 
nous  y  trouverons  une  affluence  énorme  :  c'étaient 
des  détenus  que  l'on  y  amenait  à  chaque  instant  de 
tous  les  quartiers  de  la  ville.  Arraché  dès  le  matin 
a  l'hôtel  qu'il  occupait  à  Bayeux,  M.  de  Montai  était 
arrivé  un  des  premiers ,  et  il  assistait  au  défilé. 
Autour  de  lui  se  serraient  sa  belle-sœur,  Mme  d'Albi- 
gnac,  ses  cinq  enfants  et  leur  gouvernante.  M.  d'Al- 
bignac,dont  il  n'est  pas  question  dans  son  récit, 
avait  émigré.  Rien  de  plus  navrant  et  de  plus  cu- 
rieux tout  à  la  fois  que  les  différents  groupes  entas- 
sés dans  les  salles.  On  y  trouvait  des  familles  entiè- 
res, depuis  l'aïeul  jusqu'aux  petits-enfants.  L'âge,  le 
sexe ,  les  professions ,  les  opinions  politiques  les 

(1)  En  face  de  la  place  Saint-Patrice. 


430  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

plus  tranchées,  tout  y  était  rapproché,  entassé,  con- 
fondu. D'anciens  et  de  nouveaux  administrateurs  y 
rencontraient  des  fédéralistes,  des  révolutionnaires 
de  fraîche  date,  mais  suspects  de  modérantisme,  des 
prêtres  insermentés ,  des  prêtres  constitutionnels , 
des  religieuses ,  des  paysannes ,  des  valets  et  des 
servantes.  Quelques-uns,  tristes  et  découragés,  s'é- 
loignaient en  versant  des  larmes  ;  d'autres  riaient 
de  l'aventure  et  se  croyaient  victimes  d'une  erreur. 
«  Quoi  donc,  s'écriaient-ils,  des  républicains  être  trai- 
tés de  la  sorte  !  nous  ne  sommes  pourtant  pas  de  la 
caste  privilégiée  ;  il  n'y  a  dans  notre  famille  ni  émi- 
grés ni  suspects.  »  On  aurait  pu  leur  répondre  que, 
peu  de  jours  avant  leur  arrestation,  la  commune  de 
Paris  avait,  sur  la  réquisition  de  Chaumette,  déve- 
loppé en  neuf  paragraphes  la  définition  des  suspects. 
Le  paragraphe  huitième  était  ainsi  conçu  :  —  ceux 
qui,  n'ayant  rien  fait  contre  la  liberté,  n'ont  rien 
fait  pour  elle.  — Il  fallait  donc  en  prendre  son  parti, 
et  devenir  suspect  dès  que  cela  plaisait  au  pouvoir. 

Le  premier  jour,  le  nombre  des  détenus  était  de 
cent  cinquante;  le  lendemain,  on  en  comptait  deux 
cents  ;  le  surlendemain,  deux  cent  quarante  ;  après 
quoi,  dit  notre  écrivain,  on  cessa  de  se  compter  (1). 

Les  chambres  et  les  cellules,  sans  distinction, 
furent  abandonnées  au  premier  occupant.  Les  déte- 
nus obtinrent  la  permission  de  faire  apporter  leurs 
meubles.  Les  plus  aisés  s'arrangèrent  pour  ne  pas 
laisser  manquer  les  pauvres.  La  politique  a  beau  se 

(1)  Il  ajoute  un  peu  plus  loin  que  le  nombre  des  prisonniers 
s'éleva  dass  la  suite  jusqu'à  trois  cents. 


DE  BAYEUX.  431 

montrer  cruelle ,   la  religion  ne  perd  jamais  ses 
droits. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  reproduire  ici 
tous  les  incidents  qui  se  succédèrent  à  la  prison  de 
Bayeux  pendant  les  douze  mois  que  dura  la  captivité 
de  M.  de  Montai.  Nous  ne  disposons  que  de  quelques 
pages,  et  il  y  aurait  a  recueillir  dans  ses  notes  la  ma- 
tière d'un  petit  volume.  Pourtant  nous  ne  laisserons 
pas  ignorer  que,  aux  termes  de  la  loi,  on  procéda 
dans  les  vingt-quatre  heures  à  l'interrogatoire  des 
prévenus.  Tous  furent  appelés  à  comparaître,  et  là, 
il  se  passa  des  scènes  déplorables.  Les  interroga- 
toires ne  furent  pas  sérieux.  Quelques-uns  de  ces 
magistrats  improvisés,  parmi  lesquels  on  comptait 
trois  prêtres  apostats ,  n'eurent  pas  honte  d'abuser 
du  tête-à-tête,  pour  faire  aux  jeunes  filles  des  pro- 
positions de  mariage.  Les  geôliers  servaient  d'entre- 
metteurs. 

En  droit,  la  police  des  prisons  relevait  de  la  mu-  Régime 
nicipalité.  Cependant  la  surveillance  de  la  prison  de 
Bayeux  avait  été  abandonnée  par  les  municipaux  à 
un  comité  distinct,  appelé  Comité  de  surveillance,  et 
dont  les  membres  appartenaient  à  la  démocratie  la 
plus  avancée.  Parmi  eux  se  trouvait  un  ancien  sol- 
dat, sergent-major  d'artillerie  dans  l'armée  du  géné- 
ral de  Wimpffen.  Ce  fut  lui  que  le  comité  insti- 
tua geôlier  en  chef.  Le  passage  de  cet  homme  à  la 
prison  de  Bayeux  fut  vraiment  pour  les  détenus  le 
régime  de  la  terreur.  Il  avait  sous  ses  ordres  quatre 
porte-clefs  qui  se  faisaient  aider  par  leurs  femmes 
et  leurs  filles,  et  qui  tremblaient  devant  lui  aussi 


de  la  prison. 


432  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

bien  que  les  prisonniers.  Profondément  irréligieux, 
cet  homme  semblait  avoir  pris  à  tâche  d'insulter  les 
choses  saintes ,  soit  par  des  railleries,  soit  par  des 
actes.  Dès  qu'il  se  montrait  dans  les  cours,  on  voyait 
disparaître  aussitôt  livres  de  piété ,  bréviaires  et 
chapelets.  A  l'une  des  extrémités  du  jardin  se  trou- 
vait une  chapelle  isolée,  surnommée  la  Grotte,  où 
les  détenus,  soir  et  matin,  venaient  prendre  quelque 
délassement.  C'était,  selon  l'expression  de  l'auteur, 
«  un  vrai  paradis  en  coquillage ,  qui  avait  coûté 
vingt  ans  de  travail  à  l'une  des  religieuses  de  la 
Charité  ;  on  eût  dit  que  ce  travail  avait  été  conduit 
par  la  main  d'un  ange.  »  Un  jour,  le  geôlier  abattit  et 
réduisit  en  poussière  les  statues  qui  en  faisaient 
partie.  Une  autre  fois,  il  leva  son  sabre  et  en  menaça 
un  crucifix;  mais  à  l'instant  même  il  s'arrêta;  le 
trouble  le  saisit  ;  le  bruit  se  répandit  qu'il  avait  vu 
frémir  la  sainte  image.  Il  avait  fait  creuser  dans  le 
jardin  de  larges  fosses,  sur  le  bord  desquelles  des 
tas  de  chaux  vive  étaient  amoncelés.  Les  prisonniers 
suivaient  d'un  œil  inquiet  ces  lugubres  préparatifs. 
Melle  de  La  Tour  du  Pin,  alors  âgée  de  huit  ans  (4), 
osa  s'approcher  un  jour  du  geôlier  et  lui  demanda 
ce  qu'il  comptait  faire  de  ces  fosses.  «  C'est  pour 
y  mettre  les  petites  aristocrates,  »  lui  répondit-il. 

On  se  représenterait  difficilement  toutes  les  exi- 
gences que  les  détenus  avaient  a  subir  de  la  part  de 
cet  homme,  ou  de  ses  subalternes.  Ils  fouillaient 
sans  ménagement  les  potages,  les  viandes  et  le  pain, 

(1)  Plus  tard,  Mmc  Achard  de  Bonvouloir. 


DE  BAYEUX.  433 

que  les  riches  se  faisaient  apporter  du  dehors  ;  ils 
prenaient  ce  qui  leur  convenait  sur  le  bois  et  sur  le 
luminaire,  et  ils  menaçaient  du  cachot  les  domesti- 
ques, quand  ils  s'opposaient  à  leurs  friponneries.  Il 
y  eut  un  moment  où  les  chambres  furent  mises  à 
l'enchère.  Le  droit  de  conserver  de  la  lumière  après 
l'heure  du  coucher  était  un  privilège  tarifé  par  les 
gardiens.  Les  scènes  violentes  que  le  geôlier  mé- 
nageait aux  détenus  se  reproduisaient  sans  cesse , 
sous  différentes  formes  :  nous  avons  mille  raisons 
pour  les  supprimer.  Disons  seulement  que  les  soldats 
de  service  à  la  prison  n'obéissaient  qu'avec  dégoût 
aux  ordres  du  geôlier-chef;  que  les  administrateurs 
blâmèrent  ses  violences  ;  que  dans  la  ville,  les  hon- 
nêtes gens  de  toute  opinion  en  étaient  indignés  ; 
mais  s'il  faut  en  croire  M.  de  Montai ,  une  haute  in- 
fluence le  protégeait  ;  or,  quand  les  terroristes  sont 
au  pouvoir,  c'est  en  vain  que  les  honnêtes  gens 
essaient  de  protester  ;  il  ne  leur  reste  qu'à  gémir. 
Nous  dirons ,  dans  un  instant ,  comment  le  terrible 
geôlier  fut  destitué  par  Bourret,  un  des  représentants 
de  la  République. 

Le  jour  de  la  Toussaint,  trois  semaines  après  l'in- 
carcération des  suspects,  l'un  des  trois  prêtres  apos- 
tats, qui  avaient  procédé  à  l'interrogatoire  en  qualité 
de  commissaires ,  s'avisa  de  célébrer,  en  présence 
des  détenus,  une  messe  constitutionnelle.  La  tenue 
du  célébrant  ne  fut  pas  moins  déplorable  que  celle 
de  l'assistance.  Le  même  scandale  se  renouvela  le 
dimanche  suivant;  puis  tout  office  fut  supprimé. 
Cependant,  M.  de  Montai  insinue  que  le  nombre  des 

28 


434  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

prêtres  constitutionnels,  comme  celui  des  prêtres 
insermentés  était  assez  considérable  ;  il  ne  s'occupe 
que  des  premiers.  Il  y  aurait  eu,  ce  me  semble,  une 
grande  leçon  à  tirer  de  ce  rapprochement  forcé, 
auquel  la  révolution  condamnait  les  uns  et  les  autres; 
tous  les  constitutionnels  ne  parurent  pas  la  com- 
prendre; il  s'en  trouvait  parmi  eux  qui  auraient  scan- 
dalisé les  halles  par  leurs  propos  grossiers;  laissons- 
les  à  leur  ignominie. 

M.  Moulland,  curé  de  Saint-Martin  de  Bayeux ,  et 
M.  Menand,  curé  de  Saint-Sauveur,  paraissaient  fort 
irrités  contre  l'impiété  révolutionnaire;  et  cependant 
ils  se  tinrent  constamment  à  l'écart,  et  repoussèrent 
toutes  les  avances  de  l'aristocratie.  Pour  eux,  les 
gentilshommes  étaient  des  tiercelets  et  les  prêtres 
non-sermentés,  des  parjures.  Ils  exprimaient  tout 
haut  leur  indignation  de  se  voir  confondus  parmi  eux. 
Au  contraire,'  M.  Bajot,  vicaire-général  de  l'abbé 
Fauchet,  et  M.  Lacauve  avaient  laissé  l'un  et  l'autre 
à  M.  de  Montai  de  très-bons  souvenirs.  Ils  cherchaient 
à  se  rendre  utiles  aux  détenus ,  en  s'occupant  avec 
adresse  d'assainir  et  d'embellir  la  cour.  A  côté  d'eux 
nous  rencontrons  M.  Dabit,  vicaire  épiscopal  et  su- 
périeur du  séminaire  de  Bayeux,  après  le  départ  des 
Lazaristes.  Il  avait,  comme  son  collègue  Simien- 
Despréaux,  contracté  une  union  sacrilège.  Celui-là — 
je  ne  saurais  dire  pourquoi  —  M.  de  Montai  le  couvre 
de  son  indulgence;  il  lui  consacre  quelques  vers  ; 
il  loue  «  sa  sensibilité  »  et,  quoiqu'il  lui  prédise  sa 
conversion,  on  ne  saurait  dire  précisément  jusqu'à 
quel  point  il  le  condamne.   Singulière  époque!  Un 


DE  BAYEUX.  435 

pied  sur  l'échafaud,  on  agitait  légèrement  les  ques- 
tions les  plus  graves.  Pour  être  salué  comme  un 
sage,  on  cherchait  le  mot  piquant  qu'on  léguerait  à 
ses  amis;  on  essayait  de  sourire  en  face  de  la  mort  ! 

Un  type  encore  plus  étrange  est  celui  de  M,  Biet, 
curé  de  la  Madeleine,  à  Bayeux.  La  veille,  il  sié- 
geait parmi  les  commissaires  et  interrogeait  les  dé- 
tenus. Le  lendemain,  un  mandat  d'arrêt  le  mit  sous 
les  verrous.  D'abord,  il  parut  ne  rien  comprendre  à 
ce  revers  de  fortune;  mais  bientôt  son  étonnement 
fit  place  à  la  plus  vive  reconnaissance ,  quand  il  vit 
les  détenus  partager  fraternellement  avec  lui  leurs 
meilleures  provisions.  Il  se  montra  très-reconnais- 
sant pour  ses  nouveaux  amis,  et  appuya  de  tout  son 
pouvoir  leurs  réclamations  auprès  de  la  Société  po- 
pulaire. 

Enfin,  nous  ne  pouvons  oublier  ici  le  respectable 
abbé  de  Croisilles,  ancien  vicaire  épiscopal  de  l'abbé 
Fauchet,  et  qui  devait  remplir  des  fonctions  analogues 
sous  Mgr  Brault.  Lui  aussi  avait  eu  le  malheur  d'a- 
jouter foi  aux  promesses  de  la  révolution  ;  lui  aussi 
partageait  la  prison  de  M.  de  Montai,  et,  s'il  faut  en 
croire  celui-ci,  il  admirait  à  chaque  instant  la  poli- 
tesse exquise  avec  laquelle  les  détenus  de  son  rang 
traitaient  leurs  ennemis  politiques.  Nous  avons  ra- 
conté [p.  257]  comment  il  reconnut  et  expia  ses 
torts. 

M.  de  Montai  nous  entretient  plusieurs  fois  des 
religieuses  incarcérées  à  la  Charité.  Il  leur  avait 
voué  une  tendre  reconnaissance.  Au  commence- 
ment de  l'année  1794,  à  une  époque  que  le  manus- 


436  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

crit  ne  précise  pas ,  l'administration  du  district  fit 
main  basse  sur  une  multitude  de  ces  saintes  filles,  qui 
avaient  échappé  à  une  première  arrestation;  elles 
furent  envoyées  à  la  Charité  de  Bayeux.  Entrons-y 
quelques  instants,  et  voyons  quelle  impression  elles 
produisirent  sur  les  détenus.  Leur  arrivée  eut  quelque 
chose  de  solennel.  Elles  marchaient  sur  deux  rangs, 
les  yeux  baissés ,  et  gardaient  un  profond  silence , 
comme  si  la  cloche  les  eût  appelées  à  quelque  pieux 
exercice.  Leur  maintien  grave  et  recueilli,  la  sérénité 
de  leur  âme,  le  dévouement  qu'elles  mirent  dès  le 
premier  jour  au  service  des  prisonniers,  il  n'en  fallait 
pas  d'autres  pour  leur  conquérir  l'admiration  sympa- 
thique de  M.  de  Montai.  Il  est  cependant  un  petit 
reproche  que  nous  oserons  lui  adresser.  C'est  en 
vain  que  l'on  chercherait  dans  son  manuscrit  quelques 
détails  statistiques ,  par  exemple  ,  sur  le  nombre  et 
l'espèce  des  différents  ordres  que  l'on  engouffrait 
ainsi  dans  la  prison  commune.  11  ne  nous  entretient 
que  de  ses  impressions  personnelles;  contentons- 
nous  donc  de  relever  après  lui  quelques  traits  édi- 
fiants. Il  est  impossible,  par  exemple,  que  nous 
passions ,  sans  nous  arrêter,  devant  Mmes  de  la  Tour 
du  Pin,  l'aînée,  ci-devant  abbesse,  la  seconde,  reli- 
gieuse dans  la  maison  de  sa  sœur(1).  La  résignation 
calme  et  pieuse,  avec  laquelle  on  les  voyait  l'une  et 
l'autre  supporter  les  rigueurs  de  la  détention,  impres- 
sionnait vivement  les  détenus.  L'un  d'eux,  prêtre 
constitutionnel,  disait  à  qui  voulait  l'entendre,  «  que 

(1)  Ces  deux  dames  appartenaient  à  l'ordre  des  Bernardines. 


DE  BAYEUX.  437 

l'exemple  de  ces  dames  lui  avait  fait  comprendre 
l'étendue  de  sa  faute,  et  qu'il  ajoutait  à  ses  remords.  » 
11  est  regrettable  que  M.  de  Montai  ait  passé  sous  si- 
lence le  nom  de  ce  digne  prêtre;  mais  nous  espérons 
que  plus  d'un  lecteur  l'a  déjà  deviné. 

Quoique  M.  de  Montai  fût  d'une  morale  beaucoup 
trop  facile,  —ses  vers,  hélas!  nous  en  fournissent 
la  preuve ,  —  il  était  saintement  ému  toutes  les  fois 
qu'il  se  trouvait  en  contact  avec  les  religieuses,  ses 
compagnes  de  captivité.  Dieu  parlait  alors  à  son 
cœur.  «  Quoique  homme  du  monde ,  autant  que» 
personne,  »  c'est  ainsi  qu'il  se  désigne  lui-même,  il 
avait  obtenu  comme  une  grâce  de  passer  une  heure 
chaque  jour  auprès  des  dames  de  la  Visitation.  Deux 
étaient  aveugles  et  octogénaires;  la  plus  alerte  avait 
soixante-dix  ans.  Eh  bien,  malgré  leur  décrépitude, 
leurs  infirmités  et  leur  austère  piété ,  elles  édifiaient 
le  vieux  gentilhomme  par  une  gaieté  séraphique. 
Elles  nous  apprenaient,  dit-il,  à  «  charmer  nos  ver- 
rous; »  elles  étaient  pour  nous  «  comme  les  co- 
lombes de  l'arche;  »  chacun  sentait  le  besoin  de 
s'abriter  sous  leur  innocence. 

Malgré  les  ressources  que  lui  procuraient  ses  amis 
du  dehors ,  M.  de  Montai  endurait  quelquefois  de 
dures  privations.  Le  pain  moisi  qui  lui  servait  de 
nourriture,  à  la  prison,  ne  convenait  guère  à  son 
régime.  Un  jour,  une  religieuse,  dont  il  avait  ému 
la  pitié ,  se  rappelle  qu'au  moment  de  son  arres- 
tation, elle  a  déposé  dans  une  maison  de  la  ville,  une 
légère  provision  de  blé.  Vite,  elle  réclame  son  dépôt, 
et,  le  lendemain,  elle  offrait  au  vieux  soldat  un  petit 


438  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

pain  frais  et  savoureux,  qui  eût  fait  les  délices  d'un 
roi.  C'était  bien  le  cas  d'improviser  un  quatrain.  Le 
pain  azyme,  que  les  juifs  préparaient  pour  célébrer  la 
pâque,  celui  dont  un  corbeau  nourrit  au  désert  saint 
Paul  et  saint  Antoine,  en  fournirent  le  texte.  L'auteur 
était  dans  le  ravissement;  mais,  ce  qui  le  frappait 
plus  que  tout  le  reste,  c'était  l'esprit  de  dépouillement 
et  de  mortification  qui  animait  ses  saintes  compa- 
gnes. «  Hélas!  s'écrie-t-il ,  il  est  donc  vrai  qu'il  ne 
faut  pas  plus  de  nourriture  aux  saintes  qu'aux  ca- 
naris 1  Ce  serait  bien  le  moment  de  ressembler  à  ces 
dames.  » 

C'est  que,  en  effet,  les  rigueurs  de  la  prison  deve- 
naient, sous  ce  rapport,  de  plus  en  plus  intolérables. 
Tous  les  prisonniers  n'étaient  pas  soumis  au  même 
régime.  Ceux  qui  pouvaient  se  faire  apporter  des 
comestibles  par  leurs  domestiques  ou  leurs  parents, 
mangeaient  à  leur  chambre;  les  autres  devaient  se 
contenter  du  réfectoire  commun.  Là,  chacun  prenait 
place  au  banquet,  sans  nappe  ni  serviette;  c'est  ce 
que  faisaient  les  religieuses.  Sur  la  modique  pension 
que  l'État  leur  accordait ,  l'administration  leur  rete- 
nait «  quarante  sols  par  jour.  »  Le  pain  valait  douze 
sols  la  livre ,  et  les  rations  diminuaient  à  chaque 
instant.  Enfin,  sans  parler  de  la  disette  dans  laquelle 
elles  vivaient,  les  religieuses  avaient  encore  à  craindre 
les  tracasseries  du  geôlier.  Les  surveillants  leur  fai- 
saient la  guerre,  quand  ils  les  surprenaient  récitant 
leur  chapelet  clans  les  basses-cours.  Une  de  celles 
qui  étaient  aveugles  n'avait  d'autre  occupation  que 
de  baiser  respectueusement  le  crucifix.  Elle  s'était 


DE  BÀYEUX.  439 

fait  une  pochette  sur  son  cœur,  où  elle  le  cachait  à 
la  moindre  alerte.  «  Mondains,  à  genoux  devant 
cette  simplicité,  »  nous  écrierons-nous  ici,  avec  M.  de 
Montai  ! 

Une  proclamation  violente  avait  été  adressée,  par 
le  représentant  Bourret,  aux  chrétiens  de  la  Manche 
et  du  Calvados.  Quelque  temps  après,  le  terrible 
proconsul  se  rendit  à  Bayeux  et  s'y  montra  sous 
un  aspect  tout  différent.  Qu'on  n'aille  pas  au  delà 
de  notre  pensée.  Les  mesures  dont  il  frappa  le  culte 
catholique  dans  la  ville  épiscopale ,  ne  furent  ni 
moins  injustes  ni  moins  odieuses  que  celles  dont  il 
avait  usé  partout  ailleurs.  Ce  que  nous  voulons  dire, 
c'est  que,  si  l'on  lient  compte  des  faits  racontés  par 
M.  de  Montai ,  on  ne  peut  nier  qu'à  la  prison  de 
Bayeux,  Bourret  et  Frémenger,  armés  l'un  et  l'autre 
d'un  pouvoir  sans  limites,  ne  se  soient  montrés  doux 
et  cléments.  —  Laissons  donc  parler  notre  écrivain. 
Avant  leur  arrivée,  nous  dit-il,  on  nous  vantait  déjà 
«  leur  bonhomie  ;  »  on  comptait  les  prisonniers  qu'ils 
avaient  rendus  libres;  on  leur  envoya  des  visiteurs 
à  Caen,  pour  leur  souhaiter  la  bienvenue.  En  pas- 
sant au  milieu  de  nous,  «  ils  firent  tout  le  bien  qu'ils 
pouvaient  faire  ;  »  ils  blâmèrent  énergiquement  les 
persécutions  du  geôlier-chef;  ils  le  traitèrent  comme 
«  une  bête  fauve.  »  Pendant  toute  une  journée,  les 
détenus  obtinrent  «  vacances  générales.  »  La  porte  fut 
ouverte  à  leurs  parents  et  à  leurs  serviteurs  :  c'était 
fête  partout.  Avait-on  quelques  motifs  d'espérance, 
on  se  les  communiquait  aussitôt.  Rencontrait-on 
ses  amis,  on  les  embrassait,   comme  quand  on 


440  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

vient  d'échapper  à  quelque  grand  péril.  Pendant  ce 
temps-là,  Bourret  recevait  de  toutes  mains  les  péti- 
tions que  lui  présentaient  les  détenus.  Il  alla  même 
quelquefois  au-devant  de  leurs  désirs.  Au  moment 
de  son  arrivée,  on  lui  signale  au  milieu  de  la  foule  un 
vieillard  octogénaire,  qui  souffrait  cruellement  d'une 
hémorrhagie;  il  se  nommait  M.  de  La  Couronne; 
Bourret  lui  demande  son  nom,  lui  adresse  quelques 
paroles  bienveillantes,  et,  sans  autre  information,  le 
met  en  liberté  lui  et  ses  trois  filles.  On  devine  l'en- 
thousiasme qu'excitèrent  ces  nouvelles  dans  les  diffé- 
rents quartiers  de  la  priâon.  Durant  trois  jours,  le 
représentant  visita  les  détenus  ;  mais  ce  fut  à  la  no- 
blesse qu'il  distribua  principalement  ses  faveurs. 
Les  prêtres  et  les  fédéralistes  essuyèrent  de  sa  part 
quelques  apostrophes  hautaines;  l'auteur  ne  cite 
aucune  grâce  obtenue  par  eux. 

Cependant  les  terroristes ,  frémissant  de  colère  , 
résolurent  de  perdre  le  proconsul.  Ils  le  dénoncèrent 
à  la  Convention,  l'accusèrent  de  vénalité,  et  la  Con- 
vention ordonna  son  rappel.  Ce  fut  un  jour  de  deuil 
pour  les  détenus.  Un  certain  nombre  de  pétitions, 
visées  par  le  comité  et  appuyées  par  les  sections , 
allaient  probablement  être  exaucées  ;  il  fallut  re- 
noncer à  cet  espoir.  Bourret  était-il  vraiment  cou- 
pable d'avoir  vendu  la  liberté  à  quelques  proscrits? 
Ce  point  reste  nuageux  sous  la  plume  de  M.  de  Montai 
qui,  pourtant,  ne  semble  pas  en  convenir.  Toujours 
est-il  qu'avant  de  quitter  le  département,  il  revint  à 
la  prison  de  Bayeux  ,  où  il  accomplit  un  grand  acte 
de  justice.  Il  destitua  le  geôlier-chef,  et  les  détenus 
purent  enfin  respirer. 


DE   BAYEUX.  441 

Son  nom  se  rattache  encore  d'une  manière  très- 
honorable  à  l'une  des  anecdotes  que  raconte  M.  de 
Montai.  On  sait  que,  de  temps  en  temps ,  on  remé- 
diait à  l'encombrement  des  prisons  au  moyen  de  la 
guillotine.  Le  jour  était  arrivé  où  le  pourvoyeur  du 
tribunal  révolutionnaire  allait  retourner  à  Paris,  et 
il  venait  d'appeler  M.  de  Crux  pour  compléter  une 
charretée  de  victimes  destinées  au  bourreau.  Averti 
que  cet  homme  est  allé  prendre,  avant  le  départ, 
les  ordres  du  comité,  M.  de  Crux ,  jeune  et  vigou- 
reux ,  s'élance  par  la  fenêtre ,  tombe  sur  un  ber- 
ceau d'arbres  qui  se  trouvaient  dans  le  jardin  , 
franchit  le  guichet  et  se  sauve  à  travers  la  cam- 
pagne. Bourret  n'avait  pas  encore  quitté  notre 
département;  M.  de  Crux  ose  se  présenter  à  lui; 
il  lui  raconte  son  évasion  et  obtient  sa  grâce.  Ce 
n'est  pas  tout,  M.  de  Crux  apprend  que  les  concierges 
Henri  et  Chemin,  le  cuisinier  Baron,  ont  été  accusés 
et  punis  comme  ayant  favorisé  son  évasion.  Il  re- 
vient à  Bayeux ,  rend  témoignage  de  leur  inno- 
cence ,  et  leur  offre  une  gratification  pour  leur 
faire  oublier  les  heures  de  cachot  qu'on  leur  avait 
infligées.  On  est  heureux  de  trouver  dans  un  proscrit 
tant  de  délicatesse  unie  à  tant  de  courage  ! 

La  destitution  du  geôlier  avait  été  prononcée  par 
Bourret.  D'un  autre  côté ,  l'administration  munici- 
pale venait  de  recevoir  un  nouveau  chef  :  deux 
membres  du  conseil  furent  nommés  administrateurs 
de  la  prison.  Débarrassés  du  despotisme  brutal  au- 
quel ils  étaient  inféodés ,  les  porte-clefs  se  montrè- 
rent beaucoup  plus  faciles ,  et,  comme  s'ils  eussent 


442  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

voulu  soulager  leur  conscience,  ils  accusèrent  le  ci- 
devant  geôlier  de  toutes  les  iniquités  dans  lesquelles 
ils  avaient  trempé  depuis  six  mois.  —  Ajoutons,  pour 
faire  plaisir  à  M.  de  Montai,  que  le  cuisinier  était  de- 
venu très-obligeant.  — Les  livres  de  piété  reparurent 
donc  dans  les  mains  des  détenus.  Les  prêtres  furent 
libres  de  réciter  leur  bréviaire  ;  les  religieuses  osè- 
rent de  nouveau  montrer  leurs  chapelets.  Le  Carême 
de  1794  était  commencé.  Les  nouvelles  de  Paris  ar- 
rivaient chaque  jour  plus  sinistres  ;  la  plupart  des 
chefs  de  famille  écrivaient  leur  testament  ;  chacun 
senlait  le  besoin  d'interroger  sa  conscience  et 
de  se  remettre  entre  les  mains  de  Dieu.  Plusieurs 
catholiques  imaginèrent  de  faire,  en  commun, 
quelque  pieuse  lecture  propre  à  réveiller  les  pensées 
de  la  foi.  On  se  procura,  d'un  commun  accord, 
Massillon  et  Bourdaloue  ;  M.  de  Montai  fut  choisi 
pour  lecteur.  Le  vieux  capitaine,  qui  avait  fait  vingt- 
cinq  ans  de  service  et  dix-huit  campagnes ,  n'était 
pas  préparé  à  ce  genre  d'exercice.  Il  avoue  même 
qu'il  n'avait  pas  toujours  servi  Dieu  aussi  bien  que 
son  pays.  N'importe  ,  il  se  laissa  transformer  en 
prédicateur  de  l'Évangile.  Chaque  jour  une  société 
de  cinquante  personnes  environ  se  réunissait  autour 
de  lui.  Puis,  la  lecture  une  fois  terminée,  on  discu- 
tait en  commun  le  mérite  des  deux  orateurs.  On 
connaît  le  mot  charmant  de  Mme  de  Sévigné  à  propos 
de  Bourdaloue.  S'il  faut  en  croire  M.  de  Montai,  les 
«  écoutantes  »  de  la  prison  de  Bayeux  ne  l'auraient 
pas  démentie.  Ce  qui  leur  plaisait  dans  Massillon  , 
c'était  surtout  l'alliance  de  la  religion  et  de  la  philo- 


DE  BAYEUX.  443 

sophie;  mais,  dans  Bourdaloue,  elles  admiraient 
l'évidence  avec  laquelle  sont  démontrés  «  les  grands 
principes  de  la  foi.  »  Ces  lectures  publiques  eurent 
un  plein  succès  à  la  prison  de  Baveux.  Les  surveil- 
lants n'essayèrent  pas  de  les  interdire,  et,  parmi  les 
détenus,  les  révolutionnaires  les  plus  ardents  n'en 
réclamèrent  jamais  la  suppression. 

Il  y  aurait  a  recueillir  ça  et  là,  dans  le  manuscrit 
de  M.  de  Montai ,  bien  d'autres  détails  émouvants  ; 
mais  ces  petites  scènes  de  la  vie  privée  ,  où  l'écri- 
vain met  en  relief  les  personnes  de  sa  société,  n'ap- 
partiennent point  à  l'histoire  du  diocèse.  Toutefois, 
on  nous  pardonnera  de  nous  associer  aux  sentiments 
d'admiration  qu'inspirait  au  vieux  gentilhomme  le 
courage  de  sa  belle-sœur.  Mme  d'Albignac  est  vrai- 
ment son  héroïne,  et  on  ne  peut  trop  l'en  féliciter. 
Mère  de  cinq  enfants,  presque  tous  en  bas  âge,  elle 
avait  été  élargie  par  Bourret  ;  et  les  honnêtes  gens 
de  tous  les  partis  avaient  applaudi  à  cetle  mesure. 
Au  commencement  de  thermidor,  Mme  d'Albignac  fut 
réintégrée  a  la  Charité  ;  on  lui  reprochait  d'avoir 
dirigé  les  manœuvres  du  général  de  Wimpl'fen  !  Le 
départ  du  convoi  qui  devait  l'emmener  à  Paris  ayant 
été  différé  de  quelques  jours,  elle  en  profita  pour 
se  préparer  à  la  mort.  Soutenue  par  une  fermeté 
douce  et  calme  ,  elle  relevait  le  courage  de  ceux  qui 
la  pleuraient.  Seul  l'avenir  de  ses  enfants  préoccu- 
pait cruellement  sa  tendresse.  Elle  partit  de  Bayeux, 
accompagnée  «  des  trois  de  Faudoas ,  fille,  sœur  et 
père,  »  et  fit  la  route  de  Paris,  enfermée  avec  eux 
dans  la  même  voiture. 


444  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

Bientôt  après,  les  journaux  annoncèrent  la  mort 
de  cette  famille,  et,  en  même  temps,  le  bruit  se  ré- 
pandit à  la  prison  que  Mme  d'Albignac  avait  partagé 
son  sort.  Cette  grande  douleur  devait  être  épargnée 
à  M.  de  Montai.  Mme  d'Albignac ,  arrivée  à  Paris,  fut 
déposée  «  au  couvent  des  Anglaises.  »  Elle  était  assi- 
gnée pour  le  13  thermidor;  la  mort  de  Robespierre 
lui  rendit  la  liberté.  M.  de  Montai  ne  quitta  la  prison 
de  Bayeux  qu'au  mois  d'octobre.  Son  cœur  était 
toujours  plein  de  reconnaissance  pour  «  les  bonnes 
sœurs  qui  l'avaient  si  évangéliquement  traité.  »  On 
lit  avec  plaisir,  à  la  fin  de  son  mémoire ,  les  tou- 
chants adieux  qu'il  leur  adresse. 


DE  BAYEUX.  445 


ADDENDA. 


MÉMOIRE  POUR  SERVIR  A  L'HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

DE  BAYETTX 

ET  DU  DÉPARTEMENT  DU  CALVADOS. 


Tel  est  le  titre  d'un  manuscrit  qui  existe  depuis  long-        origine 

de  ce 

temps  à  la  bibliothèque  de  Bayeux,  et  sur  lequel  nous  mémoire. 
croyons  utile  de  donner  d'abord  quelques  renseignements. 
Il  comprend  quatorze  cahiers,  de  douze  feuilles  chacun, 
en  petite  écriture  très-serrée.  Il  commence  à  l'épiscopat 
de  Mer  de  Nesmond,  et  se  termine  à  la  mort  de  M.  l'abbé 
Duchemin,  second  évêque  constitutionnel  du  Calvados. 
Ce  manuscrit  ne  porte  pas  de  signature,  mais  la  prove- 
nance en  est  bien  établie.  Il  fut  rédigé  par  M.  l'abbé 
Bisson,  troisième  évêque  constitutionnel.  Après  sa  mort, 
il  passa  entre  les  mains  de  M.  l'abbé  Moulland,  dont  la 
famille  l'a  déposé  à  la  bibliothèque  de  Bayeux.  Pour 
l'histoire  du  diocèse,  la  valeur  de  ce  document  était  donc 
du  plus  grand  prix. 
Avant  d'aborder  l'histoire  du  schisme  constitutionnel, 


446 


HISTOIRE  DU  DIOCESE 


Ce  qu'il 
contient. 


Comment 

nous  en  avons  eu 

connaissance. 


M.  Bisson  a  donné  la  biographie  des  quatre  derniers 
évêques  institués  sous  l'ancien  régime  ;  nous  dirons 
tout-à-1'heure  ce  qu'il  pense  de  leur  épiscopat.  Puis,  l'abbé 
Fauchet  succède  à  Mgr  de  Cheylus,  et  tandis  que  les  bro- 
chures du  temps  se  bornent  à  l'exalter  comme  un  tribun 
démagogue,  M.  Bisson  apprécie  son  administration  et  la 
critique  quelquefois.  Au  moment  où  l'abbé  Fauchet  porta 
sa  tête  sur  l'échafaud,  la  persécution  décimait  les  prêtres 
j ureurs,  aussi  bien  que  les  insermentés.  Que  devinrent 
alors,  dans  notre  diocèse,  les  débris  du  culte  constitu- 
tionnel ?  Sollicité  par  M.  Moulland,  l'un  des  curés  de 
Bayeux,  M.  G-ratien,  métropolitain  des  côtes  de  la  Manche 
(Rouen),  essaie  d'organiser  à  Bayeux  un  semblant  d'église. 
Il  fonde,  sous  le  nom  de  presbytère,  une  administration  à 
laquelle  il  confie  le  gouvernement  du  diocèse  pendant 
l'interrègne.  Viennent  ensuite  M.  Duchemin,  élu  en  1799, 
et  M.  Bisson  qui  lui  succéda  la  même  année.  Les  rensei- 
gnements que  celui-ci  nous  a  laissés  sur  cette  partie  de 
l'histoire  diocésaine  sont  donc  du  plus  haut  intérêt  :  on 
les  trouvera  au  commencement  de  notre  troisième  volume, 
après  la  mort  de  M>r  de  Cheylus. 

A  l'époque  où  nous  publiâmes  le  premier  volume  de 
notre  histoire ,  nous  n'avions  jamais  eu  entre  les  mains 
le  manuscrit  de  M.  Bisson  ;  la  communication  nous  en 
avait  été  refusée.  Quelques  amis,  plus  heureux  que  nous, 
furent  admis  à  le  dépouiller,  et  voulurent  bien  nous  en 
communiquer  des  extraits  ;  qu'ils  reçoivent  ici  l'expression 
de  notre  plus  vive  reconnaissance. 

Ce  n'est  pas  d'hier  que  les  pauvres  compilateurs  font 
la  chasse  aux  manuscrits.  Au  commencement  de  leur  cin- 
quième volume,  les  Bollandistes  se  plaignent  avec  une 
certaine  amertume  des  refus  qu'ils  essuyaient  à  chaque 
instant  de  la  part  des  chapitres  et  des  communautés.  Une 
lettre  très-curieuse,  publiée  par  M.  Léopold  Delisle,  dans 


DE  BAYEUX.  447 

la  Vie  du  Bienheureux  Thomas  Hèlie,  nous  représente 
l'infatigable  P.  du  Monstier,  l'auteur  du  Neustria  Pia, 
éconduit  par  un  religieux  du  monastère  de  Conches,  sans 
avoir  eu  connaissance  des  ouvrages  qu'il  lui  demandait. 
Certes,  il  se  fût  alors  estimé  bien  heureux,  s'il  eût  pu  re- 
cevoir de  seconde  main  quelques  renseignements  utiles,  à 
la  condition  de  ne  point  en  ébruiter  la  source.  C'est  pré? 
cisément  ce  qui  nous  est  arrivé,  et  voilà  pourquoi,  dans 
notre  premier  volume,  nous  avons  quelquefois  gardé  le 
silence  sur  l'origine  de  nos  citations  ;  aujourd'hui,  le  voile 
est  déchiré  ;  le  manuscrit  est  entre  nos  mains  ;  nous 
prions  donc  nos  lecteurs  de  jeter  avec  nous  un  coup 
d'œil  en  arrière  sur  l'épiscopat  de  Mïï  de  Nesmond,  et 
sur  celui  des  trois  autres  prélats  qui  se  succédèrent  jus- 
qu'à la  révolution.  Ceux  qui,  il  y  a  vingt  ans,  nous  don- 
nèrent un  vote  de  confiance ,  ont  le  droit  de  savoir  que 
nous  n'en  avons  point  abusé. 


«  Quoiqu'il  y  ait  un  siècle  que  ce  bon  prélat  n'existe  m**  de  Nesmond. 
plus ,  dit  M.  Bisson ,  sa  mémoire  n'est  pas  éteinte.  Peu 
d'évêques  ont  été  plus  que  lui  attachés  à  leurs  devoirs ,  et 
aucune  considération  humaine  n'eût  été  capable  de  les 
lui  faire  négliger.  On  le  trouvait  toujours  disposé  à  adop- 
ter et  à  faire  le  bien  qu'on  lui  indiquait,  et,  pour  cet 
effet ,  il  ne  craignait  ni  fatigue  ni  dépense.  C'était  tou- 
jours avec  un  nouveau  zèle  qu'il  visitait  son  diocèse,  et 
ses  visites,  soutenues  par  son  exemple  et  ses  libéralités, 
produisaient  les  plus  grands  fruits.  Ferme  et  décidé, 
quand  il  croyait  devoir  l'être,  il  ne  craignait  personne,  et 
il  était  lui-même  la  terreur  des  méchants  ;  mais  son  zèle 
était  sans  passion  et  toujours  dirigé  par  la  charité.  Il 
aimait  les  pécheurs  et  cherchait  à  les  gagner  par  tous  les 


448  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

moyens  qui  étaient  en  son  pouvoir.  Ce  n'était  qu'aux 
vices  et  aux  abus  qu'il  faisait  une  guerre  implacable.  Dès 
qu'on  se  corrigeait,  il  devenait  un  tendre  ami  et  un  père 
charitable.  Comme  il  n'était  ni  orgueilleux  ni  flatteur,  il 
ne  cultivait  pas  les  grands  et  ne  faisait  sa  cour  à  per- 
sonne. Il  faisait  asseoir  et  se  couvrir  devant  lui  les  moin- 
dres du  clergé,  et  retenait  à  dîner  ceux  qui  venaient  de  la 
campagne.  C'était  surtout  les  bons  curés  qu'il  chérissait  ; 
en  toute  circonstance,  il  était  leur  consolation  et  leur 
appui.  Sa  table  était  hospitalière ,  mais  frugale  et  sans 
faste  ;  ses  ameublements  étaient  simples  ;  il  n'accordait  à 
sa  dignité  que  ce  qu'il  ne  croyait  pas  pouvoir  lui  refuser 
sans  indécence.  Son  caractère  était  l'amour  du  bien ,  une 
bonté  inépuisable ,  sur  laquelle  tout  le  monde  avait  des 
droits.  Il  était  aussi  bon  citoyen  qu'il  était  bon  prêtre.  Ce 
n'est  pourtant  pas  qu'on  le  vît  à  Versailles  faire  une  cour 
assidue  ;  il  n'y  paraissait  que  lorsque  c'eût  été  une  faute 
de  ne  pas  y  venir.  »  Il  s'y  présentait  donc  quelquefois,  et 
Louis  XIV,  «  qui  connaissait  les  hommes ,  —  dit  notre 
manuscrit ,  —  faisait  de  lui  le  plus  grand  cas.  Quand  les 
bouffons  de  sa  cour  railliaient  le  chétif  équipage  du  pieux 
évêque,  le  roi  leur  imposait  silence.  »  Il  ne  pouvait  ou- 
blier que,  pendant  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne, 
Monsieur  de  Bayeux  lui  avait  envoyé  un  régiment  équipé 
à  ses  frais.  L'aumône  que  le  prélat  sut  faire  noblement  à 
son  roi,  il  la  répandait  autour  de  lui  avec  une  profusion 
inépuisable.  «  Il  était  vraiment  le  père  des  pauvres  ;  aucun 
sacrifice  ne  lui  coûtait  quand  il  s'agissait  de  les  secourir. 
On  le  vit  un  jour  vendre  une  partie  de  ses  meubles  pour 
leur  en  distribuer  le  prix.  En  mourant,  il  leur  légua  ses 
entrailles  (1)  avec  une  somme  de  cent  mille  livres.  »  En- 
fin ,  pour  que  rien  ne  manque  à  l'impartialité  de  ce  juge- 
ment, M.  Bisson  avoue,  comme  il  convient,  que,  sans  doute, 
(1)  Aux  pauvres  de  l'hôpital  de  Bayeux. 


DE   BAYEUX.  449 

«  Mgr  de  Nesniond  n'était  pas  sans  défauts  ;  »  mais  il  ajoute 
que  «  ses  qualités  et  ses  vertus  les  avaient  complètement 
effacés.  » 

Ce  résumé  est  à  nos  yeux  une  pièce  capitale.  Il  repro- 
duit tous  les  éloges  que  nous  avons  décernés  à  Mgr  de 
Nesmond  ;  il  va  même  au  delà  quelquefois  ;  mais,  en  tous 
cas,  les  jugements  de  l'auteur  confirment  les  nôtres.  Donc 
ils  ont  été  puisés,  de  chaque  côté,  à  une  source  véridique. 
Pour  être  certain  que  l'on  a  la  vérité  sous  les  yeux,  il 
suffit  qu'on  la  trouve  exprimée  d'une  façon  à  peu  près 
identique ,  par  deux  écrivains  qui  ne  se  sont  pas  connus , 
et  qui ,  placés  à  des  points  de  vue  différents,  peuvent  mu- 
tuellement se  servir  de  contrôle.  Or,  c'est  précisément  ce 
qui  nous  arrive  aujourd'hui.  Quand,  par  exemple,  nous 
avons  raconté  la  part  que  prit  l'évêque  de  Bayeux  aux 
affaires  du  jansénisme ,  nous  avons  dit  que  la  bonté  de 
son  cœur  ne  dégénéra  jamais  en  faiblesse,  M.  Bisson  le 
constate  comme  nous,  sans  le  lui  reprocher  ;  et  pourtant, 
s'il  faut  l'en  croire ,  les  affaires  de  la  bulle  se  réduisaient 
aux  proportions  d'une  querelle  de  parti  ;  les  théologiens 
dissidents  ont  toutes  ses  préférences ,  et  il  n'est  pas  un 
seul  point  de  cette  mémorable  controverse,  sur  lequel  notre 
écrivain  n'eût  été  censuré  par  Mgr  de  Nesmond.  N'importe, 
quand  il  apprécie  les  actes  de  son  épiscopat ,  il  s'élève  au- 
dessus  de  ses  opinions  personnelles.  A  ses  yeux ,  Mgr  de 
Nesmond  était  «  un  saint,  »  c'est  l'expression  dont  il  se 
sert,  et  il  craindrait  de  toucher  à  son  auréole. 

A  peine  Mgr  de  Nesmond  a-t-il  disparu  de  la  scène  que  M«r  de  Lorraine. 
M.  Bisson  se  montre  plus  agressif.  A  l'entendre,  si  les 
discussions  des  écrivains  catholiques  avec  les  sectaires  ont 
abouti  à  la  violence,  la  faute  en  est  aux  jésuites  qui  pas- 
sionnèrent le  débat.  Quant  aux  jugements  que  la  cour 
de  Rome  a  fulminés  contre  Mgr  de  Lorraine ,  il  en  parle 

comme  s'il  ne  leur  attribuait  aucune  valeur.  Toutefois ,  il 

29 


450  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

reconnaît  que,  en  se  plaçant  à  la  tête  du  parti  janséniste, 
M gr  de  Lorraine  le  rendit  plus  audacieux,  et  attira  sur 
lui-même  toutes  les  colères  du  «  parti  opposé.  »  Ainsi 
donc  —  questions  d'école,  —  intrigues  de  parti,  —  c'est 
ainsi  que  M.  Bisson  résume  la  controverse.  Est-il  besoin 
d'ajouter  que  cette  manière  d'apprécier  les  hommes  et  les 
choses  ne  pouvait  nous  convenir  ?  Quand  il  s'agit  de  la 
doctrine  de  l'Eglise ,  nous  ne  connaissons  pas  de  milieu 
entre  la  révolte  et  la  soumission. 
M*r  de  Luynes.  Le  successeur  de  Mgr  de  Lorraine  n'a  point  trouvé  grâce 
devant  M.  Bisson.  Recueillons  pourtant,  çà  et  là,  quelques 
traits  à  sa  louange.  «  Mgr  de  Luynes,  dit  l'auteur,  avait 
un  extérieur  aimable  et  prévenant ,  une  élocution  facile  ; 
il  séduisait  au  premier  abord.  Il  fit  parfois  quelques  con- 
cessions à  l'esprit  du  "monde,  mais  il  aima  sincèrement  la 
religion,  et  n'en  négligea  pas  les  pratiques.  Quoiqu'il  eût 
abandonné  par  dégoût  l'état  militaire,  il  en  avait  conservé 
l'esprit  impérieux  ;  il  voulait  être  obéi,  à  l'instant  et  sans 
réplique,  en  tout  ce  qui  avait  rapport  à  la  constitution.  » 
On  le  voit  déjà,  le  ton  de  l'écrivain  n'est  pas  toujours  ré- 
vérencieux; pourtant,  la  critique  jusqu'ici  n'a  pas  préci- 
sément le  droit  de  le  contredire.  Il  n'en  est  pas  de  même 
de  ce  qui  va  suivre.  «  Il  [Mgr  de  Luynes]  regardait  les 
allants  comme  des  ennemis  personnels,  dont  la  défaite 
était  nécessaire  à  sa  sûreté  et  à  son  bonheur.  »  Ici  l'esprit 
de  parti  aveugle  l'historien  ;  ce  ne  sont  pas  des  actes  qu'il 
incrimine  ;  ce  sont  les  intentions  qu'il  noircit  en  les 
interprétant.  Je  le  dis  à  regret,  cette  phrase  n'est  pas  la 
seule  à  laquelle  ce  reproche  soit  applicable. 

M.  Bisson  ne  paraît  pas  prendre  au  sérieux  le  titre 
d'Académicien  qu'avait  obtenu  Mgr  de  Luynes.  Il  recon- 
naît pourtant  qu'il  possédait  des  sciences  «  tout  ce  qu'il 
convient  à  un  grand  d'en  avoir.  Il  en  avait  assez,  dit-il, 
pour  écouter  les  savants  et  même  pour  converser  avec 


DE  BAYEUX.  451 

eux.  »  S'il  faut  l'en  croire,  ce  serait  sous  le  patronage  de 
l'un  d'entre  eux,  attaché  à  son  diocèse  (1),  qu'il  aurait 
obtenu  le  titre  d'Académicien. 

Les  reproches  que  M.  Bisson  adresse  à  Mgr  de  Luynes, 
à  l'occasion  de  son  nouveau  bréviaire,  n'eussent  pas  man- 
qué de  natter  le  prélat.  Il  les  eût  acceptés  comme  un 
brevet  d'orthodoxie  (2). 

Il  est  un  point  sur  lequel  nous  restons  parfaitement 
d'accord  avec  l'auteur  du  manuscrit.  Le  jugement  qu'il 
porte  sur  la  prétendue  possession  de  Mesdemoiselles  de 
Leaupartie,  est  celui  que  nous  avons  adopté  comme  le 
plus  exact  (3).  Il  dit  que  Mgr  de  Luynes  se  conduisit 
d'abord  avec  circonspection  et  sagesse  ;  mais  plus  tard, 
quand  l'imposture  eut  été  reconnue,  le  prélat  se  sentit 
piqué  au  vif,  et  s'en  prit  à  ceux  qui  avaient  contribué  à 
le  jeter  dans  l'illusion.  Cette  dernière  appréciation  est 
conforme  à  la  vérité. 

Si  l'on  s'en  rapportait  à  M.  Bisson,  Mgr  de  Luynes 
aurait  joué  dans  sa  vie  un  double  personnage.  A  Sens,  il 
se  serait  montré  envers  le  jansénisme  tout  différent  de  ce 
qu'il  avait  été  à  Bayeux.  «  L'opinion,  dit-il,  avait  changé, 
et  le  prélat  n'était  pas  un  homme  à  caractère.  »  Pour 
établir  ce  que  l'auteur  avance,  il  faudrait  d'autres  preuves 
que  celles  qu'il  apporte.  A  Bayeux ,  Mgr  de  Luynes  suc- 
cédait à  Mgr  de  Lorraine ,  qui  avait  mis  le  diocèse  en 
combustion  ;  son  successeur  n'avait  donc  rien  de  mieux  à 
faire  que  d'éteindre  l'incendie.  A  Sens,  au  contraire, 
Mgr  Languet,  prédécesseur  de  Mgr  de  Luynes ,  et  aupa- 
ravant évêque  de  Soissons ,  avait  déployé  contre  les  dissi- 
dents la  dialectique  la  plus  vigoureuse.  Il  avait  dit  tout 

(1)  V.  IIe  vol.,  p.  39,  l'abbé  Outhier,  Voyage  au  pôle  nord. 

(2)  V.  p.  62.  «  Ses  préjugés  ont  rendu  l'entreprise  imparfaite.  » 

(3)  V.  Opinion  du  P.  André  sur  Mesdemoiselles  de  Leaupartie.  — 
Pièces  justificatives,  p.  17. 


chouart. 


452  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

ce  qu'il  y  avait  à  dire.  Eût-il  été  à  propos  de  recommen- 
cer la  lutte,  au  moment  où  la  querelle  commençait  à  s'as- 
soupir ? 
m^  de  Roche-  La  croisade  que  Mgr  de  Luynes  avait  entreprise  contre 
le  jansénisme ,  fut  continuée  par  son  successeur.  Aussi , 
tout  en  reconnaissant  que  Mgr  de  Rochechouart  avait  de 
la  «  religion,  »  M.  Bisson  a-t-il  soin  d'ajouter  que  cette 
religion  n'était  pas  a  éclairée.  »  Quant  à  son  caractère,  il 
en  reproduit  assez  fidèlement  les  principaux  traits.  Irré- 
prochable dans  ses  mœurs ,  il  avait  un  cœur  généreux  ; 
il  accomplissait  fidèlement  les  devoirs  de  sa  charge,  «  il 
en  exerçait  volontiers  les  fonctions.  »  Il  ne  lui  en  coûtait 
point  de  rappeler  les  privations  qu'il  avait  essuyées  «  pen- 
dant sa  première  jeunesse ,  »  et  ce  souvenir  le  rendait 
compatissant.  D'un  abord  assez  facile,  il  était  néanmoins 
fier  de  sa  naissance,  ce  II  voulait  que  sa  maison  fût  tenue 
comme  celle  d'un  grand  seigneur  ;  »  il  ne  comptait  pas  avec 
lui-même ,  et  ses  dettes  étaient  devenues  si  considérables , 
que  la  vente  de  la  seigneurie  d'Isigny  ne  suffit  pas  pour 
les  éteindre.  Tous  ces  détails  dont  on  ne  conteste  pas 
l'exactitude,  sont  dispersés  ça  et  là  dans  les  pages  que 
nous  avons  sous  les  yeux. 

Avant  de  raconter  l'avènement  de  Mgr  de  Cheylus , 
M.  Bisson  a  longuement  insisté  sur  toutes  les  circons- 
tances qui  préparèrent,  accompagnèrent  et  suivirent  la 
démission  de  Mgr  de  Rochechouart.  Il  faut  distinguer  ici 
entre  les  faits  qu'il  rapporte  et  la  manière  dont  il  les  inter- 
prète ;  c'est  le  moyen  de  ne  pas  nous  égarer. 

Mgr  de  Rochechouart  venait  d'atteindre  sa  soixante- 
dix-huitième  année,  quand  la  destitution  du  Conseil  supé- 
rieur de  Bayeux  et  la  réinstallation  du  Parlement  de 
Rouen  lui  causèrent  la  plus  vive  douleur  (1).  Il  y  avait 
alors  dans  le  Chapitre  de  Bayeux  un  ecclésiastique  distin- 

(1)  Voir  p.  455. 


DE  BAYEUX.  453 

gué,  homme  de  grande  naissance  et  qui  pouvait  prétendre 
à  l'épiscopat.  Il  se  nommait  M.  de  Nicolaï.  Mgr  de 
Rochechouart  conçut  le  projet  d'abdiquer  en  sa  faveur.  Il 
pressentit  à  ce  sujet  quelques  personnes  influentes  de  la 
Cour  ;  ses  démarches  furent  bien  accueillies  et  il  se  crut 
un  moment  sur  le  point  de  réussir.  Il  renouvela  donc  les 
baux  de  ses  fermiers,  sans  élever  le  prix  des  fermages  ; 
mais  il  imposa  —  comme  c'était  l'usage  —  la  condition 
d'un  pot-de-vin  (1),  qui  lui  fat  payé  par  les  contractants. 

Dans  la  pensée  de  Mgr  de  Rochechouart  [M.  Bisson 
lui-même  en  convient],  ces  arrangements  avaient  pour 
but  de  «  liquider  toutes  ses  dettes,  et  de  mettre  ses 
affaires  au  courant.  »  Il  fit  part  de  ce  projet  à  M.  de 
Nicolaï  et  celui-ci  accueillit  ses  propositions  «  avec  recon- 
naissance, » — c'est  encore  M.  Bisson  qui  nous  l'assure. — 
Les  choses  en  étaient  là,  quand  Mgr  de  Rochechouart 
apprit  tout  à  coup  que  Mgr  de  Cheylus,  évêque  de  Cahors, 
premier  aumônier  de  Madame  la  Dauphine,  venait  d'être 
nommé  à  l'évêché  de  Bayeux,  et  que  M.  de  Nicolaï  le 
remplaçait  à  Cahors. 

Msr  de  Rochechouart  était  généralement  aimé  dans  m^  de  cheylus. 
son  diocèse,  où,  suivant  l'expression  de  notre  auteur,  «  il 
laissa  beaucoup  de  regrets.  »  Aussi,  à  la  nouvelle  de  l'élec- 
tion qui  ruinait  ses  espérances,  on  le  plaignit  sincèrement, 
comme  s'il  eût  été  le  jouet  d'une  intrigue,  et  l'opinion 
publique  se  prononça  contre  Mgr  de  Cheylus.  Ici  nous 
nous  arrêterons.  M.  Bisson  a  recueilli  sur  cette  affaire 
une  foule  de  mauvais  bruits  qui  coururent  alors ,  mais  il 
n'en  fournit  pas  la  preuve  ;  disons  plutôt  que,  à  l'époque  où 
se  passèrent  ces  événements,  la  haine  contre  le  haut  clergé 
inventa  plus  d'une  calomnie  ;  on  s'expose  à  s'y  laisser 
prendre  quand  on  essaye  de  tout  expliquer. 

(1)  Pot-de-vin,  ce  qui  se  donne  par  manière  de  présent,  au  delà  d'un 
prix  convenu  pour  un  marché.  —  Diction,  de  l'Académie, 


454  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

La  temporalité  de  l'évêché  de  Bayeux  allait  donc  chan- 
ger de  maître.  Msr  de  Rochechouart  fut  assuré  d'une 
pension  que  s'engagèrent  à  lui  servir  Msr  de  Cheylus 
et  Mgr  de  Nicolaï.  Restaient  les  arrangements  que  Msr  de 
Rochechouart  avait  pris  avec  ses  fermiers. 

Sur  ce  point  Mgr  de  Cheylus  fat  inflexible  ;  son  iu ten- 
dant cassa  les  baux  et  les  fit  renouveler.  Sans  doute ,  en 
agissant  de  la  sorte,  Mgr  de  Cheylus;  comme  le  reconnaît 
M.  Bisson ,  usait  d'un  droit  «  incontestable  ;  »  mais  ce 
droit  n'en  était  pas  moins  rigoureux  (1).  Nous  avons  dé- 
ploré [p.  197]  les  malheurs  qui  suivirent,  et  dont  le  sou- 
venir n'est  pas  encore  effacé. 

La  suite  des  autres  événements  racontés  par  M.  Bisson 
est  fondue  dans  notre  histoire.  Nous  aurons  de  temps  en 
temps  quelques  réserves  à  faire  contre  ses  appréciations 
et  ses  jugements. 


Terminons  cette  revue  par  quelques  renseignements 
relatifs  à  l'enfance  et  à  la  jeunesse  de  l'abbé  Fauchet.  Ces 
renseignements  ne  se  trouvent  dans  aucune  biographie 
que  nous  connaissions.  M.  G.-S.  Trébutien  lui-même 
semble  les  avoir  ignorés. 


Claude  Fauchet ,  fils  de  Nicolas  Fauchet  et  de  Anne 
Legier,  naquit  à  Dorne  [département  de  la  Nièvre] ,  le 
22  septembre  1744,  d'une  famille  patriarcale,  qui  comp- 
tait six  enfants,  trois  garçons  et  trois  filles  ;  un  revenu  de 
quatre  mille  livres  lui  permettait  de  vivre  honorablement. 
—  Les  trois  garçons  mis  au  collège  ;  les  trois  filles  élevées 

(1)  «  Il  faut  savoir  que  les  bénéfices  à  la  nomination  du  roi  rentraient 
libres  dans  ses  mains,  dès  qu'ils  changeaient  de  possesseur.  Tous  les  baux 
étaient  annulés,  et  celui  que  le  roi  nommait  ensuite  pouvait  louer  de 
nouveau  toutes  les  terres  ou  biens  qui  en  dépendaient.  »  [M.  Bisson.] 


DE  BAYEUX.  455 

dans  des  couvents.  —  Claude ,  celui  qui  promettait  davan- 
tage, est  envoyé  chez  les  Jésuites  de  Moulins,  où,  chaque 
année,  il  obtient  les  premiers  prix.  Les  Jésuites  désirent 
le  faire  entrer  dans  leur  compagnie.  Son  père  s'y  oppose, 
et  l'envoie  au  séminaire  de  Bourges.  Il  en  sort  à  seize 
ans ,  ayant  fini  ses  cours ,  et  prend  l'habit  ecclésiastique 
avant  de  rentrer  dans  la  maison  paternelle  ;  cette  voca- 
tion s'était  manifestée  dès  sa  première  enfance.  Passionné 
pour  l'étude ,  il  trouve  sous  sa  main  quelques  volumes  de 
sermons,  et  essaie  d'en  composer  lui-même.  Son  premier 
sermon  est  consacré  à  la  sainte  Vierge  ;  il  le  montre  à  un 
curé  voisin  ;  celui-ci,  désirant  le  lui  faire  prêcher  dans  son 
église ,  en  demande  la  permission  à  M&r  Tinseau ,  évêque 
de  Nevers.  L'évêque  exige  qu'on  lui  envoie  d'abord  le 
sermon  et  le  prédicateur.  Charmé  de  l'un  et  de  l'autre ,  il 
accorde  au  jeune  abbé  la  permission  de  paraître  en  chaire. 
Il  fait  plus ,  il  le  recommande  au  cardinal  de  Choiseul- 
Beaupré ,  archevêque  de  Besançon  ;  celui-ci  le  donne  pour 
précepteur  à  l'un  de  ses  neveux ,  et  l'envoie  avec  lui  à 
Paris  au  collège  de  Harcourt.  —  La  mort  frappe  son  élève. 
—  Il  revient  à  Besançon,  chez  son  protecteur,  y  reste  sept 
ans,  chargé  du  soin  de  la  bibliothèque.  Ces  sept  années,  il 
les  passe  dans  la  retraite  et  travaille  à  cultiver  son  esprit  ; 
il  n'avait  alors  d'autre  passion  que  l'étude.  —  Envoyé  de 
nouveau  à  Paris,  avec  un  second  élève  dont  il  termine 
l'éducation ,  il  perfectionne  ses  connaissances  et  ne  tarde 
pas  à  se  créer  des  relations.  M.  de  Radonvilliers ,  son  pa- 
rent ,  sous-précepteur  des  Enfants  de  France,  et  membre 
de  l'Académie,  devient  son  protecteur  et  son  guide.  Il  le 
fait  entrer  dans  la  communauté  des  prêtres  de  Saint- 
Roch,  et  là,  le  jeune  abbé  se  livre  tout  entier  à  l'exercice 
de  la  prédication. —  Il  débute  par  le  panégyrique  de  saint 
Augustin.  Le  bruit  de  son  éloquence  parvient  à  la  cour  ; 
le  roi  lui  accorde  une  pension  de  douze  cents  livres. —  Au 


456  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

mois  d'août  1774  [il  était  alors  âgé  de  trente  ans] ,  on 
l'invite  à  prêcher  devant  l'Académie  le  panégyrique  de 
saint  Louis.  La  beauté  de  sa  prononciation,  l'élégance  de 
son  style ,  le  talent  avec  lequel  il  se  fraya  une  route  nou- 
velle en  traitant  un  sujet  si  connu ,  lui  conquirent  tous 
les  suffrages.  Son  panégyriqne  fut  imprimé  ;  le  Journal 
des  sciences  &  des  oeaux-arts  en  fit  le  plus  grand  éloge. — 
Fauchet ,  à  cette  occasion,  obtint  du  roi  une  seconde  pen- 
sion de  douze  cents  livres.  —  En  1778,  il  prêche  devant 
la  Cour  le  jour  de  la  Pentecôte  ;  il  y  soutient  sa  réputa- 
tion; le  roi  lui  demande  la  station  de  l'Avent,  après 
laquelle  il  obtient  le  prieuré  de  Ploërmel. 

En  1784,  il  prêche  le  Carême  devant  le  roi  et  la  reine. 
Cette  fois,  le  roi  lui  donne  l'abbaye  de  Montfort ,  en  Bre- 
tagne ;  en  même  temps ,  il  reçoit  de  l'archevêque  de 
Bourges  des  lettres  de  grand- vicaire.  —  Il  jouissait  alors 
de  vingt  mille  livres  de  rentes ,  et  menait  un  grand  train 
à  Paris,  où  il  avait  loué  un  hôtel. 

Il  importe  d'ajouter  que ,  d'après  M.  Bisson ,  sa  charité 
pour  les  pauvres  fut  toujours  exemplaire.  Quand  il  avait 
vidé  ses  poches  pour  les  soulager,  il  vendait  jusqu'à  ses 
meubles  les  plus  précieux.  La  pension  qu'il  faisait  à  ses 
parents  et  à  ses  amis  était  toujours  servie  avec  la  plus 
grande  exactitude. 


Ces  renseignements,  extraits  des  mémoires  de  M.  Bisson, 
pourraient  servir  d'avant-propos  à  une  biographie  de  l'abbé 
Fauchet.  Ensuite,  il  y  aurait  à  distinguer  sa  vie  politique 
de  son  épiscopat.  Il  est  vrai  que  l'évêque  disparaît  trop 
souvent  derrière  l'homme  politique.  Cependant,  nous  avons 
essayé  de  les  éclairer  l'un  par  l'autre.  Du  reste,  il  ne  faut 
pas  oublier  que  notre  livre  n'est  autre  chose  qu'une  «  His- 
toire de  la  religion,  »  destinée  au  clergé  et  aux  fidèles 
du  diocèse  de  Bayeux.  On  ne  doit  pas  nous  demander 


DE  BAYEUX.  457 

davantage. —  Enfin ,  indépendamment  de  l'évêqne  et  de 
l'homme  politique ,  il  y  avait  aussi  à  étudier  l'orateur. 
Après  l'avoir  fait  connaître  sous  ce  rapport  par  de  nom- 
breuses citations ,  nous  avons  résumé ,  en  quelques  lignes, 
l'admiration  et  le  dégoût  que  nous  inspire  ce  beau  talent 
dévoyé.  Il  a  désavoué  ses  erreurs  avant  de  mourir,  il  s'est 
incliné  sous  la  main  d'un  bon  prêtre  ;  il  est  donc  permis 
d'espérer  que  le  Souverain  Juge  de  toutes  choses  lui  aura 
fait  miséricorde. 


Les  bibliophiles  nous  sauront  gré, —  nous  l'espérons  du 
moins, —  de  compléter  ici  le  catalogue  des  ouvrages  écrits 
par  Fauchet  avant  sa  nomination  à  l'évêché  du  Calvados. 
Il  sera  facile  de  les  réunir  à  ceux  dont  nous  avons  parlé 
dans  le  texte  de  notre  Histoire.  Nous  laissons  de  côté  ses 
improvisations  politiques  dans  les  rues  de  Paris  ou  ailleurs, 
et  ses  discours  à  la  tribune. 


1782.  Mémoire  pour  être  présenté  à  M.  de  Vergennes, 
ministre  des  affaires  étrangères ,  en  faveur  des  patriotes 
genevois.  «  Ce  mémoire ,  dit  Fauchet ,  exprime  avec  force 
et  précision  les  vrais  principes  de  la  souveraineté  du 
peuple.  » 

1786.  Oraison  funèbre  du  duc  d'Orléans. 

1788.  Oraison  funèbre  de  Phylippeaux-d'Herbaut,  ar- 
chevêque de  Bourges ,  qui  avait  donné  à  l'abbé  Fauchet 
des  lettres  de  grand- vicaire. 

6  août  1789.  Oraison  funèbre  des  citoyens  morts  à  la 
prise  de  la  Bastille,  prononcée  dans  l'église  Saint- Jacques 
de  l'Hôpital. 

1789.  Discours  sur  la  liberté ,  prononcé  dans  l'église 
Sainte-Marguerite. 

27  septembre  1789 ,  à  Notre-Dame  de  Paris  :  Discours 


458  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

pour  la  bénédiction  des  drapeaux  de  la  garde  nationale, 
en  présence  de  M>r  de  Juigné ,  archevêque  de  Paris ,  qui 
officiait  à  la  cérémonie. —  Ce  ne  fut  point  au  prélat,  mais 
au  maire  que  Fauchet  adressa  la  parole. 

20  février  1790.  Oraison  funèbre  de  l'abbé  de  l'Épée, 
instituteur  des  sourds-muets ,  prononcée  à  Saint-Étienne 
du  Mont,  avec  la  permission  de  Mgr  de  Juigné. 

Au  mois  d'avril,  même  année.  Discours  sur  la  réforme 
des  spectacles. —  Ce  discours  est  surtout  dirigé  contre  les 
spectacles  forains ,  qui  ne  sont  propres,  dit  l'orateur,  qu'à 
corrompre  le  peuple. 

21  juillet  1790.  Eloge  civique  de  Benjamin  Franklin. 
L'orateur  plaça  ce  grand  homme  dans  le  séjour  des  bien- 
heureux. Sur  ce  point,  l'abbé  Bisson  fait  vertement  la 
leçon  à  Fauchet,  et  lui  reproche  d'avoir  oublié  qu'il  était 
prêtre  et  chrétien. 

4  février  1791.  Sermon  sur  l'accord  de  la  Religion  et  de 
la  Liberté,  prêché  dans  la  cathédrale  de  Paris,  à  l'occasion 
d'une  solennité  civique,  ce  en  mémoire  de  ce  que ,  à  pareil 
jour,  le  roi  était  venu  reconnaître,  dans  l'Assemblée  na- 
tionale, la  souveraineté  du  peuple.  »  Le  club  de  Bayeux  le 
fit  réimprimer  chez  la  veuve  Nicolle  à  douze  cents  exem- 
plaires. 

14  juillet  1791.  Discours  prononcé  par  Claude  Fauchet, 
évêque  du  Calvados,  à  l'autel  de  la  Patrie  ,  pendant  la  cé- 
rémonie de  la  Fédération  générale  du  département ,  dans 
la  plaine  des  «  six-districts,  »  près  de  la  ville  de  Caen. 


DE  BAYEUX.  459 


REPONSES 

A  QUELQUES  QUESTIONS  QUI   NOUS  ONT  ÉTÉ  ADRESSÉES 
DEPUIS  LA  PUBLICATION  DU  Ier  VOLUME  DE  CETTE  HISTOIRE. 

VWWVWN. 

I.  Pourquoi,  dans  V Introduction,  avons-nous  passé  sous 
silence  certaines  chapelles  de  l'ancien  diocèse  de  Bayeux  ? 

Pour  arriver  au  dénombrement  complet  des  moindres 
chapelles  qui,  à  différentes  époques,  ont  servi  au  culte 
catholique,  dans  le  diocèse  de  Bayeux,  il  faudrait  d'abord 
inventorier  dans  chaque  canton  les  ruines  de  tous  les  édi- 
fices consacrés  par  de  pieux  souvenirs,  puis,  compulser 
dans  les  bureaux  de  chaque  mairie,  ou  dans  les  archives 
et  les  bibliothèques,  les  fondations  et  les  titres.  Le  travail 
qu'on  nous  reproche  de  n'avoir  pas  entrepris ,  pour  le 
diocèse  de  Bayeux,  Huet,  à  l'époque  où  il  publia  les  Ori- 
gines de  Caen ,  regardait  comme  impossible  de  l'entre- 
prendre pour  sa  ville  natale.  «  Le  nombre  des  chapelles 
de  la  ville  et  des  fauxbourgs  de  Caen,  dit-il,  a  été  si 
grand,  et  plusieurs  si  peu  considérables  (sic),  que  l'on  a 
été  peu  soigneux  de  conserver  la  mémoire  de  leur  fonda- 
tion. Ce  serait  donc  en  vain  qu'on  voudrait  en  faire  une 
histoire  exacte  ;  il  faut  se  contenter  de  parler  des  princi- 
pales, et  même  assez  superficiellement  ;  laissant  la  re- 
cherche du  surplus  à  ceux  qui,  dans  un  grand  loisir,  ont 


460  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

la  commodité  d'aller  puiser  aux  sources ,  et  de  consulter 
les  titres  originaux  dans  les  anciens  chartriers.  »  Un  dé- 
nombrement exact  des  chapelles  de  l'ancien  diocèse  est 
donc  quelque  chose  d'idéal,  et  c'eût  été  de  notre  part  une 
folie  d'y  prétendre  ;  nous  n'insisterons  pas  sur  ce  point. 
Laissant  de  côté  l'énumération  des  chapelles,  nous  nous 
sommes  efforcé  de  reproduire  aussi  exactement  que  pos- 
sible la  physionomie  de  l'ancien  diocèse.  Nous  l'avons 
divisé  en  archidiaconés ,  doyennés  et  paroisses,  prieurés 
simples  et  prieurés-cures,  etc.  Quant  aux  chapellenies , 
nous  avons  fait  remarquer  que  les  unes  étaient  soumises 
à  la  taxe  et  couchées  sur  le  rôle  des  décimes,  comme  on 
disait  alors,  tandis  que  les  autres  en  étaient  exemptes  ;  et 
c'est  précisément  cette  seconde  catégorie  que  nous  ne 
voulions  pas,  que  nous  ne  pouvions  pas  épuiser.  On  nous 
objectera  le  Pouillè  de  M.  Delamare,  qui  a  essayé  le  dé- 
nombrement des  chapelles.  Mais,  M.  Delamare,  quelque 
respectable  que  soit  son  autorité ,  manquait  lui-même  de 
certains  renseignements ,  c'est  lui  qui  nous  l'apprend ,  et 
il  demande  à  ses  lecteurs  «  de  lui  venir  en  aide.  »  Il 
existe  un  autre  Pouillé  beaucoup  plus  court  que  celui  de 
M.  Delamare,  mais  également  manuscrit.  Il  fut  rédigé, 
peu  d'années  avant  la  révolution,  par  M.  Vautier  «  notaire 
royal  et  apostolique  à  Bayeux.  »  Il  porte  à  la  première 
page  les  armes  de  Mgr  de  Cheylus  ;  celui-ci  peut  donc  être 
regardé  comme  le  plus  authentique.  Nous  ne  le  connais- 
sions pas  quand  nous  avons  rédigé  notre  Introduction,  et 
nous  nous  trouvons  d'accord  avec  lui  pour  la  suppression 
de  certaines  chapelles,  que  la  critique  de  quelques-uns 
nous  reproche  d'avoir  omises.  On  nous  reproche  également 
d'avoir  dit  que  le  prieuré  du  Mesnil-Hamel  appartenait  à 
l'abbaye  de  Saint-Etienne  de  Caen  ;  on  prétend  que  nous 
aurions  dû  l'attribuer  au  prieuré  de  Saint- Vigor.  La  vé- 
rité est  qu'il  fut  tantôt  desservi  par  les  religieux  de  Saint- 


DE  BAYEUX.  461 

Vigor,  tantôt  par  les  religieux  de  Saint-Etienne.  Au  com- 
mencement du  xviii8  siècle,'  on  le  trouve  parmi  les  béné- 
fices que  possédait  la  grande  abbaye.  Or,  c'est  précisé- 
ment cette  époque  que  vise  le  Pouillé,  où  nous  avons  pris 
ce  renseignement  ;  ce  seul  mot  nous  justifie.  De  même, 
la  chapelle  de  Saint-Ortaire ,  que  nous  avons  indiquée  en 
passant ,  n'est  inscrite  nulle  part  au  rang  des  bénéfices. 
Ceci  ne  nous  a  pas  empêché  de  parler  de  saint  Ortaire, 
à  propos  de  l'abbaye  de  Barbery  [p.  83  du  IIe  vol.]  et  du 
grand  concours  de  pèlerins  que  le  culte  du  bienheureux 
attirait  à  la  chapelle  de  Tuepot  [Ier  vol.,  Notes,  p.  21]. 
Quant  à  Sainte-Barbe  de  Littry,  son  érection  ne  remonte 
qu'à  1803  ;  cette  chapelle  eût  donc  été  très-déplacée  dans 
le  pouillé  de  l'ancien  diocèse.  —  Qu'on  nous  permette  une 
dernière  réflexion  :  en  dépeçant  ainsi,  outre  mesure,  l'ou- 
vrage auquel  nous  travaillons,  on  part  d'un  faux  principe. 
On  confond  ce  que  doit  être  une  «  Histoire  du  Diocèse  » 
avec  une  Monographie  de  chaque  doyenné,  de  chaque 
paroisse ,  de  chaque  chapelle ,  de  chaque  monastère.  Ce 
n'est  pas  là  ce  que  nous  nous  sommes  proposé  d'écrire. 
Il  faut  que  notre  contradicteur  en  prenne  son  parti  ;  ses 
reproches  ne  sont  pas  équitables,  et  si  notre  travail  était 
à  recommencer,  nous  nous  garderions  bien  de  suivre  ses 
indications. 

IL  Sainte  Basille,  dont  V Église  célèbre  la  mémoire  le 
20  mai,  doit-elle  être  distinguée  de  la  sainte  du  même  nom 
dont  les  reliques  reposent  à  V Hôtel  -  Dieu  de  Bayeux  ? 
Laquelle  de  ces  deux  saintes  était  autrefois  la  patronne  de 
Couvert,  maintenant  réuni  à  Juaye-Mondaye  ? 

Une  Vie  des  Saints,  publiée  à  Paris  en  1866,  par 
M.  l'abbé  Paul  Guérin,  et  qui  a  pour  titre  :  Les  petits 
Bollandistes,  contient,  dans  le  Ve  volume,  une  vie  de 


462  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

sainte  Basille  [20  mai].  L'auteur  la  confond  avec  celle 
dont  les  reliques  reposent  à  l'Hôtel-Dieu  de  Bayeux  ;  il 
la  distingue  d'une  autre  Basille,  qui  aurait  été  martyrisée 
à  Couvert,  et  serait  devenue  la  patronne  de  cette  paroisse. 
S'appuyant  sur  une  lettre  de  M.  l'abbé  Michel,  vicaire 
général  du  diocèse  de  Bayeux,  en  date  du  22  novembre 
1858,  M.  l'abbé  Guérin  ne  voit  aucun  inconvénient  à 
croire  que  la  sainte  dont  il  raconte  la  vie, — la  petite  fille 
de  l'empereur,  —  est  celle  qui  fut  trouvée,  en  1654,  dans 
le  cimetière  de  Sainte-Cyriaque,  où  elle  avait  pu,  dit-il, 
être  transportée ,  après  avoir  souffert  le  martyre  sur  la 
voie  du  Sel,  Nous  répondons  : 

1°  Que  la  sainte,  honorée  dans  l'Église  le  20  mai,  ne 
fut  jamais  inhumée  dans  le  cimetière  de  Sainte-Cyriaque, 
mais  bien  dans  celui  qui  porte  son  nom  (S.  Basillœ),  et 
que ,  suivant  une  ancienne  tradition ,  elle  avait  fait  con- 
struire sur  sa  propriété  ;  qu'elle  fut  exhumée  en  820, 
et  transportée  de  ce  cimetière  dans  l'église  de  Sainte- 
Praxède,  par  le  pape  Pascal  Ier.  Il  y  avait  donc  huit  cents 
ans  que  sainte  Basille  [du  20  mai]  n'était  plus  dans  les 
catacombes,  quand  on  exhuma  de  Sainte-Cyriaque,  en 
1654,  celle  qui  repose  à  l'Hôtel-Dieu  de  Bayeux.  Le 
«  nom  propre  »  de  celle-ci  était  gravé  sur  sa  tombe,  avec 
une  colombe,  une  palme  et  un  de  ces  vases,  dont  on 
cherche  encore  aujourd'hui  la  véritable  signification. 
Donc,  malgré  les  suppositions  plus  ou  moins  aventureuses 
du  Révérend  Père  Aprest,  il  est  impossible  de  confondre 
les  deux  saintes  (1). 

2°  Plusieurs  pièces ,  qui  reposent  dans  les  archives  de 
Bayeux,  établissent  jusqu'à  l'évidence  que  la  paroisse  de 
Couvert  avait  pour  patronne  celle  des  saintes  Basille  dont 

(1)  V.  Étude  sur  sainte  Basille  de  l'Hôtel-Dieu  de  Bayeux  et  sainte 
Basille  de  Couvert,  par  l'abbé  J.  Laffetay.  — Mémoires  de  la  Société 
des  Antiquaires  de  Normandie;  Caen,  Leblanc-Hardel,  1860. 


DE  BAYEUX'.  463 

le  nom  est  célèbre  dans  l'histoire  de  l'Église,  et  non  pas 
cette  jeune  fille  tout  à  fait  inconnue ,  dont  on  vénère  les 
reliques,  depuis  deux  siècles,  dans  la  ville  épiscopale. 

3°  Reste  donc  cette  légende  villageoise,  dont  on  a  re- 
cueilli les  débris  à  Couvert,  et  qui  peut  se  résumer  ainsi  : 
— Du  temps  où  le  général  Pompée,  lieutenant  de  César, 
occupait  militairement  le  pays  des  Bajocasses,  il  fit  com- 
paraître devant  lui  une  jeune  fille  nommée  Basille,  qu'une 
grâce  particulière  avait  rendue  chrétienne,  un  demi-siècle 
avant  Jésus-Christ.  Basille  ayant  professé  courageuse- 
ment sa  croyance,  Pompée  ordonna  qu'on  lui  coupât  la 
tête.  Cette  tête  bondit  sept  fois  sur  le  sol,  et  fit  jaillir 
sept  sources  d'eau  limpide,  au  milieu  des  roseaux.  —  Le 
nom  de  Pompée,  comme  on  le  voit,  joue  un  grand  rôle 
dans  la  légende  ;  gardons-nous  bien  de  nous  en  plaindre, 
car  c'est  grâce  à  lui  que  l'on  peut,  malgré  les  anachro- 
nismes  dont  elle  fourmille,  rattacher  cette  légende  à  l'his- 
toire. Pompée,  en  effet,  est  le  nom  historique  que  portait 
le  dénonciateur  de  la  véritable  Basille;  il  est  cité  par 
Surius.  Dès-lors,  tout  s'explique,  et  l'on  comprend  à 
merveille  comment,  en  y  ajoutant  quelques  traits  de  cou- 
leur locale,  les  habitants  de  Couvert  avaient  remanié  la 
légende  de  leur  patronne,  et  lui  avaient  substitué  une 
sainte  de  leur  pays. 

III.  En  quelle  année  les  Eudistes  furent-ils  rappelés  au 
séminaire  de  Oaenpar  M<Jr  Servien  ?  Est-ce  en  1652  ou  en 
1657? 

Huet  et  l'abbé  de  La  Rue  ont  écrit  que  Mgr  Servien 
avait  rétabli ,  en  1652 ,  le  séminaire  des  Eudistes,  fermé 
en  1650  par  M»p  Mole.  Nous  avons,  par  inadvertance, 
transcrit  cette  erreur  dans  notre  premier  volume.  En 
1652,  M&r  Servien  n'était  pas  encore  évêque  de  Bayeux, 


464  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

et  il  ne  rétablit  qu'en  1657  la  congrégation  du  P.  Eudes. 
Pour  comprendre  ces  lenteurs,  il  faut  savoir  qu'entre 
Mgr  Mole  et  Mgr  Servien,  il  y  eut  une  espèce  d'interrègne. 
Le  roi  avait  nommé  évêque  de  Bayeux  l'abbé  de  Sainte- 
Croix,  frère  de  Mgr  Mole.  L'abbé  de  Sainte-Croix  fit  ré- 
voquer par  l'official  de  Bayeux  l'interdit  porté  contre  la 
chapelle  des  Eudistes  ;  elle  fut  rendue  au  culte  le  10  mai 
1653.  Bientôt  après,  l'abbé  de  Sainte-Croix  remit  entre 
les  mains  du  roi  le  brevet  de  sa  nomination.  Les  adver- 
saires des  Eudistes  travaillèrent  alors  à  prévenir  contre 
eux  l'esprit  de  Mgr  Servien,  son  successeur.  Mgr  Servien 
attendit,  pour  se  prononcer,  qu'il  les  vît  à  l'œuvre.  Enfin, 
en  1657,  il  leur  rendit  le  séminaire  destiné  aux  retraites 
ecclésiastiques  et  à  l'instruction  des  ordinands. 

IV.  Est-ce  de  Condê-sur-Sarthe  (département  de  l'Orne) 
ou  de  Gondè-sur-Noireau  qu'Etienne  Le  Court  était  curé  ? 

Nous  avons  posé  cette  question  dans  notre  premier  vo- 
lume [p.  67],  sans  pouvoir  la  résoudre.  M.  le  comte  de  La 
Ferrière  nous  a  fait  écrire,  par  un  de  nos  amis,  qu'Etienne 
Lecourt,  supplicié  à  Rouen  pour  fait  d'hérésie,  était  curé 
de  Condé-sur-Sarthe ,  près  Alençon.  Les  registres  du 
chapitre  de  Rouen  en  font  foi,  et  M.  de  La  Ferrière  a 
bien  voulu  nous  attester  qu'il  en  avait  une  copie  sous  les 
yeux. 

V.  On  comptait  autrefois  à  Bayeux  vingt  Prébendes  fon- 
dées pour  autant  de  lépreux,  par  Ouillaume-le- Conquérant. 
Dans  quel  établissement  le  duc  de  Normandie  avait-il 
fondé  ces  Prébendes?  Etait-ce  à  VMpital  de  Saint-Gratien 
ou  à  la  léproserie  de  Saint-Nicolas? 

Cette  double  question  a  été  longuement  étudiée  dans 
notre  premier  volume  [p.  142  et  suivantes],  et  la  solution 


DE  BAYEUX.  465 

que  nous  avons  proposée  a  été  généralement  admise, 
même  par  des  érudits,  qui  avaient  jusque  là  professé  une 
opinion  contraire  à  la  nôtre.  Il  faut  pourtant  excepter 
l'auteur  de  la  Nouvelle  Histoire  de  Bayeux.  Avec  des  mé- 
nagements dont  nous  lui  savons  un  gré  infini,  il  a  repris  la 
question  en  sous-œuvre  et  l'a  décidée  contre  nous.  La 
difficulté  est  tout  entière  dans  l'interprétation  d'une  charte; 
nous  ne  croyons  pas  qu'il  soit  impossible  de  la  résoudre. 

Vers  l'an  1166  [suivant  l'abbé  De  La  Rue],  une  charte 
fat  donnée  à  Bures-le-Roi  par  Henri  II,  duc  de  Norman- 
die, arrière-petit-fils  de  Guillaume-le-Conquérant.  Elle 
confirme  une  donation  de  vingt  prébendes,  faite  pour 
autant  de  lépreux  par  le  duc  Guillaume.  On  demande  où 
ces  prébendes  avaient  été  fondées  ?  Était-ce,  comme  nous 
l'affirmons,  au  monastère  de  Saint-Nicolas  de  Bayeux, 
ou,  comme  le  prétend  notre  contradicteur,  à  l'hôpital  de 
Saint-Gratien,  lequel  fut,  au  xvue  siècle,  enclavé  par 
Mgr  de  Nesmond  dans  l'hôpital  général  ? 

Pour  bien  comprendre  la  charte  de  Henri  II,  commen- 
çons par  détacher  de  la  phrase  principale  une  phrase  inci- 
dente qui  la  coupe  vers  le  milieu  ;  nous  ferons  connaître 
ensuite  l'interprétation  qu'il  faut  donner  à  chacune. 

«  Sciatis  me  concessisse  à  dédisse  &  presenti  cartâ  con- 
firmasse in  perpétuant  ellemosinam  XX  preoendas —  quas 
Willelmus  illustris  rex  Anglorum  proavus  meus  stabilivit 
de  redditions  suis  in  civitate  Bajocensi  —  confratrious 
leprosis  in  monasterio  Sancti  Nicolai  Bajocensis  sub  reïi- 
gione  viventious.  » 

Cette  phrase  incidente,  qui  commence  au  mot  quas  et 
finit  à  Bajocensi,  embarrassait  l'auteur.  Pour  la  traduire, 
il  la  déplace  et  la  rejette  à  la  fin,  de  cette  manière: 
«  Fâchez  que  j'ai  concédé,  donné  et,  par  la  présente 
charte,  confirmé  en  perpétuelle  aumône,  aux  confrères 
lépreux,  vivant  en  religion  dans  le  monastère  de  tëaint- 

30 


466  HISTOIRE   DU   DIOCÈSE 

Nicolas  pr es  Bayeux,  les  vingt  pro vendes  que  Guillaume, 
l'illustre  roi  des  Anglais,  mon  bisaïeul,  fonda  de  ses  de- 
niers, dans  la  ville  de  Bayeux.  » 

L'auteur  a,  comme  on  le  voit,  interverti  l'ordre  des 
deux  phrases  ;  essayons  maintenant  de  traduire  le  texte 
sans  déplacer  un  seul  mot. 

ce  Sachez  que  j'ai  concédé,  donné  et,  par  la  présente 
charte,  confirmé  en  perpétuelle  aumône,  vingt  prébendes 
que  Guillaume,  illustre  roi  des  Anglais,  mon  bisaïeul,  a 
fondées — sur  ses  revenus  dans  la  ville  de  Bayeux — pour 
les  confrères  lépreux  qui  vivent  en  religion  au  monastère 
de  Saint-Nicolas  de  Bayeux.  » 

Deux  points  sont  à  remarquer.  La  charte  dit  que 
Henri  II  confirma  la  donation  faite  à  Saint-Nicolas  par 
son  bisaïeul.  L'auteur  que  nous  réfutons  prétend  qu'il  l'a 
transférée  de  Saint-Gratien  à  Saint-Nicolas  :  comment 
soutenir  que  ce  transférer  »  soit  synonyme  de  «  confirmer  ?  » 
De  plus,  est-il  permis  d'admettre  que,  quand  on  enrichit 
un  établissement  au  détriment  d'un  autre,  on  ne  désigne 
même  pas  celui  que  l'on  dépouille. 

Peut-être,  l'auteur  s'est-il  laissé  séduire  par  les  mots 
in  civitah  Bajocensi.  Ce  sont  eux  sans  doute  qui  l'auront 
déterminé  à  remplacer  la  ladrerie  de  Saint-Nicolas  par 
l'hôpital  de  Saint-Gratien.  Le  texte  même  de  la  charte 
répond  à  cette  difficulté.  D'abord ,  il  est  certain  que  le 
monastère  de  Saint-Nicolas,  quoiqu'il  ne  fût  pas  situé 
dans  l'enceinte  de  la  ville,  était  considéré  comme  appar- 
tenant à  son  territoire.  Le  rédacteur  de  la  charte  qui 
nous  occupe  l'appelle  Saint-Nicolas  de  Bayeux  —  Sancti 
Nicolai  Bajocensis  —  et  non  pas  :  «  Saint-Nicolas  près 
Bayeux  »  comme  le  traducteur  voudrait  l'insinuer.  En 
second  lieu  ,  quand  le  poète  Wace  —  que  nous  avons  à 
tort  appelé  Robert  Wace  dans  notre  premier  volume  — 
parle  de  l'hospice  de  Saint-Nicolas ,  il  dit  aussi  qu'il  fut 


DE  BAYEUX.  467 

establi  à  Baieaes.  Ce  n'est  donc  pas  exclusivement  dans 
l'enceinte  de  la  ville,  mais  encore  dans  le  territoire  qui  en 
dépendait,  qu'il  faut  chercher  le  monastère  auquel  Guil- 
laume accorda  ses  largesses.  Enfin,  malgré  la  force  de  ces 
raisons,  craignant  de  nous  abuser  nous-même,  nous  avons 
soumis  la  difficulté  à  un  savant  professeur  de  l'Académie 
de  Oaen,  aussi  habile  à  dépouiller  les  chartes  du  moyen 
âge  qu'à  expliquer  la  langue  des  trouvères  (1).  Yoici  ce 
qu'il  nous  a  répondu.  Remarquez,  nous  dit-il,  que  l'auteur 
de  la  Nouvelle  Histoire  de  Bayeux  traduit  comme  s'il  y 
avait  simplement  :  —  quas  Willelmus  stabilivit  in  civitate 
Bajocensi,  —  «  que  Guillaume  fonda  dans  la  ville  de 
Bayeux  ;  »  mais  pour  arriver  à  cette  interprétation ,  il 
faudrait  supprimer  deux  mots  essentiels,  —  de  redditibus 
suis. —  Ce  sont  les  revenus  de  Guillaume  [et  non  pas  les 
vingt  prébendes]  ,  dont  il  est  dit  :  qu'ils  se  trouvaient  sur 
le  territoire  de  Bayeux.  «  L'hypothèse  d'une  fondation 
dans  la  ville  même  ne  peut  donc  plus  se  tirer  du  texte.  » 
Cette  explication  dissipera  tous  les  doutes  ;  nous  sommes 
plus  heureux  de  la  présenter  à  nos  lecteurs  que  si  nous 
l'avions  trouvée  nous-même. 

VI.  Est-ce  à  tort,  est-ce  avec  raiso)i,  que  les  Bénédictins 
du  Gallia  christiana  ont  attribué  à  Gosselin  de  La  Pom- 
meraye  [1125]  la  fondation  de  Vabbaye  connue  sous  le 
nom  de  Notre- Dame-du-Val  (doyenné  de  Cinglais)  ? 

Ce  renseignement  fourni  par  les  Bénédictins,  que  nous 
avons  suivis  dans  notre  Introduction,  est  contesté  par 
l'auteur  de  Y  Essai  sur  V  Abbaye  de  Notre- Dame-du-Val. 
Il  reconnaît  que ,  malgré  de  patientes  recherches ,  il  n'a 
rencontré  sur  son  chemin  aucun  personnage  historique, 
aucune  charte,  aucune  ordonnance  à  laquelle  on  poisse 
rattacher  l'origine  de  l'abbaye.  De  son  aveu  «  la  première 

(1)  M.  Joly,  doyen  de  la  Faculté  des  lettres  de  Caen, 


468  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

fondation  lni  est  inconnue  [p.  3];  »  et  Guillaume,  le  pre- 
mier abbé  dont  il  cite  le  nom,  ne  remonte  qu'à  la  seconde 
moitié  du  XIIe  siècle.  Il  cite,  il  est  vrai,  une  ordonnance 
de  Henri  Ier,  roi  de  France  [1031],  confirmant  «  quelques 
legs  »  faits  à  l'abbaye  ;  mais  ce  qu'il  appelle  ce  la  première 
fondation ,  »  il  est  forcé  de  la  passer  sous  silence,  et  pour- 
tant, il  ne  laisse  d'autre  titre  à  Gosselin  de  La  Pommeraye 
que  celui  de  «  principal  bienfaiteur.  » 

Nous  avions  toujours  pensé  qu'avant  de  dépouiller 
ainsi  un  personnage  historique  d'une  gloire  qui  lui  est 
attribuée  depuis  des  siècles,  il  fallait  au  moins  instruire 
son  procès;  opposer  un  nom  à  un  nom,  une  date  à  une 
autre  date,  citer  des  faits  en  opposition  avec  d'autres  faits. 
Ici  l'auteur  n'affirme  rien,  ne  précise  rien,  sinon  que 
l'abbaye  existait  sous  le  règne  de  Henri  Ier,  ce  que  nous 
ne  contestons  pas.  Ne  lui  demandez  pas  le  nom  du  fonda- 
teur ;  il  vous  laisse  le  droit  de  le  choisir  parmi  les  rois  de 
France  ou  les  ducs  de  Normandie  [p.  4].  Il  avoue  qu'il 
manque  de  documents  pour  résoudre  ces  questions,  et  il 
ajoute  —  ce  qui  surprendra  peut-être  —  «  que  ces  ques- 
tions ont  peu  d'importance.  » 

Ce  n'est  pas  ainsi  qu'ont  procédé  les  Bénédictins.  Ce 
titre  de  fondateur  qu'ils  attribuent  à  Gosselin  de  La  Pom- 
meraye, ils  ne  l'ont  point  imaginé,  ils  l'ont  copié  dans 
les  chartes  de  Bayeux  —  qui  fundator  dicitur  in  chartis 
Bajocensibus.  »  —  Avant  eux,  le  rédacteur  du  Neustria 
pia  s'est  expliqué  à  peu  près  de  la  même  manière  :  Ex 
schedis  Ecclesiœ  Bajocensis  Gosselinus  de  La  Pommeraye 
fundator  dicitur. 

Que,  dans  l'espoir  de  couler  à  fond  cette  question,  on 
fasse  des  réserves,  nous  ne  nous  y  opposons  pas.  Mais,  quant 
à  présent,  qu'on  nous  interdise  de  désigner  Gosselin  de  La 
Pommeraye  comme  le  fondateur  de  Notre-Dame-du-Val, 
nous  ne  pouvons  y  consentir.  Jusqu'à  plus  ample  informé, 


DE  BAYEUX.  469 

comme  on  dirait  au  Palais ,  nous  maintenons  ses  droits  et 
son  titre.  Ses  droits,  ils  sont  fondés  sur  l'importance  de 
ses  dons.  Pour  apprécier  à  sa  juste  valeur  le  titre  de 
fondateur  qu'on  lui  conteste,  il  serait  intéressant  de  savoir 
en  quoi  consistait,  avant  l'année  1125,  la  ce  temporalité  » 
de  l'abbaye  ;  c'est  un  point  sur  lequel  l'auteur  ne  s'expli- 
que pas.  Toujours  est-il  qu'à  partir  de  cette  époque,  tout 
change  :  ce  ne  sont  plus  seulement  ce  quelques  legs,  » 
comme  ceux  qu'approuvait  Henri  Ier,  dans  le  siècle  pré- 
cédent ;  ce  sont  des  trésors  que  le  fondateur  accumule  au 
profit  des  religieux.  C'est  une  église,  —  l'église  de  Sainte- 
Marie-du-Val,  —  qu'il  leur  donne  en  propriété.  A  cette 
église,  il  en  ajoute  dix  autres,  sept  en  France,  trois  en 
Angleterre;  et,  parmi  ces  églises,  il  en  est  une,  celle 
de  Saint- Orner,  qui  contient,  dans  ses  appartenances, 
ce  soixante  acres  de  terre,  avec  des  bois  taillis  et  les  prés 
d'un  moulin.  »  Ce  n'est  pas  tout  encore  :  qu'on  jette  les 
yeux  sur  la  charte  ;  on  verra  qu'elle  est  confirmée  par 
Eichard,  évêque  de  Bayeux,  et  qu'elle  commence  par  une 
invocation  à  la  sainte  Trinité.  On  trouverait  difficilement 
une  autre  fondation  qui  s'appuie  sur  des  titres  plus  res- 
pectables. 

Ce  qui  doit  rester  de  cette  discussion,  c'est  que  la  pre- 
mière fondation  de  Notre-Dame-du-Val  n'est  constatée 
par  aucun  cartulaire  ;  du  moins  on  n'en  cite  aucune  trace. 
La  seconde,  au  contraire,  c'est-à-dire  la  véritable,  repose 
sur  un  document  que  rien  ne  peut  ébranler.  Donc,  provi- 
soirement, il  faut  suivre  les  Bénédictins  et  s'en  tenir  à 
Gosselin  de  La  Pommeraye.  Demandez  aux  hommes  les 
plus  compétents,  quelle  distinction  ils  établissent  entre 
Y  origine  et  la  fondation  d'un  monastère,  et  ils  vous  diront  : 
Le  véritable  fondateur  d'un  monastère  n'est  pas  toujours 
celui  qui  réunit,  le  premier,  dans  une  maison  commune, 
quelques  religieux  vivant  d'aumônes.  Le  véritable  fonda- 


470  HISTOIRE  DU  DIOCÈSE 

teur  d'un  monastère  est  celui  qui ,  le  premier,  assure  son 
existence,  lui  crée  un  domaine  temporel,  et  lui  en  garan- 
tit la  propriété. 

VII.  Pourquoi  avons-nous  passé  sous  silence,  dans  notre 
premier  volume,  l'édition  du  bréviaire  de  Bayeux,  publiée 
par  ordre  de  M'jr  d'Angennes  ? 

Parce  que  nous  ne  la  connaissions  pas,  et  qu'on  avait 
refusé  de  nous  la  faire  connaître.  Plus  tard,  il  nous  fut 
permis  d'y  jeter  un  regard  à  la  dérobée  ;  et  nous  pûmes 
constater  que ,  pour  la  distribution  des  fêtes  et  l'arrange- 
ment des  offices,  elle  ne  s'éloignait  pas  beaucoup  de  l'édi- 
tion incunable.  lies  légendes  y  ont  conservé  leur  saveur 
primitive  ;  on  sent  en  les  lisant  qu'on  est  encore  loin  des 
réformes  adoptées  par  Mgr  de  Nesmond. 

Puisque  le  nom  du  saint  prélat  reparaît  encore  une  fois 
sous  notre  plume  ,  profitons-en  pour  dire  que ,  à  l'époque 
où  il  publia  son  bréviaire ,  le  retour  des  Protestants  à 
l'Eglise  Romaine  était  une  de  ses  grandes  préoccupations. 
Pour  ébranler  le  culte  des  Saints  et  en  dégoûter  les  fidèles, 
les  Protestants  attaquaient  avec  vivacité  l'authenticité  de 
nos  légendes.  Msr  de  Nesmond  fit  la  part  du  feu.  Il  permit 
à  la  critique  de  retrancher  certains  récits  dont  l'exactitude 
était  plus  ou  moins  contestée  ,  et ,  dans  le  mandement  qui 
porte  la  date  de  1665,  il  s'exprima  sur  ce  point  avec  une 
entière  franchise.  —  Dubias  narrationes  ab  Ecclesiâ  esse 
eliminandas.  —  C'est  ainsi  qu'a  toujours  procédé  l'Eglise 
catholique  ;  chez  elle,  le  respect  des  traditions  ne  saurait 
prévaloir  contre  les  droits  de  la  vérité.  A  l'époque  où,  sous 
l'autorité  bien-aimée  de  Msr  Didiot,  le  diocèse  de  Bayeux 
est  rentré  dans  l'unité  liturgique ,  Pie  IX  a  réformé  en 
plusieurs  points  les  légendes  de  M>1'  de  Nesmond  et  celles 
de  Msr  de  Luynes. 


DE  BAYEUX.  471 


ORET   PRO    SERVULO 

BEATA     MARIA 

VIRGO  OBEDIENTISSIMA 

UT      ŒUOD     OPUS     SUSCEPIT      II,  LE 

OBEDIENTER 

ADJUVANTE     DEO 

FELICITER         EXSEQUATUR 

C.  J.  D.  L. 


NOTES  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


tfrYTVVYYTVYYTrYVYVVTTYYYYYYTTYYTrVYTrTr* 


(VOTES  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


I. —  PAGE  8. 
Mandements  de  Mgr  de  Lorraine. 

M8'  Languet ,  évêque  de  Soissons ,  dans  sa  septième  lettre 
pastorale,  dit,  en  parlant  de  Msr  de  Lorraine: 

«  M.  de  Bayeux ,  trompé  par  les  soumissions  apparentes  de 
quelques  théologiens  dénoncés  avec  fondement  à  son  tribunal, 
adopte  et  canonise  leurs  déclarations  erronées;  et,  ce  qui  était 
inouï  jusque-là  dans  l'Église,  il  rend  pour  la  première  fois  un 
jugement  solennel  et  revêtu  des  formes  juridiques,  pour  auto- 
riser, à  titre  de  vérités  catholiques  ou  d'opinions  permises, 
des  erreurs  tant  de  fois  condamnées  dans  Baïus ,  dans  Jansé- 
rïius,  dans  Quesnel,  et,  ce  qui  est  plus  inconcevable,  celles 
même  que  l'Église  a  censurées  autrefois  dans  Pelage.  —  M.  de 
Bayeux  paraît  vouloir  persuader  que  son  mandement  n'était 
connu  que  de  ceux  qui  composaient  l'assemblée  du  clergé.  Qui 
le  croira  ,  quand  l'univers  est  rempli  de  ses  mandements , 
quand  les  laïcs  et  les  femmes  les  lisent  et  en  contestent  ;  quand 
les  défenseurs  de  Baïus ,  de  Jansénius  et  de  Quesnel  en  triom- 
phent? »  etc. 


4  PIECES  JUSTIFICATIVES. 

II.  —  PAGE  24. 

Vers  composés  en  l'honneur  de  Mgr  de  Luynes. 

Quelques-unes  des  pièces  par  lesquelles  la  poésie  célébra 
l'arrivée  de  M8r  de  Luynes,  appartenaient  au  genre  bucolique. 
Tantôt  c'est  Damon  et  Aminthe  qui  modulent  leurs  plus  doux 
accents  en  l'honneur  de  Daphnis  ;  tantôt  c'est  la  nymphe  de 
l'Orne  qui  s'indigne  de  ce  que  la  fontaine  de  Brucourt  lui  en- 
lève pour  quelque  temps  son  nouveau  prélat. 

«  Assurez-moi  d'un  bruit  qui  me  vint  l'autre  jour. 

Vous  me  narguez ,  dit-on ,  fontaine  de  Brucourt  ; 

Quoi  !  vous  osez  ravir  mon  plus  bel  avantage , 

Un  prélat  qui  faisait  l'honneur  de  mon  rivage  ! 

Vouloir  nous  égaler  par  vos  faibles  appas, 

C'est  prendre  un  petit  air  qui  ne  vous  convient  pas.  » 

La  fontaine  réplique  sur  le  même  ton,  vante  ses  propriétés 
minérales,  et  les  oppose  aux  avantages  dont  la  nymphe  de 
l'Orne  s'enorgueillit.  Ces  deux  pièces ,  qui  nous  paraîtraient 
aujourd'hui  assez  fades,  obtinrent  alors  un  grand  succès;  elles 
portent  la  signature  de  M.  Heurtauld,  prêtre  et  professeur  au 
collège  du  Bois.  La  première  fut  écrite  en  1729,  à  l'arrivée  du 
prélat  ;  la  seconde  en  1730,  à  l'occasion  d'un  voyage  qu'il  fit 
à  Brucourt  pour  y  prendre  les  eaux. 

III.  -  page  32. 

Calomnies  des  Nouvelles  ecclésiastiques  contre  M&r  de  Luynes. 

Les  Nouvelles  ecclésiastiques  ne  cessaient  de  prolester  con- 
tre les  prétendues  vexations  de  M8r  de  Luynes,  qui,  disaient- 
elles,  avait  fait  une  carcasse  de  notre  faculté  de  théologie.  Or, 
il  sulfit,  pour  rendre  la  calomnie  palpable ,  de  suivre  la  date 


PIÈCES    JUSTIFICATIVES.  5 

des  événements.  Tous  les  docteurs  en  théologie  reçurent  la 
constitution  en  1714,  sous  peine  d'exclusion  de  la  faculté  pour 
les  réfractaires.  Après  la  mort  de  Mgr  de  Nesmond ,  trois  de 
ces  docteurs ,  MM.  Regnauld  ,  Buffard  et  le  P.  Godechal,  jaco- 
bin ,  dont  les  deux  autres  exploitaient  la  faiblesse,  commen- 
cèrent à  exciter  des  troubles.  Sous  l'impulsion  des  deux  pre- 
miers ,  l'appel  fut  interjeté  ,  et  les  dix  docteurs  qui  étaient 
restés  fidèles,  furent  exclus  en  1719;  ils  furent  rétablis  en  1721. 
Le  P.  Drouin  ,  successeur  du  P.  Godechal ,  M.  Buffard  et 
M.  Jourdan  furent  chassés  de  l'université  en  1722,  M.  Re- 
gnauld en  1724  ;  M.  Fauvel  subit  le  même  sort  en  1726.  La 
même  année ,  l'appel  fut  rétracté  ,  et  la  constitution  reçue  par 
tous  les  membres  de  l'université ,  à  l'exclusion  de  l'abbé  de 
Sainte-Croix.  M8r  de  Lorraine  n'est  mort  qu'en  1728;  Msr  de 
Luynes  lui  a  succédé  en  1729.  et  il  lit  exiler  l'abbé  de  Sainte- 
Croix  en  1740.  On  se  demande  alors  comment  l'éloignement 
d'un  Artien  ,  principal  du  collège  du  Bois  ,  «  dont  la  capacité 
ne  s'étendait  pas  jusqu'à  parler  latin ,  »  ôtait  Yesprit  de  vie  à 
la  faculté  de  théologie  et  la  métamorphosait  en  carcasse.  Ce 
seul  trait  suffit  pour  nous  éclairer,  et  nous  tenir  en  garde  contre 
les  calomnies  que  la  feuille  janséniste  se  plaisait  à  répandre. 

IV. —  page  34. 

Nous  avons  dit  dans  le  premier  volume  que  le  silence  de 
l'histoire  et  de  la  tradition  locale  nous  autorisait  à  penser 
que  le  clergé  de  Vire  s'était  préservé  de  la  contagion  de  l'héré- 
sie (p.  133).  Une  lettre  écrite  à  Vire,  le  1er  octobre  1739,  con- 
firme nos  suppositions.  On  y  lit:  «  Grâces  a  Dieu,  on  ne 
connaît  aucun  Janséniste  dans  notre  ville,  et  la  gazette  du 
parti  n'y  pénètre  pas.  » 

V. — page  47. 
Possession  des  demoiselles  de  Leaupartie. 

L'abbé  Porée  raconte  dans  son  mémoire  que  Msr  de  Luynes, 


6  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

ayant  reçu  un  soufflet  d'une  des  jeunes  malades,  ne  douta  plus 
de  la  possession.  Qu'on  veuille  bien  jeter  les  yeux  sur  la  pièce 
suivante,  et  l'on  comprendra  que  l'évêque  avait  plus  d'un  motif 
pour  en  admettre  la  réalité.  Elle  prouve  jusqu'où  peut  aller, 
en  pareil  cas,  la  prévention  ou  la  mauvaise  foi,  et  avec  quelle 
discrétion  il  faut  accueillir  certains  témoignages  : 

«  Nous  soussignés,  Nicolas  Andry,  conseiller,  lecteur  et  pro- 
fesseur royal ,  docteur  régent  et  ancien  doyen  de  la  faculté  de 
médecine  de  Paris,  censeur  royal  des  livres,  etc.;  Jacques-Bé- 
nigne Winslow,  de  l'académie  royale  des  sciences,  docteur  ré- 
gent et  ancien  professeur  de  la  même  faculté,  etc.,  avons  exa- 
miné avec  tout  le  soin  possible  le  mémoire  cy-devant,  en  con- 
séquence de  quoi  certifions  avoir  trouvé  dans  ledit  mémoire 
quatre  cas  singuliers,  qui  nous  paraissent  passer  les  forces  de 
la  nature,  et  ne  pouvoir  être  attribués  à  aucune  cause  physi- 
que, sçavoir: 

«  1°  Que  les  personnes  y  mentionnées  se  donnent,  en  tom- 
bant subitement  de  leur  hauteur  contre  le  pavé,  contre  les 
murs  et  contre  des  bancs,  des  coups  si  terribles  à  la  tête, 
qu'elles  devroient  s'enfoncer  ou  se  fendre  le  crâne ,  et  cepen- 
dant il  ne  leur  en  est  arrivé  aucun  accident,  sinon  quelquefois 
une  tumeur  et  une  douleur,  qui  souvent  se  dissipent  dans  l'in- 
stant, sans  qu'on  y  fasse  autre  chose  que  d'y  mettre  quelques 
gouttes  d'eau  bénite,  ou  d'y  appliquer  des  reliques. 

«  2°  Que  souvent  elles  pèsent  dans  le  temps  de  leur  syncope, 
au  moins  le  double  de  ce  qu'elles  pèsent  dans  leur  état  naturel, 
de  sorte  que  deux  hommes  ont  eu  quelquefois  de  la  peine  à 
porter  un  enfant  de  dix  ans.  Bien  plus ,  que  quatre  hommes 
n'ont  jamais  pu  plusieurs  fois,  et  en  différents  temps,  en  lever 
une  autre  de  terre  où  elle  était  étendue ,  quelque  effort  qu'ils 
fissent  pendant  un  temps  considérable  ;  et  dès  qu'un  prêtre  y 
fut  arrivé ,  et  qu'il  eut  commandé  au  démon  de  lui  rendre  la 
connaissance  et  la  liberté  de  se  relever  elle-même,  elle  recou- 
vra l'une  et  l'autre.  De  plus,  que  deux  hommes  la  portant  fa- 
cilement un  autre  jour  dans  ce  même  état,  deux  autres  s'étant 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  7 

joints  à  eux  pour  les  aider  à  la  porter,  son  corps  devint  tout 
à  coup  si  pesant,  qu'ils  eurent  toute  la  peine  à  gagner  la  maison, 
quoique  proche,  déclarant  qu'ils  auraient  eu  moins  de  peine  à 
porter  chacun  un  sac  de  bled. 

«  3°  Qu'il  y  en  a  une  qui ,  quelqu'industrie  qu'on  apporte  à 
lui  lier  dans  sa  fureur  le  corps,  les  bras  et  les  pieds  dans  son 
lit,  ou  dans  un  fauteuil,  tous  les  nœuds  étant  par-dessous  la 
couche,  ou  derrière  le  fauteuil,  et  les  bandes  ou  autres  ligatu- 
res tellement  serrées  et  entrelacées  qu'elle  ne  peut  remuer 
aucune  partie  de  son  corps,  surtout  les  mains,  se  trouve  dans 
l'instant  déliée,  tantôt  les  nœuds  se  défaisant  d'eux-mêmes, 
quoique  quelquefois  encore  extraordinairement  cousus,  tantôt 
sans  que  ces  nœuds  soient  défaits,  tantôt  enfin  ces  mêmes 
nœuds  se  trouvant  entièrement  coupés  d'eux-mêmes,  sans  ex- 
cepter ceux  qui  lui  serrent  les  bras  l'un  sur  l'autre. 

«  4°  Qu'il  y  en  a  une  qui,  voulant  se  jeter  un  jour  par  la  fe- 
nêtre d'un  escalier  au  second  étage,  demeura  suspendue  debout 
en  l'air,  sans  aucun  appui  sous  les  pieds,  et  sans  tenir  à  rien 
pendant  tout  le  temps  qu'il  fallut  pour  monter  à  cet  étage,  et 
la  retirer:  Qu'elle  s'est  mise  une  autre  fois  un  talon  sur  le  bord 
extérieur  du  linteau  de  la  fenêtre  d'une  chambre,  l'autre  pied 
en  l'air,  et  tout  le  corps  penché  dehors,  sans  se  tenir  à  rien  : 
Qu'elle  s'est  assise  encore  sur  le  bord  intérieur  d'un  puits, 
tout  le  corps  dedans  et  penché  jusqu'au  milieu,  sans  aucun  ap- 
pui sous  les  pieds,  et  pendant  tout  cela  toujours  en  syncope. 

«  Lesquelles  choses  énoncées  dans  ces  quatre  articles,  certi- 
fions comme  ci-dessus,  passer  les  forces  de  la  nature,  et  ne 
pouvoir  être  attribuées  à  aucune  cause  physique.  Le  tout  au 
reste  sans  prétendre  rien  décider  sur  les  autres  articles ,  qui 
peuvent  être  du  ressort  de  la  physique  et  de  la  médecine.  Fait 
à  Paris,  le  4  mars  1734.  Andry.  Winslow. 

«  Après  avoir  lu  et  examiné  le  mémoire  ci-dessus,  après  avoir 
appris  de  plus  l'inutilité  des  remèdes  employés  par  les  méde- 
cins, nous  croyons  que  la  physique  ne  peut  expliquer  quel- 
ques-uns des  faits  énoncés,  tels  par  exemple,  que  d'êlrc  sus- 
pendue en  l'air  sans  tenir  à  rien,  etc.,  et  que  la  nature  toute 


8  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

seule,  en  santé  ou  en  maladie,  ne  les  peut  produire  ;  en  foi  de 
quoi  adhérant  aux  quatre  articles  extraits  par  nos  confrères, 
M"  Andry  et  Winslow,  sans  rien  décider  sur  les  autres  arti- 
cles, nous  avons  signé.  A  Paris,  ce  7  mars  1735. 
«  Chomel,  Conseiller  médecin    «  Chomel,  fils,  Docteur  régent 
ordinaire  du  roi ,  Assesseur       de  la  Faculté  de  médecine  de 
vétéran  de  l'Académie  royale       Paris.  » 
des  sciences  et  Docteur  ré- 
gent de  la  Faculté  de  méde- 
cine de  Paris.  » 

Cependant,  avons-nous  dit  (page  47),  M*r  de  Luynes  était  loin 
de  partager  toutes  les  illusions  de  la  famille.  Les  lettres  qu'il 
écrivit  sur  cette  affaire  à  M.  de  Leaupartie  et  aux  deux  exor- 
cistes, accusent  nettement  l'indécision  de  son  esprit.  On  peut 
s'en  convaincre  en  lisant  la  pièce  suivante  : 

«  Il  y  a  dans  mon  diocèse,  monsieur,  des  filles  de  condition, 
dans  lesquelles  plusieurs  personnes  sages  croyent  trouver 
des  marques  d'opération  du  démon.  M.  Le  Carpentier  m'a 
assuré  ,  monsieur,  que  vous  êtes  fort  au  fait  de  ces  sortes 
d'affaires,  et  que  votre  zèle  était  égal  à  votre  expérience.  Je 
vous  prie  de  me  venir  trouver  ici,  pour  m' aider  a  me  déci- 
der sur  une  affaire  de  cette  importance.  L'état  de  ces  demoi- 
selles et  de  leur  famille  est  si  affreux ,  que  si  vous  en  étiez 
témoin,  vous  n'hésiteriez  pas  un  moment  à  partir.  Je  crois 
qu'en  conscience  vous  ne  pouvez  pas  me  refuser  ce  voyage. 
De  la  façon  dont  on  m'a  parlé  de  votre  vertu  ,  je  suis  per- 
suadé que  vous  en  feriez  bien  davantage  pour  la  gloire  de 
Dieu,  et  pour  la  consolation  d'une  famille  qui  est  dans  la 
plus  grande  de  toutes  les  afflictions.  Le  plus  tôt  que  vous 
pourrez  partir,  ce  sera  le  mieux.  L'état  des  demoiselles  de- 
mande un  prompt  secours ,  et  d'ailleurs  ,  je  serais  bien  aise 
de  pouvoir  m'entretenir  avec  vous ,  avant  de  me  rendre  à 
Rouen  pour  l'assemblée  provinciale,  qui  doit  se  tenir  le  27 
de  ce  mois.  Je  vous  attends  avec  empressement,  et  vous 
souhaite ,  etc.  Ce  7  janvier  1734.  »  (Lettre  de  M*'  de  Luynes 
a  M.  Herbinières.) 


PIECES  JUSTIFICATIVES.  9 

VI.— PAGE  53. 
Opinion  de  Hf .  de  Quens  sur  le  caractère  de  Mer  de  Luynes. 

«  De  l'aveu  même  de  ses  ennemis  (v.  le  recueil  janséniste  in- 
titulé Nouvelles  ecclésiastiques),  il  exhortait  publiquement  son 
chapitre  «  à  employer ,  à  l'égard  des  opposants ,  les  voies  de 
douceur  et  de  charité  pour  les  ramener.  »  Il  voulait  qu'à  l'exem- 
ple du  Christ  on  se  fit  du  pardon  une  loi  suprême.  —  Il  y  a 
pourtant  dans  sa  vie  quelques  actes  d'intolérance  qui  dénotent 
en  lui  une  inégalité  d'humeur  à  laquelle  il  semble  n'avoir  pas 
assez  résisté  (1).  Mais  les  rédacteurs  de  la  feuille  que  nous  venons 
de  citer  ne  doivent  pas,  en  ce  qui  le  concerne,  être  crus  sur 
parole;  ils  ne  pouvaient  lui  pardonner  ses  sympathies  pour 
les  Jésuites ,  ni  le  dédain  avec  lequel  il  traitait  les  actes  sur- 
naturels du  célèbre  diacre  Paris ,  prédisant  que ,  lorsque  la 
gelée  aurait  passé  sur  ces  miracles ,  on  les  verrait  fondre  au 
dégel.  » 

VII. —  PAGE  54. 
Ordonnance  du  roi  contre  le  lieutenant-général  de  Bayeux. 

M.  Le  Marois,  procureur  du  roi  à  Bayeux,  et  très-attaché  à 
la  secte  de  Quesnel,ne  pouvant,  à  cause  de  ses  infirmités,  aller 
faire  ses  Pâques  à  sa  paroisse ,  avait  prié  son  curé  de  lui  ap- 
porter les  sacrements.  M.  le  curé  de  Saint-Sauveur,  incertain 
sur  le  parti  qu'il  devait  prendre  à  l'égard  des  Quesnellistes,  qui 
étaient  nombreux  sur  sa  paroisse,  consulta  l'abbé  Hugon,  vi- 
caire-général, lequel  refusa  de  lui  dire  son  sentiment.  Sur  ces 
entrefaites,  on  signifia  au  curé  de  Saint-Sauveur  l'ordonnance 
du  lieutenant-général ,  portant  que  le  curé  ou  son  vicaire  ad- 
ministrerait les  sacrements  au  sieur  Le  Marois.  L'ordonnance 
fut  exécutée.  Msr  de  Luynes,  qui  était  absent,  apprenant  cette 

(1)  C'est  une  opinion  dont  nous  laissons  la  responsabilité  à  M.  do  Quens;  nous  ne 
connaissons  aucun  fait  certain  qui  la  justifie. 


10  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

nouvelle  à  son  retour,  en  fut  vivement  affligé.  Pour  réparer 
le  scandale,  il  indiqua  une  visite  dans  la  paroisse  de  Saint- 
Sauveur,  et,  le  19  mai  1739,  troisième  fête  de  la  Pentecôte,  il 
y  prêcha  sur  l'autorité  de  la  bulle ,  relevant  avec  fermeté  la 
faute  que  le  curé  avait  commise  ;  mais  il  accompagna  la  répri- 
mande de  tous  les  ménagements  que  l'on  pouvait  attendre  de 
sa  charité.  Le  roi ,  après  s'être  fait  rendre  compte  de  cette 
affaire,  publia,  le  27  mai  1739,  une  ordonnance  ainsi  conçue: 
«  Sa  Majesté  étant  en  son  conseil ,  a  cassé  et  annullé  la  dite 
ordonnance  du  21  avril  dernier,  comme  rendue  incompétem- 
ment  et  par  attentat  sur  l'autorité  épiscopale.  Fait  Sa  Majesté 
très-expresses  inhibitions  et  défenses  audit  lieutenant-général 
du  bailliage  de  Bayeux,  et  à  tous  autres  juges  séculiers  de 
rendre  de  pareilles  ordonnances ,  à  peine  d'interdiction  ou 
autre  punition  exemplaire  ;  leur  enjoint  de  renvoyer  les  causes 
purement  spirituelles,  notamment  celles  où  il  s'agit  de  l'admi- 
nistration des  sacrements,  pardevant  les  supérieurs  ou  juges 
ecclésiastiques  auxquels  il  appartient  d'en  connaître,  »  etc. 

VIII.—  PAGE  56. 

«  Le  18  janvier  1731,  Discours  prononcé  à  l'ouverture  de 
l'Académie  royale  des  belles-lettres  de  Caen ,  après  son  réta- 
blissement, par  Mgr  l'évêque  de  Bayeux,  choisi  Protecteur  de 
cette  Académie,  et  réponse  de  M.  de  la  Douespe,  directeur  de 
l'Académie,  au  discours  du  susdit  prélat,  huit  pages  in-12,  y 
compris  le  titre  du  recueil  de  différentes  pièces  tant  en  vers 
qu'en  prose  lues  à  la  dite  Académie.  Toutes  ces  pièces  sont  à 
la  louange  de  Msr  l'évêque  de  Bayeux,  en  reconnaissance  de 
ce  qu'il  avait  rétabli  cette  Académie.  »  (Beziers,  Mss.) 

IX.— page  56. 
Madrigal  sur  le  rétablissement  de  l'Académie  de  Caen. 

Sur  moi  la  mort  exerçait  son  empire  ; 
Nul  espoir  que  jamais  on  pût  me  rétablir. 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  11 

Notre  auguste  Prélat  m'a  daigné  secourir  : 
Aujourd'hui  du  tombeau  son  zèle  me  retire. 

Dieu  du  Permesse,  accordez  votre  lyre; 
Muses ,  réveillez-vous ,  partagez  mon  plaisir  : 

Je  renais  ■pour  ne  plus  mourir  (1). 

30  janvier  1731. 

X.  —  PAGE  72. 

Invitation  adressée  au  Tribunal  de  Bayeux  par  le  doyen 
du  Chapitre. 

«  Un  autre  usage  qui  remontait  à  une  époque  très-éioignée, 
et  qui  n'a  été  abandonné  qu'à  la  révolution  de  1830,  mérite 
d'être  rappelé  ici.  Lorsque  le  bailliage  et,  depuis,  le  tribunal 
civil,  devait  assister  à  une  cérémonie  religieuse,  l'invitation  était 
adressée  au  tribunal,  audience  séante,  au  nom  de  Msr  l'évêque, 
par  le  doyen  du  chapitre ,  et  deux  chanoines  en  costume  de 
ville  et  manteau  long,  précédés  par  le  suisse  en  grand  uniforme. 
Les  deux  battants  de  la  salle  étaient  ouverts,  les  trois  chanoi- 
nes s'avançaient  au  pied  de  l'estrade,  le  barreau  se  levait,  le 
tribunal  restait  assis ,  mais  se  découvrait  ;  puis  après  l'invita- 
tion adressée  à  haute  voix  et  la  réponse  du  président,  les  cha- 
noines quittaient  la  salle,  précédés  des  huissiers-audienciers, 
qui  les  reconduisaient.  »  [Etudes  sur  l'administration  de  la 
justice,  par  M.  Pezet,  président  du  tribunal  civil  de  Bayeux.) 

XL  —  page  73. 

Calvaire  de  Bayeux. 

«  Contre  l'église  des  Cordeliers ,  il  y  a  un  magnifique  cal- 
vaire qui  a  été  élevé  aux  frais  des  citoyens ,  en  faveur  des- 
quels on  a  aussi  établi  sous  le  môme  nom  une  confrérie  dans 

(l)  Ce  dernier  vers  était  la  devise  de  l'Académie, 


12  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

cette  église.  Ce  monument  de  leur  piété  est  une  suite  de  la 
mission  dont  les  PP.  d'Irlande ,  Langegu  et  Mayet  firent 
l'ouverture  le  1er  de  janvier  1747.  Dieu  bénit  leurs  travaux. 
L'esprit  du  christianisme  sembla  se  rallumer  dans  tous  les 
cœurs ,  et  le  bon  exemple  enleva  à  l'hérésie  trente  soldats  du 
régiment  de  Berwick,  alors  en  garnison  ici,  qui  abjurèrent 
entre  les  mains  de  l'abbé  de  Graville,  vicaire-général.  Pendant 
ce  temps-là,  on  bâtissait  le  Calvaire,  dont  la  première  pierre 
fut  posée  par  cet  abbé,  le  lundi  20  février;  il  bénit,  le  17 
mars,  la  croix  qui,  avant  que  d'être  placée,  fut  portée  proces- 
sionnellement  autour  de  la  ville. 

«  Le  lundi  20  mars,  tout  le  clergé  séculier  de  la  ville,  trente- 
cinq  ordinands  du  séminaire,  et  l'abbé  de  Graville  à  la  tête, 
partirent  en  corps  sur  les  deux  heures  de  relevée  de  l'église 
Saint-Sauveur  pour  se  rendre  aux  Gordeliers.  Les  officiers  de 
Berwick  y  étaient  déjà  arrivés  avec  une  compagnie  de  grena- 
diers. Après  une  courte  exhortation  que  fit  le  P.  d'Irlande  sur 
l'objet  de  la  procession ,  on  chanta  trois  fois  :  0  crux  ave , 
pour  se  disposer  à  partir.  La  marche  était  ouverte  par  un 
détachement  de  grenadiers  ,  la  baïonnette  au  bout  du  fusil. 
Venaient  ensuite  les  PP.  Cordeliers,  leur  croix  à  la  tête,  et  les 
croix  des  paroisses.  Après  eux  marchaient  douze  ou  quinze 
personnes  qui  portaient  la  chaire  à  prêcher,  et  d'autres  qui 
portaient  deux  grands  traiteaux  couverts  de  tapisseries.  Parais- 
sait ensuite  la  croix  du  Calvaire,  portée  par  cinquante  hommes 
et  escortée  par  quatre  grenadiers  qui  avaient  un  tambour  à. 
leur  tête.  Elle  était  suivie  de  six  personnes  qui  portaient  une 
espèce  de  carreau  couvert  d'un  tapis  violet.  Ce  carreau  et  ces 
traiteaux  étaient  destinés  à  recevoir  le  Calvaire  dans  les  haltes 
qu'on  fit  durant  la  procession.  Après  cela  venaient  douze  aco- 
lytes ,  qui ,  trois  à  trois ,  encensaient  alternativement  pendant 
la  marche.  Ils  étaient  précédés  de  deux  jeunes  gens  qui  por- 
taient de  l'encens  sur  deux  plats  d'argent.  Ce  cortège  était 
accompagné  de  quarante  jeunes- ecclésiastiques  qui  avaient 
chacun  un  cierge  à  la  main.  Il  était  suivi  du  reste  du  clergé 
en  grand  nombre,  qui  chantait  des  hymnes  en  l'honneur  du 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  13 

Calvaire ,  et  cette  marche  était  fermée  d'un  second  détache- 
ment de  grenadiers,  conduits  par  leurs  officiers. 

«  On  fit  deux  pauses,  vis-à-vis  de  la  Cathédrale  et  devant 
l'église  de  Saint-Sauveur.  A  la  première,  le  P.  d'Irlande  fit  un 
discours  sur  les  souffrances  et  la  mort  de  Jésus-Christ  ;  à  la 
seconde,  sur  les  souffrances  de  la  vie  également  utiles  aux 
justes  et  aux  pécheurs.  Ces  discours  furent  suivis  de  l'adora- 
tion de  la  croix,  tant  par  le  clergé  que  par  le  peuple.  La  croix 
fut  portée:  1°  depuis  les  Cordeliers  jusqu'à  la  Cathédrale,  par 
les  soldats  de  Berwick ,  d'où  ils  se  séparèrent  sur  deux  lignes 
extérieures  pour  garder  le  clergé  de  la  foule  incroyable  qui  se 
trouva  dans  les  rues.  Les  bourgeois  prirent  leur  place  et  la 
portèrent  jusqu'à  Saint-Sauveur.  Les  jeunes  gens  leurs  succé- 
dèrent et  la  portèrent  jusqu'aux  Cordeliers.  On  tendit  devant 
les  maisons  par  où  passa  la  procession ,  comme  on  fait  à  la 
fête  de  Dieu. 

«  De  retour  aux  Cordeliers,  on  plaça  la  croix  dans  la  nef,  sur 
les  traiteaux.  L'abbé  de  Graville,  monté  sur  une  espèce  d'écha- 
faud,  au  bout  de  la  croix ,  donna  la  bénédiction  avec  le  Saint- 
Sacrement,  et  le  tout  fut  terminé  par  un  cantique  d'actions  de 
grâces.  »  (Beziers,  Mémoires  inédits.) 

XII. -PAGE  77. 
Mandement  de  Mgr  de  Luynes,  archevêque  de  Sens. 

Nous  n'avons  trouvé  dans  les  archives  du  diocèse  de  Bayeux 
aucun  mandement  de  Mgr  de  Luynes  qui  nous  permît  d'appré- 
cier son  éloquence.  Celui  qu'il  écrivit  après  la  conclusion  de  la 
paix  avec  le  roi  d'Angleterre  et  le  roi  de  Portugal ,  est  du  29 
juin  1763.  Quoique  M8r  de  Luynes  gouvernât  alors  le  diocèse  de 
Sens,  nous  croyons  devoir  en  citer  quelques  extraits  : 

<.<  L'Esprit-Saint  nous  apprend  dans  l'Écriture  que  les  souve- 
rains et  les  états  sont  dans  la  main  de  Dieu,  et  que  c'est  sa 
providence  qui  dispose  à  son  gré  de  l'élévation  et  de  l'abaisse- 
ment des  empires  ;  que,  selon  l'ordre  immuable  de  ses  décrets, 


14  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

il  en  a  fixé  les  commencements,  les  progrès  et  la  durée;  que 
la  guerre  est  le  fléau  par  lequel  il  punit  les  empires  qui  lui 
sont  infidelles,  et  que  la  paix  constante  et  durable  est  dans  sa 
main  la  récompense  de  leur  fidélité,  et  le  plus  précieux  de  tous 
ses  dons. 

«  C'est,  selon  ces  vues  de  sévérité  et  de  miséricorde,  de  co- 
lère ou  de  bonté ,  que  Dieu  suscite  des  hommes  qui  sont  ou 
le  fléau  ou  les  pacificateurs  des  nations,  qu'il  les  éclaire  ou 
les  aveugle  dans  les  projets  de  leur  politique. 

«  On  attribue  aux  généraux  la  gloire  de  la  victoire  ou  la 
honte  de  la  défaite,  aux  politiques  le  bon  et  le  mauvais  succès 
des  négociations  ;  on  ne  voit  point  la  main  de  Dieu  qui  remplit 
à  son  gré  de  son  esprit  de  discernement  et  de  sagesse,  et  les 
généraux  qui  dirigent  les  combats ,  et  les  politiques  qui  con- 
duisent les  négociations  ;  qui  incline  le  cœur  des  souverains 
à  la  paix  ou  leur  inspire  l'ardeur  guerrière  selon  qu'il  est  né- 
cessaire pour  l'accomplissement  des  desseins  de  sa  justice  ou 
de  sa  miséricorde.  » 

XIII.  — page  78. 

Oraison  funèbre  de  Msr  de  Luynes,  par  M.  Bellenger. 

«  L'ambition  de  ses  amis  vient  d'ourdir  en  sa  faveur  une 
heureuse  intrigue  que  la  candeur  et  l'élévation  de  son  âme  ne 
lui  permettent  pas  de  suivre,  même  de  soupçonner.  On  obtient 
pour  lui  ce  ministère  délicat  et  glorieux  qui  dispense ,  dans 
l'Église,  les  grâces  les  plus  signalées,  dispose  des  postes  les 
plus  importants ,  et  peut  faire  une  foule  de  créatures  à  celui 
qui  l'exerce.  Les  mesures  sont  prises ,  les  engagements  sont 
formés  ;  tout  est  concerté.  Seulement  on  exige  que  le  cardinal 
se  courbe  devant  l'idole  (1),  et  que,  sans  fléchir  les  genoux  à 
ses  pieds,  il  lui  rende  au  moins  un  hommage  secret,  un  aveu 
tacite  de  sa  puissance.  Oh  !  combien  de  grands  n'eussent  pas 

(1)  Mmc  de  Pompadour. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  15 

rougi ,  peut-être ,  d'acheter  à  ce  prix  une  telle  distinction  ! 
Mais  ce  tempérament,  dicté  par  la  faiblesse  et  par  un  reste  de 
pudeur,  le  cardinal  de  Luynes  le  rejette  avec  sévérité,  avec  in- 
dignation. On  a  beau  lui  représenter  que  cet  instant  d'une 
complaisance  innocente  sera  suivi  d'avantages  précieux  ;  que 
l'Église  lui  devra  des  pasteurs  dignes  d'elle ,  et  qu'un  pontife 
doit  tout  sacrifier  à  la  gloire  de  l'Église  :  il  se  renferme  dans 
son  devoir  ;  il  se  dispense  de  bonnes  œuvres  qui  alarmeraient 
sa  conscience.  » 

XIV.— page  78. 

Vers  dédiés  à  Mgr  de  Rochechouart 

En  tête  on  lit  : 

EtO"   TïJV    7rO0SiVOT«TïJV 

£<r  Kccâojxov  énùsv  cLcw 

70V  A«|X7TJOOT«TOV  '/Ml  SepOTGCTOV 

IIETPOr  IOTAIOT  KAI2AP02 

twv  Bkcoxswv  TLtugx.otzov» 

La  strophe  suivante  se  trouve  au  commencement  et  à  la  fin 
du  morceau  : 

nûXcccr  caovyz  ymÏùç, 

M«X«0T«TÏ3  TTOÀïJWV, 

Twv  Hoipivwv  àpicrrcd 
Twv  Uoiuévuv  yôÂGT'jô. 
IIûXccc  v.voiys  ttccccco". 

In  gentile  nomen  de  Rochechouart  epigramma  : 

Cui  bona  concessit  mores  natura  benignos, 
Immiti  à  Scopulo  quam  malè  nomen  habet. 

Fallor  ;  in  hoc  Scopulo  nostri  signantur  amores  ; 
Ut  Scopulus  noster  sic  quoque  stabit  amor. 


16  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

XV.— PAGE  97. 

Le  P.  André. 

M8'  de  Luynes  avait  conçu  pour  le  P.  André  une  affection 
véritable.  Il  paraît  môme  qu'il  lui  avait  offert  de  le  protéger 
contre  les  tracasseries  qu'il  eut  à  subir  de  la  part  de  sa  cor- 
poration. 

«  Monseigneur,  lui  écrivait  ce  religieux,  je  suis  très  sensi- 
blement obligé  à  V.  G.  de  la  protection  qu'elle  promet  à  Mae  de 
Saint-Luc  pour  moi,  envers  et  contre  tous;  mais,  je  m'en 
croirais  tout-à-fait  indigne,  si  j'étais  capable  de  l'avoir  solli- 
citée, par  cette  voie  ou  par  quelque  détour  semblable. —  Je  ne 
veux  point  prendre  de  sûretés  contre  mes  confrères;  je  les  aime 
tous,  et  je  dois  croire  qu'ils  ne  me  haïssent  pas. —  Je  laisse 
tout  tomber  pour  conserver  la  tranquillité  d'esprit  qui  m'est 
nécessaire  dans  mon  emploi ,  que  je  regarde  comme  ma  mission 
essentielle.  —  Tout  le  monde  n'est  pas  appelé  à  faire  du  bruit 
dans  l'Église.  Que  les  docteurs  disputent,  je  les  laisse  disputer; 
que  les  pasteurs  décident,  je  m'y  soumets.  C'est  ainsi,  disait 
Ozanam ,  qu'un  géomètre  doit  aller  en  paradis  en  ligne  perpen- 
diculaire. » 

M6'  de  Luynes ,  archevêque  de  Sens ,  ayant  reçu  de  l'abbé 
Guyot ,  aumônier  du  duc  d'Orléans ,  les  œuvres  du  P.  André , 
qu'il  avait  éditées  après  sa  mort ,  écrivit  à  l'éditeur  la  lettre 
suivante  : 

«  Fontainebleau,  29  novembre  1765. 

«  J'ai  reçu ,  Monsieur,  avec  un  vrai  plaisir,  les  ouvrages  du 
P.  André,  que  vous  m'avez  adressés;  je  l'estimais  infiniment, 
parce  que  j'avais,  reconnu  en  lui  toutes  les  qualités  qui  pou- 
vaient le  rendre  respectable  dans  son  état,  et  tous  les  talents 
qui  rendent  célèbre  dans  le  genre  des  sciences  et  dans  celui 
de  la  littérature.  11  y  joignait  une  simplicité  et  une  modestie 
qui  se  trouvent  rarement  dans  les  savants ,  et  une  aménité  dans 


PIÈGES  JUSTIFICATIVES.  17 

les  mœurs  dont  les  hommes  appliqués  comme  il  l'était  aux 
sciences  abstraites ,  ne  sont  pas  ordinairement  susceptibles.  » 

Le  card.  de  Luynes. 
Vers  inspirés  au  P.  André  par  un  portrait  de  Msr  de  Luynes. 

Fronte  sedet  virtus,  crux  pectore,  gratia  labris  ; 
Totus  in  Alberto  prsesule  Ghristus  adest. 

Opinio